Le cowboy qui ne voulait pas être tout seul

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Karl Tremblay est né « dans les années 70 dans un Québec en plein changement où l’emblème de la fleur de lys donnait un peu d’espoir aux gens ». En fait, il est né quelques jours avant l’élection du Parti québécois en 1976. Et il est mort un 15 novembre… C’est dire combien ces quelques rimes célèbres comptent pour comprendre le phénomène des Cowboys fringants.

La mort de l’artiste de 47 ans a bouleversé tout le Québec, mais plus particulièrement les membres de sa cohorte. Celle où se sont trouvés isolés nos enfants dans des familles réduites, souvent séparées et reconstituées, nés dans un creux de natalité et cherchant réconfort dans Passe-Partout. Un de leurs contemporains, le groupe Mes aïeux, celui qui chantait « Ton arrière-arrière-grand-père… », affirmait même : « tu rêves la nuit d’une grande table entourée d’enfants ». Les deux groupes étaient d’ailleurs constitués d’un couple et de proches de la famille.

Au panthéon québécois des artistes morts prématurément, on trouve également André Fortin des Colocs. Certains ont voulu rapprocher les deux artistes à cause des airs joyeux qui accompagnent les sujets tragiques dans leur répertoire. Il faut pourtant bien réaliser que l’un des deux s’est suicidé alors que l’autre s’est battu durant des mois pour vivre encore un peu. À l’opposé de Karl Tremblay, Dédé faisait partie de la cohorte la plus nombreuse du boum des naissances. En même temps que lui, il y avait notamment Jean Leloup et Daniel Bélanger. Lequel au juste les représente ? Le folichon en cavale ou l’ado resté dans son sous-sol ? Parmi ces trois-là, il y a eu différentes façons de réagir au ressac de 1995. Celle, rageuse et crue, de Dédé Fortin. Celle, symbolique, de Jean Leloup qui voulait faire mourir son personnage. Et celle de Daniel Bélanger qui, après cinq ans, publiait un nouvel album : Rêver mieux. On a tout autre chose ici.

C’est autour de l’an 2000 que les Cowboys fringants ont commencé leur carrière. En même temps que Loco locass, groupe radicalement plus politisé. Les deux groupes ont joué ensemble et fraternisaient. Mais en participant honnêtement aux hommages, Biz avouait que la célèbre chanson du drapeau en berne citée plus haut, du lâchement du politique, lui était malaisante. Les Cowboys ont tout de même duré 25 ans dans le cœur des gens alors que la vigoureuse fête politique des Loco pour nous libérer des libéraux n’a pas fait vraiment fait disparaître les inopportuns : ils sont restés sous une forme nouvelle ! Biz reconnaissait aussi que le regard des Cowboys sur leur peuple était devenu plus affectueux avec la maturité. On pourrait ajouter que l’argumentation politique ponctuelle et intellectuelle des Loco fait moins d’écho dans le temps.

Pour expliquer la vague d’affection qui s’est emparée de nous à l’annonce de la mort de Karl Tremblay, il y a cette magie qu’on appelle aussi charisme ou photogénie selon les circonstances. Celle, ici, d’une voix transparente de sincérité. L’engagement réel dans un regroupement de bonne volonté. Dans les faits, les Cowboys fringants se sont impliqués activement dans le domaine de la protection de l’environnement avec la création de la Fondation Cowboys Fringants en 2006. Il faut souligner que la crédibilité de l’opération repose en partie sur l’expertise d’un des membres du groupe, le bassiste titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique et professeur à l’Université de l’Outaouais !

Parlant du Canada, il faut entendre la « Toune d’automne » pour saisir le sentiment qu’il inspire au frère de celle qui en revient :

Comment ça va, ma p’tite sœur ?
Viens que j’te serre dans mes bras
Pis, as-tu r’trouvé l’bonheur
Dans ton trip au Canada ?

Chu fier que tu m’aies pas ramené
Un beau-frère de l’Alberta
Ça m’aurait un peu ébranlé
Jure-moi donc que c’fois-là tu restes à’maison
Pour de bon

Le Canada est donc une place où on s’exile quand on file pas ! En faisant attention au danger de l’assimilation qui guette celui qui se marie en pays conquis et cédé. Et pour se retrouver avec les nôtres après ! Tremblay rassure et promet que la solidarité des proches va tout réparer les drames existentiels.

Un album posthume devrait paraître en avril, mais le dernier succès du groupe, « L’Amérique pleure » émeut particulièrement par la sensibilité qu’il réussit à intégrer dans une description apocalyptique du transport des marchandises. Une chanson qui rend si justement la pauvre condition des citoyens consommateurs du grand empire. La pandémie achevant de nous isoler bêtement, on a même vu une interprétation spectaculaire de la chanson dans un stade absolument vide lors du gala les récompensant à nouveau pour leur apport inestimable à notre culture chansonnière.

De quoi rappeler leur chanson « Plus rien » sur le cataclysme environnemental à venir :

Mon frère est mort hier au milieu du désert
Je suis maintenant le dernier humain de la terre

Cette hantise d’être seul. Ce besoin de fraternité consubstantielle. C’est peut-être ce qui fait que les Cowboys fringant vont durer dans le coeur des gens. Une oeuvre fortement ancrée et universelle qui peut faire chanter en chœur des Français séduits dès les premières notes des « Étoiles filantes » de notre histoire humaine.

En rappelant ainsi le passage du temps et la préoccupation de ce qu’on aura laissé, on voit un peu ce que chacun de nous peut faire pour durer à la manière de ce groupe : en toute solidarité avec son peuple et en s’engageant pour une économie solidaire à construire.

Rédacteur infographiste.

Mars 2024

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Une victoire à la canadienne

Karl Tremblay est né « dans les années 70 dans un Québec en plein changement où l’emblème de la fleur de lys donnait un peu d’espoir aux gens ». En fait, il est né quelques jours avant l’élection du Parti québécois en 1976. Et il est mort un 15 novembre… C’est dire combien ces quelques rimes célèbres comptent pour comprendre le phénomène des Cowboys fringants.

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