Depuis au moins une quinzaine d’années, le Québec est particulièrement proactif dans la mise en place de mesures destinées à maintenir ou à ramener les personnes âgées au travail. Cette action se cristallise dans la politique de vieillissement actif mise en place en 2012 par le gouvernement libéral1 ainsi que dans le plan d’action de 2018 qui la prolonge2 dans lesquels plusieurs mesures incitatives à l’emploi sont annoncées et auront ensuite été mises en place.
Dans son travail sur la typologie des États-providence, Esping-Andersen3 distinguait les différents modèles de protection sociale selon différents critères, dont celui du niveau de démarchandisation, c’est-à-dire la garantie de conserver un certain niveau de vie socialement acceptable sans devoir recourir à la participation au marché du travail. Plus un pays présente un niveau de démarchandisation élevé, plus la générosité des transferts et la redistribution sont importantes, ce qui permet aux individus de maintenir un certain niveau de vie sans être dépendant du marché du travail. Si ce concept est généralement utilisé pour analyser des pays, il peut également être effectué sur des groupes de la population afin d’évaluer les niveaux plus ou moins élevés de démarchandisation. Une telle analyse pourrait être portée sur les personnes âgées qui, par le biais des régimes de retraite et autres mesures, peuvent compter sur un revenu hors marché afin de subvenir à leurs besoins financiers, contrairement aux individus plus jeunes. Cette situation était particulièrement vraie jusqu’à la fin des années 1990 où les taux de chômage élevés motivaient les gouvernements et les entreprises à mettre en place des mécanismes d’incitation au départ hâtif à la retraite afin que les travailleurs âgés laissent leur place à des travailleurs plus jeunes4. Maintenant que les pressions démographiques s’intensifient, la logique de ces institutions est modifiée, cherchant plutôt à rendre attractif le choix de rejoindre le marché du travail pour les personnes âgées.
Le choix d’instaurer des politiques incitatives plus intensément au Québec est motivé par au moins deux raisons. Premièrement, le Québec est une province sensiblement plus affectée par le vieillissement démographique, ce qui pourrait mener à des raretés de main-d’œuvre sur le marché du travail. Statistique Canada écrivait à cet égard que « Le Québec est la province qui affiche la proportion la plus élevée de personnes de 65 ans et plus parmi les quatre provinces les plus populeuses du pays, soit 20,6 %, ou un peu plus de 1 personne sur 55. » Deuxièmement, le Québec présente un écart d’activité des personnes âgées par rapport à l’ensemble du Canada, en particulier de l’Ontario avec laquelle le Québec se compare régulièrement.
Cette activation des personnes âgées peut, à plusieurs égards, être considérée comme une remarchandisation du travail des personnes âgées, c’est-à-dire que le revenu des personnes à l’approche de l’âge de la retraite est de plus en plus dépendant de leur participation au marché du travail. Pour le démontrer, cet article vise à décrire les différents changements aux politiques publiques de l’emploi ayant pris place dans les dernières années. La majorité de ces changements est orientée vers l’incitation financière, visant à rendre plus attractif le travail. Cette façon de faire semble tirée des modèles économiques orthodoxes dans lesquels on postule qu’une amélioration des sources de revenu hors marché viendrait briser la motivation des individus à rejoindre le marché du travail.
Nous en concluons que les nombreux changements apportés tant aux régimes de retraite que sur le plan légal et fiscal indiquent une réorientation des politiques publiques de l’emploi des personnes âgées ayant pour objectif d’encourager les personnes âgées à travailler plus longtemps, en particulier ceux à faible revenu.
Notons en préambule que cet article nous paraît particulièrement pertinent étant donné que ces changements fondamentaux dans la façon de concevoir la retraite semblent se produire sans réelle forme de débat public sur le rapport au travail et à la retraite et donc sans réelle prise de conscience de la part de la population québécoise. Cela pourrait s’expliquer, d’une part, par l’accumulation de réformes à l’apparence technique et marginale qui, prises isolément, ne donnent pas l’impression d’un profond changement et, d’autre part, par une absence d’espace dédié au dialogue social autour des enjeux de la retraite au Québec.
La reconfiguration des politiques de l’emploi destinées aux personnes âgées au Québec et au Canada
Dans cette section, nous concentrons notre attention sur les changements survenus à partir de la fin des années 2000, car il s’agit, à notre connaissance et tel que le recense Saba (2014), de la période à partir de laquelle les gouvernements québécois et canadien mettent en place les plus importantes mesures incitatives au travail destinées aux travailleurs âgés. Cette section prétend recenser, au mieux de nos connaissances, les changements importants ou les nouvelles mesures susceptibles d’inciter les personnes aînées à participer au marché du travail afin de présenter l’étendue de la reconfiguration des politiques publiques dédies aux personnes âgées au Québec.
Les mesures annoncées par le gouvernement québécois
Les mesures fiscales dédiées aux travailleurs
Le Québec s’est doté depuis une vingtaine d’années de trois crédits d’impôt visant à rendre le travail plus attrayant, en particulier pour les personnes à faible revenu. Deux crédits sont dédiés à tous les travailleurs, peu importe leur âge, la prime au travail et la déduction pour travailleurs alors que le troisième, le crédit pour prolongation de carrière, cible explicitement les travailleurs âgés de 60 ans et plus.
La prime au travail est un crédit d’impôt remboursable du Québec créé en 2005 pour soutenir les bénéficiaires de l’aide de dernier recours à intégrer le marché du travail6. Pour être admissible à cette mesure, un particulier doit résider au Québec, être majeur et ne pas être étudiant à temps plein. Le montant de la PAT est calculé selon le revenu de travail et est conçu de telle manière que l’augmentation du montant du crédit d’impôt dépasse la baisse des montants des prestations d’aide sociale afin d’inciter le bénéficiaire de ce programme à participer au marché du travail.
Mise en place en 2006, la déduction pour travailleurs est une mesure du gouvernement du Québec visant à dédommager les travailleurs pour leurs dépenses inhérentes au fait d’occuper un emploi telles que les frais pour les vêtements, les repas ou le transport.
Annoncé initialement dans le budget 2011-2012 du gouvernement du Québec, le crédit d’impôt pour prolongation de carrière7 (CIPC) est un crédit d’impôt non remboursable. Cette mesure vise donc à réduire le montant d’impôt à payer d’un individu de telle sorte que s’il n’en doit pas, il ne bénéficie aucunement de cette mesure. Ce crédit a connu différentes bonifications au fil du temps. De sa mise en place en 2012 jusqu’à 2015, il ne concernait que les personnes de 65 ans et plus et offrait un montant peu généreux. Depuis 2016 jusqu’à 2019, ce crédit a été annuellement bonifié, tant sur le plan du montant maximum offert qu’au niveau des conditions d’admissibilité. Ainsi, aujourd’hui, ce crédit est à présent élargi aux personnes de 60 ans et plus.
Notons que selon les données sur les dépenses fiscales de 2020 du ministère des Finances du Québec, plus de 250 000 personnes avaient bénéficié de cette mesure en 20188. On peut observer au tableau 1 l’évolution des coûts de la mesure de 2012 jusque 2019 au gré de l’élargissement progressif de ses paramètres. On observe à cet égard une forte augmentation des dépenses fiscales dans les dernières années, à partir de 2015 et en particulier en 2018 et 2019.
Tableau 1. Dépenses fiscales par année dans le CIPC,2012-2019, en millions de dollars
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
Moyenne |
46 |
50,1 |
52,5 |
69,3 |
115 |
142,6 |
221,1 |
333,1 |
128,7 |
Source : Gouvernement du Québec9
Les changements relatifs au Régime de rentes du Québec
De nombreux ajustements ont été portés au Régime de rentes du Québec (RRQ), nous choisissons de présenter ces changements dans cette section puisque ce programme dépend des décisions prises au Québec. Les changements apportés au Régime de pensions du Canada (RPC) qui s’applique aux travailleurs du reste du Canada sont présentés dans la section sur les changements annoncés par le fédéral. Ces modifications sont semblables, mais peuvent présenter certains décalages au niveau du moment auquel ils ont été appliqués.
En premier lieu, depuis 2009, le gouvernement a mis en place le supplément à la rente. Ce changement a pour effet, pour une personne qui travaille tout en recevant une rente du RRQ, d’avoir droit à un supplément égal à 0,5 % du revenu sur lequel elle a cotisé l’année précédente, permettant de faciliter le cumul emploi-retraite.
Plusieurs changements au régime de retraite québécois ont été annoncés dans le budget 2011-2012 dont les détails sont disponibles dans un fascicule dédié10. Dans celui-ci, le gouvernement québécois explique que ces mesures sont motivées par un double objectif : stabiliser le financement à long terme du régime et accroître l’incitation au travail des travailleurs âgés11. Plusieurs de ces modifications au RRQ sont entrées en vigueur le 1er janvier 2012.
En premier lieu, on a modifié les paramètres du régime afin de renforcer l’incitation aux retraites plus tardives. Cette stratégie prévoit la majoration mensuelle accordée sur les rentes demandées après 65 ans (passant de 0,5 % à 0,7 %) et la réduction mensuelle des prestations du RRQ demandées avant l’âge de 65 ans (de -0,5 % à -0,6 %).
Au printemps 2011, un projet de loi a également été déposé afin d’éliminer l’obligation d’avoir cessé de travailler afin de recevoir la rente du RRQ dès 60 ans12. Ce changement prévoit qu’à partir de 2014, une personne sera autorisée à toucher des rentes du RRQ et un revenu de travail en même temps, ce qui n’était pas autorisé auparavant. Cette modification a pour effet de supprimer le dilemme entre l’activité et la retraite auquel étaient confrontées les personnes âgées à l’approche de l’âge de retraite.
Le programme de subvention salariale
Le programme « Subvention salariale pour personnes expérimentées » est une mesure faisant partie du programme « Subvention salariale » mis en place en 2013 par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale13. L’objectif de cette mesure était, entre autres, d’améliorer l’intégration durable en emploi pour les personnes à risque de chômage de longue durée et sous-représentées en emploi. Pour y parvenir, la mesure prévoit un soutien financier aux entreprises qui accueillent les travailleurs admissibles. Le programme Subvention salariale, de manière générale, vise à favoriser l’intégration de différentes populations telles que les personnes bénéficiaires de l’aide de dernier recours, les personnes immigrantes, les personnes handicapées et les travailleurs expérimentés14. Le volet du programme Subvention salariale destinés aux travailleurs expérimentés cible plus spécifiquement les personnes de 55 ans et plus et les personnes de 50 ans et plus prestataires de l’aide financière de dernier recours. Dans les deux cas, il faut cependant être à risque de chômage prolongé afin d’être admissible à la mesure.
Concrètement, le programme prévoit le versement à l’employeur d’une subvention salariale pour une période déterminée, dont le montant est relatif aux difficultés d’intégration du travailleur et de la nature de l’emploi. Cette subvention offre jusqu’à 50 % du salaire jusqu’à un montant maximum équivalant au salaire minimum, pour un horaire de travail d’un maximum de 40 heures par semaine15.
Le tableau 2 présente l’évolution des participants à ce programme depuis sa mise en place dans lequel nous pouvons observer que ce programme n’aura pas été fortement utilisé.
Tableau 2. Évolution des individus ayant bénéficié de la Subvention salariale pour les personnes expérimentées, nombre d’adultes distincts, 2013-2014 à 2020-2021
Clientèle de l’assistance sociale de 50 ans et plus |
Clientèle de 55 ans et plus |
Total |
|
2013-2014 |
110 |
310 |
420 |
2014-2015 |
144 |
411 |
555 |
2015-2016 |
196 |
489 |
685 |
2016-2017 |
234 |
613 |
847 |
2017-2018 |
233 |
645 |
878 |
2018-2019 |
207 |
566 |
773 |
2019-2020 |
141 |
676 |
817 |
2020-2021 |
62 |
404 |
466 |
Total |
1 327 |
4 114 |
5 441 |
Source : Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale – |
Notons que le volet spécifique destiné aux travailleurs expérimentés du programme de subvention salariale n’apparait plus dans la dernière version du guide des mesures et des services d’emplois d’Emploi-Québec, ce qui signifie qu’il pourrait avoir été abandonné, mais aucune annonce n’a été faite à cet égard et aucune information supplémentaire n’est disponible.
Le crédit d’impôt remboursable pour les PME favorisant le maintien en emploi des travailleurs d’expérience
Dans le Budget du Québec 2012-2013, le gouvernement prévoyait mettre en place une mesure permettant de réduire la taxe sur la masse salariale de la main-d’œuvre âgée afin de favoriser l’emploi des travailleurs âgés de 65 ans ou plus17. Cette mesure prévoyait ainsi de compenser une portion des charges fiscales et parafiscales des entreprises privées telles que les cotisations à l’assurance-emploi, au RRQ, aux programmes de santé et sécurité au travail, au régime québécois d’assurance parentale et à la Commission des normes du travail. Cependant, cette annonce n’a pas été suivie d’une implantation. En effet, le gouvernement a annoncé dans son budget 2013-2014 qu’il préférait reporter la mise en place de la mesure afin de faciliter l’atteinte de l’équilibre budgétaire.
Quelques années plus tard, dans son budget 2019-2020, le gouvernement québécois annonçait la mise en place du crédit d’impôt remboursable pour les PME favorisant le maintien en emploi des travailleurs d’expérience dont l’objectif est d’« appuyer les PME dans leurs efforts de maintien et d’incitation au retour en emploi des travailleurs d’expérience18 ». Avec des coûts projetés de 26,8 millions de dollars en 2019, de 98,7 millions de dollars en 2020 et de 95,7 millions de dollars en 202119, cette mesure s’adresse aux petites et moyennes entreprises (PME). Pour être admissible, une société doit, notamment, exploiter une entreprise au Québec et y avoir un établissement. Son capital versé doit être inférieur à 15 millions de dollars et le total des heures rémunérées de ses employés doit excéder 5 00020.
Concrètement, cette mesure permet aux employeurs de réduire les frais des cotisations pour les travailleurs de 60 ans ou plus pour les mesures suivantes : le Fonds des services de santé, au Régime de rentes du Québec, au Régime québécois d’assurance parentale et à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.
Les changements relatifs aux lois sur la santé et sécurité au travail
En septembre 2021, le projet de loi 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, était adopté. Parmi les modifications prévues par cette loi, un changement touche l’indemnité de remplacement du revenu dont les travailleurs âgés peuvent bénéficier au moment d’une lésion professionnelle diagnostiquée21.
Auparavant, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoyait que les personnes d’au moins 55 ans ayant subi une maladie professionnelle ou celles d’au moins 60 ans ayant subi une lésion professionnelle pouvaient bénéficier de l’indemnité jusqu’à 68 ans si des lésions fonctionnelles empêchaient les employeurs de ces travailleurs de les réintégrer à leur emploi22. Cette disposition offrait donc une protection particulière aux personnes âgées victimes d’une lésion professionnelle, prévoyant implicitement une présomption d’incapacité de travail une fois survenu un accident de travail à partir d’un certain âge. Ainsi, la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité au travail (CNESST) n’exigeait pas de la part des travailleurs âgés qu’ils retournent sur le marché du travail après avoir subi une lésion professionnelle.
Le projet de loi 59 change les choses, en premier lieu, car il abolit la distinction offerte aux personnes âgées de 55 à 59 ans. Par ailleurs, les personnes âgées d’au moins 60 ans et plus victimes d’une lésion professionnelle voient également leurs droits modifiés puisque la loi donne à présent à la CNESST le mandat de devoir déterminer un emploi convenable sur le marché du travail à ces personnes. Celles-ci devront démontrer qu’ils font des démarches de recherche d’emploi auprès de la Commission, par exemple en se prévalant de services de support en recherche d’emploi, sous peine de voir leur indemnité suspendue23.
Dans son mémoire déposé au Conseil des ministres, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale Jean Boulet reconnaissait que l’une des raisons d’être de sa réforme se basait sur le contexte de rareté de main-d’œuvre qui nécessitait un « retour prompt et durable en emploi » des personnes victimes de lésions professionnelles24.
Les mesures annoncées par le gouvernement canadien
Au niveau fédéral, les changements ont été moins nombreux, mais semblent significatifs malgré tout, avec des changements apportés au programme de Sécurité de la vieillesse, au Régime de pensions du Canada et différentes modifications sur le plan légal et fiscal. La majorité de ces mesures a été recensée dans un rapport de l’OCDE en 201225.
Les changements à la Sécurité de la vieillesse
Des modifications ont été apportées au programme de la SV, en particulier au SRG et à l’Allocation, afin d’encourager les personnes à faible revenu à rejoindre le marché du travail. Bien que le SRG et l’Allocation n’interdisent pas à leurs bénéficiaires de travailler, le fait d’obtenir du revenu de travail a pour effet de réduire les montants versés de ces programmes, pouvant représenter un certain désincitatif à l’emploi. Par exemple, chaque dollar de revenu réduit de 0,5 dollar les prestations de SRG.
Ainsi, en 2008, les conjoints bénéficiaires de l’Allocation de la SV et les bénéficiaires du SRG ont vu l’exemption de revenu de travail augmentée à 3 500 $ avant de voir ces prestations diminuer. Ce changement devait avoir pour effet de pouvoir recevoir davantage de revenus de travail avant de voir leurs prestations être réduites. Notons qu’aujourd’hui, en 2023, cette exemption est de 5 000 $.
Finalement, en 2013, la possibilité a été offerte de reporter le paiement de la pension de la SV jusqu’à 60 mois (5 ans) après l’âge de 65 ans en échange d’une bonification graduellement de cette pension pour chaque mois attendu. Contrairement aux deux précédentes, cette mesure semble plutôt intéressante pour les personnes à hauts revenus puisque ceux qui travaillent et dont le revenu est supérieur à un certain montant (environ 80 000 $ en 2021) doivent rembourser une partie de la pension de la SV. Ainsi, il semble particulièrement avisé pour ces personnes de reporter le premier paiement de la pension afin d’en conserver une plus grande partie au moment de la retraite du marché du travail.
Les changements au RPC
Le RPC a connu des changements similaires à ceux apportés au RRQ, avec un certain décalage sur le moment de leur mise en place.
Par exemple, à partir de 2012, une mesure semblable au supplément à la rente de retraite a été apportée au RPC, permettant aux personnes âgées de moins de 70 ans qui ont déjà commencé à toucher leurs rentes de ce programme et qui travaillent de continuer à cotiser afin de bonifier ces rentes.
Dès 2012 toujours, le RPC permet de commencer à toucher des rentes du RPC tout en continuant à travailler, autorisant donc le cumul emploi-retraite.
Notons que les cotisations au RPC pour les travailleurs âgés de 65 à 70 ans sont facultatives depuis une dizaine d’années.
Les changements légaux et fiscaux
Au fédéral, deux mesures fiscales incitatives à l’emploi ont été instaurées, le crédit canadien pour l’emploi et l’Allocation canadienne pour les travailleurs26.
Le crédit canadien pour l’emploi est un crédit d’impôt non remboursable offert aux travailleurs du Canada depuis 2006. Il vise à reconnaître que le fait d’occuper un emploi engendre divers frais (vêtements, matériels, transports, etc.) qui peuvent rendre le travail moins attractif et réduire l’intégration des personnes à faible revenu au marché du travail.
En 2007, l’Allocation canadienne pour les travailleurs est mise en place. Il s’agit d’un crédit d’impôt remboursable visant à renforcer l’incitation à l’emploi des Canadiens à faible revenu. Bien qu’il ne soit pas spécifiquement ciblé sur les personnes âgées, comme l’est le Crédit d’impôt de prolongement de carrière, celles-ci peuvent néanmoins en bénéficier. Il a été maintes fois bonifié au fil des années.
En 2007, des amendements à la fiscalité ont été entrepris afin de permettre la retraite progressive des individus bénéficiant de régimes complémentaires à prestations déterminés. Ces changements ont permis à ces personnes de bénéficier de 60 % de leur pension tout en continuant à travailler et à cotiser au régime, permettant la bonification des rentes.
Discussion
Comme nous avons pu le voir, les changements entrepris par les gouvernements canadien et québécois visant à encourager la participation des personnes âgées au marché du travail sont nombreux et s’accumulent depuis la fin des années 2000.
D’autres changements, non recensés dans cet article, visent à soutenir le revenu des personnes. Cependant, d’une part, ceux-ci semblent moins nombreux, et, d’autre part, visent des groupes plus âgés. Par exemple, en 2022, la pension de la SV a été augmentée de 10 % de manière permanente pour les personnes âgées de 75 ans et plus. Au Québec, en 2018, le crédit d’impôt remboursable de soutien des aînés est instauré, visant à soutenir les personnes âgées de 70 ans et plus à faible revenu, et sera bonifié plusieurs fois. Si ces bonifications sont bienvenues, on pourrait cependant supposer qu’elles ne concernent que les groupes âgés, car leur contribution au marché du travail est marginale.
De fait, le groupe cible des politiques publiques incitatives à l’emploi est celui des personnes âgées de 60 à 69 ans. Plus spécifiquement, de nombreux efforts semblent avoir été déployés pour encourager les personnes à faible revenu ou précarisées. En effet, le CIPC cible avec plus d’intensité les travailleurs gagnant moins de 36 000 $ de revenu de travail, le programme de subvention salariale était explicitement dédié aux personnes présentant des difficultés d’insertion en emploi et les changements aux lois sur la SST concernent les personnes ayant subi un accident du travail générant une limitation fonctionnelle. Au niveau fédéral, deux changements sur les trois apportés à la SV concernent les programmes dédiés aux aînés à faible revenu et l’Allocation canadienne pour les travailleurs cible explicitement les travailleurs à faible revenu.
Si cette remarchandisation des personnes âgées au Québec semble particulièrement viser cette population, cela pourrait être lié à la structure des postes vacants, au besoin spécifique de main-d’œuvre. En effet, selon l’Enquête sur les postes vacants et les salaires, au quatrième trimestre de 2022 au Québec, sur les 210 000 postes vacants, une majorité (110 000) de ceux-ci exigeaient un diplôme d’études secondaires ou moins et une majorité (121 000) n’exigeait aucune année d’expérience27. Ces postes sont par ailleurs rémunérés en moyenne aux alentours de 20 $ de l’heure, en dessous du salaire moyen. En termes de répartition selon l’industrie, plus de 55 % des postes vacants concernaient les secteurs des soins de santé et assistance sociale, de la fabrication, du commerce de détail ou des services d’hébergement et de restauration.
Ce constat nous amène à réfléchir sur le bien-fondé d’une stratégie incitative visant à diriger les personnes âgées à retourner sur le marché du travail dans des emplois aux conditions de travail potentiellement pénibles et peu rémunérés.
Par ailleurs, nous remarquons que la majorité des interventions étatiques sont dirigées vers les travailleurs. En effet, très peu de mesures concernent les entreprises ou sur l’organisation du travail. Pourtant, à mesure que les travailleurs vieillissent, leurs capacités à exécuter certaines tâches, ou leur volonté à le faire peuvent changer en raison d’une santé déclinante, de conditions de travail de plus en plus exigeantes, de préférences personnelles ou de la nécessité de prendre soin d’un parent malade.
L’Enquête sur les travailleurs âgés et les consultations menées par Emploi et Développement social Canada en 2009 à 2010 a révélé qu’environ les deux tiers des travailleurs âgés étaient prêts à travailler plus longtemps si des horaires variables (heures de travail flexibles et télétravail), des accommodements physiques (postes de travail ergonomiques) et la modification de l’environnement de travail ou des tâches étaient instaurés dans les milieux de travail. De telles mesures sont obligatoires dans certains pays, mais pas au Canada où c’est la responsabilité individuelle qui semble être la doctrine alors que les initiatives gouvernementales au Canada, essentiellement prises en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan, se limitent à la production de guides pour les employeurs28.
Certains employeurs ont cité les accommodements en milieu de travail comme étant un fardeau administratif et décisionnel plus important, mais de nombreuses études et résultats d’enquête ont montré que les avantages positifs du roulement réduit des employés et d’une satisfaction accrue des employés l’emportaient sur les aspects négatifs29.
Toujours en ce qui concerne les entreprises, notons que certaines discriminations peuvent être exercées à l’encontre des personnes âgées. À cet égard, certaines campagnes de sensibilisation sur les avantages de faire appel aux travailleurs âgés sont mises en place au Québec, dont la campagne La compétence n’a pas d’âge. S’il est difficile d’évaluer l’impact précis d’une telle campagne, il nous semble important de souligner l’importance de lutter contre l’âgisme qui contrecarrerait la volonté des personnes voulant rejoindre le marché du travail afin de bénéficier des opportunités offertes par les incitatifs.
Finalement, il nous apparait également important d’évaluer de manière critique les postulats sur lesquels repose cette reconfiguration de la logique des politiques publiques. Comme nous le signalions dans notre introduction, l’argument principal mobilisé par les gouvernements canadien et québécois pour justifier la hausse de la participation au marché du travail est celui du vieillissement démographique avec comme corollaire la nécessité de financier l’accroissement de l’espérance de vie, dont une partie plus longue qu’auparavant serait vécue à la retraite. Or, Montcho, Carrière et Mérette ont récemment montré que la durée de vie active n’a pas diminué avec le vieillissement de la population30. Ils constatent au contraire que la durée de vie active a augmenté de près de 5 ans entre 1981 et 2016 et que son rapport à l’espérance de vie a augmenté de 3,5 points de pourcentage. Ces résultats ouvrent la porte à une réflexion sur la nécessité de changer de manière aussi structurante la cohérence interne des arrangements institutionnels de la retraite.
Conclusion
Cet article nous a permis de recenser les principaux changements entrepris dans le cadre de ce que nous appelons la stratégie québécoise d’incitation à l’emploi des personnes âgées, soutenue par les initiatives prises par le gouvernement fédéral.
Au vu des aspects relativement techniques de chacun de ces changements et de l’aspect marginal qu’ils peuvent représenter pris isolément, ils n’ont généralement pas fait l’objet de débats de fond dans les parlements ou les médias. Cependant, pris tous ensemble, le constat nous semble indéniable, les institutions semblent de plus en plus utilisées pour diriger les personnes âgées, en particulier celles à faible revenu, vers le marché du travail pour combler la hausse des postes vacants, en majorité de qualité médiocre.
Il nous semble également important de repenser les prochaines interventions en ne se limitant pas à jouer sur les incitatifs financiers, ce qui représente une perspective quelque peu réductrice de la rationalité humaine, limitant celle-ci aux facteurs financiers. Au contraire, il nous semble plus approprié de débattre des conditions dans lequel le travail s’exécute afin de rendre celui-ci adapté aux besoins et aux aspirations des personnes âgées désirant se maintenir en emploi. Une approche plus contraignante envers les entreprises pourrait être bienvenue, car rien n’indique que l’initiative volontaire de celles-ci mène à des aménagements et lorsque c’est le cas, cela semble davantage l’exception que la règle.
Par ailleurs, il semble qu’au vu de la hausse naturelle de l’activité des cohortes d’individus durant l’ensemble de leur vie, entre autres grâce à la hausse de l’espérance de vie en santé et du niveau de scolarité, ces incitatifs pourraient donc être superflus et ne pas répondre à un réel besoin31. Notons que selon l’Enquête sur la population active de Statistique Canada de 201832,un nombre important de Canadiens âgés participent au marché du travail par « nécessité », c’est-à-dire dans le but de payer les dépenses essentielles comme les factures, l’hypothèque et la nourriture. Au lieu de consacrer des sommes de plus en plus importantes dans des incitatifs, il pourrait être plus pertinent de dédier ce budget à une bonification du soutien du revenu afin d’assurer un niveau de vie décent à la population aînée. Ainsi, les personnes qui décideraient de se joindre ou se maintenir sur le marché du travail le feraient pour de bonnes raisons (maintenir un sentiment d’utilité sociale, continuer à parfaire un savoir-faire, partager ses compétences, etc.). Cela nous semble un projet de société plus enviable que de contraindre économiquement des individus à rejoindre le marché du travail. u
1 Gouvernement du Québec (2012), Vieillir et vivre ensemble chez soi, dans sa communauté, au Québec. Ministère de la famille et des aînés, ministère de la Santé et des Services sociaux. https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/ainee/F-5234-MSSS.pdf
2 Gouvernement du Québec (2018), Un Québec pour tous les âges : Le plan d’action 2018-2023. Secrétariat aux aînés du ministère de la Famille, ministère de la Santé et des Services sociaux. https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/ainee/F-5234-MSSS-18.pdf
3 Esping-Andersen, G. (1990), The Three Worlds of Welfare Capitalism, Princeton University Press.
4 Baker, M., & Benjamin, D. (1999),« Early Retirement Provisions and the Labor Force Behavior of Older Men : Evidence from Canada », Journal of Labor Economics, 17(4), 724-756. https://doi.org/10.1086/209937 ; Michaud, P.-C., Décarie, Y., Glenzer, F., Laliberté-Auger, F., & Staubli, S. (2020), Hausser l’âge d’admissibilité aux prestations du Régime de rentes du Québec ?, Institut de recherche en politiques publiques, 44.
5 Statistique Canada. (2022), Le Quotidien du mercredi 27 avril 2022. Composante du produit no 11-001-X. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220427/dq220427a-fra.htm
6 Il existe la PAT générale et la PAT adaptée qui s’adressent respectivement aux bénéficiaires de l’aide sociale et à ceux de la solidarité sociale.
7 Ce crédit d’impôt s’appelait lors de sa mise en place « Crédit d’impôt pour les travailleurs d’expérience »
8 Gouvernement du Québec (2012), Budget 2012-2013 – Le plan budgétaire. Ministère des Finances. http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2012-2013/fr/documents/planbudgetaire.pdf
9 Gouvernement du Québec (2020), Dépenses fiscales, Édition 2018, Tableau B.5, p. B. 11. Consulté à http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/outils/depenses-fiscales/fiches/fiche-110903.asp
10 Gouvernement du Québec (2011), Un système renforcé de revenu de retraite (ISBN 978-2-550-61305-3). Ministère des Finances. http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/2011-2012/fr/documents/Retraite.pdf
11 Ibid, p.13.
12 Projet de loi 39 – Loi modifiant la Loi sur le régime de rentes du Québec et d’autres dispositions législatives (2011) (testimony of Gouvernement du Québec).
13 Gouvernement du Québec (2013), Tous pour l’emploi : Une impulsion nouvelle avec les partenaires, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. https://www.mtess.gouv.qc.ca/publications/pdf/GD_brochure_emploi_tous.pdf
14 Ibid.
15 Pour de plus amples détails, voir Tircher, P. (2021), Les mesures destinées aux employeurs incitant à l’embauche de travailleurs âgés, Regard CFFP n° R2021-14, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, 17 p. https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/2021/11/r2021-14_mesures_travailleurs_experimentes_f.pdf
16 Ces données ont été obtenues à la suite d’une demande d’accès à l’information adressée au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale en 2020.
17 Gouvernement du Québec (2012), Budget 2012– 2013 – Le plan budgétaire. Ministère des Finances. http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2012-2013/fr/documents/planbudgetaire.pdf
18 Gouvernement du Québec (2019), Budget 2019– 2020 – Plan budgétaire. Ministère des Finances. http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2019-2020/fr/documents/planbudgetaire_1920.pdf
19 Gouvernement du Québec (2021), Dépenses fiscales 2020. Ministère des Finances. http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/outils/depenses-fiscales/metho-definition.asp
20 Les sociétés du secteur primaire et secondaire n’ont pas à respecter le critère du nombre d’heures rémunérées.
21 CNESST (2022), Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail en résumé. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/organisation/documentation/lois-reglements/modernisation-sst
22 Ibid.
23 UTTAM (2022), Le point sur la modernisation SST n° ١٠, Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades. https://uttam.quebec/modernisation-SST/10-incapacit%C3%A9-age.php
24 Boulet, J. (2021), Mémoire au conseil des ministres—Projet de loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/gouvernement/MCE/dossiers-soumis-conseil-ministres/modernisation_regime_sante_securite_travail_memoire.pdf?1605195326
25 OCDE. (2012), OECD Thematic Follow-up Review of Policies to Improve Labor Market Prospects for Older Workers (p. 9). https://www.oecd.org/els/emp/Older%20workers_Canada-MOD.pdf cité dans : Saba, T. (2014). Promoting active aging : The Canadian experience of bridge employment. In Bridge Employment. Routledge. https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780203383100-25/promoting-active-aging-canadian-experience-bridge-employment-tania-saba
26 Initialement nommée prestation fiscale pour le revenu de travail.
27 Institut de la statistique du Québec (2023), Les postes vacants au Québec au 4 ᵉ trimestre de 2022. Institut de la Statistique du Québec. https://statistique.quebec.ca/fr/document/postes-vacants-au-quebec/publication/postes-vacants-4-trimestre-2022
28 EDSC. (2018), Promouvoir la Participation des Canadiens Âgés au Marché du Travail (Les Ministres Fédéral/Provinciaux/Territoriaux Responsables des Âinés). Emploi et Développement social Canada. https://www.canada.ca/content/dam/canada/employment-social-development/corporate/seniors/forum/labour-force-participation/labour-force-participation-FR.pdf
29 Danziger, A., & Boots, S. (2008), Lower-Wage Workers and Flexible Work Arrangements. Memos and Fact Sheets, 5. https://scholarship.law.georgetown.edu/legal/5 ; Göbel, C., & Zwick, T. (2010), Which personnel measures are effective in increasing productivity of old workers? (Numéros 10– 069). ZEW – Leibniz Centre for European Economic Research. https://EconPapers.repec.org/RePEc:zbw:zewdip:10069
30 Montcho, G., Carrière, Y., & Mérette, M. (2023), « Population Aging and Work Life Duration in Canada », Canadian Public Policy, 49 (S1), 32-47. https://doi.org/10.3138/cpp.2022-048
31 Ibid.
32 Statistique Canada (2018), Raisons de travailler chez les 60 ans et plus (n° 71-222-X ; Regard sur les statistiques du travail). Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/71-222-x/71-222-x2018003-fra.htm
* Département des relations industrielles, Université de Montréal.