La succession royale, la constitution canadienne et la constitution du Québec

Prix André-Laurendeau 2008 du meilleur article de l’année dans L’Action nationale.

Les lois de la longévité humaine font en sorte que le règne de Sa Majesté Élizabeth II, Reine du Canada, Défenseur de la Foi, tire à sa fin. Ce règne, qui a débuté en 1952, a dépassé le demi-siècle. Qu’il prenne fin par un décès ou par une abdication, le moment de la prochaine succession royale pourrait être l’occasion d’une réévaluation du rôle de la monarchie au Canada ou au Québec. Il importe de faire le point sur les règles juridiques qui sont relatives à la monarchie, dont certaines ont évolué dans les dernières décennies. Il importe également d’examiner les moyens juridiques par lesquels la monarchie pourrait être remplacée par de nouvelles institutions politiques plus compatibles avec la démocratie contemporaine. 

Nous devrons d’abord distinguer entre la monarchie britannique et la monarchie canadienne, puisque le titulaire de la fonction royale au Royaume-Uni est aussi le chef d’État de nombreux autres États souverains. La procédure de désignation et de reconnaissance du monarque est désormais propre à chacun de ces États, et constitue l’un des attributs de leur souveraineté. Au Canada, si la monarchie, en tant que forme de l’État, ne peut être abolie ou modifiée que par le recours à la procédure la plus lourde de modification de la Constitution, la modification des règles de la succession et l’attribution des titres royaux aux fins canadiennes s’effectuent par une simple loi fédérale.

La Constitution du Québec, qui n’est pas codifiée, est structurellement imbriquée dans la Constitution canadienne; l’une des principales caractéristiques de l’une et de l’autre est la monarchie constitutionnelle dérivée du modèle britannique. Le consentement du législateur ou du peuple québécois n’est pas requis lors de l’adoption d’une loi fédérale qui modifie les règles de la succession ou les titres royaux. Cet état de choses pourrait ne plus être acceptable au Québec si la population canadienne et le gouvernement fédéral acceptaient de reconduire la monarchie, ce qui n’est pas établi. Un projet de rédaction d’une nouvelle Constitution québécoise pourrait faire apparaître plus clairement certaines des limites de la légalité canadienne, notamment celles qui sont relatives à la monarchie. Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec [1], la Cour suprême du Canada a indiqué par quels moyens un processus de remise en cause de la monarchie canado-britannique pourrait se dérouler. Ces moyens peuvent coïncider avec la volonté de renforcer la souveraineté populaire au Québec.

1. La succession royale et la Constitution canadienne

a. La monarchie et les lois constitutionnelles canadiennes

La Loi constitutionnelle de 1982 et la compétence fédérale sur la monarchie

Peu de Canadiens savent que depuis la réforme constitutionnelle de 1982, la monarchie est mieux protégée juridiquement au Canada qu’au Royaume-Uni. En effet, des cinq modes de modification de la Constitution prévus par la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, la plus rigide, celle qui exige le consentement du Parlement fédéral et de chacune des dix assemblées législatives provinciales, a été retenue pour les modifications constitutionnelles relatives à la monarchie. Le paragraphe 41 (a) de ladite loi constitutionnelle est explicite :

« 41. Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de chaque province :

(a) la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur; ».

Au Royaume-Uni la compétence du Parlement britannique est entière en matière constitutionnelle, puisqu’il n’y existe aucune constitution codifiée qui impose une procédure plus rigoureuse de modification des lois constitutionnelles que celle de la simple majorité parlementaire qui est suivie pour les lois ordinaires. Il est donc concevable que la monarchie soit abolie dans ce pays, ou que certaines de ses attributions soient modifiées, sans qu’il soit possible de faire de même au Canada, faute d’obtenir les consentements rendus nécessaires par la Loi constitutionnelle de 1982.

Encore faut-il clairement définir ce qui fait l’objet du paragraphe 41 (a). Cette disposition vise les modifications de la Constitution qui sont relatives à la monarchie. Il semble bien qu’il existe une compétence législative fédérale sur la monarchie, et sur les fonctions de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur, qui échappe au paragraphe 41 (a), dans les cas qui n’entraînent pas une modification de la Constitution. Par exemple, la Loi concernant le gouverneur général, L.R.C. 1985, chap. G-9, fixe le statut juridique du gouverneur général du Canada, ainsi que son traitement et son régime de pension. Cette loi a été modifiée en 1985, après l’entrée en vigueur du paragraphe 41 (a), en suivant le processus législatif régulier au niveau fédéral, sans aucune controverse.[2] Il est clair qu’au Canada, les lois relatives aux représentants de la Couronne ne sont pas toutes des lois constitutionnelles.

Qu’en est-il de la monarchie elle-même ? Existe-t-il une compétence législative fédérale sur l’institution royale, qui serait à distinguer d’une modification constitutionnelle sur le même objet ? La réponse à cette dernière question est affirmative[3]. Il existe une compétence législative canadienne, exclusivement fédérale, sur trois questions directement reliées à la monarchie, à savoir l’avènement d’un nouveau souverain, la modification des règles de la succession royale et la modification des titres royaux. L’exercice de la compétence fédérale sur la première de ces trois questions n’est pas nécessaire et n’a jamais eu lieu lorsque les deux autres questions n’entrent pas en jeu. Il suffit alors pour formaliser l’avènement d’un nouveau souverain d’une simple proclamation royale, qui trouve sa source juridique dans la prérogative royale. Une convention constitutionnelle existe toutefois à l’effet que cette proclamation soit émise avec le consentement du cabinet fédéral[4]. Au Canada, cette proclamation sera émise par le souverain ou par le gouverneur général, alors qu’au Royaume-Uni elle émanera du nouveau souverain lui-même. L’exercice de la compétence législative fédérale sur la monarchie est juridiquement nécessaire si l’avènement d’un nouveau souverain est aussi l’occasion d’une modification des règles de la succession ou des titres royaux. C’est ce qui s’est produit lorsque le titre de Reine du Canada a été attribué pour la première fois en 1952, lors de l’avènement d’Élizabeth II [5].

La compétence législative fédérale est un attribut de la souveraineté canadienne, qui fut acquise dans la première moitié du vingtième siècle. L’une des conséquences de l’accession du Canada à la souveraineté fut de scinder juridiquement la monarchie britannique et la monarchie canadienne, même si les deux États ont continué de partager les mêmes institutions royales, et même si pour un temps le Parlement britannique a continué de légiférer à la demande du Canada pour toute modification de la Constitution canadienne. La réforme de 1982 a mis fin à la fonction législative du Parlement britannique pour ce qui concerne la Constitution canadienne. La monarchie canadienne étant juridiquement distincte de la monarchie britannique, le paragraphe 41 (a) est venu préciser les nouvelles règles applicables en la matière. L’exigence de l’unanimité du Parlement fédéral et des assemblées législatives provinciales s’est substituée à la règle antérieure, à savoir une loi britannique donnant suite à une requête formelle du Parlement canadien qui devait, selon une convention constitutionnelle non codifiée, avoir l’appui d’une majorité substantielle de provinces, mais non de leur unanimité[6]. La Loi constitutionnelle de 1982 a ainsi rendu plus rigide la procédure de modification des règles constitutionnelles relatives à la monarchie. La Loi constitutionnelle n’a toutefois rien changé à la compétence législative fédérale.

Pour mieux connaître l’origine et l’étendue de la compétence fédérale sur la monarchie, il faut remonter à la période de l’accession du Canada à la souveraineté; on sait que cette accession s’est faite graduellement entre les deux guerres mondiales.

La souveraineté canadienne et la compétence fédérale sur la monarchie

La compétence législative sur la monarchie n’était manifestement pas envisagée au moment de la formation de la fédération canadienne. La Loi constitutionnelle de 1867 ne créait pas un État souverain; elle consolidait plutôt l’autonomie interne, le self-government, qui avait déjà été conférée individuellement aux diverses colonies britanniques d’Amérique du Nord qui allaient désormais se réunir dans une fédération. A cette époque, tout comme dans la période coloniale antérieure, la compétence sur la monarchie était réservée au Parlement britannique. Toute loi émanant de ce Parlement sur cette question hautement symbolique et politique s’appliquait ipso facto à l’ensemble de l’Empire.

En vertu du Colonial Laws Validity Act [7], le législateur britannique avait confirmé que toute loi impériale prévalait sur une loi contraire d’une législature coloniale. En l’occurrence, il ne pouvait même pas être question d’une loi coloniale sur la monarchie, cette matière législative étant considérée comme étant par définition hors du champ d’action juridique d’un État non souverain dans l’Empire, la souveraineté étant réservée à la métropole et mère-patrie constitutionnelle.

Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 exprimait le désir des provinces du Canada[8], de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick de s’unir sous la couronne du Royaume-Uni, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni. L’article 9 de cette Loi attribue le pouvoir exécutif à la Reine. Ces dispositions instaurent au Canada et dans chacune de ses provinces la monarchie constitutionnelle sur le modèle britannique, avec un dédoublement rendu nécessaire par le principe fédératif [9].

Ainsi, de la Conquête jusqu’à l’accession du Canada à la souveraineté, seul le Parlement britannique pouvait légiférer sur la monarchie pour le Canada. Une bonne illustration de cette situation est donnée par l’évolution des titres royaux pendant cette période. En 1763, le Traité de Paris, qui concrétise sur le plan juridique la cession du Canada par la France, désigne dans sa version française officielle le monarque britannique en ces termes :

« Le Sérénissime et Très-Puissant Prince Georges 3., par la Grâce de Dieu Roy de la Grande-Bretagne, de France et d’Irlande, Duc de Brunswick et de Lunebourg, Archi-Tresorier et Électeur du Saint Empire Romain. »[10] 

On sait que le souverain britannique continuait de revendiquer la Couronne de France depuis la Guerre de Cent Ans. Il ne renonça à ce titre qu’à l’époque napoléonienne, qui vit également la disparition du Saint Empire Romain Germanique, qui avait duré mille ans depuis Charlemagne .La fonction d’Électeur disparut au même moment.

Les titres royaux avaient donc déjà été modifiés lorsqu’en 1837, la jeune princesse Victoria, alors âgée de 18 ans, fut couronnée, ce qui inaugura un long règne de 64 ans qui n’allait prendre fin qu’en 1901.

En 1876, le Parlement de Westminster avait voulu consacrer l’apogée de l’Empire en ajoutant aux titres de la Reine celui d’Empress of India, qui demeura jusqu’à l’indépendance de l’Inde, en 1947 [11]. En 1901, après la fin du règne de Victoria et l’accession au trône d’Édouard VII, les titres royaux mentionnèrent pour la première fois les British Dominions beyond the Seas[12].

En 1927, dans la dernière intervention législative en la matière du Parlement britannique avant l’acquisition formelle par le Canada de sa souveraineté, ce Parlement se donna une nouvelle désignation, celle de Parlement de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, ce qui reconnaissait l’autonomie législative, sinon la souveraineté, du nouveau Dominion irlandais, qui avait vu le jour en 1921 [13]. La même loi donnait par contre l’autorisation légale au roi George V de se donner les titres qui lui paraissaient appropriés, cette façon de faire permettant au gouvernement britannique de souligner que l’Irlande continuait de faire partie (pour quelques années encore) de l’Empire. Les titres de George V, tels que définis par la proclamation autorisée par la loi, étaient les suivants : 

« George V, by the Grace of God, of Great Britain, Ireland and the British Dominions beyond the Seas King, Defender of the Faith, Emperor of India. »[14]

Pendant la même période historique, un autre aspect de la compétence législative sur la monarchie, soit la compétence sur les règles de la succession au Trône, était aussi demeuré du ressort exclusif du Parlement impérial, qui avait pour la première fois légiféré sur la question avec l’Act of Settlement de 1700 [15].

Ce monopole de la compétence législative du Parlement britannique eu égard à la monarchie prit fin au moment du passage du Canada à la souveraineté, qui trouva sa cristallisation juridique avec l’adoption d’une autre loi impériale, le Statut de Westminster de 1931.

Le Statut de Westminster

Le processus d’acquisition de la souveraineté canadienne se distingue par deux de ses principales caractéristiques : il s’étendit sur plusieurs années et il se réalisa en parfaite continuité avec le système juridique de l’État prédécesseur, à savoir le Royaume-Uni. Selon les propres termes de la Cour suprême du Canada, la souveraineté fut acquise dans une période s’étendant entre la signature séparée du Traité de Versailles après la Première guerre mondiale (en 1919) et l’adoption du Statut de Westminster par le Parlement britannique (en 1931) :

« There can be no doubt now that Canada has become a sovereign state. Its sovereignty was acquired in the period between its separate signature of the Treaty of Versailles in 1919 and the Statute of Westminster, 1931, 22 Geo. V., c. 4. » [16]

Au cours de cette période, plusieurs gestes politiques furent posés, qui eurent l’effet cumulatif d’obtenir une reconnaissance dans les faits de la souveraineté canadienne par la communauté internationale et la mère-patrie constitutionnelle, avant que cette souveraineté ne se concrétise dans le Statut de Westminster dans un langage technique qui dissimule quelque peu la signification de l’événement. On peut d’ailleurs affirmer que la reconnaissance politique de la souveraineté canadienne par la communauté internationale a, à certains égards, précédé les intentions du Royaume-Uni pendant cette période de transition et a sans doute aidé le Canada à surmonter les ultimes réticences de Londres. C’est ainsi que la participation du Canada à la Société des Nations à l’intérieur de la délégation de l’empire britannique, dès la formation de cette organisation et pendant toute la durée de son existence dans l’entre-deux-guerres, a contribué à consolider son identité internationale, ce qui a conduit notamment aux premières ententes diplomatiques conclues par le Canada avec les Etats-Unis, sans la participation de diplomates britanniques, dans les années vingt [17].

Sur le plan impérial, les relations inter-étatiques furent modifiées par la Conférence des chefs de gouvernement du Royaume-Uni et des Dominions de 1926, qui se conclut par une déclaration conjointe d’affirmation et de reconnaissance de la souveraineté des Dominions, qui étaient les colonies jouissant de l’autonomie législative. Ce groupe d’États comprenait le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, l’Irlande (qui avait obtenu le statut de Dominion en 1921 à la suite de l’insurrection de 1919) et Terre-Neuve (qui allait renoncer au statut de Dominion et opter pour une forme de gouvernement dirigée par Londres pendant la Dépression avant de rejoindre le Canada en 1949) [18]. Il excluait l’Inde, où un puissant mouvement indépendantiste était en cours. Le Statut de Westminster allait donner une forme juridique à la Déclaration de 1926.

Au sens large, le processus d’acquisition de la souveraineté canadienne s’est étendu sur une période beaucoup plus longue, soit de 1867, année de la création de la fédération canadienne à laquelle l’autonomie législative était accordée, sans que cette autonomie ne signifie l’exclusivité de la compétence législative, jusqu’à 1982, année de la renonciation définitive par le Parlement britannique de sa compétence législative sur le Canada.[19] Si la date de l’adoption du Statut de Westminster sert de point de repère historique et juridique, il n’en reste pas moins que plusieurs aspects de la souveraineté ne furent obtenus ou exercés qu’après 1931. On peut compter parmi ces événements la déclaration de guerre distincte de 1939, quelques jours après celle du Royaume-Uni, alors qu’aucune déclaration de guerre canadienne n’avait eu lieu en 1914 puisque celle de Londres emportait tout l’Empire [20], la création de la nationalité canadienne en 1946 avec l’adoption de la première Loi sur la citoyenneté canadienne [21], les instructions données au Gouverneur général en 1947 mettant fin à ses derniers liens de subordination juridique avec la Reine[22], la fin des appels au Comité judiciaire du Conseil privé britannique en 1949 [23], ce qui faisait de la Cour suprême du Canada le tribunal de dernière instance au pays, et l’adoption d’un nouveau drapeau canadien en 1965. C’est dans le cadre de ce processus politico-juridique plus large que se situent l’apparition et l’évolution de la compétence législative fédérale sur la monarchie.

Le Statut de Westminster ne proclame pas la souveraineté canadienne. Il prend acte du fait politique que constituait déjà cette souveraineté pour en régler certains effets juridiques. Notamment, l’article 7 du Statut met fin à l’intervention législative du Parlement britannique pour toute loi autre que constitutionnelle. De plus, le préambule du Statut reconnaît pour la première fois une compétence législative aux Parlements des Dominions relativement à la monarchie, mais, exceptionnellement, cette compétence n’est pas exclusive : elle est partagée entre le Parlement britannique et les Parlements des Dominions, cette compétence devant à l’avenir s’exercer conjointement pour chacun des Dominions, et la compétence du Parlement britannique ne pouvant s’exercer seule désormais que pour le Royaume-Uni et les territoires de l’Empire qui n’étaient pas des Dominions. Les lois relatives à la monarchie furent ainsi placées dans une situation intermédiaire, à mi-chemin entre le champ des lois dites ordinaires désormais attribué en exclusivité au nouvel État souverain qu’était devenu le Canada, et la catégorie des lois constitutionnelles canadiennes qui allaient demeurer formellement le domaine réservé du Parlement britannique jusqu’en 1982. L’importante charge symbolique des lois relatives à la monarchie faisait en sorte que l’on se refusait encore à les mettre sur le même pied que les autres lois non-constitutionnelles, mais Londres devait se résoudre à reconnaître une certaine compétence législative aux Dominions en la matière, car agir autrement serait incompatible avec leur nouveau statut juridique. Un moyen terme fut ainsi trouvé, et il fut défini dans le préambule du Statut de Westminster, dont le second considérant, sans doute le fruit de négociations inter-gouvernementales approfondies, se lit comme suit :

« Considérant qu’il est expédient et à propos, puisque la Couronne est le symbole de la libre association des membres de la Communauté des nations britanniques et que ces dernières se trouvent unies par une allégeance commune à la Couronne, d’exposer sous forme de préambule à la présente loi qu’il serait conforme au statut constitutionnel consacré de tous les membres de la Communauté dans leurs rapports réciproques, de statuer que toute modification de la Loi relative à la succession au Trône ou au Titre royal et aux Titres doit recevoir l’assentiment aussi bien des Parlements de tous les Dominions que du Parlement du Royaume-Uni; » [24]

Signes des temps, la Couronne est désormais définie dans ce préambule comme le symbole de la libre association des membres du Commonwealth plutôt que le symbole de l’Empire, et on fait référence au statut constitutionnel consacré[25] de ces États, sans dire toutefois qu’ils sont souverains, ni que ce statut est en réalité tout récent.

Le Statut de Westminster, et la souveraineté canadienne, apparaissent dans une période de transition pour les relations entre le Royaume-Uni et ses Dominions. Cette période connaîtra une évolution dont certains aspects restent inconnus en 1931. Par exemple, la référence à l’allégeance commune à la Couronne dans le préambule fera long feu, puisqu’à partir de l’accession de l’Inde à l’indépendance, les républiques seront admises dans le Commonwealth jusqu’à constituer une nette majorité de ses États membres :

« The Commonwealth Prime Ministers meeting of 1949 agreed to India’s continued membership on the basis of her expressed ‘acceptance of the King as the symbol of the free association of the independent Member Nations and as such Head of the Commonwealth’. This agreement established the precedent both for republican membership and the recognition of the monarch as Head of the Commonwealth as distinct from his position as Head of State in the countries which wished to retain allegiance. »[26]

Il n’existe de nos jours aucune Couronne du Commonwealth, contrairement aux espoirs que caressaient peut-être certains des auteurs du Statut de Westminster. La Reine du Royaume-Uni et du Canada compte parmi ses titres celui de Chef du Commonwealth, ce qui dissocie cette charge, qui n’est pas nécessairement une charge royale, de celle de chef de l’État de la plupart des membres du Commonwealth. Dans les États membres qui sont des républiques, la Couronne ne joue par définition aucun rôle constitutionnel, et le chef de l’État, c’est-à-dire le président de la République, n’est pas, contrairement au gouverneur général et au lieutenant-gouverneur, un représentant de la monarchie. En 2007, 37 des 53 membres du Commonwealth (plus des deux tiers) sont des républiques et n’acceptent pas la Reine comme chef d’État.[27]

Le préambule du Statut de Westminster reconnaissait pour la première fois au Parlement canadien une compétence législative sur la monarchie. Puisqu’il s’agissait d’une matière législative nouvelle, inconnue lors de l’inscription du partage des compétences dans la Loi constitutionnelle de 1867, cette compétence fédérale ne pouvait se fonder que sur le paragraphe introductif de l’article 91 relatif à « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » , dans lequel la jurisprudence a vu une compétence résiduaire fédérale sur toute matière qui n’avait pas été attribuée nommément à l’un ou l’autre ordre de gouvernement. Juridiquement, la monarchie est visée par cette compétence résiduaire au même titre que l’énergie atomique ou l’aéronautique, autres objets de législation inconnus au Canada au dix-neuvième siècle [28]. 

La divisibilité de la Couronne

Dès 1931, il devenait clair que si la Couronne demeurait conceptuellement indivisible à l’intérieur des fédérations canadienne et australienne, sa divisibilité était désormais irréfutable entre les États membres du Commonwealth, malgré l’idéologie impériale fermement implantée dans l’histoire britannique. Il existait dorénavant une Couronne canadienne distincte en droit de la Couronne britannique, de la Couronne australienne, de la Couronne néo-zélandaise, etc. Ces Couronnes devenaient des expressions de souverainetés multiples et distinctes, réunies autour d’un héritage politique commun, incarné par l’union personnelle de ces différentes fonctions royales.

La divisibilité de la Couronne est un corollaire de la souveraineté des États membres du Commonwealth qui ont conservé la monarchie constitutionnelle. Le principe de la divisibilité peut être perçu comme une convention constitutionnelle du Commonwealth, puisque les règles qui régissent les rapports entre les membres de cette organisation ont conservé un lien avec le droit impérial d’autrefois (imperial constitutional law), ce qui fait en sorte qu’on ne peut considérer qu’elles relèvent intégralement du droit international public. La meilleure analogie contemporaine se trouve dans l’Union européenne; cette analogie est toutefois imparfaite, puisque dans le cas de l’Union européenne, le droit constitutionnel est en voie d’élaboration, alors que dans celui du Commonwealth, il est en voie de disparition. Depuis son origine, que l’on associe généralement à la Conférence des chefs de gouvernement de 1926 et le Statut de Westminster, le Commonwealth a été inclassable sur le plan juridique, situé quelque part entre le droit interne du passé colonial et le droit international qui régit les rapports entre des États souverains. Il est toutefois clair que sa dimension internationale a maintenant pris une plus grande importance [29].

La souveraineté canadienne et le caractère distinct de la Couronne canadienne permettraient notamment au Parlement fédéral, par une simple loi, de modifier les règles de la succession royale afin de faire en sorte qu’une personne autre que le titulaire de la fonction royale au Royaume-Uni puisse accéder au trône canadien. Le Parlement canadien s’est abstenu d’exercer cette faculté, sans doute afin de préserver l’unité symbolique du Commonwealth.

Qui plus est, puisque les Couronnes sont distinctes, la monarchie pourrait être abolie au Royaume-Uni (par une loi puisqu’il n’existe dans ce pays aucune procédure plus rigoureuse pour les modifications constitutionnelles) sans qu’elle le soit au Canada, si l’unanimité du Parlement fédéral et de chacune des assemblées législatives des provinces n’était pas obtenue. C’est ce qu’exprimait un juriste australien par des propos qui s’appliquent tout aussi bien au Canada :

« If the United Kingdom itself became a republic by Act of Parliament, Australia, where the Crown is entrenched in the Constitution, would remain a kingdom. » [30]

 

Sur le plan juridique, la monarchie est ainsi mieux protégée en Australie et au Canada qu’au Royaume-Uni.

Par ailleurs, la divisibilité des couronnes canadienne et britannique fut le motif invoqué par la Cour d’Appel du Royaume-Uni pour rejeter la contestation judiciaire dans ce pays de ce qui allait devenir le Canada Act de 1982, déjà cité, qui contenait la Loi constitutionnelle de 1982 [31]. Cette contestation avait été déposée par certaines organisations politiques autochtones du Canada, qui avaient invoqué les obligations assumées par la Couronne à leur égard dans la Proclamation royale de 1763. La Cour d’Appel a décidé que la Couronne qui devait maintenant s’acquitter de ces obligations était la Couronne canadienne ce qui, en vertu des conventions constitutionnelles, signifiait le gouvernement du Canada.

Le Statut de Westminster a inauguré l’ère de la divisibilité de la Couronne tout en cherchant à en limiter les conséquences. Par le préambule, le Royaume-Uni s’engageait à ne plus légiférer sur la monarchie sans le consentement des parlements des Dominions; en échange, ceux-ci s’engageaient à ce que leur nouvelle compétence législative sur la monarchie ne s’exerce que de manière uniforme, c’est-à-dire dans le même sens que la législation britannique à laquelle ils allaient être appelés à consentir. Le préambule, contrairement aux autres dispositions du Statut, n’avait cependant pas une valeur juridique opératoire. Il reposait sur l’appui politique continu des États souverains membres du Commonwealth en 1931. Cet appui a duré jusqu’en 1952, date de l’avènement de Sa Majesté la Reine Élizabeth II. Cette évolution peut être tracée au fil de l’exercice de la nouvelle compétence législative fédérale sur la monarchie.

b. Les lois fédérales sur la monarchie 

Les effets du préambule du Statut de Westminster

Dans la période entre 1931 et 1952, la procédure introduite par le préambule du Statut de Westminster fut respectée. Cette période d’une vingtaine d’années, qui a été mouvementée à plus d’un titre, a vu quelques événements majeurs relatifs à la monarchie : deux couronnements et une abdication, en plus d’une modification des titres royaux suite la proclamation de l’indépendance de l’Inde.

En 1936, lors de l’avènement d’Édouard VIII, aucune loi britannique ou canadienne ne fut requise puisque les lois britanniques antérieures, relatives à la monarchie, n’étaient pas modifiées. Les titres du nouveau roi étaient identiques à ceux de son père, et il succéda à ce dernier conformément aux règles de succession établies. Il est clair, en effet, qu’en vertu du droit britannique dont le Canada a hérité, une loi n’est pas requise pour reconnaître légalement chaque nouveau souverain, si celui-ci conserve intégralement les titres de son prédécesseur et s’il accède au trône suivant les règles établies. L’apparition du nouveau souverain est alors constatée sur le plan juridique par une proclamation issue du souverain lui-même, avec l’autorisation du gouvernement britannique, au moment de son avènement (c’est-à-dire la succession instantanée qui a lieu au moment du décès ou de l’abdication de son prédécesseur) [32]. Si les titres royaux sont modifiés, une seconde proclamation sera émise au moment du couronnement, une cérémonie qui peut avoir lieu un an ou deux plus tard. La seconde proclamation a pour objet d’annoncer des titres différents de la première seulement si, dans l’intervalle, ces titres ont été modifiés par une loi [33]. Une nouvelle proclamation sera par ailleurs émise chaque fois qu’une loi modifiera les titres royaux.

Cette procédure est dédoublée au Canada depuis l’adoption du Statut de Westminster. Ainsi, d’autres proclamations seront émises par Sa Majesté ou son représentant au Canada et contre-signées par le premier ministre du Canada, pour valoir en droit canadien, conséquence de la divisibilité de la Couronne. Par conséquent, si le successeur d’Élizabeth II conserve les titres qu’elle portait, si l’ordre de succession n’est pas modifié et si la monarchie n’est pas remise en cause, aucune loi fédérale ne sera nécessaire pour reconnaître juridiquement le prochain titulaire de la Couronne du Canada. Les proclamations royales canadiennes suffiront juridiquement à cette fin [34]. Ces précédents juridiques, de même que l’assentiment effectif des principaux acteurs politiques, paraissent correspondre à la définition d’une convention constitutionnelle [35].

Si les titres royaux ne furent pas modifiés lors de l’abdication d’Édouard VIII, qui eut lieu quelques mois à peine après son avènement (il n’eut pas le temps d’être couronné), il en fut autrement des règles relatives à l’ordre de succession. Édouard VIII avait renoncé à la Couronne pour lui-même et ses descendants dans sa déclaration d’abdication, alors que la loi en vigueur aurait transféré la Couronne à son fils aîné (à défaut de fils, à sa fille aînée, comme ce fut le cas plus tard pour Élizabeth) après une période de régence. Il fallait donc modifier la loi, puisque personne ne savait à l’époque qu’Édouard VIII, désormais le duc de Windsor, n’aurait aucune descendance. Or, le préambule du Statut de Westminster, en vigueur depuis cinq ans, était clair : toute modification des règles relatives à l’ordre de succession ou aux titres royaux requérait l’assentiment des parlements des Dominions, dont le Parlement du Canada.

La première loi canadienne relative à la monarchie[36]

La première loi canadienne relative à la monarchie fut adoptée en mars 1937, plus de quatre mois après l’abdication d’Édouard VIII et l’adoption de la loi britannique [37]. La loi canadienne contient deux annexes, la déclaration d’abdication et la loi britannique [38]. La loi britannique fut littéralement adoptée le lendemain de l’abdication, qui eut lieu le 10 décembre 1936. Dans la version originale de sa déclaration, Édouard VIII décline ses titres pour une dernière fois en ces termes :

« I, Edward the Eighth, of Great Britain, Ireland, and the British Dominions beyond the Seas, King, Emperor of India, do hereby declare My irrevocable determination to renounce the Throne for Myself and for My descendants, and My desire that effect should be given to this Instrument of Abdication immediately.

In token whereof I have hereunto set My hand this tenth day of December, nineteen hundred and thirty-six, in the presence of the witnesses whose signatures are subscribed.

EDWARD R.I. »

Ses trois témoins sont ses frères, dont l’un d’eux, George, lui succédera. La loi britannique du 11 décembre permit cette succession en modifiant la portée de l’Act of Settlement de 1700, l’une des principales lois constitutionnelles britanniques, et du Royal Marriages Act de 1772. En confirmant la loi britannique sur l’abdication, le Parlement canadien se trouva à modifier du même coup ces deux lois vénérables pour les fins du droit canadien, dont elles faisaient et font toujours partie. L’extension du champ d’action législative du Parlement fédéral se concrétisait en ce domaine privilégié pour une première fois.

La loi britannique avait invoqué dans son préambule l’article 4 du Statut de Westminster, qui précisait que le Parlement de Londres ne pouvait adopter une loi pour le Canada qu’à la demande et avec le consentement du gouvernement canadien. Le préambule ajoutait que cette demande et ce consentement avaient eu lieu. Le gouvernement canadien avait effectivement donné son accord au moyen d’un arrêté-en-conseil [39]. Les choses auraient pu en rester là, n’eût été de la volonté du gouvernement canadien de profiter de l’occasion pour affirmer la souveraineté canadienne en faisant adopter une loi canadienne sur la base du préambule du Statut de Westminster. Celui-ci, nous l’avons vu, exigeait le consentement du Parlement canadien dans le cas d’une loi relative aux règles de la succession royale. Cette procédure additionnelle, qui n’existait pas en droit strict puisqu’elle ne se trouvait que dans le préambule, pouvait être ignorée par le Parlement britannique sans que la validité de sa loi ne puisse être entachée.

La procédure additionnelle prenait toutefois une importance politique et symbolique considérable pour le nouvel État souverain qu’était le Canada. Le gouvernement canadien a tenu à ce que le Parlement fédéral exprime son consentement dans une loi dont le préambule reprend au complet le paragraphe pertinent du préambule du Statut de Westminster. Le premier ministre canadien, Mackenzie King, avait d’ailleurs noté dans les débats parlementaires « l’importance particulière » du préambule du Statut.[40]

La loi canadienne sur l’abdication ne contenait qu’un seul article, qui approuvait la modification apportée aux règles concernant la succession au trône édictée dans la loi britannique. L’important ici n’était pas tant le contenu de la loi canadienne que le fait qu’elle ait existé en qualité de geste d’affirmation de la souveraineté canadienne.

En effet, l’essentiel était sans doute, pour le gouvernement canadien, qu’il ait osé faire adopter sa première loi sur la monarchie dans de telles circonstances, alors que certains juristes et hommes politiques anglo-canadiens, plus sensibles à l’Empire qu’au nationalisme canadien, ne la considéraient pas nécessaire, si ce n’est afin de donner une nouvelle occasion d’entonner God Save the King au Parlement (ce qui d’après le compte-rendu des débats parlementaires ne fut pas oublié).

La procédure initialement suivie au Canada en 1936-37 ne pourrait être retenue aujourd’hui pour une nouvelle abdication, ou une autre modification des règles relatives à la succession royale. Un consentement donné par le seul gouvernement fédéral, au moyen d’un décret ou d’un arrêté-en-conseil, à l’adoption d’une loi britannique ne suffirait pas en droit canadien. Une loi fédérale pourrait fixer les effets juridiques d’un tel événement au Canada, mais encore une fois une telle loi ne pourrait pas aller jusqu’à abolir la monarchie, puisque la Constitution canadienne est particulièrement rigide à cet égard. Elle pourrait seulement déclarer vacant le trône canadien, et pourvoir à la succession selon des règles canadiennes qui pourraient légalement être différentes de celles applicables au Royaume-Uni ou dans un autre État membre du Commonwealth doté de la même monarchie constitutionnelle.

Une dizaine d’années après l’abdication d’Édouard VIII, peu après la Seconde guerre mondiale, une seconde intervention législative fédérale fut requise plus nettement par la modification des titres royaux entraînée par l’accession de l’Inde à l’indépendance.

La seconde loi canadienne relative à la monarchie

En 1947, une loi fédérale retirait, en droit canadien , le titre d’Empereur de l’Inde au monarque canadien [41]. Ce titre avait été porté fièrement depuis près d’un siècle par la reine Victoria et ses descendants. La disposition la plus importante se trouve à l’article 2 de la loi :

« 2. Le parlement du Canada donne, par les présentes, son assentiment à l’omission des expressions Indiae Imperator et empereur des Indes dans les titres royaux. » 

Contrairement à la procédure suivie dix ans auparavant, la loi canadienne ne fait aucune allusion à la loi britannique qui avait effectué la modification correspondante en droit britannique [42]. Le préambule de la loi canadienne ne contient qu’une allusion au préambule du Statut de Westminster, sans que l’article 4 du Statut ne soit mentionné. Pour sa part, la loi britannique ne contient aucun préambule et ne fait nulle part référence au Statut de Westminster. Londres semble cette fois s’être ralliée au point de vue d’Ottawa selon lequel l’article 4 ne réglait pas le cas particulier des lois relatives à la monarchie, mais qu’il fallait plutôt s’en remettre à l’exigence d’une loi fédérale contenue dans le préambule. La souveraineté canadienne s’affirme maintenant avec plus de confiance et de netteté. Le gouvernement britannique s’était résigné à l’inévitable, et il souhaitait sans doute maintenir la cohésion du Commonwealth devant la vague des indépendances qui allaient suivre celle de l’Inde.

La distinction entre les couronnes canadienne et britannique devenait ainsi plus claire. Cette remarquable évolution fut consolidée quelques années plus tard au moment de la succession royale subséquente.

La loi fédérale sur les titres royaux de 1953

La table était mise pour la conférence des chefs de gouvernement du Commonwealth de 1952, à l’occasion de l’avènement d’une nouvelle souveraine, Élizabeth. Cette conférence conclut qu’il était maintenant admissible que différents titres royaux soient attribués par les diverses lois nationales, à condition qu’un tronc commun constitué de titres fondamentaux soit préservé. En l’occurrence, il fut convenu que ces titres seraient Reine de l’État concerné, Reine de ses autres royaumes et territoires, et chef du Commonwealth [43].

Le premier considérant du préambule de la loi canadienne pertinente résume ainsi la situation politique du moment :

« CONSIDÉRANT que les premiers ministres et autres représentants des pays du Commonwealth, réunis à Londres en décembre mil neuf cent cinquante-deux, ont étudié la forme de la désignation et des titres royaux et, conscients que la forme actuelle n’est pas en harmonie avec les relations constitutionnelles courantes à l’intérieur du Commonwealth, ont conclu que, au présent stade de développement des relations dans le Commonwealth, il serait conforme à la situation constitutionnelle établie que chaque pays membre employât, pour ses propres fins, une forme appropriée à ses conditions spéciales, tout en retenant un important élément qui soit commun à tous; »[44 

Conformément à ce considérant, la disposition principale de cette loi, qui se trouve à l’article premier, est rédigée en ces termes :

« 1. L’assentiment du Parlement du Canada est par les présentes donné à la publication, par Sa Majesté, de sa proclamation royale sous le grand sceau du Canada, établissant la désignation et les titres royaux suivants pour le Canada, savoir : 

« Elizabeth Deux, par la grâce de Dieu, Reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi. » 

Il n’était plus question de se conformer au préambule du Statut de Westminster, en vertu duquel le Parlement canadien ne devait que consentir à la loi britannique. La compétence législative canadienne s’exerçait maintenant plus librement, mais le Parlement fédéral alla au-delà de ce qui avait été convenu à la Conférence du Commonwealth, en ajoutant les mots « Reine du Royaume-Uni » et « Défenseur de la Foi ». Le Canada ne s’est donc pas donné toute la latitude possible à cette occasion.

De ces différentes désignations officielles d’Elizabeth II, la plus sensible sur le plan politique pouvait être celle de Défenseur de la Foi. On sait qu’elle a été portée par tous les souverains britanniques depuis Henri VIII, au début du seizième siècle. Celui-ci l’avait reçu du pape, en considération de certains loyaux services rendus à l’Église catholique romaine. Cette désignation lui fut plus tard retirée par le Vatican, suite au divorce du roi, sa rébellion contre l’Église dans le cadre de la réforme protestante et la création de l’Église anglicane, qui fut placée sous sa protection. Le Parlement britannique lui ré-attribua à ce moment la désignation que Rome avait voulu lui enlever [45]. Le titre de Défenseur de la Foi est donc une expression du nationalisme anglais, dont le corollaire est l’inéligibilité légale, toujours en vigueur en 2007, des catholiques à la succession royale au Royaume-Uni [46].

Seuls le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont reconnu à Élizabeth II le titre de « Defender of the Faith » ou « Défenseur de la Foi » lors de son couronnement, et qu’elle avait accédé à son trône « par la grâce de Dieu ». Lors des débats sur la question à la Chambre des Communes du Canada, le premier ministre fédéral d’alors, M. Saint-Laurent, issu d’une province qui proclamait encore bien haut son attachement à la foi catholique romaine, justifia ainsi sa décision d’approuver cette désignation :

« La question s’est alors posée de savoir s’il conviendrait de conserver dans le titre dont nous allions nous servir les mots traditionnels « par la grâce de Dieu, souveraine ». Nous avons estimé que notre population se rend compte que les affaires de ce monde ne sont pas déterminées exclusivement par la volonté des hommes et des femmes; qu’elles le sont par les hommes et les femmes en tant qu’agents d’une autorité suprême et que c’est par la grâce de cette autorité suprême que nous avons le privilège d’avoir une telle personne pour souveraine. Un point plus délicat peut-être a surgi au sujet de la conservation des mots « défenseur de la Foi ». En Angleterre, il y a une Église établie. Dans nos pays, il n’y a pas d’Églises établies, mais il y a des gens qui croient qu’une Providence d’une souveraine sagesse dirige les affaires humaines; nous avons donc pensé qu’il était bon que les autorités civiles proclament que leur organisation est telle qu’elle constitue une défense de la croyance maintenue en une puissance suprême qui ordonne les affaires des simples humains et que quiconque croit à l’Être suprême ne peut raisonnablement s’opposer à ce que la souveraine, chef de l’autorité civile, soit appelée croyante en un Chef suprême et défenseur de la foi en un tel chef.

J’espère que ces idées que partageaient les membres de cette conférence paraîtront raisonnables aux honorables députés. »[47]

Un tel raisonnement serait-il bien reçu de nos jours ? D’après certains articles parus récemment dans la presse, le prince Charles, héritier de la Couronne, s’interrogerait lui-même à ce propos et songerait à demander une modification des titres royaux lors de son avènement afin qu’il soit désigné somme étant « Défenseur des fois » plutôt que « de la Foi » afin de mieux refléter les réalités multiethniques et multiconfessionnelles de notre temps. Une telle modification requerrait assurément l’adoption d’une loi fédérale pour être applicable au Canada.

Il en serait de même de deux autres modifications qui seraient envisagées par des réformateurs britanniques en vue du prochain règne, l’abrogation de l’inéligibilité des catholiques et de celle des femmes qui ont un frère cadet [48]. Sur ce dernier point, on sait qu’Elizabeth elle-même n’a pu succéder au trône que parce qu’elle n’avait aucun frère, et que la princesse Anne, qui est pourtant l’aînée de ses enfants, ne peut succéder à sa mère parce qu’elle a trois frères qui la précèdent dans l’ordre de succession. Cette forme de discrimination sexuelle sera sans doute sévèrement commentée lors de la prochaine succession royale au Royaume-Uni. Il est donc probable qu’une loi canadienne sera nécessaire pour entériner ces modifications dans l’ordre de succession ou dans les titres royaux.

Plus fondamentalement, le premier ministre Saint-Laurent a résumé la relation entre les couronnes canadienne et britannique, telle qu’il la concevait à cette époque :

« Sa Majesté est maintenant reine du Canada, mais elle est reine du Canada parce qu’elle est reine du Royaume-Uni et parce que la population du Canada est heureuse de reconnaître comme souveraine la personne qui est souveraine du Royaume-Uni. »[49] 

En sera-t-il ainsi lors de la prochaine succession royale ? M. Saint-Laurent précisait à la même occasion que ce sentiment n’était partagé que par deux autres anciennes colonies, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les quatre autres États souverains du Commonwealth d’alors, à savoir l’Inde, le Sri Lanka (alors connu sous le nom de Ceylan), le Pakistan et l’Afrique du Sud trouvèrent cette façon de voir incompatible avec leurs situations constitutionnelles respectives ou avec leurs nationalismes. Ils étaient tous des républiques ou en voie de le devenir à brève échéance. Les titres royaux qu’ils consentirent à reconnaître furent, par conséquent, plus limités que ceux du Canada. Ils refusèrent de plus de considérer que la Reine avait accédé au trône « par la grâce de Dieu », ou qu’elle était un « Défenseur de la Foi », en raison de réalités politiques, ethniques et religieuses très différentes. La forme de leur reconnaissance fut également variable, l’Inde se contentant d’une simple déclaration de son premier ministre [50].

À la fin du règne d’Elizabeth II, nous pouvons donc résumer la situation juridique sur la question au Canada en ces termes :

 le Parlement britannique ne peut plus légiférer pour le Canada, pas davantage sur la monarchie que sur tout autre sujet;

 le Parlement britannique peut abolir la monarchie par une simple loi, alors qu’au Canada il faudrait suivre la procédure la plus exigeante de modification de la Constitution, à savoir l’unanimité du Parlement fédéral et de chacune des dix assemblées législatives des provinces;

 le Parlement canadien détient une compétence législative sur la monarchie sur toute question autre que l’abolition ou la modification des pouvoirs de la monarchie;

 les Couronnes canadienne et britannique sont distinctes, et le titre de Roi ou de Reine du Canada ne peut être attribué que par le Parlement canadien, ce qui est historiquement une manifestation de la souveraineté du Canada;

 la compétence législative fédérale sur la monarchie comprend deux volets, la compétence sur les règles de succession (ce qui vise l’éligibilité des successeurs et l’ordre de succession) et la compétence sur la désignation et les titres royaux. Une loi fédérale est nécessaire pour modifier ces deux catégories de règles relatives à la monarchie. De plus, le gouvernement fédéral pourrait par une loi reconnaître chaque nouveau souverain. Conformément aux précédents britanniques, il a choisi de ne pas le faire lors du seul avènement depuis 1931 n’ayant pas entraîné une modification des titres royaux et des règles de succession, une proclamation du gouverneur général ayant alors été jugée juridiquement suffisante.

Sur le plan politique, le temps fort que constitue le moment d’une succession royale devient souvent l’occasion d’une révision du rôle et du fonctionnement de la monarchie dans le Commonwealth. Il est à prévoir qu’une conférence des chefs de gouvernement du Commonwealth se tiendra lors de la prochaine succession royale, et que cette conférence révisera les règles juridiques qui encadrent la monarchie en tenant compte des situations constitutionnelles et politiques des États membres, dont le Canada.

Il va sans dire que la situation constitutionnelle et politique des provinces canadiennes, dont le Québec, sera aussi affectée par la décision de maintenir telles quelles ou de modifier les règles juridiques relatives à la monarchie au Canada. La Constitution du Québec, qui est imbriquée dans celle du Canada, partage les caractéristiques fondamentales de celle-ci, même si contrairement à elle, elle n’est pas codifiée. La monarchie constitutionnelle de type britannique est par conséquent l’une des caractéristiques fondamentales de la Constitution du Québec actuelle. Toute modification des règles de la Constitution canadienne qui sont relatives à la monarchie requiert l’assentiment du législateur québécois et entraîne une modification correspondante de la Constitution du Québec.

Une modification non constitutionnelle des lois fédérales relatives à la monarchie, qu’elles concernent les règles de la succession ou la désignation et les titres royaux, ne requiert l’assentiment ni du législateur, ni du peuple québécois. Elle pourrait toutefois être l’occasion d’un nouveau débat sur la pertinence de la monarchie au Québec et sur l’utilité d’une codification de la Constitution du Québec.

2. La succession royale et la Constitution du Québec

a. Le projet d’une constitution codifiée

La Constitution du Québec existe. Elle est mentionnée dans la Loi constitutionnelle de 1867 (Partie VI, art. 58 à 68 et 71 à 80) et dans celle de 1982 (art. 45). Certaines de ses règles sont antérieures à 1867. Chaque province canadienne détient sa propre constitution.

Si l’existence de la Constitution du Québec est indéniable, son contenu est imprécis et difficile à déterminer. Les sources des éléments qui la composent sont très diversifiées. Il peut s’agir de lois britanniques, de règles de « common law », de lois constitutionnelles canadiennes, de conventions constitutionnelles, de lois québécoises. En l’occurrence, c’est-à-dire en ce qui concerne les lois relatives à la monarchie, certaines lois fédérales, par exemple celles qui ont trait à la fonction de lieutenant-gouverneur, peuvent ainsi avoir une incidence plus ou moins prononcée sur le contenu de la Constitution du Québec.

L’une des difficultés rencontrées dans les tentatives d’établir avec précision le contenu de la Constitution du Québec réside dans la définition même d’une constitution étatique. Souvent, les auteurs établissent une distinction entre une constitution au sens formel et une constitution au sens matériel. La constitution formelle est celle qui aura été définie par la constitution elle-même. Par exemple, l’article 52 de la Loi constitutionnelle présente une liste (qui, par ailleurs, n’est pas exhaustive) des principaux éléments de la Constitution du Canada. L’alinéa 52(2) se lit comme suit :

« (2) La Constitution du Canada comprend :

a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi;

b) les textes législatifs et les décrets figurant à l’annexe;

c) les modifications aux alinéas a) ou b). »

Les textes législatifs et les décrets en annexe visent surtout les lois britanniques qui ont servi de lois constitutionnelles canadiennes depuis 1867, et certains décrets adoptés en vertu de leurs dispositions. Cette liste est incomplète, particulièrement parce qu’elle ne comprend pas les règles de « common law » constitutionnelle élaborées par la jurisprudence britannique et canadienne, et qui jouent un rôle fondamental dans la Constitution. Elle ne comprend pas non plus les conventions constitutionnelles, qui ne sont pas des règles juridiques selon la Cour suprême du Canada, mais tout de même des règles constitutionnelles essentielles de nature politique. Parmi les conventions constitutionnelles, on retrouve les principales caractéristiques du régime parlementaire, telles que la fonction de premier ministre, qui n’est définie nulle part dans la Constitution formelle, et la règle selon laquelle le gouvernement doit conserver la confiance de l’assemblée législative dont il est issu.

L’une des principales conséquences de l’inclusion d’une règle dans la définition de la constitution formelle de l’alinéa 52(2) est l’application des procédures de modification de la Loi constitutionnelle de 1982, dont la rigidité a pu être généralement constatée. Dans le cas de l’abolition ou de la modification des pouvoirs de la monarchie, la procédure de modification applicable (qui est celle de l’art. 41 de la Loi constitutionnelle de 1982) exige, on l’a vu, l’unanimité des dix provinces canadiennes.

Il n’existe aucune constitution formelle au Québec. La Constitution du Québec se caractérise, tout comme la Constitution britannique, par son absence de formalisme, et par son absence de codification.

La codification est l’une des principales expressions du formalisme; la codification partielle de la Constitution canadienne l’a rendue plus formelle. Il n’y a pas une coïncidence absolue entre les deux concepts. Une constitution codifiée est formelle dans la mesure de sa codification; une constitution formelle n’est pas nécessairement codifiée, si la définition du contenu de la Constitution est précise et comprend des éléments non-codifiés (ou « non écrits », dans le cas de conventions ou de jurisprudence constitutionnelle, c’est-à-dire non inscrits dans une loi constitutionnelle adoptée suivant un processus législatif pré-déterminé).

Ainsi, on peut affirmer que la Constitution canadienne est formelle et partiellement codifiée, alors que la Constitution du Québec n’est ni formelle, ni codifiée. La Constitution canadienne n’est que partiellement codifiée, parce qu’aucun texte intégré ne contient l’ensemble de ses dispositions, contrairement à la Constitution des États-Unis d’Amérique ou à celle de la Cinquième République française.

Il existe une autre définition de la Constitution, qui est plus flexible et plus large. Il s’agit de la définition matérielle. Selon ce critère, est une règle constitutionnelle tout ce qui a trait à la structure fondamentale de l’État et à son fonctionnement, que cette règle fasse ou non partie de la définition formelle. La « matière » constitutionnelle est ce qui compte ici, non la définition plus ou moins artificielle que l’on peut en faire. Ainsi, selon le critère matériel, toute règle de droit relative à la monarchie pourra être réputée de nature constitutionnelle, alors qu’au Canada le critère formel qui prédomine inclura seulement certaines de ces règles dans le champ d’application de la Constitution. Concrètement, au Royaume-Uni, les lois relatives à la succession royale et aux titres royaux sont considérées comme des lois constitutionnelles, alors qu’au Canada elles ne le sont pas. La différence, encore une fois, se retrouve dans la procédure de modification.

Le critère matériel plus souple prévaut dans un pays où toutes les lois constitutionnelles peuvent être modifiées ou abrogées par une simple majorité parlementaire. Au Canada, le critère formel sert à distinguer les lois relatives à la monarchie qui seront soumises à la lourde et rigide procédure de modification constitutionnelle de celles qui sont réservées à la compétence législative fédérale, qui s’exerce dans les mêmes termes qu’au Royaume-Uni.

Au Québec, la Constitution est informelle et peut se définir selon le critère matériel qui a cours au Royaume-Uni. Cette perspective heurte cependant de plein fouet le formalisme de la Constitution canadienne, qui se réserve un champ d’application étendu. Ainsi, au Québec, la Loi sur l’Assemblée nationale pourra être considérée faire partie de la Constitution du Québec, selon le critère matériel, puisque la « matière » constitutionnelle comprend sûrement les règles fondamentales relatives au pouvoir législatif, et puisqu’aucune définition formelle de la Constitution du Québec n’a été adoptée à ce jour. Il en est ainsi également de certaines dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne[51], de la Charte de la langue française[52], et de la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec [53].

Cependant, puisque le Québec n’est pas un État souverain et fait partie du Canada, le critère matériel de la définition de la Constitution du Québec doit tenir compte du champ d’application formel de la Constitution du Canada, et céder devant lui. Ainsi, pour ce qui concerne la monarchie, la Loi sur l’Assemblée nationale ne peut supprimer la fonction de lieutenant-gouverneur, qui est pourtant une composante juridique essentielle du système parlementaire québécois. Le critère formel de la Constitution canadienne l’emporte sur le critère matériel de la Constitution du Québec.

Un exemple éloquent de la collision entre ces deux conceptions constitutionnelles est le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Blaikie en 1979, qui a déclaré invalides les dispositions de la Charte de la langue française relatives à la langue de la législation et de la justice au Québec [54]. La Cour suprême a décidé que le chapitre III de la Charte de la langue française était incompatible avec l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prescrit le bilinguisme des lois et des tribunaux aux niveaux fédéral et québécois. Le procureur général du Québec avait soutenu, suivant le critère matériel, qu’en toute logique la langue des lois et de la justice dans une province était une « matière » juridique qui devait être réputée faire partie de la constitution provinciale. Par conséquent, cette matière était sujette à la compétence exclusive de l’Assemblée nationale. (Cette règle de la compétence exclusive de modification de la constitution de la province se trouvait alors dans la Loi constitutionnelle de 1867; elle a été reprise par l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982)

La Cour a plutôt choisi le point de vue selon lequel le bilinguisme des lois fédérales et québécoises, ainsi que le bilinguisme judiciaire, relevait d’un compromis historique dont les éléments formaient un tout indissociable. Elle a donc retiré cette « matière » juridique du champ exclusif de la Constitution du Québec, pour considérer qu’elle faisait aussi partie de la Constitution du Canada. Les effets de ce jugement ont été confirmés dans la Loi constitutionnelle de 1982. La définition formelle de la Constitution canadienne exclut l’article 133 du champ de la compétence exclusive de l’Assemblée nationale. On voit par cet exemple que, bien que le critère matériel est susceptible de donner une définition étendue de la Constitution québécoise, la primauté de l’approche formelle de la Constitution canadienne limite en réalité la Constitution du Québec à une part restreinte de ce qu’elle pourrait être, même dans le cadre d’une fédération.

Aux États-Unis, les constitutions des États sont formelles. Elles sont intégrées dans un texte qui a une valeur juridique clairement supérieure à celle des lois de l’État. Les lois de l’État qui sont contraires à la Constitution de l’État sont invalidées par les tribunaux de l’État. Quoique la Constitution de l’État doive être compatible avec la Constitution des États-Unis, son caractère formel et codifié lui donne une visibilité, une autorité et une légitimité qui font défaut à la Constitution du Québec, et permet d’identifier avec précision la ligne de démarcation entre les domaines d’application de ces lois fondamentales.

Un projet de codification de la Constitution du Québec a fait surface de temps à autre, mais n’a pas abouti jusqu’ici. S’il se concrétisait, un tel projet aurait l’avantage de renforcer la légitimité de l’État québécois, particulièrement si la nouvelle Constitution du Québec était issue d’un appui direct du peuple québécois. Ce projet cependant aurait aussi l’inconvénient de souligner plus nettement les limites de la légalité canadienne que ne le permet le critère matériel flexible et imprécis qui a cours au Québec. Le raisonnement courant au Québec, même parmi les élites politiques, est qu’une matière fait partie de la Constitution du Québec et est donc soumise à la compétence exclusive de l’Assemblée nationale, parce que logiquement il doit en être ainsi. Ce raisonnement, qui est parfaitement justifié en principe, est incompatible avec la légalité canadienne.

Les règles juridiques relatives à la monarchie sont une manifestation de ce phénomène.

b. Les limites de la légalité canadienne 

Un processus d’adoption d’une constitution formelle du Québec pourrait se contenter de codifier les règles actuelles, de nature disparate, qui forment la constitution provinciale. Certaines de ces règles, comme les conventions constitutionnelles. pourraient, pour une première fois au Canada, faire l’objet d’une codification. Le résultat de cet exercice devrait être une plus grande précision juridique, une meilleure connaissance citoyenne, et un renforcement de la démocratie et des droits fondamentaux des personnes et des collectivités. Cependant, l’assujettissement de la Constitution du Québec à la Constitution du Canada serait mis en relief. Ce rapport inégal plus évident pourrait aggraver la crise de légitimité de certaines dispositions communes des constitutions du Canada et du Québec qui sont relatives à des institutions qui ne bénéficient pas d’un large appui populaire au Québec. La monarchie est un exemple d’une telle institution. En d’autres termes, la codification pourrait conduire à une remise en question. Dans ce cas précis, la remise en question pourrait avoir lieu plus particulièrement au moment d’une succession royale, qui est historiquement l’occasion choisie pour réviser les règles juridiques relatives à la monarchie. L’adoption d’une éventuelle loi fédérale reconduisant la monarchie pourrait aussi être rendue plus difficile par un processus d’adoption d’une Constitution du Québec donnant lieu à une remise en question de la monarchie.

La Cour suprême du Canada, s’appuyant sur la jurisprudence antérieure du comité judiciaire du Conseil privé, alors que ce dernier était le plus haut tribunal du Canada à titre d’instance judiciaire suprême de l’Empire britannique, a clairement indiqué les limites de la Constitution du Québec en ce qui a trait à la modification des structures et des rapports essentiels du parlementarisme de type britannique, dont nous avons hérité [55]. Non seulement la fonction royale et ses prolongements canadiens et provinciaux (le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs) sont-ils explicitement et puissamment protégés par la lettre de la Constitution du Canada, mais de plus le système parlementaire lui-même est implicitement protégé par la protection expresse de la fonction royale. L’un ne se conçoit pas sans l’autre au Canada et dans chacune de ses provinces, selon la Cour suprême [56].

Ainsi, il ne saurait être question d’établir un régime présidentiel ou la séparation des pouvoirs dans le cadre de la Constitution canadienne actuelle. Même une révision du mode de scrutin pourrait être révisée par les tribunaux, quoiqu’elle aurait sans doute plus de chances de succès si elle n’était que partielle et si elle n’avait aucun effet significatif sur des aspects essentiels du parlementarisme, tels que la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale.

De plus, il a été jugé depuis longtemps que l’introduction de référendums délibératifs, c’est-à-dire ayant une valeur législative directe plutôt que consultative, ne saurait être compatible avec notre système parlementaire, que le référendum soit destiné à remplacer l’assentiment du lieutenant-gouverneur ou le vote des députés à l’Assemblée nationale [57]. Il est clair que la Constitution canadienne impose un cadre étroit aux expériences ou aux variantes qui pourraient être issues d’un éventuel processus de rédaction d’une nouvelle constitution provinciale.

Il est clair également qu’une disposition d’une constitution provinciale qui serait non conforme à la Constitution du Canada serait privée de tout effet par les tribunaux saisis d’une contestation à cet égard. Il en serait ainsi comme dans le cas d’une loi provinciale sur les droits de la personne, qui a une valeur quasi-constitutionnelle pour la Cour suprême, dont une disposition a été néanmoins jugée contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution du Canada [58]. Il serait donc inutile d’inscrire des dispositions, même souhaitables, dans une Constitution du Québec en sachant d’avance qu’elles ne sont pas compatibles avec la Constitution canadienne.

Cette perspective pourrait priver le projet de codification de la Constitution du Québec d’une grande partie de son intérêt aux yeux de plusieurs, ce qui peut expliquer pourquoi ce projet n’a pas encore vu le jour. À quoi bon se donner cette peine si l’espace de création est aussi limité ? L’impasse pourrait sembler totale, n’eût été du fait que la Cour suprême du Canada a elle-même, dans le cadre de sa réflexion sur d’autres aspects fondamentaux de la Constitution, ouvert récemment un nouveau champ de réflexion qui n’a pas encore été pleinement exploré.

Une telle réflexion s’impose, notamment dans le cas particulier de la monarchie.

3. La relation entre la Constitution canadienne et la Constitution québécoise eu égard à la succession royale 

a. Un moyen démocratique de faire reculer les limites de la légalité dans la fédération canadienne

Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec [59], la Cour suprême du Canada a laissé ouverte la possibilité d’une procédure alternative de modification de la Constitution du Canada, qui s’ajouterait à celles qui sont explicitement mentionnées à la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette procédure serait mise en marche par un acte politique, l’expression incontestable de la volonté du peuple québécois (il pourrait aussi s’agir de la population d’une autre province). Cet acte, une fois posé, engendrerait des obligations juridiques : des obligations mutuelles de négocier de bonne foi incombant à la fois à la partie québécoise, représentée par le gouvernement du Québec, et à la partie canadienne, représentée conjointement par le gouvernement canadien et ceux des autres provinces, co-détenteurs de la souveraineté canadienne et du pouvoir de modifier la Constitution du Canada.

Une fois un accord obtenu à l’issue de ces négociations, si accord il y a, il pourrait être soumis à l’une des procédures formelles de modification prévues à la Loi constitutionnelle de 1982, dont tous ont pu constater la rigidité en 1990, lors du projet de réforme constitutionnelle connu sous le nom d’« Accord du lac Meech ». La Cour a laissé toutefois ouverte la possibilité qu’à l’avenir il serait dans l’intérêt national canadien qu’une ou quelques provinces qui ne sont pas parties à l’accord politique, ou qui y sont parties mais reviennent ensuite sur leurs positions, ne puissent bloquer sa mise en œuvre. Contrairement à une demande pressante du Procureur général du Canada dans sa plaidoirie et son mémoire, la Cour suprême a en effet refusé d’exiger que l’une ou l’autre des procédures issues du processus contesté de « rapatriement » de la Constitution de 1981-82 s’applique à un accord politique issu de l’obligation constitutionnelle de négocier, peut-être parce que l’une des causes justifiables de la sécession éventuelle du Québec pourrait justement être l’illégitimité de ce processus et des procédures de modification qu’il a mises en place de manière durable [60] . Il serait incongru que le peuple québécois, avant de sortir du Canada, soit soumis à une procédure de modification de la Constitution qu’il n’a jamais acceptée et qui constitue l’un de ses griefs importants à l’endroit de la fédération canadienne.

La Cour n’a cependant pas limité la portée de l’obligation constitutionnelle de négocier au seul cas de la sécession d’une province :

(par. 88) « La tentative légitime, par un participant de la Confédération, de modifier la Constitution a pour corollaire l’obligation faite à toutes les parties de venir à la table des négociations. »[61]

D’ailleurs, on peut soutenir que cette obligation existe dans un tout autre contexte, celui de l’art. 35 L.C. 1982; les peuples autochtones qui revendiquent la reconnaissance de leurs droits ancestraux ne peuvent se voir refuser la négociation par le gouvernement fédéral, sur qui incombe une obligation fiduciaire de nature constitutionnelle à leur égard, découlant du principe du respect de l’honneur de la Couronne. Cette obligation fiduciaire (qui s’applique sans doute aux provinces également dans la mesure où leurs compétences sont en cause) compte plusieurs volets, dont l’obligation de négocier avec les peuples autochtones qui réclament le respect de leurs droits constitutionnels. Un accord issu de telles négociations n’est pas sujet aux procédures de modification de la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. S’il constitue un traité ou un accord sur des revendications territoriales, il est directement constitutionnalisé par l’art. 35, sans l’intervention de provinces autres que celles qui pourraient y avoir participé, ou sans l’intervention d’aucune province, si l’accord a eu lieu entre le peuple autochtone concerné et le gouvernement canadien.

Le cas de l’art. 35 montre bien que l’obligation constitutionnelle de négocier peut apparaître dans un contexte de modification de la Constitution qui ne conduit pas à la sécession. De même, dans le Renvoi sur la sécession, la Cour suprême fait voir que des revendications constitutionnelles provinciales découlant d’un acte politique originel incontestable peuvent déclencher l’obligation de négocier, quel que soit l’objet de ces revendications. Les provinces doivent logiquement bénéficier au moins des mêmes facilités que les peuples autochtones dans le processus de modification de la Constitution dans des circonstances qui soulèvent des questions vitales pour elles. Si, dans des circonstances exceptionnelles, les peuples autochtones peuvent bénéficier d’une procédure de modification bilatérale dont les provinces sont exclues, les provinces canadiennes, et plus particulièrement le Québec en raison de sa spécificité historique et culturelle, doivent également avoir accès à une procédure de modification de la Constitution qui pourrait être bilatérale. Le gouvernement canadien pourrait alors agir au nom de l’ensemble de la fédération et négocier les termes d’une nouvelle relation constitutionnelle avec le Québec. Il serait souhaitable que les autres provinces apportent leur concours politique et juridique à cette nouvelle relation, mais celui-ci ne serait pas requis par la Constitution.

Le dénominateur commun de ces circonstances exceptionnelles, pour les autochtones comme pour les provinces, est l’obligation constitutionnelle de négocier. Une fois cette obligation suscitée, et satisfaite au moyen d’un accord politique, la Constitution canadienne exige désormais que cet accord soit respecté. Elle assure son respect en la constitutionnalisant immédiatement et directement. Si les procédures de modification de la Loi constitutionnelle de 1982 demeurent ouvertes, elle ne devraient plus être nécessaires dans de telles conditions.

Dans le cas des provinces, l’acte politique privilégié qui déclenche l’obligation constitutionnelle de négocier est le référendum. La Cour suprême n’a pas exclu que des actes d’une autre nature puissent être posés et produire les mêmes effets juridiques : on pense par exemple à une résolution unanime d’une législature provinciale. L’essentiel pour le plus haut tribunal est l’expression nette et sans ambiguïté de la volonté du peuple québécois (ou de la population provinciale).

Les termes du débat ne portent pas ici sur l’ampleur statistique du résultat référendaire, mais sur l’interprétation politique que l’on en fait. Le référendum demeure, malgré toutes ces lacunes, le meilleur moyen d’aboutir à une interprétation politique la plus répandue, et à un résultat pouvant peser le plus efficacement sur la suite des choses. Dans le cas du Québec, il opposerait la légitimité du processus démocratique à l’illégitimité de la Loi constitutionnelle de 1982, qui a été imposée par la nation canadienne à la nation québécoise reconnue par la Chambre des Communes en décembre 2006.

Un référendum portant sur un projet de Constitution du Québec pourrait comporter des dispositions abolissant la monarchie canado-britannique au Québec, et la transformation de la province de Québec en république associée du Québec. (On sait qu’en Europe les États fédérés prennent parfois le nom de républiques). Le lieutenant-gouverneur pourrait être remplacé par un gouverneur (ou un président), qui pourrait être élu au suffrage universel ou choisi par l’Assemblée nationale. Les fonctions de ce nouveau chef de l’État pourraient être strictement protocolaires si l’on désire conserver le régime parlementaire actuel. Les compétences de l’Assemblée nationale ne seraient pas nécessairement modifiées davantage; elles pourraient continuer à être régies par la Loi constitutionnelle de 1867, telle qu’elle existe actuellement.

L’approbation par le peuple québécois du projet de Constitution du Québec déclencherait l’obligation constitutionnelle de négocier du Canada (entendu au sens de gouvernement canadien et des provinces désirant s’associer au processus). Ces négociations auraient pour but de donner suite à la volonté du peuple québécois, comme la Cour suprême l’a indiqué pour le cas de sécession. Si des négociations aboutissaient à un accord, celui-ci serait, selon notre interprétation, ipso facto constitutionnalisé, et les limites actuelles de la légalité canadienne auraient reculé.

Qu’arriverait-il si aucun accord politique ne pouvait être négocié ? Pour répondre à cette question, il faut examiner de plus près la nature juridique de l’obligation de négocier.

b. Le contenu et la portée de l’obligation constitutionnelle de négocier 

L’obligation de négocier est issue de la « rule of law », ou principe de la primauté du droit sur le fait politique. Il découle également des autres principes structurels de la Constitution canadienne que la Cour suprême a analysés dans le Renvoi, dont le principe fédératif et le principe démocratique. Ces principes sont des règles fondamentales de la Constitution, des normes non inscrites dans le texte de la Constitution qui en constituent le fondement implicite et nécessaire, selon la Cour [62]. Ils font partie de la « common law » constitutionnelle, dont ils forment certains des principaux éléments. Ils s’imposent aux dispositions écrites de la Constitution, car celles-ci ne sont que des illustrations non exhaustives de ces principes constitutionnels.

C’est dire que l’obligation de négocier est une règle « méta-constitutionnelle », qui s’impose aux acteurs politiques lorsque le consentement démocratique à des éléments fondamentaux de la Constitution est en jeu, ce consentement des partenaires de la fédération étant considéré comme une condition essentielle au maintien de la Constitution.

L’obligation de négocier, si elle a une fonction normative comme les principes structurels dont elle découle, a ceci de commun avec les conventions constitutionnelles que sa sanction ne peut être que politique. Les conventions constitutionnelles, pour leur part, ne sont pas des normes; ce sont des règles constitutionnelles de nature politique dont l’existence ou la violation peut être constatée par les tribunaux, mais dont la sanction est purement politique. Au contraire, l’obligation constitutionnelle de négocier est une norme qui lie juridiquement les acteurs politiques. Lorsqu’elle est mise en marche, ils sont légalement tenus de prendre part à des négociations qui ont pour raison d’être de donner suite à la volonté du peuple ou de la population concerné. Cette obligation juridique est une obligation de moyens. Les parties ne sont pas légalement tenues d’arriver au résultat escompté [63].

La sanction de l’échec d’une telle démarche est politique, ce qui signifie que des actes politiques unilatéraux plus poussés que l’acte originel ayant déclenché l’obligation de négocier pourraient être admis par le droit canadien ou le droit international [64]. Dans le contexte de la sécession, un tel acte pourrait être une déclaration unilatérale d’indépendance, suivi d’une éventuelle reconnaissance internationale [65].L’échec de négociations menées de bonne foi par le gouvernement du Québec sur l’abolition de la monarchie l’autoriserait, sur le plan politique, à chercher d’autres moyens de donner suite à la volonté du peuple québécois. Par exemple, une loi pourrait être adoptée pour donner la primauté à la Constitution du Québec sur la Constitution du Canada, malgré le fait que le Québec continuerait de faire partie de la fédération canadienne.

Dans le cas qui nous occupe, l’échec des négociations constitutionnelles pourrait donner lieu à l’adoption par l’Assemblée nationale du Québec d’une Constitution du Québec qui ferait explicitement et délibérément primer la volonté du peuple québécois sur les limites de la légalité canadienne. Un tribunal constitutionnel pourrait être mis en place à la même occasion par l’Assemblée nationale. Ainsi, la légalité québécoise pourrait se prévaloir des possibilités offertes par le droit canadien pour affirmer de façon définitive son caractère irréductible et distinct, quelle que soit l’évolution ultérieure du statut du Québec. Du même coup, un précédent majeur aurait été établi permettant de contourner l’effet stérilisateur de la Loi constitutionnelle de 1982, et de réconcilier les choix fondamentaux du peuple québécois avec une légalité légitime, qui reposera sur son consentement et sur son identité.

Après avoir offert de bonne foi au Canada de concilier les légalités québécoise et canadienne, cette affirmation de la légalité québécoise fondée sur le principe démocratique serait difficile à contester. Une contestation judiciaire d’une telle loi pourrait se retourner contre ses auteurs et accélérer l’évolution du statut politique du Québec puisque les tribunaux, on l’a vu, ne veulent pas être saisis des effets politiques de l’obligation de négocier.

4. La démarche proposée 

La démarche proposée pour abolir la monarchie au Québec peut comprendre plusieurs variantes. Nous esquissons une telle démarche afin de clarifier notre propos tout en sachant que d’autres moyens légitimes, et peut-être efficaces, pourront être retenus.

a. L’adoption d’un projet de Constitution du Québec par l’Assemblée nationale et par le peuple québécois 

Si ce projet outrepasse le cadre étroit de la compétence exclusive actuelle de l’Assemblée nationale sur la constitution interne de la province, notamment en proposant l’abolition de la fonction de lieutenant-gouverneur qui serait remplacé par un président du Québec désigné par l’Assemblée nationale ou élu au suffrage universel, des négociations en vue de modifier la Constitution canadienne seront nécessaires. La simple adoption du projet de constitution du Québec par l’Assemblée nationale suffirait, selon nous, à déclencher l’obligation de négocier fédérale et canadienne. Cependant, l’approbation du projet par voie de référendum aurait davantage de poids politique et enclencherait plus fermement l’obligation de négocier. Un tel projet ne comporterait pas à ce stade une modification du partage des compétences établi en 1867. Il pourrait comporter une modification de la désignation officielle du Québec. Au lieu d’être une « province », le Québec pourrait être désigné comme « la République fédérée (ou associée) du Québec ». La monarchie constitutionnelle pourrait continuer d’exister ailleurs au Canada même si elle était abolie au Québec.

b. Les négociations avec le Canada et les autres provinces peuvent être fructueuses ou non

Si elles aboutissent, les Constitutions du Canada et du Québec seront modifiées simultanément, et la Constitution du Québec sera enfin partiellement codifiée. Si elles ne débouchent pas sur un accord, l’Assemblée nationale pourrait passer à l’étape suivante.

c. Après un délai raisonnable permettant au Canada de reconsidérer sa position, l’Assemblée nationale pourrait adopter une loi constitutionnelle établissant la primauté de la Constitution du Québec sur celle du Canada, et sa compétence exclusive sur la modification de la Constitution du Québec. Une telle loi pourrait aussi exiger de tous les juges siégeant au Québec un serment d’allégeance à la Constitution du Québec. Elle pourrait également faire l’objet d’un second référendum afin de sceller ce débat. Si le peuple québécois donnait à nouveau son appui au projet, de nouvelles négociations avec le Canada ne seraient pas nécessaires.

Pour l’avenir, la voie serait ouverte vers la souveraineté, mais pas nécessairement…

 


[1]  [1998] 2 R.C.S. 217.

[2]  Loi modifiant la Loi concernant le gouverneur général, L.C. 1985, chap. 48.

[3]  M. A. Banks, « If the Queen Were to Abdicate : Procedure Under Canada’s Constitution », [1990] XXVIII Alberta Law Review 535.

[4]  Voir plus loin, notes 32 à 35.

[5]  Loi sur les titres royaux, L.R.C. 1985, chap. R-12. Voir également la loi originale, Loi sur la désignation et les titres royaux, 1-2 Eliz. II, chap. 9, ainsi que la version des lois refondues de 1970, Loi sur la désignation et les titres royaux, S.R.C. 1970, chap. R-12.

[6]  Avis sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54; Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; Renvoi : opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 753.

[7]  28-29 Vict., c. 63 (1865).

[8]  Depuis l’Acte d’Union de 1840, adopté à la suite des soulèvements qui avaient eu lieu au Québec (alors connu sous le nom de Bas-Canada) et en Ontario (le Haut-Canada) en 1837-38, ces deux colonies avaient été fusionnées sous le nom de Canada; elles allaient retrouver leur identité avec la Loi constitutionnelle de 1867. Pendant la période de l’Union, le gouvernement responsable, l’un des principaux objectifs des soulèvements parallèles, fut obtenu.

[9]  Voir les articles 58 à 68 de la Loi constitutionnelle de 1867, sur la fonction de lieutenant-gouverneur provincial et sa relation avec celle de gouverneur général du Canada.

[10] Traité définitif de paix et d’amitié entre Sa Majesté Britannique, le Roi Très Chrétien et le Roy d’Espagne signé à Paris le 10 février 1763, 1 Martens (I) 104, 105.

[11] Le titre fut ajouté par « An Act to enable Her most Gracious Majesty to make an addition to the Royal Style and Titles appertaining to the Imperial Crown of the United Kingdom and its Dependencies », 38 Vict., c. 10 (1876). Cette loi précise dans son préambule que les titres de la Reine au moment de son accession étaient : « Victoria, by the Grace of God of the United Kingdom of Great Britain and Ireland Queen, Defender of the Faith. » Le préambule ajoute que ces titres provenaient de la proclamation royale émise conformément à l’Acte d’Union de la Grande -Bretagne et d’Irlande de 1801, sous le règne de George III. C’est à ce moment que les titres de Roy de France et d’Électeur du Saint Empire furent abandonnés.

[12] Royal Titles Act, 1901, 1 Edw. 7, c.15.

[13] Royal and Parliamentary Titles Act, 17 Geo. 5, c. 4 (R.-U.).

[14] L’Irlande avait obtenu l’autonomie interne en 1921, et le statut d’État souverain au même titre que le Canada dans la période cruciale de 1926 à 1931. Elle adopta une nouvelle constitution en 1937, qui instaura un régime présidentiel tout en maintenant un lien ambigu avec la Couronne relativement aux relations extérieures. La rupture avec le Royaume-Uni fut consommée par sa neutralité au cours de la seconde guerre mondiale et son retrait du Commonwealth au moment où elle se proclama plus clairement une république en 1949.Ce retrait, après celui de la Birmanie en 1947, apporta une réponse définitive à la question de savoir s’il était possible de procéder à une sécession unilatérale de ce que plusieurs appelaient encore l’Empire. En 1949, une loi britannique reconnut l’indépendance irlandaise, qui était en réalité un fait accompli : Ireland Act, 1949, 12 & 13 Geo VI, ch. 41 (R.-U.).

[15] Halsbury’s Laws of England, 4e éd., vol. 12(1) Londres, Butterworths, 1998, « Crown and Royal Family », para. 9, p.6.

[16] Re : Offshore Mineral Rights of British Columbia, [1967] R.C.S. 792, 816. Jusqu’en 1967, les jugements de la Cour suprême pouvaient être rédigés en français ou en anglais, mais ils n’étaient pas traduits dans l’autre langue officielle.

[17] Le chef de l’Opposition à Ottawa, R.B. Bennett, avait souligné l’importance fatidique pour l’Empire de l’établissement d’une représentation diplomatique distincte du Canada à Washington en 1927, car cela consacrait selon lui la « doctrine de la séparation », et Sa Majesté le Roi George V aurait eu le souffle coupé la même année en apprenant que le gouvernement canadien avait aussi une telle intention à l’égard de la France et du Japon : N. Mansergh, <<The Commonwealth at the Queen’s Accession>>, (1953) 29 International Affairs 277, 277-278.

[18] Foreign and Commonwealth Office, The Commonwealth Yearbook 1989, London, Her Majesty’s Stationery Office, 4; H. Brun et G. Tremblay, Droit constitutionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 4e éd., 2002, 74.

[19] L’article 2 du Canada Act (ou Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)) est clair : << 2. Les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni après l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle ne font pas partie du droit du Canada. » A cette occasion, le gouvernement canadien a obtenu que le Parlement britannique légifère en français et en anglais, l’annexe A du Canada Act étant la version française de la loi et l’annexe B étant la Loi constitutionnelle de 1982 rédigée dans les deux langues officielles du Canada. Une simple loi britannique a servi pour une dernière fois de loi constitutionnelle pour le Canada.

[20] La déclaration de guerre canadienne fut, pour la première fois, émise par le gouverneur général et contre-signée par le premier ministre du Canada : D.P. O’Connell, « The Crown in the British Commonwealth », (1957) 6 Int. and Comp. L.Q. 103, 116.

[21] Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, c. 15.

[22] Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada, L.R.C. 1985, app., no. 31 (1947); Thomas M. Franck, « The Governor General and the Head of State Functions », (1954) 32 Rev. B. Can. 1084; Brun et Tremblay, op. cit., 77; les mêmes auteurs, à la p. 75, soulignent l’abandon d’une autre pratique constitutionnelle pourtant exigée par la lettre de l’article 56 de la Loi constitutionnelle de 1867, l’envoi à Londres de copies des lois canadiennes.

[23] Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême, S.C. 1949, c. 37, art. 3.

[24] Version française non officielle établie par l’Imprimeur de la Reine pour le Canada, L.R.C. 1985, app. II, no. 27. Cette traduction, qui n’a qu’une valeur documentaire (ibid., app. II, p. iii), contient deux erreurs regrettables : elle traduit Commonwealth par Communauté, ce qui n’est plus d’usage (et ne l’a sans doute jamais été), et surtout Royal Style and Titles par Titre royal et Titres, ce qui est une source de confusion que le législateur fédéral a évitée lui-même en 1952, en employant l’expression plus appropriée de Désignation et titres royaux. Le préambule fait allusion aux principales lois britanniques sur la monarchie alors en vigueur.

[25] Le terme original est established, ce qui encore une fois paraît plus sobre et plus indiqué.

[26] Foreign and Commonwealth Office, The Commonwealth Yearbook 1989, déjà cité, 4; voir ausssi India (Consequential Provision) Act, 1949, 12, 13 et 14 Geo. 6, c. 92 (R.U.).

[27] Site Internet du Secrétariat du Commonwealth, www.thecommonwealth.org, rubrique Head of the Commonwealth. Il peut même arriver qu’un État membre du Commonwealth ait à la tête de l’État un autre souverain qu’Élizabeth II, qui demeure chef du Commonwealth pour cet État. Des monarchies distinctes peuvent coexister au sein du Commonwealth. Il en est ainsi pour le royaume de Tonga (population : 100,000 personnes), dans l’océan Pacifique, qui a accédé à l’indépendance en 1970 et qui est membre du Commonwealth. Trente-et-un membres du Commonwealth sont des républiques; six autres ont leurs propres monarchies, d’après l’encyclopédie Internet Wikipedia, en.wikipedia.org, sous la rubrique Commonwealth of Nations. Ces monarchies sont le Brunei, le Lesotho, la Malaisie, le Samoa, le Swaziland et le Tonga.

[28] Johanesson c. Rural Municipality of West St. Paul, [1952] 1 R.C.S. 292 (aéronautique); Avis sur la Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; R. c. Crown Zellerbach, [1988] 1 R.C.S. 401 (pollution en mer); Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations du travail), [1993] 3 R.C.S. 327 (énergie atomique). Voir également M. A. Banks, déjà citée, 539.

[29] S.A. De Smith, « The Royal Style and Titles », (1953) 2 Int. and Comp L.Q. 263,274; D.P. O’Connell, déjà cité, 124.

[30] D. P. O’Connell, « The Crown in the British Commonwealth », déjà cité, 103.

[31] The Queen v. The Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [1981] 4 C.N.L.R. 86.

[32] Halsbury’s Laws of England, 4e éd., Londres, Butterworths, 1974, vol. 8, « Constitutional Law », para. 851, p.562.

[33] Royal Titles Act 1953, art. 1 (R.-U); S.A. de Smith, déjà cité, 268-270.

[34]Gazette du Canada, Partie I, 9 janvier 1952, 322 (proclamation du juge en chef à la Cour suprême du Canada, qui en qualité d’Administrateur du Gouvernement, remplaçait le gouverneur général lors de l’accession au trône d’Élizabeth II); Gazette du Canada, Partie I, 6 juin 1953, 1674 (couronnement). 

[35] Voir la jurisprudence citée plus haut, à la note 6.

[36] Nous distinguons ici les lois canadiennes directement relatives à la monarchie de celles qui en régissent certaines modalités juridiques, telles que la Loi sur le décès du souverain, L.R.C. 1927, c. 146, qui maintenait les fonctionnaires en postes et les procédures judiciaires en cours malgré le décès du souverain régnant, contrairement à la common law issue d’un autre âge.

[37] Loi sur la modification de la loi concernant la succession au trône, 1 Geo. VI, chap. 16 (Can.).

[38] His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, 1 Edw. 8, chap. 3 (R.-U.). La loi canadienne citée à la note précédente confère à cette loi britannique un titre officiel en français : Loi sur la déclaration d’abdication de Sa Majesté (1936).

[39] Cet arrêté-en-conseil est reproduit dans les Débats de la chambre des Communes, Canada, 2e session, 18e Parlement (1937), 41.

[40] Débats de la Chambre des Communes, déjà cité, 67-68.

[41] Loi de 1947 sur les titres royaux (Canada), 11 George VI, chap. 72.

[42] Indian Independence Act, 1947, chap. 30, art. 7(2) (R.-U.)

[43] K.C. Wheare, The Constitutional Structure of the Commonwealth, Oxford, Clarendon Press, 1960, 165-166.

[44] Loi sur la désignation et les titres royaux, déjà citée, sanctionnée le 11 février 1953.

[45]       Halsbury’s Laws of England, vol. 8, « Constitutional Law », déjà cité, para. 870, note 5, p.574.

[46]       Id., para. 847, p.560.

[47]       Débats de la Chambre des Communes, Canada, 3 février 1953, 1664-1665.

[48]       « Monarchy must change to survive », The Independent, 15 juillet 2003, citant les recommandations d’un rapport intitulé « The Future of the Monarchy », rédigé par une commission de 10 membres mise sur pied par un prestigieux « Think Tank » britannique, la Fabian Society.

[49]       Débats de la Chambre des Communes, Canada, 3 février 1953, 1664.

[50]       L’Inde ne voulut ainsi donner aucune reconnaissance juridique à la désignation d’Élizabeth II dans son droit interne : K.C. Wheare, déjà cité, 158-159. Le Royaume-Uni avait déjà adopté une loi qui reconnaissait l’Inde en qualité de première république à faire partie du Commonwealth : India (Consequential Provision) Act, 1949, déjà citée.

[51]        L.R.Q., c. C-12.

[52]        L.R.Q., c. C-11.

[53]        L.Q. 2000, c. 46.

[54]        Procureur général du Québec c. Blaikie, [1979] 2 R.C.S. 1016.

[55]        OPSEU c. Ontario, [1987] 2 R.C.S. 2.

[56]       Id., para. 108 à 111.

[57]        Re Initiative and Referendum Act, [1919] A.C. 935.

[58]        Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.

[59]       Déjà cité, note 1 (ci-après le « Renvoi »). L’auteur a fait partie de l’équipe de l’amicus curiae désignée par la Cour suprême dans le Renvoi.

[60]      Renvoi, par. 105.

[61]       Renvoi, par. 88.

[62]       Renvoi, par. 51.

[63]       Renvoi, par. 95 à 97.

[64]       Renvoi, par. 100 à 102.

[65]       Renvoi, par. 103.