La politique de sélection des immigrants au Québec

Laurence Monnot
La politique de sélection des immigrants au Québec, Hurtubise, 2012, 216 pages

En France, où l’immigration dite subie est la norme, l’idée d’instaurer une véritable politique d’immigration comme celle du Québec parait souhaitable aux yeux de plusieurs afin d’exercer un meilleur contrôle sur les flux d’immigrants et leur composition. C’est dans cette perspective que Laurence Monnot, journaliste française, a consacré sa thèse de doctorat à la politique d’immigration du Québec et a écrit le livre La politique de sélection des immigrants au Québec.

L’auteure décrit d’abord l’historique des objectifs et politiques d’immigration du Canada et les événements qui ont peu à peu poussé le Québec à rapatrier les compétences dans le domaine. Jusqu’aux années 1960, l’immigration servait de manière plus ou moins assumée par le gouvernement fédéral à assurer la dominance britannique dans le pays. Conjoncturellement, d’autres groupes ethniques ont percé les mailles – on pense par exemple à la venue de Chinois pour la construction des chemins de fer –, mais dans l’ensemble, tout au long du XIXe et du début du XXe siècle, une série de restrictions telles que le refus des immigrants « appartenant à une race réputée impropre au climat ou aux exigences du Canada » ou la limitation des « ressortissants issus de nationalités indésirables » servaient de critères subjectifs aux agents d’immigration pour contrôler la composition ethnolinguistique des flux migratoires afin de ne pas altérer les « spécificités canadiennes », c’est-à-dire une population blanche, anglophone et protestante ou facilement assimilable à celle-ci. En 1947, l’immigration était ainsi limitée aux Britanniques, Néo-Zélandais, Australiens et Américains, auxquels, sous la pression des Canadiens français, se sont en principe ajoutés en 1948 les Français, bien que les agents fédéraux utilisaient leur pouvoir discrétionnaire pour refuser de manière quasi systématique leurs venues en les soupçonnant d’accointance communiste ou nazie. À Montréal, avant les années 1950, la diversité culturelle était ainsi plutôt limitée. Il y avait les deux peuples fondateurs, les Canadiens français et anglais, ainsi que de petites communautés italienne et juive. Le reste du Québec, à l’exception de quelques enclaves anglophones, était quant à lui 100 % de descendance française. En somme, ce rappel historique montre que le fantasme d’un Québec et d’un Canada multiculturels, diversifiés et métissés est en fait assez récent. Historiquement, l’immigration au Canada visait non pas une plus grande diversité, mais plutôt sa restriction, en noyant notamment la minorité canadienne-française dans l’hégémonie d’une population d’origine britannique.

Les critères ethnoraciaux prirent fin dans les années 1960. Toutefois, l’établissement des premières grilles de sélection basées sur le capital humain et gérées par le gouvernement fédéral ne changea pas la sous-représentation de l’immigration susceptible de s’intégrer aux Canadiens français. De fait, le rapport Brossard de 1965 souligne que durant les années précédentes, seulement 3 % des immigrants sont francophones, alors que 60 % sont anglophones. L’Assemblée nationale du Québec prend alors pleinement conscience que l’immigration est utilisée comme un instrument de submersion démographique du français par le gouvernement fédéral et commence les premières actions visant à accorder au Québec un plus grand contrôle sur la sélection des immigrants à sa destination. La succession des accords accorde peu à peu au Québec plus de pouvoirs, d’abord avec un droit d’avis sur les candidats à destination du Québec jusqu’aux pouvoirs exclusifs sur la sélection des immigrants économiques, en passant par le rapatriement des compétences en matière d’intégration. L’idée derrière ces discussions est toutefois claire : limiter l’impact négatif de l’immigration sur le fait français.

Actuellement, même si le Québec contrôle les pouvoirs d’intégration, l’auteure rappelle que la politique d’intégration du Québec, l’interculturalisme, est en pratique une copie du multiculturalisme canadien, puisque la différence n’en tient qu’à la sémantique et à la vague idée d’une convergence vers le français dans le cas de l’interculturalisme. Par ailleurs, au fur et à mesure que le Québec s’approprie les pouvoirs en matière d’immigration et d’intégration, Monnot souligne que la perception de la population à l’égard des immigrants change radicalement, passant d’une vision plus hostile, tel qu’en témoigne le préjugé auparavant très répandu des « voleurs de jobs », à une vision positive, allant même à leurs attribuer des vertus bénéfiques au niveau économique.

À ce jour, le Québec maîtrise pleinement la venue des immigrants économiques, mais demeure tributaire des engagements du Canada pour les réfugiés et du règlement fédéral pour les regroupements familiaux. À partir de ce constat, Monnot soutient qu’un Québec souverain ne gagnerait pas grand-chose à ce niveau, car il aurait probablement des engagements et règlements similaires à ceux du Canada en ce qui concerne l’immigration non économique. Tout au plus, selon l’auteure, il gagnerait à contrôler les délais pour la délivrance des visas et aurait potentiellement de meilleurs moyens pour contrer la mobilité vers les provinces canadiennes. Nous notons cependant qu’elle oublie un point fondamental : celui de l’intégration et de l’identification culturelle des immigrants. L’enquête sur la diversité ethnique de Statistique Canada a révélé que très peu d’immigrants au Québec s’identifient à la culture québécoise, même partiellement. Pour eux, la culture majoritaire est celle du Canada. Dans un Québec souverain, l’ambivalence quant à la culture majoritaire ne ferait aucun doute aux yeux des nouveaux arrivants et le processus d’intégration changerait de manière radicale : on viendrait au Québec pour devenir Québécois et non comme porte d’entrée au Canada. Ainsi, dans un Québec souverain, même si la sélection des immigrants demeurait similaire à celle qui prévaut aujourd’hui, il en irait tout autrement de leur intégration culturelle et linguistique. L’auteure l’a noté auparavant, mais semble l’avoir oublié en portant ce jugement : l’une des principales motivations qui ont mené le Québec à vouloir contrôler les pouvoirs en matière d’immigration était de limiter son impact négatif sur le fait français. Dans cette perspective, le comportement linguistique de l’immigrant à la sélection n’est qu’un volet, l’autre étant les comportements linguistiques et culturels qu’il adoptera une fois au Québec.

Dans l’ensemble, ce livre consiste à une description concise et claire du dédale complexe qu’est le système d’immigration du Québec. L’auteure renchérit cette description de quelques réflexions pertinentes. Si Monnot trouve dans l’ensemble que la politique d’immigration du Québec est cohérente et remplit bien son rôle, elle critique la dérive que prend le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles sous le règne du Parti libéral du Québec au cours dernières années. Les coupes budgétaires en complément à l’augmentation des seuils d’immigration rendent de plus en plus difficile une sélection rigoureuse, d’autant plus qu’il s’agit d’un petit ministère relégué aux députés peu expérimentés pour les former. Les candidats francophones fortement qualifiés ou travaillant dans des domaines recherchés n’étant pas très nombreux à frapper aux portes du Québec, les seuils de passage de la grille de sélection sont régulièrement abaissés afin que le ministère puisse atteindre les cibles qu’il s’est données quant au nombre d’immigrants reçus annuellement. Qui plus est, l’adéquation entre le profil des candidats sélectionnés et les besoins du Québec semble devenir de plus en plus secondaire. L’essentiel du budget pour la promotion ne sert pas non plus à attirer les immigrants répondant aux besoins définis par le Québec, mais plutôt à convaincre les Québécois des bienfaits prétendus de l’immigration.

L’énoncé de politique en matière d’immigration contient entre autres objectifs d’ « [a]ugmenter la proportion de l’immigration francophone, maximiser les retombées économiques de la sélection des immigrants indépendants, accroître les volumes d’immigration en fonction des besoins et de la capacité d’accueil du Québec ». Constatant l’absence de suivi quant à la contribution économique de l’immigration, l’inadéquation entre les compétences des candidats et les besoins du marché du travail, la suppression des entrevues de sélection, l’auteure note que la sélection perd sa cohérence, le ministère naviguant à vue, oubliant les raisons de l’existence de la politique de sélection et prenant des mesures à court terme sans s’interroger sur leurs incidences.

Si les remarques de Monnot quant à la direction que prend le ministère de l’Immigration sont généralement pertinentes, certains commentaires le sont beaucoup moins. Répliquant au livre Le remède imaginaire, qu’elle qualifie sournoisement de pamphlet, elle soutient que la sélection exerce un contrôle important sur la qualité des candidats et que la politique québécoise de recrutement des travailleurs qualifiés est plus sélective que celle du Canada parce qu’elle « s’applique à une part beaucoup plus importante de son immigration ». Cette déduction est pour le moins étonnante. Si la grille québécoise s’applique effectivement à une part plus importante, ce n’est pas parce qu’elle est plus sélective, mais simplement parce qu’il y a plus de réfugiés et de regroupements familiaux dans le reste du Canada, réduisant de fait la part des immigrants économiques. En fait, en principe, si le Québec resserrait sa grille de sélection en haussant, par exemple, le seuil de passage, la part des immigrants économiques dans l’ensemble des immigrants serait vraisemblablement réduite : moins de candidats se qualifieraient, alors que les autres catégories ne seraient pas concernées par le changement. Son argument n’a donc aucun rapport avec la sélectivité. Régulièrement, dans le livre, elle rappelle que 70 % de l’immigration au Québec est constituée d’immigrants économiques, mais elle oublie à cet égard que dans les faits, la moitié de celle-ci est composée des accompagnateurs dont le profil socioéconomique n’est pas, ou peu, pris en considération. S’ils sont dans la catégorie « économique », c’est simplement par décision administrative. Cela a peu à voir avec leur contribution économique réelle ou attendue.

Également, l’auteure renchérit l’idée que le Québec serait plus sélectif que le Canada en arguant que la grille québécoise comporte un plus grand nombre de critères. Encore une fois, il s’agit d’un raisonnement erroné, le nombre de critères n’ayant rien à voir avec le niveau de sélectivité. Par exemple, l’ajout de certains critères tels que l’adaptabilité ou à la présence d’enfants, qui ne sont pas présents dans la grille canadienne, augmente au contraire les chances du candidat de se qualifier. Retirer ces critères tout en maintenant le seuil de passage rendrait ainsi plus difficile la sélection québécoise, car les candidats devraient alors nécessairement obtenir suffisamment de points pour leurs caractéristiques socioprofessionnelles. Dans la réalité, le seuil de passage est nettement plus élevé au Canada qu’au Québec. La majorité des candidats qui se qualifient pour le Canada se qualifieraient aussi pour le Québec, alors que le contraire n’est pas vrai. Le Canada est donc le plus sélectif.

Sur la question du critère de l’adaptabilité, l’auteure insiste par ailleurs sur sa pertinence dans la grille de sélection du Québec. Sans lui, soutient-elle, le Québec perdrait son pouvoir discrétionnaire et n’aurait alors aucun intérêt à ne pas laisser le Canada faire la sélection à sa place, selon les critères québécois. Encore une fois, cette conclusion de l’auteure est pour le moins curieuse. Dans les faits, la manière dont sont calculés les points fait en sorte que ce critère ne permet pas du tout de refuser un candidat dont l’adaptabilité serait déficiente. Il s’agit en fait de points bonis accordés à la discrétion du fonctionnaire. D’ailleurs, elle-même souligne dans un autre chapitre que l’adaptabilité sert aux candidats les moins performants à se rattraper. De fait, 45 % des candidats sélectionnés ne se qualifieraient pas sans les points accordés à la discrétion du fonctionnaire pour celui-ci. Ainsi, si un candidat a suffisamment de points dans les autres critères, le Québec ne peut le refuser en fonction de son adaptabilité, même si celui-ci a des valeurs qui sont clairement contraires à celles qui sont socialement acceptables au Québec. Ce candidat n’aura simplement pas les points bonis. Sans compter la subjectivité importante de ce critère qui laisse une très grande marge de manœuvre au fonctionnaire, sans véritable ligne directrice pour le guider, le critère de l’adaptabilité devrait agir de manière soustractive et non additive pour véritablement remplir son rôle, soit celui de pouvoir refuser des candidats dont la personnalité et les valeurs ne sont pas jugées adéquates dans le contexte québécois.

Entre autres étrangetés, l’auteure prétend que le Québec n’accueille pas beaucoup d’immigrants. Pour arriver à une telle conclusion, son raisonnement est pour le moins surprenant : « en comparaison avec l’Ontario ou la Colombie-Britannique, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, voire avec de nombreux pays européens, le Québec, avec près de 52 000 immigrants admis en 2011 […] ne se singularise pas par des volumes d’immigration particulièrement élevés. » D’abord, il est inexact d’affirmer que de nombreux pays européens rivalisent avec le Québec quant au nombre d’immigrants reçus annuellement : la plupart en reçoivent beaucoup moins, à commencer par la France, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, les Pays-Bas, le Portugal, les pays scandinaves, etc. Ensuite, il est évident que si on limite la comparaison avec les pays qui acceptent le plus d’immigrants, le Québec ne se démarque pas… ce qui signifie justement que le Québec est l’un des endroits où les taux sont les plus élevés. On peut dire qu’en comparaison avec la baleine bleue, l’éléphant ne se singularise pas pour une taille particulièrement imposante. L’éléphant n’est pas un petit animal pour autant : il demeure plus gros que tous les autres. Une comparaison du Québec avec tous les pays occidentaux aurait été beaucoup plus pertinente et aurait donné un autre son de cloche : cela l’aurait placé en tête du classement.

Finalement, mentionnons qu’en faisant le tour des finalités et des procédures des politiques d’immigration du Québec, Monnot oublie l’un des aspects les plus importants de l’évaluation des politiques publiques : son efficacité. Si elle rappelle souvent les objectifs économiques et démographiques associés aux politiques d’immigration du Québec, jamais elle ne cherche à vérifier si elles remplissent bien leur rôle à cet égard. Ce manque est d’autant plus important que l’une des ambitions initiales derrière l’écriture du livre était de montrer aux Européens la pertinence d’une véritable politique d’immigration. Cette pertinence d’une politique d’immigration passe avant tout par son efficacité à remplir le rôle pour lequel on l’établit. Sans finalités et objectifs définis, elle n’a guère de sens. La thèse de l’ouvrage soutenant que « la sélection du Québec a jusqu’ici fait preuve d’une cohérence inégalée » parait dès lors bien faiblement appuyée.

Guillaume Marois
Démographe