La planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022

Mémoire soumis à la Commission des relations avec les citoyens, Assemblée nationale du Québec, 21 juillet 2019 par l’auteure, professeure émérite de sociologie à l’Université du Québec à Montréal, l’auteure a été notamment titulaire de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté de l’UQAM (2008 à 2014).

Le présent mémoire souligne et commente les thèmes insuffisamment ou non abordés dans le Cahier de consultation concernant la planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022 : l’historique des politiques d’immigration du Québec ; la contribution différenciée de l’immigration sur le plan économique ; le modèle d’intégration du Québec ; le racisme et l’antiracisme ; les valeurs de la société québécoise. Il ressort du document de consultation une approche plutôt utilitariste et technique de l’immigration, qui se situe dans la foulée du gouvernement du Parti libéral antérieur, en dépit d’une volonté affichée d’intégration des personnes et de nouveauté. En l’absence de considérations sociologiques et humanitaires, cette dimension utilitariste prédomine. Et c’est dommage, car cela rompt avec les politiques publiques développées depuis la fin des années 1960.

1. Introduction

Le Cahier de consultation sur la planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022 fait reposer les principaux fondements d’une réforme en profondeur de l’immigration sur la sélection, l’accueil et l’intégration des personnes immigrantes. On témoigne de prudence dans l’augmentation prévue des volumes d’immigration, de volonté de prise en charge des besoins des employeurs et du souci de les aider dans leurs démarches. Le souci d’améliorer l’apprentissage du français et de poursuivre l’engagement humanitaire du Québec par l’accueil de personnes réfugiées et d’autres personnes ayant besoin d’une protection internationale fait partie des points positifs qu’il faut souligner.

Le ministre Simon Jolin-Barrette déclarait avant les élections d’octobre 2018 qu’il fallait réduire l’immigration pour qu’elle s’intègre mieux à la société québécoise. Quelques mois plus tard, il annonce maintenant une augmentation graduelle, somme toute assez modeste, axée surtout sur l’augmentation des travailleurs temporaires et une « suspension temporaire du Programme de l’expérience québécoise qui, depuis 2010, permet aux étudiants étrangers diplômés au Québec d’immigrer de façon plus rapide » (Rivard, 2019). Ceci semble contredire l’orientation 3 « favoriser la sélection permanente de travailleurs et de ressortissants étrangers diplômés du Québec répondant aux besoins du marché du travail et résidant temporairement sur le territoire ».

Au-delà des questions techniques et des volumes proposés que plusieurs experts et intervenants ont abordés au cours de la consultation en août 2019, on peut se demander quelle réflexion a présidé en quelques mois à ce changement d’orientation, et surtout, en quoi ce changement amorce « un nouveau chapitre en matière d’immigration au Québec ».

Le présent mémoire s’en tient aux thèmes insuffisamment ou non abordés dans le Cahier de consultation : l’historique des politiques d’immigration du Québec ; la contribution différenciée de l’immigration sur le plan économique ; le modèle d’intégration du Québec ; le racisme et l’antiracisme ; les valeurs de la société québécoise. Pour chaque thème traité, nous soumettons des commentaires qui peuvent être considérés comme des recommandations.

2. Historique des politiques publiques du Québec en matière d’immigration et d’intégration

Ce qui frappe d’entrée de jeu c’est que le document de consultation s’arrête à la période 1990-2016 pour faire état des politiques d’immigration et d’intégration du Québec. Cette omission dénote un court-circuitage important de l’évolution de ces politiques.

Rappelons brièvement qu’à la suite de la création du ministère de l’Immigration en 1968 le Québec acquiert graduellement la responsabilité de planifier le volume total de l’immigration et la sélection des immigrants économiques indépendants au moyen d’ententes fédérales-provinciales (Cloutier-Lang 1971, Andras-Bienvenue 1975, Couture-Cullen 1978, puis l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission des aubains Gagnon-Tremblay/McDougall, 1991).

Le Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers, édicté en décembre 1978, définit trois catégories d’immigration – indépendants, famille ainsi que réfugiés et autres personnes en situation de détresse – et précise les exigences qui s’appliquent aux ressortissants étrangers qui désirent séjourner temporairement au Québec, pour y travailler, y étudier ou y recevoir un traitement médical. « Les outils d’intervention en immigration, dont la grille de sélection, voient le jour » (MIDI, 2016, p. 108). Tout ne débute donc pas avec l’Énoncé de politique Gagnon-Tremblay de 1990. Il faut le souligner.

Le Cahier de consultation retient le système de la déclaration d’intérêt qui faisait partie des principales mesures de la Stratégie d’action en matière d’immigration, de participation et d’inclusion 2016-2021 du gouvernement libéral antérieur (MIDI, 2016, p. 99).

On peut espérer que cette mesure s’avérera apte à régler les problèmes de backlog (arriérés), d’émigration vers d’autres provinces canadiennes (une émigration annuelle d’environ 30 % qui ne varie guère depuis des décennies), de déqualification et de chômage des immigrants qualifiés.

Commentaire 1 : Dans ses documents officiels, le nouveau gouvernement de la CAQ doit rappeler minimalement le « capital politique et historique » acquis au Québec, en matière de sélection, d’accueil et d’intégration des personnes immigrantes.

3. La contribution différenciée de l’immigration sur le plan économique

Nul doute que l’immigration contribue de façon majeure à l’économie, ce qu’ont toujours reconnu les politiques publiques du Québec, et ce, depuis les années 1960.

Dit de façon succincte, l’immigration représente un apport démographique et un apport en main d’œuvre difficilement substituable ; une économie sur les coûts de formation et de reproduction de la main d’œuvre, d’où la sélection préférentielle des jeunes adultes ; et elle joue un rôle de régulation lors de crises ou de récessions. Telles sont les grandes conclusions qui ressortent des nombreuses études universitaires sur le sujet, bien que contestées par une minorité d’analystes opposés à l’immigration.

Ceci dit, cette main d’œuvre immigrée occupe des places très différentes dans un marché du travail segmenté et stratifié. La main d’œuvre qualifiée entre en général par des canaux légaux et est encouragée par les lois et politiques d’immigration. En principe, l’emploi est obtenu sur la base des qualifications de la personne. La réalité est souvent toute autre, compte tenu des facteurs que l’on connaît : non-reconnaissance des diplômes ou de l’expérience de travail dans le pays d’accueil, méconnaissance du français et/ou de l’anglais, discrimination basée sur la consonance du nom.

La main-d’œuvre à bon marché, à statut légal, illégal ou temporaire (travailleurs de l’industrie, des services, des soins à la personne, du secteur agricole, etc.) et les réfugiés sont relayés dans des emplois qui requièrent moins d’apprentissage et que fuient souvent les travailleurs nationaux. Ce cheap labor est généralement mal payé, non syndiqué, obligé d’accepter des horaires de travail souvent pénibles (unsocial hours). Il est exposé aux abus des employeurs, à la méconnaissance de la langue et des codes culturels en vigueur, fait face à peu d’opportunités en termes de mobilité sociale et est vulnérable à la discrimination.

De 2003 à 2018 (si on ne tient pas compte du court intermède du gouvernement péquiste), le gouvernement du Parti libéral s’est employé à consolider un système d’immigration compétitif, misant sur l’engagement du milieu économique et sur une stratégie internationale d’attraction et de mobilité tous azimuts (investisseurs, entrepreneurs, travailleurs qualifiés, étudiants étrangers, permis temporaires de travail) (Québec, MIDI, 2016). Les meilleurs conseillers semblaient être désormais des gens d’affaires. Or depuis 2011, l’immigration temporaire a dépassé annuellement l’immigration permanente :

[…] avec cette montée en force de l’immigration temporaire, on assiste à un changement radical tant sur le plan quantitatif que qualitatif de l’immigration au Québec, il est étonnant de constater l’absence totale de débat public (ou même de consultation publique) sur cette question (TCRI, 2016, p.12 ; voir également les données du MIDI, 2018).

De plus, le Centre international de solidarité ouvrière et la CDPDJ a démontré que le « […] le système de travail temporaire […], parce qu’il suppose et nourrit une double précarisation, celle du migrant et celle du travail, est générateur d’inégalités et d’injustice sociale » (idem).

Soulignons que les travailleurs migrants temporaires échappent à la loi 101 et peuvent donc envoyer leurs enfants dans les écoles anglaises. D’ailleurs les autorisations particulières accordées sous la catégorie « séjours temporaires » sont en nette augmentation : de 7 % entre 1977-1989 à 11 % entre 2002 – 2015 selon l’OQLF (Meggs, 2019). Ceci a un effet à long terme sur l’intégration des générations suivantes.

Quant au nombre de demandeurs d’asile, il est en pleine croissance :

Au cours de la dernière année, le Québec a vu augmenter le nombre de demandes d’asile présentées au Québec, dont 66 % ont été déposées par des personnes qui sont arrivées de façon irrégulière (18 518 interceptions). Pour la même période en 2017, 27 890 demandes avaient été reçues. En date du 31 décembre 2018, les cinq principaux pays de naissance des 27 970 demandeurs d’asile au Québec en 2018 étaient le Nigéria, l’Inde, le Mexique, les États-Unis, et Haïti (dernière mise à jour : 7 juillet 2019, source : IRCC, 31 janvier 2019).
http://www.immigration-quebec.gouv.qc.ca/fr/immigrer-installer/immigration-humanitaire/demandeur-asile.html

Le gouvernement du Québec souhaite moderniser le système en le rendant plus efficace et plus rapide. Mais est-il outillé pour savoir ce qu’il advient de ces travailleurs temporaires qui relèvent de programmes fédéraux et des demandeurs d’asile, avec ou sans statut ? Où sont-ils, où travaillent-ils ? Dans quelles conditions ? Que connaît-on des personnes qui n’ont pas été formellement sélectionnées et acceptées par le Québec ?

Il faut aussi tenir compte des « investisseurs » qui ne sont pas mentionnés dans le document, mais qui figurent sans doute dans « autres catégories économiques » (voir Cahier de consultation, tableau 2, p. 41). Ce statut devrait être aboli et les nombres qui leur sont réservés devraient être ajoutés à la catégorie humanitaire et réunification des familles.

Il faut tenir compte du fait que pour chaque immigrant qui entre au Canada initie potentiellement une chaîne migratoire. Dans le passé, certaines études nord-américaines ont fait état de 50 nouvelles entrées par immigrant, compte tenu des réseaux et des liens transnationaux des migrants.

En ce qui concerne la contribution économique de l’immigration, la main d’œuvre immigrée dont il est question dans ce Cahier de consultation renvoie essentiellement à des statuts juridiques. Or, toute réflexion sur la planification de l’immigration, traitant de sélection et d’accueil, devrait faire état d’un minimum d’analyse différenciée (selon le sexe et la classe sociale, à tout le moins) des problématiques qui concernent cette main d’œuvre.

Commentaire 2 : Avant de situer les volumes annuels d’immigration, le nouveau gouvernement de la CAQ et le ministère responsable de la planification et de la sélection de l’immigration tiennent-ils compte des conditions de vie qui attendent les diverses composantes de l’immigration et qui auront des répercussions dans d’autres domaines d’intervention de l’État (santé, sécurité, éducation, etc.) ? Quels indicateurs propose-t-on pour assurer leur intégration dans la société québécoise ? Tient-on compte des immigrants temporaires et des demandeurs d’asile échappant à sa juridiction ? Quel appui offre-t-on aux organismes communautaires dédiés à l’accueil des personnes immigrantes ?

Ceci nous amène à la question de l’intégration.

4. Le modèle d’intégration du Québec

Parler d’intégration, un terme mentionné 18 fois dans le Cahier de consultation ne suffit pas. Indépendamment du sens courant que l’on accorde à l’intégration linguistique ou sur le marché du travail, ce terme connote différents modèles plus globaux. Veut-on assimiler ? Veut-on laisser vivre en communautés fermées ? Veut-on mettre en place des mesures de participation citoyenne et de rapprochement entre les composantes de la société québécoise ? Quel est le but fondamental que veut poursuivre le gouvernement ?

Tous les gouvernements du Québec ont rejeté la politique du multiculturalisme depuis 1971 et ce, au nom de la protection du caractère français et des caractéristiques spécifiques de la société québécoise. Ceci situe le Québec dans le régime fédéral.

En témoigne une lettre du premier ministre Robert Bourassa à Pierre-Elliot Trudeau en 1971, expliquant la nature de son opposition : « Le Québec n’adopte pas, au niveau du principe du multiculturalisme l’approche de votre gouvernement […]. Le Québec doit assumer le rôle de premier responsable sur son territoire de la permanence de la langue et de la culture française » (Québec, CCCI, 1988, p. 7 ; Québec, MIDI, 2016, p. 105).

Depuis les années 1970, les gouvernements de l’État du Québec ont mentionné la nécessité d’intégrer tout en favorisant la « convergence culturelle », le « dialogue entre les cultures », l’interculturalisme ou la citoyenneté à titre de modèles différents et divergents de la politique fédérale du multiculturalisme. Notons en particulier le thème de la citoyenneté québécoise mis à l’ordre du jour entre 1996 et 2003. La citoyenneté québécoise fut alors définie comme :

[…] un attribut commun à toutes les personnes résidant sur le territoire du Québec. La citoyenneté s’enracine dans le sentiment d’appartenance partagé par des individus qui ont à la fois des droits et des libertés et des responsabilités à l’égard de la société dont ils font partie. Cette perspective de la citoyenneté reconnaît les différences tout en se fondant sur l’adhésion aux valeurs communes (Québec 1998, 11 ; Labelle, 2008).

Le Cahier de consultation actuel n’explique pas ce qu’il entend par intégration. Quel modèle global favorise-t-il, basé sur quels principes ? Si le ministre considère que la planification triennale n’est pas le moment pour livrer le modèle privilégié, il a au moins l’obligation de faire part de ses intentions et de sa préoccupation à ce sujet.

Pourtant, le projet de loi no 9, loi visant à accroître la prospérité socio-économique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes contient les éléments suivants à l’article 60 :

Le ministre élabore des programmes d’accueil, de francisation et d’intégration des personnes immigrantes. Ces programmes visent notamment l’apprentissage du français, des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises « exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne » (chapitre C-12). Ces programmes contribuent, en offrant des services de soutien aux personnes immigrantes, à favoriser leur pleine participation à la vie collective, en toute égalité, ainsi qu’à leur établissement durable en région (Québec, Projet de loi no 9, 2019, p. 8).

Or dans ce texte de loi, rien n’est dit sur la question nationale et les rapports de force qu’elle entraîne au sein de la fédération canadienne, qu’il s’agisse du bilinguisme canadien versus le français langue officielle du Québec, ou encore de la politique fédérale du multiculturalisme versus l’interculturalisme québécois.

Le Cahier n’en fait pas non plus mention.

Or, il faut rappeler en particulier l’article 29 de l’Accord Canada-Québec de 1991 qui réitère le droit du fédéral à promouvoir le multiculturalisme partout :

Le présent Accord n’a pas pour effet de restreindre le droit du Canada d’offrir aux citoyens canadiens des services reliés au multiculturalisme et de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

De plus, un comité mixte a pour mandat notamment : « d’assurer l’échange de renseignements, de documents et d’analyses, et de promouvoir des projets conjoints de recherche et d’évaluation du flux migratoire ». Un mandat semblable s’applique-t-il aussi à la promotion du multiculturalisme sur le territoire québécois (en termes de fonds aux universités, aux associations communautaires, aux écoles, dans les médias, etc.) ?

On peut le croire…

De plus, on ne peut pas confier aux municipalités et aux entreprises (mentionnées 28 fois dans le document) le rôle capital d’intégrer. L’État doit donner une direction, des orientations desquelles les divers acteurs sociaux s’inspireront. Les organismes communautaires (mentionnés une seule fois) ont à cet égard un rôle important à jouer.

On ne peut planifier, augmenter ou réduire la venue de gens de l’extérieur du Québec, sans s’arrêter à ces questions.

Commentaire 3 : L’État du Québec a un leadership à assumer et il doit fournir des orientations précises sur le modèle d’intégration qu’il compte promouvoir et faire appliquer par ses « partenaires ».

5. Le racisme et l’antiracisme

Le racisme est un fait de société qui sévit partout dans le monde. Il prend des formes particulières selon l’histoire des sociétés et les formes d’État. Lutter contre le racisme ne signifie pas que la société, comme totalité, est raciste. Mais cela signifie que le racisme existe bel et bien, tout comme le sexisme.

Les définitions du racisme et de l’antiracisme ne font pas l’unanimité.

L’antiracisme peut être défini comme l’ensemble des actions citoyennes et des politiques publiques visant l’élimination du racisme tant sur le plan des interactions entre les personnes que des structures sociales et des institutions. Les gouvernements canadiens et québécois ont reconnu le fait du racisme et de ses conséquences contemporaines.

En 1975, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, la plus ancienne au Canada, consacre le droit à l’égalité et interdit la discrimination selon plusieurs motifs, notamment sur la « race », la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion.

Depuis, tous les gouvernements du Québec ont adopté des plans d’action et des moyens pour lutter contre le racisme. À titre d’exemples, citons : Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles (1981) ; la Déclaration sur les relations interethniques et interraciales (1986) ; la promulgation de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics et modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, les programmes ciblés pour certains groupes vulnérables ; Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration (1990) etc.

L’ancien et précieux Conseil des relations interculturelles, qui était un ancien organisme consultatif du ministère de l’Immigration, a publié divers avis sur le sujet au cours des décennies.

En 2006, un document de consultation Pour la pleine participation des Québécoises et des Québécois des communautés culturelles. Vers une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination a suscité 124 mémoires. Plus de 500 recommandations figurent dans ces mémoires. Elles portent sur l’emploi, les médias, les services sociaux, l’éducation, la justice, le profilage et la sécurité publique, le nécessaire leadership de l’État, l’importance de la recherche, l’obligation de résultats, le soutien des ONG et associations dédiées à ce thème, etc. (Labelle, 2011, p. 136).

D’où le dévoilement en 2008 de La diversité : une valeur ajoutée. Plan d’action gouvernemental pour favoriser la participation de tous à l’essor du Québec 2008-2013.

Ce plan d’action n’a pas été renouvelé. Aujourd’hui certaines associations communautaires se mobilisent autour de ce qu’elles qualifient de « racisme systémique ». Que l’on soit d’accord ou pas avec ce diagnostic, il faut prendre acte des revendications et des mobilisations en cours. De nouvelles problématiques internationales et nationales interpellent les États, dont, notamment, l’influence des nouveaux acteurs que sont les réseaux sociaux. On y trouve l’influence d’une quantité de propos racistes et haineux.

Dans le contexte actuel, crispé et divisé, où le gouvernement vient de passer une Loi sur la laïcité de l’État et vient de mettre au rencart des milliers de dossiers de personnes ayant postulé pour s’établir au Québec, le positionnement et l’action de l’État s’imposent on ne peut plus.

Commentaire 4 : Quel discours et quelles actions le nouveau gouvernement de la CAQ entend-il adopter pour lutter contre le racisme ?

6. Les valeurs de la société québécoise

L’orientation 7 a pour objectif de « favoriser la sélection de personnes immigrantes connaissant les valeurs démocratiques et les valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec » (Cahier de consultation, p. 38).

Les nouveaux arrivants doivent-ils signer une déclaration officielle selon laquelle ils adhèrent aux valeurs démocratiques et aux valeurs québécoises ou, dans le cas où ils résident temporairement au Québec, doivent-ils passer un test et être expulsés en cas d’échec ?

Ces débats ont fait l’objet d’une instrumentalisation partisane au cours de la période électorale. Or le gouvernement nouvellement élu de la CAQ persiste à ne pas répondre à ces questions, comme en témoigne le cahier actuel de consultation.

Depuis les années 1960, les grands énoncés de politiques publiques québécoises ont précisé les obligations mutuelles entre les immigrants et la société d’accueil sur la base d’un socle de principes tels que : la démocratie, la résolution pacifique des conflits, les droits fondamentaux de la personne, la laïcité, le pluralisme, l’égalité entre les hommes et les femmes, la solidarité collective, le respect des droits historiques de la minorité anglophone du Québec et des droits historiques des Autochtones.

En 2008, la nouvelle politique La diversité : une valeur ajoutée était accompagnée d’une déclaration portant sur les valeurs communes de la société québécoise qui devait être signée lors de la demande de certificat de sélection du Québec. La déclaration énumère les valeurs énoncées dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec : « le Québec est une société libre et démocratique ; les pouvoirs politiques et religieux au Québec sont séparés ; le Québec est une société pluraliste ; la société québécoise est basée sur la primauté du droit ; les femmes et les hommes ont les mêmes droits ; l’exercice des droits et libertés de la personne doit se faire dans le respect de ceux d’autrui et du bien-être général ». Elle souligne aussi que la société québécoise est régie par la Charte de la langue française qui fait du français la langue officielle du Québec.

Qu’en est-il du nouveau gouvernement de la CAQ ? On ne peut indéfiniment laisser les Québécois et les Québécoises dans un vacuum à ce sujet.

L’orientation 7 fait aussi état du Service d’intégration en ligne grâce auquel « la séance collective Objectif d’intégration et les services de francisation informent les personnes immigrantes sur ces valeurs… Dans les années à venir, le gouvernement du Québec souhaite favoriser la sélection des personnes qui connaissent ces valeurs ».

Ce paragraphe est ambigu. Il laisse entendre qu’il suffit que les personnes connaissent les valeurs pour qu’elles les partagent et les pratiquent avec la population native. Il suggère également que cela peut se faire par les services en ligne, comme si cela était central dans la démarche d’intégration. Par ailleurs, le Cahier de consultation n’évoque plus le test des valeurs sur lequel le gouvernement de la CAQ a fait sa campagne électorale.

Commentaire 5 : On doit donc clarifier cette question de la connaissance des valeurs « démocratiques » et « québécoises », à laquelle a été rattachée l’idée d’une expulsion en cas d’échec au cours de la campagne électorale de 2018.

En conclusion, le Cahier de consultation témoigne d’une approche utilitariste et technique de l’immigration et se situe dans la foulée du gouvernement du Parti libéral antérieur en dépit d’une volonté affichée d’intégration des personnes et de nouveauté. En l’absence de considérations sociologiques et humanitaires, cette dimension utilitariste prédomine. Et c’est dommage, car cela rompt avec les politiques publiques développées depuis la fin des années 1960.

 

 

Sources bibliographiques

Labelle, M. (2008). « Les intellectuels québécois face au multiculturalisme : hétérogénéité des approches et des projets politiques », Canadian Ethnic Studies, vol. 40, nos 1-2, p. 33-56.

http://classiques.uqac.ca/contemporains/labelle_micheline/intellectuels_quebecois_face_au_multiculturalisme/intellectuels_qc_multiculturalisme.html

Labelle, M. (2011). Racisme et antiracisme. Discours et déclinaisons, Québec, Presses de l’Université du Québec, 212 p.

http://classiques.uqac.ca/contemporains/labelle_micheline/racisme_et_antiracisme_qc/racisme_antiracisme.html

Meggs, A. M. (2019). « Travailleurs temporaires et le français : une nouvelle brèche », L’Aut Journal, 19 avril 2019.

http://lautjournal.info/auteurs/anne-michele-meggs

Québec (1978). La politique québécoise de développement culturel. Volume 1. Perspectives d’ensemble : de quelle culture s’agit-il ?, Québec.

Québec, Conseil des Communautés culturelles et de l’Immigration (1988). Avis à la ministre des Communautés culturelles et de l’Immigration relatif au projet de Loi C-93 sur le maintien et la valorisation du multiculturalisme au Canada. Montréal, Conseil des Communautés culturelles et de l’Immigration du Québec.

Québec, Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (1981). Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles, Montréal, Direction des communications.

Québec, Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (1990). Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, Montréal, Direction des communications.

Québec. Allocution de Monsieur Ernst Jouthe, sous-ministre adjoint aux relations civiques. Colloque Mondialisation, multiculturalisme et citoyenneté, Musée des beaux-arts, Montréal, 29 mars 1998.

Québec, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (2016). L’immigration au Québec. Le rôle du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion et de ses partenaires, Montréal, Direction des communications.

Québec, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (2018). L’immigration temporaire au Québec 2012-2017, Gouvernement du Québec, p. 7-8.

http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/Portraits_Immigration_Temporaire_2012_2017.pdf

Québec, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (2019). Consultation publique 2019. La planification de l’immigration au Québec pour la période 2019-2022, Montréal, Direction des communications.

http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/planification/BRO_Consultation_PlanificationImmigration.pdf

TCRI (2016). Pour la planification de l’immigration cohérente avec la capacité d’accueil et de rétention de la société québécoise. Mémoire présentée par la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) dans le cadre de la consultation gouvernementale sur la planification de l’immigration au Québec 2017-2019, août.

http://tcri.qc.ca/images/publications/memoires/2016/Memoire_TCRI_niveaux_2017-2019_aout_2016.pdf