Le baromètre idéologique. Quelles sont les priorités de Québec solidaire?

La dernière élection québécoise a permis à Québec solidaire de sortir de la marginalité et d’obtenir une représentation dans les principales régions du Québec. Comme ce parti jouera un rôle significatif dans la nouvelle dynamique politique, il est nécessaire de mieux connaître ses positions en dehors des discours tenus en campagne électorale. Quelles sont les priorités de son programme politique ? Comment sont-elles hiérarchisées ? Dans cette chronique, que nous comptons publier trimestriellement, le lecteur pourra à l’aide de ce baromètre suivre l’évolution des orientations préconisées par ce parti.

La dernière élection québécoise a permis à Québec solidaire de sortir de la marginalité et d’obtenir une représentation dans les principales régions du Québec. Comme ce parti jouera un rôle significatif dans la nouvelle dynamique politique, il est nécessaire de mieux connaître ses positions en dehors des discours tenus en campagne électorale. Quelles sont les priorités de son programme politique ? Comment sont-elles hiérarchisées ? Dans cette chronique, que nous comptons publier trimestriellement, le lecteur pourra à l’aide de ce baromètre suivre l’évolution des orientations préconisées par ce parti.

Le meilleur indicateur empirique pour identifier les positionnements idéologiques des partis politiques est l’analyse de leur production discursive diffusée dans l’espace public. À cet égard, nous avons retenu trois types d’intervention de Québec solidaire : deux qui se rattachent à son travail parlementaire où ses députés s’expriment par les questions qu’ils posent au gouvernement et par les déclarations qu’ils font dans les discussions des affaires du jour. Nous avons ajouté à ces deux premiers corpus les communiqués de presse qu’il diffuse quotidiennement et qui reprennent bien souvent les déclarations faites en chambre. Ces messages sont une source fiable des orientations idéologiques parce qu’ils sont entièrement contrôlés par le parti et qu’ils reproduisent la charpente du discours de ses porte-parole. Ils présentent de façon synthétique les thèmes de leurs interventions qui sont ensuite repris par les médias. Comme ils sont publiés très fréquemment, ils permettent aussi de suivre l’évolution dans le temps des orientations d’un parti.

Nous avons retenu dans le corpus parlementaire les interventions faites du 27 novembre au 7 décembre 2018, dates du début de la 42e législature. Nous avons constitué le corpus des communiqués de presse en recensant ceux diffusés sur le site de ce parti à partir de l’assermentation de ses dix députés, soit le 12 octobre 2018, jusqu’au 31 décembre. Nous avons privilégié ce parti parce qu’il a acquis une plus grande crédibilité avec l’élection de 2018 et que certaines de ses orientations ont été questionnées en particulier son récent positionnement indépendantiste. Ce parti a en effet retouché son programme il y a un an pour lui donner une coloration plus indépendantiste et s’est proclamé durant la campagne électorale le seul porteur de ce projet>1. Qu’en est-il dans les faits ? Quelle importance ce parti a-t-il accordée à l’indépendance dans ses prises de position après la campagne électorale ? La promotion de l’indépendance a-t-elle été un feu de paille électoral ?

Pour répondre à ces questions de façon objective, sans parti pris, nous avons utilisé des outils méthodologiques quantitatifs : soit l’analyse de contenu classique et l’analyse lexicométrique.

L’analyse thématique

L’analyse de contenu permet de décrire de façon objective et exhaustive le contenu d’une communication. Sa procédure opératoire consiste à classer les composantes d’un message selon une grille d’analyse ou une série de catégories. Elle repose sur un principe clair : la fréquence est le critère de jugement de l’importance qu’un locuteur accorde à un thème ou un enjeu. Dans cette recherche, nous avons retenu comme unité de comptage la phrase qui est une unité de sens qui offre en plus l’avantage de tenir compte de la complexité d’une communication. Nous avons classé chaque phrase des trois corpus en fonction d’une grille thématique construite à partir de la liste des thèmes qu’utilise Québec solidaire pour classer les informations sur son site internet. Par cette analyse thématique, nous nous proposons de hiérarchiser les enjeux qu’il privilégie (tableau 1).

Tableau 1
Distribution des thèmes traités dans les trois corpus en nombre de phrases

thèmes

communiqués

questions

affaires du jour

Total

N % rang

agriculture

11

0

0

11 0,7 20

cannabis

0

10

1

11 0,7 20

culture

0

0

19

19 1,3 16

économie

31

1

53

85 5,8 5

éducation

58

18

137

280 19,2 1

énergie

11

2

2

15 1,1 17

environnement

84

37

143

264 18,1 2

famille

10

0

3

13 0,9 18

fédéralisme

0

0

6

6 0,6 21

féminisme

12

0

15

27 1,8 13

finances publiques

2

13

1

16 1,1 17

fiscalité

12

0

17

29 2,0 11

Fonction publique

13

0

0

13 0,9 18

immigration

11

15

64

90 6,2 3

indépendance

4

0

23

27 1,8 12

libre-échange

0

0

3

3 0,2 22

logement

16

4

22

42 2,7 7

pauvreté

6

0

15

21 1,4 15

mode de scrutin

7

0

0

7 0,5 21

santé

12

0

47

59 4,0 6

sécurité publique

13

0

0

13 0,9 18

services sociaux

8

1

15

24 1,6 14

transparence

0

0

42

42 2,8 9

transport

7

0

23

30 2,3 11

travail

0

0

13

13 0,9 18

autres

62

3

23

88 6,0 4

inclassables*

25

21

156

202 13,9

total

415

125

914

1454

* Nous avons inclus dans cette catégorie les phrases qui sont reliées au débat parlementaire comme « Merci Monsieur le Président » « C’est la première fois que j’ai l’honneur et aussi le grand plaisir de m’adresser à cette Assemblée » (12 décembre), ou qui décrivent une situation qui n’est pas rattachée à un enjeu politique particulier « Vous avez certainement reconnu le fameux poème de Gérald Godin, un illustre poète de notre nation, qui a siégé en cette Chambre de 1976 à 1994. » (4 décembre)

Cette analyse montre que les discours de QS sont animés par une logique provincialiste et qu’ils ne sortent pratiquement pas des champs de compétence du Québec. C’est l’éducation qui, tout comme dans le discours inaugural prononcé par le premier ministre, arrive en tête des priorités de QS. On s’est attaqué à la réforme des commissions scolaires et à l’abolition de la taxe scolaire, à la question des stages rémunérés des étudiants et aux politiques d’austérité du précédent gouvernement qui avaient affecté la qualité de l’éducation. Le thème de l’environnement couvre le débat sur la lutte aux changements climatiques. QS a dénoncé le manque d’intérêt du gouvernement de la CAQ pour cet enjeu, lui reprochant de l’avoir négligé en campagne électorale et déplorant l’absence du premier ministre à la Conférence de la COP 24 en Pologne. La volonté du gouvernement de réduire le quota des immigrants a aussi soulevé l’ire des députés de QS. Comme c’est le cas depuis des décennies pour tous les partis d’opposition, QS a donné beaucoup d’importance à la santé en dénonçant en particulier l’absence d’une politique de prévention ainsi que le prix des médicaments. La politique du logement a aussi retenu l’attention des députés solidaires.

La promotion de l’indépendance arrive loin dans les priorités discursives de QS, soit au 12e rang. Il y a en fait un seul député qui tient un discours indépendantiste consistant : Sol Zanetti qui cumule à lui seul 20 des 27 phrases consacrées à ce thème. Il annonce clairement la couleur le 29 novembre : « Québec, c’est la capitale de notre futur pays ». Un autre député, soit Alexandre Leduc, se distingue en critiquant le partage des pouvoirs au Canada en particulier en ce qui a trait au Code du travail. Pour les autres porte-parole, la question de l’indépendance est purement anecdotique, ils y réfèrent en passant au détour d’une phrase sans développer d’argumentation : « On croit que l’indépendance se fera avec nos concitoyens et concitoyennes issus de l’immigration » (Fontecilla, 11 novembre).

L’analyse du vocabulaire

À ce premier décryptage du contenu, nous avons ajouté une analyse qui permet de valider statistiquement les conclusions de l’analyse thématique (tableau 2). La statistique lexicale est un outil extrêmement fiable et précis qui ne fait intervenir aucun a priori de la part du chercheur qui n’intervient pas dans le classement des unités dans les diverses catégories d’analyse. C’est un logiciel qui analyse le texte et décrit ses caractéristiques en se référant uniquement à la fréquence des mots. Par exemple, lorsqu’on cherche à établir l’intensité des critiques à l’endroit du parti gouvernemental, on utilise la fréquence d’emploi des vocables qui réfèrent à l’acteur gouvernemental soit : le nom du parti au pouvoir, le nom de son chef ou de ses ministres. En toute logique, si QS évoque le nom de la CAQ ce n’est sans doute pas pour vanter les mérites de ce parti. Nous avons effectué une analyse lexicométrique des trois corpus2.

Tableau 2
Les 10 vocables les plus fréquents dans les trois corpus par catégorie grammaticale

Noms propres

substantifs

adjectifs

verbes

Québec 172

gouvernement 215

climatique 62

être 1184

QS 115

ministre 150

national 62

avoir 779

Legault 49

président 137

public 59

faire 261

CAQ 54

éducation 78

dernier 57

dire 183

Québécois 41

année 75

économique 49

aller 175

Massé 34

projet 67

social 46

pouvoir 138

Dubois 25

service 58

québécois 34

devoir 114

Ghazal 27

école 56

solidaire 32

vouloir 96

Marissal 25

enfant 53

scolaire 29

falloir 73

Montréal 20

changement 51

capable 27

parler 60

L’analyse du choix des mots montre clairement deux lignes d’argumentation dans la production discursive de QS : on y célèbre la performance du parti aux élections en plaçant les références au parti au deuxième rang de la liste des noms propres, ce qui est un fait rare dans les analyses lexicométriques ; ensuite on attaque le gouvernement de la CAQ, cette tension oppositionnelle étant attestée par les emplois très fréquents du nom du premier ministre et de son parti, ainsi que par l’emploi des substantifs «gouvernement» et «ministre». La tension argumentative se manifeste aussi dans l’usage des verbes dire, parler. Emporté par l’enthousiasme de sa performance électorale, QS s’est même proclamé l’opposition officielle, se substituant symboliquement au Parti libéral du Québec. Parmi les porte-parole, on choisit de mettre en valeur quatre députés qui arrivent en têtes de liste des noms propres. On peut aussi observer que les référents identitaires (le nom « Québécois » et l’adjectif « québécois ») sont relégués au milieu de la liste, ce qui est aussi inhabituel dans la communication politique où ils arrivent normalement en tête du classement puisqu’ils désignent le public à qui le locuteur s’adresse.

L’analyse des substantifs et des adjectifs révèle que QS a privilégié quatre thèmes : la lutte au changement climatique, l’éducation, l’immigration et la défense des services publics mis à mal par le précédent gouvernement libéral. L’indépendance apparaît donc comme le parent pauvre de la rhétorique des solidaires qui semblent avoir délégué cette tâche à un seul député, libérant de ce fait les autres membres du caucus pour qu’ils s’occupent pleinement de la gestion provinciale. Prétendre porter la parole indépendantiste et y consacrer moins de 2 % de ses discours, c’est mieux que rien, mais ce n’est pas faire la promotion de l’indépendance. Cela montre tout simplement que l’indépendance n’est pas ce qui compte vraiment pour QS.

 

 


1 Pour mémoire, ce changement à consisté tout simplement à qualifier le projet de constituante de fermée au lieu d’ouverte ce qui impliquait que cette assemblée constituante aurait le mandat de rédiger la constitution du Québec indépendant. Cet ajout, il faut le préciser, n’est aucunement une garantie de résultat puisque la dynamique d’une constituante est imprévisible et que le peuple est souverain : il peut donc décider de faire autre chose le temps venu.

2 Le corpus des communiqués comprend 13 297 mots, celui des questions 7402 et celui des interventions dans les affaires du jour  23 389 pour un total de 43 988 mots.

* Politologue


 

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