Laïcité et démocratie. Mémoire sur le projet de loi 21

La Ligue d’Action nationale et la revue L’Action nationale accordent leur appui au projet de loi 21.

Voilà plus de dix ans que les débats autour de la laïcité de l’État du Québec s’enlisent dans des arguties innombrables où les sophismes s’ajoutent aux injures pour empoisonner la vie de la nation et brouiller les esprits. L’affrontement des points de vue n’a pas donné les progrès qu’on aurait été en droit d’attendre d’un débat démocratique sain et responsable. Il faut souhaiter que la présente commission permette au moins de donner au Québec une base fiable pour continuer d’avancer dans la reconfiguration des institutions rendue nécessaire aussi bien par les limites du régime qui l’enferme dans une constitution qu’il n’a pas choisie que par les transformations sociales et culturelles du temps présent.

1. Le bien-fondé du recours à la clause dérogatoire

À notre avis, le projet de loi21 constitue un premier pas dans la bonne direction. Il faudra dans un proche avenir le parfaire, l’enrichir et le compléter par des dispositions que la période de cinq ans que le gouvernement envisage de se donner pour le mettre à l’abri des manœuvres de déconstruction permettra de mieux circonscrire. Nous tenons à saluer la clairvoyance de faire valoir la clause dérogatoire pour en faciliter la mise en œuvre.

Cette disposition est prévue dans la constitution canadienne et fait partie des instruments à la portée de l’Assemblée nationale pour faire valoir sa souveraineté et lui permettre de placer ses décisions dans le droit prolongement de la légitimité qui lui vient du peuple. Il faut rappeler ici que cette constitution, le Québec ne l’a jamais ratifiée même s’il a choisi de la respecter jusqu’au jour où il saura, espérons-nous, s’en affranchir. Ce dispositif constitutionnel, ce sont les premiers ministres des provinces de l’Ouest qui l’ont arraché au gouvernement Trudeau en échange d’un appui à son coup de force. Les fédéralistes qui dénoncent ce recours ont la mémoire aussi courte que sélective. Cette clause a été utilisée à de nombreuses reprises au cours des dernières décennies et elle doit s’appliquer à la future loi.

Dans les faits, il serait souhaitable que le gouvernement fasse comme le gouvernement de René Lévesque et qu’il place l’ensemble de ses décisions législatives sous cette même clause dérogatoire. Cela lui permettra, pour un temps du moins, de mieux faire valoir la souveraineté de l’Assemblée nationale.

Nous nous attendons à ce que les parlementaires québécois se rallient devant la nécessité de ce recours à la clause dérogatoire. Après tout, c’est par pur respect pour la charge et le poste qu’ils occupent qu’ils devraient le faire : la Charte canadienne est un instrument conçu pour confisquer leur travail de représentants du peuple, pour réduire les pouvoirs de l’Assemblée nationale. Cela a été fait pour combattre d’abord la construction du Québec français, mais cela concerne fondamentalement notre droit à l’autodétermination. Nous ne pouvons concevoir que des élus choisis par le peuple québécois consentent à laisser les tribunaux canadiens se placer au-dessus de sa volonté. Les parlementaires québécois doivent assumer pleinement la responsabilité qui est la leur de représenter la nation, d’en faire valoir et défendre les choix de son Assemblée nationale, seule et ultime source de la légitimité de la commission devant laquelle nous témoignons aujourd’hui même.

Il ne faut pas se faire d’illusions, sitôt adopté le projet de loi21 va subir les assauts constants du gouvernement fédéral et de nombreux acteurs s’en réclamant. Les déclarations ne manquent pas dans l’actualité récente pour annoncer une guérilla juridique sans merci.

2. Le nécessaire enrichissement de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne

Autant il importe de soustraire le projet de loi21 au juridisme intempestif des défenseurs d’une Charte canadienne que nous tenons comme une entrave à la volonté du peuple québécois, autant nous appuyons l’amendement proposé à la Charte québécoise des droits de la personne. Y introduire la laïcité comme un principe et une valeur cardinale de notre vie collective et poser une balise essentielle à l’organisation des droits constituent un indéniable enrichissement. La Charte est un document qui doit être conçu et traité comme une pièce en évolution, susceptible de connaître des amendements justifiés par les transformations des mentalités et l’évolution de la société et dictés par la volonté des élus. Il faut le redire, la Charte québécoise tire sa légitimité de l’exercice solennel de la délibération démocratique de l’Assemblée nationale qui trouve son fondement dans l’autorité du peuple québécois et de lui seul. Il faut l’affirmer.

Dans le débat, ceux-là qui trouvent inopportun ou mal fondé le choix de l’amender ne doivent pas tout confondre. Tant que le Québec n’a pas de constitution et tant qu’il n’y a pas de procédure d’amendement de la Charte définie selon des modalités qui pourraient différer, c’est par la volonté de l’Assemblée nationale que cette procédure doit passer. Le gouvernement légitimement élu a donc toute la latitude requise pour agir.

3. Le conflit des légitimités

Il y a aura contestation de la loi, c’est une certitude. Et cette contestation illustrera de façon exemplaire le conflit des légitimités. Les tenants du multiculturalisme le clament sur tous les tons. Le projet de loi21 s’attaque aux fondements d’une doctrine d’État sur laquelle le Canada a fondé la légitimité qu’il s’est donnée avec la constitution de 1982. C’est une doctrine qui nie l’existence de la nation québécoise, une doctrine qui a spécifiquement été adoptée pour en empêcher la reconnaissance. La nation québécoise y est ravalée au rang de communauté ethnique dans une prétendue mosaïque canadienne où les valeurs et les principes la régissant ont été définis sans son consentement et aux fins explicites d’en circonscrire l’expression.

Le multiculturalisme constitue une matrice d’intégration à la citoyenneté dont le Canada s’est fait une identité et, à entendre ses chantres les plus lyriques, un objet de vantardise post-moderne. C’est un paradoxe qui ne cesse d’étonner : voilà un pays qui se vante de n’avoir pas de culture de convergence, d’accueillir toutes les identités dans un bricolage permanent d’arrangements à la pièce et qui brandit l’exercice comme un étendard, comme le signe distinctif de son identité par rapport aux autres nations. Que le tout soit placé sous le signe de la monarchie et sacralisé par une Charte canadienne imposée et interprétée dans un texte constitutionnel dont il n’existe pas de version française officielle dans un État qui se dit pourtant officiellement bilingue, cela ne fait qu’expliquer le déchaînement des passions. Le Canada tient à ses institutions, il tient à cette charte et s’en fait une composante identitaire forte. On comprend dès lors que le débat n’est pas d’abord une affaire de désaccord sur la conception de la laïcité et de ses modalités d’expression. C’est le Canada qui s’en fait un combat identitaire.

Nous en faisons pour notre part un conflit de légitimité.

Le choix du Québec, le choix de son gouvernement, c’est celui de définir les caractéristiques de son État dans une tout autre logique et en référence à une souveraineté du peuple qui ne se trouve pas au cœur du régime monarchique et des institutions charpentées par cette constitution que nous considérons illégitime. Le projet de loi21 trouve son fondement et son inspiration dans une philosophie politique et un horizon institutionnel fort éloignés du monarchisme canadien et des mentalités qui s’en accommodent.

4. Une conception républicaine de la laïcité

Hors du multiculturalisme et de son communautarisme, le projet de loi21 se découpe sur un horizon philosophique qui pense les rapports entre l’État et les religions dans un arrangement radicalement différent de celui qui prévaut dans l’univers juridique et intellectuel du monarchisme anglo-saxon prévalant au Canada. La conception de la laïcité sous-jacente au projet de loi plonge ses racines loin dans l’histoire des idées et s’inspire en particulier de la tradition française dans laquelle le siècle des Lumières a réfléchi aux rapports entre l’État et les religions. C’est un projet de loi qui procède d’une conception républicaine de la démocratie.

Cette conception doit prévaloir puisqu’elle est en parfaite résonance avec ce que les Québécois attendent et conçoivent de l’autorité de leur Assemblée nationale. La laïcité, en régime démocratique, fait valoir le primat du gouvernement des hommes sur les aspirations et les préceptes religieux.

Les progrès de la raison au siècle des Lumières ont permis de renverser l’hégémonie des religions sur les sociétés. C’est au peuple qu’au terme de débats qui furent souvent sanglants, que la conception républicaine de la démocratie confie le pouvoir de faire les lois. Les croyances et les recours aux autorités célestes ont progressivement été évincés de la sphère politique (pas de la société, tant s’en faut) et la démocratie a institué de nouvelles règles de gouvernement fondées sur l’égalité des citoyens et sur la liberté de penser. L’idée de laïcité s’est progressivement imposée pour instituer la séparation entre l’Église et l’État et empêcher les religions de mettre les ressources des États au service de leurs ambitions prosélytes. Le principe de souveraineté a aussi institué le citoyen comme source du pouvoir et, en lui garantissant la liberté de conscience et d’expression, elle lui a aussi assuré la liberté du culte.

Dans une société démocratique, personne n’est obligé de se soumettre aux dogmes des religions et tous peuvent exercer leur liberté de les critiquer. Les principes de souveraineté du peuple et de la laïcité non seulement pacifient les relations entre les religions et leur permettent de vivre dans la concorde, mais ils libèrent aussi l’individu de l’obligation de croire en un dieu. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire et l’État doit respecter la liberté des uns et des autres. La laïcité ne s’oppose pas aux religions, mais elle reconnaît l’obligation, au nom du respect de la liberté de tous, de distinguer entre la sphère publique et la sphère privée ainsi que l’obligation de chacun de réserver sa pratique de la religion à la sphère privée. Elle instaure un espace où les conflits de croyances et les contradictions entre les divers préceptes de bonne vie sont contenus et, autant que possible, neutralisés. C’est la condition essentielle du vivre ensemble démocratique où chacun est responsable du bien commun.

La laïcité est consubstantielle de l’esprit républicain, car elle rend possible au-delà des différentes croyances religieuses la participation à la chose publique. Elle implique que les facteurs de divisions que sont les différences de croyances ne sont pas un obstacle à la coopération pour le bien commun. Si la conviction personnelle peut s’exprimer dans la vie privée, elle ne peut s’affirmer dans la sphère publique, car dès lors, elle entrerait en conflit avec les convictions des autres et entraverait la construction du bien commun. Devant la diversité des croyances, la seule façon de rendre le vivre ensemble constructif est de respecter toutes les différences, de les neutraliser en les reléguant à la vie privée.

Le communautarisme vise à faire cohabiter et contenir les éventuels conflits de normes et de valeurs dans un cadre en perpétuelle mouvance et dont l’évolution est dictée par les rapports de force entre les communautés. Les accommodements – fussent-ils qualifiés de raisonnables – ne sont jamais que temporaires, chaque communauté cherchant à « sanctuariser » son espace social et à utiliser les droits formels définis, par exemple, dans une Charte des droits pour fixer ses règles de cohabitation et d’expansion. Le monde commun n’est plus un monde construit sur la volonté de partager une vision et des valeurs, mais bien plutôt sur une espèce de compromis précaire de valeurs en concurrence. Dans ce montage, les tenants d’un ensemble de valeurs (religieuses, idéologiques, etc.) cherchent moins à bâtir ensemble qu’à configurer un ensemble de règles d’ingénierie sociale pour pouvoir vivre à sa guise dans son monde, à l’abri ou à l’écart de celui du voisin.

Le communautarisme ne définit pas du lien social en dehors de son monde, il juxtapose des communautés selon des règles de minimisation de la présence de l’Autre. C’est une idéologie de la fermeture dont l’argument rhétorique est celui du respect de la différence, mais qui, dans les faits, cherche plutôt à construire non pas la nation, mais un immense système d’évitement. L’État du multiculturalisme n’est pas celui du citoyen, c’est celui du prosélytisme et des divers moyens de contrôle social auxquels il doit son existence et son efficacité.

5. Les codes de conduite de base dans un État laïque

Vouloir afficher sa croyance religieuse lorsqu’on est au service de l’État contrevient à l’esprit républicain et met en cause le principe de neutralité de ceux qui exercent le pouvoir au nom de l’ensemble des citoyens. Servir dans la fonction publique implique des devoirs, dont celui de ne pas exprimer de préférences quant à ses croyances politiques et religieuses. Ceux qui veulent à tout prix afficher leur foi dans l’exercice de fonctions publiques disent alors clairement qu’ils refusent de se soumettre au devoir de réserve et qu’ils accordent plus de valeur à leur appartenance religieuse qu’à leur appartenance à la collectivité, qu’ils privilégient le particulier au détriment de l’intérêt général. Ils indiquent qu’ils se soumettent à l’autorité de leur dieu avant de servir l’autorité du peuple, qu’ils préfèrent obéir à leur religion plutôt que de respecter la souveraineté du peuple.

L’affichage ostentatoire de sa religion signifie qu’on refuse de reconnaître que la Res Publica est plus importante que les religions. C’est un geste d’auto-exclusion de la communauté politique. C’est affirmer son allégeance à une autorité supérieure qui transcende la communauté des citoyens. C’est un choix respectable, mais un choix dont les critères de référence ne sont pas ceux de tous les citoyens, mais seulement ceux de la communauté des croyants. On comprend que celui-ci puisse avoir un sens dans l’organisation et la conduite de la vie privée et des choix intimes, mais cela n’est pas compatible avec l’organisation des normes de conciliation civique.

Plus les sociétés sont diversifiées, plus la laïcité s’impose comme une nécessité incontournable pour assurer la concorde et la liberté des citoyens. La liberté religieuse doit être respectée, mais pas au détriment de la liberté des autres croyances et de celle des non-croyants. Tout citoyen a le droit de recevoir des services publics dans la sérénité sans être obligé de s’exposer à des croyances qu’il ne partage pas. La religion ne doit pas interférer dans les choses de la Cité. Si le principe de transcendance était accepté dans les institutions politiques, cela rendrait impossible l’existence d’une communauté politique qui s’effriterait sous la rivalité des communautarismes exacerbés. C’est par l’exclusion des revendications religieuses de la place publique que peut se construire la paix sociale. Les intérêts particuliers doivent être harnachés par l’intérêt général.

Le Québec est une société pluraliste et c’est ce trait même de son existence nationale qui rend nécessaire la laïcité de son État. Le projet de loi 21 répond à cette nécessité. Il y répond à la fois en se raccordant avec son histoire et en s’inscrivant dans les exigences du présent.

6. Continuité historique et volonté d’achèvement

Le Québec a été pendant longtemps soumis à la domination du colonialisme britannique et de son alliée l’Église catholique. Rappelons ici que la laïcité fut au cœur du projet de libération nationale des Patriotes. La déclaration d’indépendance de 1838 prévoyait la dissolution des liens entre l’Église et l’État comme condition indispensable pour garantir la liberté de religion. Mais, ce mouvement d’émancipation nationale fut bloqué par l’alliance du sabre et du goupillon qui nous a maintenus collectivement par la force des armes dans la dépendance politique et condamnés au sous-développement économique. Au fil des décennies, les conditions de cette alliance ont évolué et des forces diverses ont pu lentement desserrer l’étau. Ces forces ne sont pas seulement venues des rangs des non-croyants.

De l’intérieur même de l’Église, des progressistes ont lutté pour contribuer à l’instauration d’un espace laïque et pour faire assumer par l’État du Québec des responsabilités jusque-là assumées par l’Église. Cette sécularisation a permis de faire cesser la confusion des pouvoirs temporel et spirituel. Les services publics ont été déconfessionnalisés, nombre de signes religieux ont été retirés des écoles et des hôpitaux. Plus récemment les commissions scolaires elles-mêmes ont été déconfessionnalisées. L’Église catholique québécoise a reconnu les vertus de la laïcité, elle a accepté la séparation du religieux et du politique et, depuis la Révolution tranquille, elle s’en tient à une saine neutralité. Mais toutes les religions n’ont pas abandonné leurs prétentions à se manifester dans le cadre de l’État, à vouloir, par exemple, faire valoir dans l’ordre juridique la notion de blasphème.

Nul ne peut nier que l’Église et le catholicisme ont profondément marqué non seulement la culture, mais aussi toute l’architecture institutionnelle de la société québécoise. Il est heureux que le projet de loi le reconnaisse en maintenant son héritage dans la toponymie et le patrimoine.

Nous saluons l’initiative du gouvernement de retirer le crucifix de l’Assemblée nationale, cela lève une partie de la confusion entre le temporel et le spirituel. Il faudrait néanmoins qu’il fasse preuve de plus de cohérence en retirant les symboles de la couronne britannique qui reposent et entretiennent cette confusion. La reine d’Angleterre et du Canada est un chef religieux. Il faudra donner à l’Église anglicane le même traitement que celui qui sera fait au crucifix.

Il faut désormais compléter les efforts de décléricalisation et le processus de sécularisation en affirmant solennellement la laïcité de l’État. Le gouvernement actuel du Québec renoue avec la tradition laïque du mouvement patriote, et l’adoption de la loi 21 constitue indéniablement un moment et un geste traduisant une volonté d’achèvement qui portera le Québec plus loin dans sa volonté de bien maîtriser les outils du développement des nations modernes.

Les débats ont fait une large place à la question des signes religieux, négligeant à tort, et bien souvent à dessein, de voir que derrière le code vestimentaire se profile une conception de l’État. L’État laïc ne mobilise pas des fonctionnaires comme une entreprise de service recrute des professionnels et des techniciens. Le fonctionnaire, recruté pour ses compétences, certes, n’agit pas d’abord comme pourvoyeur de ces compétences, mais bien comme mandataire de l’État pour les exercer. Le code vestimentaire qu’on requiert de lui ne se justifie pas d’abord pour des raisons d’image ou des motifs de sécurité : ce code est l’instrument et l’expression du devoir de réserve associé à sa charge de mandataire. Et ce devoir de réserve découle directement des principes de neutralité de l’État mandant.

En interdisant les signes d’appartenance religieuse dans l’exercice des fonctions de l’État, le projet de loi 21 trouve une application cohérente de ce principe de neutralité au cœur des relations qu’il se définit avec les religions. Cette loi est respectueuse de l’évolution de la société québécoise et ceux qui la combattent en invoquant frauduleusement la liberté de religion manifestent leur refus de participer à la construction d’un État en phase avec les réalités du monde contemporain. Les dispositions de la loi respectent le libre arbitre. Les croyances religieuses ne sont ni interdites ni hiérarchisées dans leur rapport avec l’État et les institutions. Il ne faut pas confondre le dogme auquel le croyant a toute liberté d’adhérer ou non (ce qui fait l’essentiel de la liberté de religion) avec les modalités de publicité de l’exercice d’adhésion : le code vestimentaire ne fait que restreindre pendant les heures de travail les modalités de l’expression et non de la croyance.

Des voies d’amélioration

Le projet de loi 21 doit être accepté, pensons-nous. Divers amendements pourraient également être apportés. Parmi ceux-là, nous voulons pointer en particulier les éléments suivants :

Ajouter : CONSIDÉRANT que l’État du Québec entend reconnaître la laïcité comme caractéristique fondamentale du régime politique fondé sur l’autorité du peuple

Article 5 : Il faut changer l’article, car c’est aux représentants du peuple de définir les paramètres dans lesquels les lois sont appliquées.

Personnes visées par l’interdiction de porter un signe religieux dans l’exercice de leur fonction (articles 6,14 et 27). Il faut étendre l’interdiction à toute personne qui, dans le cadre scolaire, interagit avec les enfants. L’enseignant n’est pas le seul à agir auprès des élèves. Il faut que l’école soit un domaine complètement neutre. Les professionnels qui complètent le travail de l’enseignant ne peuvent être soumis à une norme différente.

Article 8 : il faut modifier l’article : l’obligation d’agir à visage découvert pour donner ou recevoir un service doit s’appliquer en toute circonstance et non pas seulement « lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de son identité ou pour des motifs de sécurité ». Une tenue vestimentaire cachant le visage est une pratique qui va à l’encontre du principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

Il faut ajouter un article interdisant les prescriptions religieuses alimentaires dans la prestation des services offerts dans l’école et dans les diverses institutions visées par le projet de loi. Rien n’empêche que des choix soient offerts, mais en aucune manière les prescriptions religieuses ne doivent devenir une norme.

7. Ce qu’il reste à faire

Ce projet de loi, avons-nous dit, constitue un pas dans la bonne direction. Mais il reste beaucoup de chemin à parcourir pour faire de l’État du Québec un état pleinement laïque. Pour ne mentionner que deux domaines où des actions majeures sont à entreprendre et qui auraient dû se retrouver dans une loi sur la laïcité de l’État, pointons :

Le financement des écoles confessionnelles. L’État ne devrait pas financer les écoles confessionnelles. Comme il s’agit d’écoles privées, il faudra trouver les modalités de découplage du statut et des activités confessionnels du statut d’école privée admissible à du financement public. Les mesures requises devraient elles-mêmes être considérées comme transitoires, le temps qu’une réforme complète soit mise en œuvre pour que l’État du Québec se retire du financement des écoles privées selon un calendrier de désengagement réaliste.

L’abolition du cours Éthique et culture religieuse. Ce programme érige le multiculturalisme en horizon de civilisation et idéal indépassable à moins de céder aux démons de l’intolérance. Il constitue en cela une véritable courroie de transmission de l’idéologie et de la doctrine d’État canadiennes. La propagande n’a pas sa place dans l’école. Il faut remplacer ce cours par un cours d’éducation civique qui familiarisera les enfants avec le rôle de citoyens, avec les grandes institutions et les repères de l’organisation de la vie collective.

L’entretien et la responsabilité des édifices et monuments religieux patrimoniaux. Le Québec est riche d’un immense ensemble de complexes architecturaux, de monuments et de sites qui sont autant de signes de son passé religieux et de manifestations qui ont nourri et nourrissent aussi bien son histoire de l’art que ses paysages. Il est établi depuis nombre d’années que l’Église québécoise n’a plus les moyens d’entretenir de tels immeubles et lieux de culte et qu’il faudra une vigoureuse politique du patrimoine pour assumer un aussi riche héritage.

La justice fiscale. La discussion sur la laïcité s’est enlisée depuis trop d’années dans un débat sans doute important, mais qui n’a pas la portée que devrait avoir la fiscalité comme moyens de compléter la séparation de l’Église et de l’État. On a traité la religion uniquement en fonction de sa présence symbolique dans l’espace public et non pas comme une institution qui bénéficie de privilèges économiques qui sont refusés aux non-croyants. Les religions jouissent d’exemptions fiscales, de crédits d’impôt et de subventions publiques, tant aux niveaux fédéral, provincial que municipal.

Il n’est pas normal que les non-croyants soient obligés de contribuer financièrement par leurs impôts à la propagation de la foi. À la différence des simples propriétaires qui doivent payer leurs taxes scolaires et municipales, les institutions religieuses profitent d’un passe-droit qui les exempte d’avoir à acquitter ces taxes imposées à tous les citoyens. Ainsi, les bâtiments appartenant aux groupes religieux échappent aux taxes sur les premiers 340 000 $ d’évaluation. Cette exemption s’applique aussi bien aux Églises instituées qu’aux petites sectes qui ne regroupent que quelques personnes.

Cette loi, aussi nécessaire, légitime et constructive soit-elle pour le bon fonctionnement de l’État et la construction du bien commun, devra donc dans un proche avenir être bonifiée. Le chantier de la laïcité ne se terminera pas avec son adoption. Ce devrait être un début. Il faudrait cependant être bien candide pour s’imaginer que les choses pourraient se dérouler dans une sérénité relative une fois son adoption réalisée.

Les tenants du multiculturalisme, soutenus ouvertement ou autrement par le gouvernement fédéral, ne manqueront pas de multiplier les recours pour en invalider des dispositions. Ils ne manqueront pas non plus de chercher dans les inévitables imperfections des conditions d’application des matériaux pour tenter d’en discréditer le bien fondé, d’en réduire la portée et d’en saper la légitimité. L’ampleur et la virulence des anathèmes proférés dès le jour où le gouvernement a signifié son intention d’aller de l’avant devraient suffire à convaincre la population québécoise de la nécessité, de l’urgente nécessité de procéder avant que ne se développent et se renforcent autant de tendances malsaines que celles que nous avons malheureusement dû constater et subir. Il faut que ce projet de loi soit adopté pour renforcer la dynamique de construction de la laïcité de l’État du Québec. Il faut cependant s’attendre à ce qu’il soit combattu comme l’est toujours la loi 101, comme l’est la loi 99, comme le seront toujours les lois qui voudront affirmer que la légitimité de nos institutions repose sur l’autorité du peuple et non pas sur une constitution imposée.

La Ligue d’Action nationale et la revue L’Action nationale l’appuient fermement, mais lucidement. Nous savons que sans l’indépendance, jamais le Québec ne pourra se mettre à l’abri du multiculturalisme, que jamais il ne pourra décider de lui-même sans avoir à subir le juridisme de l’illégitime Charte canadienne. Nous appuyons le projet de loi 21 parce qu’il permettra de préciser l’État que nous voulons tout en faisant apparaître les limites que nous impose une constitution qui nous reste étrangère. L’esprit républicain au fondement de la conception québécoise de la laïcité est incompatible avec le régime monarchiste et la sacralisation du multiculturalisme comme doctrines d’État.

Notre destin dans le Canada est celui de devenir une province qui n’aura rien à envier à la tour de Babel. Un État québécois laïc ne sera pleinement réalisable que dans un Québec indépendant.