Le démantèlement de la nation (chronique 14)

La période couverte s’étend du 26 novembre 2016 au 20 février 20171

Ottawa : un pouvoir colonial

Le Québec, territoire occupé

Lévis. Au motif que l’aéronautique est une compétence fédérale exclusive, la Cour supérieure a invalidé la décision de la Cour municipale de Lévis contre une école de parachutisme construite sans autorisation (6 janv.). Déjà, les villes de Neuville, Saint-Cuthbert et Terrebonne-Mascouche ont vu leurs schémas d’aménagement invalidés par les cours. Il est désormais impossible pour les municipalités et l’État québécois d’aménager le territoire en fonction de leurs priorités.

Pétrole. TransCanada a besoin d’Énergie Est pour exporter le pétrole des sables bitumineux vers l’Inde. Le Québec, « route des Indes » titre Alexandre Shields, pour 1,1 million de barils par jour sur 625 km de notre territoire, sans aucune retombée pour le Québec (1er mars)

Des lois québécoises bonnes seulement pour les indigènes

Les banques. Au terme d’une saga judiciaire qui a duré onze ans, la Cour suprême a précisé que la Loi sur les banques, fédérale, et la Loi québécoise sur la protection du consommateur s’appliquent toutes les deux. Or, les banques, des organismes à charte fédérale, se demandent bien pourquoi elles devraient être soumises aux lois provinciales. Le projet de loi C-29, déposé en nov. 2016 par le gouvernement Trudeau, voulait les en libérer.

Il a fallu une motion unanime de l’Assemblée nationale, la mobilisation de tous les partis d’opposition à la Chambre des Communes, celle de la Chambre des notaires du Québec, la crainte que le Sénat ne retarde l’adoption de la loi et la menace très tardive du gouvernement Couillard de retourner devant la Cour suprême pour faire reculer le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau. Il a toutefois prévenu que ce n’est que partie remise.

À retenir : 1. La volonté du gouvernement fédéral de contourner un jugement de la Cour suprême, pour une fois favorable au Québec. 2. Le mépris du ministre Morneau pour les institutions québécoises : en effet, il ne s’est pas adressé à l’Assemblée nationale, pourtant composée d’élus, mais seulement au Sénat, non élu. 3. L’inaction prolongée à défendre les compétences du Québec par le gouvernement Couillard, à qui l’Assemblée nationale a dû forcer la main. (4, 7, 8, 10 et 13 déc.).

Énergie Est. Malgré tous les délais engendrés par la récusation des commissaires de l’ONE chargés d’étudier ce projet de TransCanada, l’étude d’impact déposée auprès du gouvernement Couillard n’est toujours pas jugée complète (28 janv.). Rappelons que la compagnie prétend qu’étant à charte fédérale, elle n’a pas à se conformer au processus québécois d’évaluation environnementale ; elle le fait simplement par « bonne volonté », et à ses propres conditions, ce que le gouvernement Couillard a accepté !

La mansuétude du vainqueur

« Ottawa finance la mémoire de René Lévesque » (2 mars).

Vers un Canada unitaire

Un État de moins en moins fédéral

Le premier ministre Trudeau ne manque jamais une occasion de délégitimer l’ordre provincial de gouvernement. On en a déjà parlé dans les chroniques précédentes à propos des nouveaux processus de nomination des juges de la Cour suprême et des membres du Sénat. 1. Les Provinces ne participent aucunement à ces nominations, ni par leur premier ministre ni par leur assemblée législative. 2. Elles ne sont pas non plus officiellement consultées. 3. Les comités chargés de recommander des candidatures au premier ministre sont formés : sans consultation des provinces pour celui qui concerne la Cour suprême, et d’une majorité de représentants fédéraux pour celui qui concerne le Sénat (censé être une chambre des régions).

Alors que le Règlement sur les langues officielles est en voie d’être modifié, aucune précision n’a été donnée sur la manière dont les provinces et territoires seront consultés. Les Canadiens, individuellement, ont pu répondre à une consultation en ligne.

Parenthèse sur la gouvernance fédérale actuelle

La réforme électorale promise et abandonnée. La décision était prévisible. Mais notons plutôt le processus. 1. Le rapport du comité multipartite est rejeté par le gouvernement. 2. Trudeau préfère cette fois encore sonder directement les Canadiens : pas les institutions parlementaires, pas les partis politiques fédéraux, pas les groupes spécialisés dans les questions électorales, tous organes qui représentent légitimement les citoyens. Non, Trudeau veut l’avis des individus canadiens, atomisés, chacun dans son logement. Il lance un sondage en ligne, si mal fait et peu fiable qu’il s’attire la critique de toutes parts (6 déc.). 3. Ce sondage n’ayant pas dégagé de « consensus » dans le sens souhaité par le gouvernement, celui-ci se dégage de sa promesse (2 févr.).

Empiétements du gouvernement fédéral dans les compétences des provinces

Ces empiétements se font par trois moyens.

Utilisation des compétences fédérales exclusives

Aide à mourir. Pour respecter la compétence québécoise en santé tout en donnant suite à sa volonté de faciliter l’aide médicale à mourir, le gouvernement Trudeau n’aurait eu qu’à décriminaliser celle-ci. Mais cela aurait signifié son retrait d’un débat social de grande ampleur. Pourquoi se priver d’utiliser sa juridiction sur le droit criminel pour obtenir la prépondérance de sa loi sur la loi québécoise ? L’immixtion fédérale entraîne une telle confusion des normes que six ordres professionnels demandent désormais un renvoi en Cour d’appel pour savoir à quoi s’en tenir (6 et 14 déc.).

Utilisation des compétences partagées

La constitutionnaliste Andrée Lajoie a montré en 2005 que la constitution de 1982 a transformé en compétences partagées plusieurs compétences relevant autrefois exclusivement des provinces2. C’est notamment le cas pour l’environnement et pour la santé. En matière de santé, la constitution de 1982 a donc avalisé les empiétements fédéraux à répétition depuis 1918. Il reste que l’administration des soins de santé est encore une compétence provinciale, dans laquelle pourtant le fédéral s’immisce toujours plus profondément.

Ottawa fixe unilatéralement le montant des transferts en santé et impose ses conditions. Ce qui était déjà inacceptable quand il assumait la moitié de la facture totale est devenu odieux depuis qu’il n’en paie plus que 23 %. Si les provinces veulent un peu plus, elles devront dépenser en santé mentale et en soins à domicile. Sans avoir été consultées sur ces priorités ni avoir la garantie d’un financement à long terme. À peine formé, le front commun des provinces s’est effrité. Le ministre Gaétan Barrette crie au « fédéralisme prédateur » (17 déc.) et « veut rallier les Québécois contre Ottawa » (18 janv.). Mais le premier ministre Couillard ne bronche pas. Il n’exige ni la hausse des transferts ni la fin des diktats fédéraux. Et évidemment, il ne réclame pas le retour au Québec de la capacité fiscale nécessaire pour que notre État puisse assumer sa compétence constitutionnelle (plusieurs dates en déc. ; 19 févr.).

Par ailleurs, la Loi canadienne sur la santé interdit les frais accessoires. Il est déplorable que l’avocat Jean-Pierre Ménard ait légitimé cette loi fédérale dans une juridiction qui n’est pas la sienne plutôt que d’avoir travaillé à faire lever un vaste mouvement social au Québec contre ces frais abusifs (30 déc., 12 et 20 janv.).

Utilisation du pouvoir de dépenser

Ottawa a le pouvoir et les moyens de dépenser dans des domaines de compétence provinciale exclusive. Selon le constitutionnaliste Benoît Pelletier, le pouvoir fédéral de dépenser ne s’exerce presque plus dans l’ancienne forme de programmes cofinancés dont le crédit retombait essentiellement sur le gouvernement provincial et qui laissaient à celui-ci toute capacité de légiférer sans contrainte. Il prend désormais des formes qui assurent à Ottawa la plus grande visibilité et le plus grand pouvoir d’influence. La péréquation, d’une part ; mais surtout deux formes qui font absolument fi des pouvoirs des provinces : les transferts en bloc assortis de conditions, ainsi que les transferts directs aux personnes, aux municipalités et aux organismes, c’est-à-dire sans passer par le gouvernement provincial de qui ces individus et collectivités dépendent pourtant (10 déc.). De plus, Ottawa fixe unilatéralement le montant et la durée de ces transferts. Le fédéral déstructure ainsi la capacité des provinces d’élaborer des stratégies de développement cohérentes dans les secteurs qui sont de leur compétence constitutionnelle exclusive.

Garderies. Formation de la main-d’œuvre. Le Conseil consultatif sur la croissance économique soutient que la croissance à long terme de l’économie canadienne dépend entre autres d’un programme « national » de garderies pour que les femmes participent davantage au marché du travail et de nouveaux investissements dans la formation de la main d’œuvre (7 févr.).

Culture. Le Québec n’a aucune maîtrise sur les politiques de communications, et il dépend du fédéral pour les questions relevant du droit d’auteur. De moins en moins inhibé de montrer qu’il fait une priorité de la culture, le gouvernement fédéral a publié récemment sa première Politique culturelle officielle. Selon Jacques Laflamme, ancien sous-ministre de la Culture à Québec, « celle-ci va encadrer l’action du gouvernement du Québec en culture, alimenter les dédoublements d’intervention et favoriser les incohérences dans les actions » des deux ordres de gouvernement (4 janv.). C’est déjà commencé dans le secteur du numérique, où Ottawa investit bien davantage que Québec (14 et 22 déc.).

Logement social. Le Québec a été obligé pendant des années d’investir selon les priorités fédérales. Puis, Ottawa s’est retiré du financement, mais sans rendre au Québec les ressources pour assumer sa responsabilité constitutionnelle. Conséquence : selon le FRAPRU, le retrait d’Ottawa en 1994 a privé le Québec de plus de 69 000 logements sociaux depuis 22 ans (17 déc.).

Éducation. Le programme de prêts et bourses québécois est désormais financé en partie par le fédéral. Son autonomie est donc compromise alors qu’il est l’un des plus avantageux au pays (16 déc.). / Le fédéral, par le biais du programme d’infrastructures, investit aussi dans la rénovation et l’agrandissement du parc immobilier des cégeps et des universités. Évidemment les écoles primaires et secondaires veulent elles aussi cet argent fédéral (18 déc.). Or l’éducation est probablement la compétence exclusive la plus essentielle pour la préservation de la nation québécoise. Pour l’instant, c’est du béton ; à quand l’intervention fédérale dans les programmes scolaires ?

Infrastructures. Le Sénat recommande à Ottawa de ne plus se préoccuper du tout des provinces et de s’entendre directement avec les municipalités. Il recommande qu’Infrastructure Canada devienne un guichet unique et l’unique interlocuteur des municipalités. D’ailleurs le ministre, Amajeet Sohi, annonce que le plan fédéral en infrastructure sera élaboré de concert avec les municipalités et les parlementaires (1er mars).

Sous-investissement fédéral dans les secteurs relevant de sa compétence

En revanche, le gouvernement fédéral se déleste de ses propres responsabilités :

Transport ferroviaire. Les Méganticois attendront au moins jusqu’en 2023 la voie de contournement, le premier ministre Trudeau ne s’étant engagé à rien lors de sa rencontre avec le maire Jean-Guy Cloutier (19 janv.).

Assurance-emploi. Plusieurs centrales syndicales et des organismes de défense des chômeurs exigent la réforme du Tribunal de la sécurité sociale, une promesse électorale que le gouvernement Trudeau ne semble pas pressé de remplir. Actuellement des milliers de chômeurs ne contestent pas les décisions du Tribunal qui leur sont défavorables tant la procédure pour ce faire est longue et compliquée (12 déc.).

OTAN. Le Canada est en queue de peloton pour la part de son PIB (moins de 1 %) consacré à l’OTAN. Cet organisme demande aux États membres de contribuer à hauteur de 2 % (1er mars).

« One country, one nation »

La nation québécoise n’existe pas

Pas de droit à l’autodétermination. Le gouvernement fédéral s’est associé à l’ancien chef du Parti égalité pour faire invalider la loi 99 qui affirme l’existence juridique du peuple québécois et son droit à l’autodétermination. Ottawa soutient que cette loi soit n’a pas de sens sur le plan juridique, soit est inconstitutionnelle. Les indépendantistes ont demandé en vain au premier ministre Trudeau d’abandonner cette contestation juridique. Le premier ministre Couillard, lui, « refuse de blâmer » le gouvernement fédéral (18 janv.). Le procès doit avoir lieu en mars.

Pas de voix distincte à l’international. C’est la France et le Québec qui ont bâti l’Organisation internationale de la Francophonie. Ottawa a toujours cherché à entraver la présence directe de l’État ou Gouvernement du Québec dans le monde. Au récent Sommet de Madagascar, le premier ministre Couillard a accepté que le statut particulier du Québec, déjà dilué par la présence du Nouveau-Brunswick depuis 1977, le soit encore plus par l’admission de l’Ontario. De gouvernement participant, le Québec ne sera bientôt plus qu’une simple province canadienne parmi d’autres à l’OIF (Michel Leclerc, 23 nov.).

Le français au fédéral, une langue de seconde zone

Bureau de la traduction. Il sera revalorisé. Après les graves compressions des conservateurs, les libéraux de Trudeau réaffirment le statut du français… comme langue de traduction (10 févr.). / D’ailleurs le gouvernement fédéral refuse de donner un coup de pouce aux Franco-Ontariens et Franco-Ottaviens qui souhaiteraient que la ville d’Ottawa devienne officiellement bilingue, ce qu’elle refuse net depuis toujours (22 déc.). / Pendant ce temps, la moitié des 80 villes québécoises bilingues conservent leur statut malgré la baisse de leur population anglophone sous le seuil requis. Mais évidemment, c’est le Québec qui se distingue par ses lois linguistiques « arrogantes et racistes » : des députés conservateurs (y compris québécois) se sont opposés à ce que le Parlement fédéral proteste contre ces propos haineux parus dans le Washington Post (4 févr.).

Programme de contestation judiciaire. Il faut croire que le gouvernement fédéral connaît la mauvaise volonté des ministères et organismes fédéraux, des sociétés de la Couronne telles VIA Rail et Air Canada, et celle des provinces puisqu’il rétablit ce programme aboli en 2006 puis partiellement restauré en 2008.

Cependant : 1. Pour les causes linguistiques, le budget réservé est désormais de 1,5 million $ contre 2,8 millions $ il y a onze ans. 2. Pour éviter de marquer symboliquement le caractère bilingue du pays, le programme est élargi à des contestations en vertu d’autres droits garantis par la Charte (8 févr.).

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Recensements. Selon Statistique Canada, la population de langue maternelle française dans les provinces anglophones aura quasiment disparu en 2036 (2,7 %), et celle de première langue officielle parlée aura diminué considérablement (26 janv.). Parmi les facteurs explicatifs : les recensements. Ceux-ci ne posent pas les questions qu’il faudrait sur la langue des parents, qui permettraient d’identifier les enfants ayant droit à l’école française. Entre la moitié et les trois quarts d’entre eux échappent donc au recensement, dispensant ainsi les provinces de créer des écoles françaises (collectif de juristes, 29 janv.).

Nouvelle-Écosse. En abolissant trois circonscriptions majoritairement acadiennes en 2012, le gouvtrouvernement néo-écossais a violé les droits constitutionnels des Acadiens, a statué la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse (25 janv.). Encore une lutte que les Acadiens ont dû mener pour avoir le droit de vivre.

Premières Nations et Inuits : un changement plus apparent que réel ?

Femmes autochtones. La Commission d’enquête fédérale sur les causes systémiques des violences faites aux femmes et aux filles autochtones ne dispose que d’un mandat très court (8 févr.).

Police. Le gouvernement Trudeau refuse de rétablir la contribution fédérale au programme des Services de police des Premières Nations, gelée sous celui d’Harper (24 nov.).

Protection de la jeunesse. Le sous-financement par le fédéral des services dispensés par le Québec pour la protection des jeunes Inuits explique que tant d’entre eux soient placés par la DPJ dans des familles blanches du sud plutôt que suivis dans leur milieu (http://www.fil-information.gouv.qc.ca/Pages/Article.aspx?idArticle=2401265637 ; 26 janv.).

Éducation. Ottawa continue de ne financer l’éducation des élèves autochtones qu’à une fraction du financement québécois pour celle des non-autochtones (7 déc.).

Le gouvernement fédéral nuit aux fondamentaux de l’économie québécoise

Rentable, le fédéralisme ?

Bombardier. Tout ça pour ça ? L’aide fédérale à Bombardier prendra la forme d’un prêt remboursable de 372 millions $, dont les deux tiers soutiendront le développement d’un nouvel avion construit… en Ontario. Par ailleurs, le gouvernement fédéral refuse toujours que les avions de la Série-C atterrissent à l’aéroport Billy-Bishop, ce qui aurait été une autre façon de soutenir Bombardier. Et après ça, il y en a au Canada anglais qui, comme toujours, considèrent qu’Ottawa en donne encore trop au Québec ! Bay Street voulait que Bombardier abandonne le contrôle de l’entreprise, la famille Beaudoin a refusé, voilà le résultat (8 et 9 févr.).

Bois d’œuvre. Depuis 2006, le Québec a réformé son régime forestier pour le rendre conforme aux critères de libre marché, et similaire à celui de plusieurs États américains (26 nov. et 3 fév.). Mais comme les États-Unis ont choisi d’examiner les régimes forestiers non par province, mais plutôt par entreprise, les entreprises québécoises risquent de payer pour l’inaction relative des entreprises britanno-colombiennes. Les taux compensateurs seront déterminés pour chaque entreprise et la moyenne sera ensuite appliquée à tout le monde. Ottawa ne demande pas aux États-Unis un régime spécifique pour les entreprises québécoises, qui ont déjà fait tout l’effort d’ajustement. Et même si Québec a engagé un expert américain qui fera rapport au département du Commerce (3 févr.), le premier ministre Couillard n’est pas à la table pour défendre les intérêts du Québec. / En outre, contrairement à Québec, Ottawa ne s’est pas engagé à offrir des garanties de prêts aux entreprises pour les aider à faire face aux poursuites des États-Unis (29 nov., 9 déc., 11 fév.).

Gestion de l’offre. Agropur craint que dans la renégociation de l’ALÉNA, le fédéral soit tenté d’utiliser la gestion de l’offre dans le secteur laitier comme monnaie d’échange. Le traité de libre-échange avec l’Union européenne lui a laissé un mauvais souvenir (10 févr.).

Le Québec, une province à qui le fédéral retourne une partie moindre qu’ailleurs des impôts qu’il y prélève. Selon une étude de l’Institut de la statistique du Québec, les Québécois sont sous-représentés dans le décile supérieur des revenus au pays (8 févr.). / Comme les crédits d’impôts fédéraux bénéficient surtout aux plus riches, les Québécois se trouvent donc, en proportion, davantage privés de cet argent fédéral (6 déc.) / Le Québec touche par ailleurs par habitant moins de péréquation au Canada que quatre autres provinces, tout en bénéficiant peu des investissements fédéraux dans son économie (3 févr.).

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L’« effet libéral » dans l’économie québécoise

Effet mitigé sur la croissance

Produit intérieur brut et exportations. Le PIB du Québec a progressé de 1,8 % entre janv. et novembre 2016 (24 févr.). C’est un peu plus qu’au Canada (1,4 % pour 2016 au complet, 3 mars). En revanche, pour 2016, les exportations ont baissé de 2,4 % au Québec par rapport à 2015, contre une hausse de 1 % au Canada (1er mars). À cause notamment des aléas reliés à l’éventuelle renégociation de l’ALÉNA, les économistes prévoient une faible croissance pour les prochaines années (17 déc. et 26 janv.).

Emploi : mauvaise performance

La promesse électorale de 2014 : créer 250 000 emplois en cinq ans. En juin 2016, dans un article très fouillé publié dans L’Actualité, l’économiste Pierre Fortin a estimé que la tendance de la création d’emploi au Québec depuis avril 2014 (25 mois) se situait entre 44 et 58 000 emplois. Si la tendance se maintient, il y aura donc seulement entre 105 600 et 138 200 emplois créés en cinq ans. Il conclut : « Cela confirme ce que tous les analystes compétents et honnêtes savent très bien : la promesse d’une création de 250 000 emplois en cinq ans est impossible à tenir. Le contexte économique et démographique très lent où évolue présentement le Québec l’interdit. »

Les chiffres pour 2016. Il y a eu variation de 89 500 emplois en 2016. C’est le chiffre que veut retenir le ministre Leitao. Mais cette variation se traduit en une création nette de seulement 36 100 emplois selon l’ISQ (7 janv.). Bref, on est loin des 50 000. Et c’est censé être une bonne année ! En outre, selon la CIBC, 66 % des travailleurs québécois travaillent désormais à bas salaires, le plus fort taux au pays (2 févr.).

Les prévisions pour 2017. La Banque Royale, le Mouvement Desjardins et CIBC préviennent qu’il ne faut pas attendre pour 2017 une croissance de l’emploi comparable à celle de 2016 (17 déc. et 2 févr.). On s’attend à une variation de seulement 40 000 emplois (4 févr.), on peut donc imaginer une création nette en forte baisse.

À Davos, le premier ministre Couillard n’a pu obtenir aucun engagement de création d’emplois, les multinationales sollicitées se sont simplement engagées à maintenir ceux qui existent (21 janv.).

Des seuils d’immigration beaucoup trop élevés. L’anémie en matière de création nette d’emplois et l’appauvrissement des travailleurs québécois n’empêchent pas le gouvernement d’accueillir chaque année des contingents d’immigrants bien supérieurs à la capacité du marché du travail. Ce n’est pas avant tout la faute de la fermeture présumée des Québécois si les immigrants s’y insèrent peu. C’est que l’économie ne peut soutenir autant d’arrivées. Pourtant, la Fédération des chambres de commerce, qui bénéficie de l’oreille attentive de la ministre Kathleen Weil, veut encore plus d’immigrants et dit que les exigences en matière de connaissance du français éliminent des candidats de qualité (9 févr.). Quand on connaît par ailleurs les compressions imposées par le gouvernement Couillard dans la francisation en entreprise, on ne peut qu’être inquiet de la position de cette fédération.

Soutien au revenu hors emploi : en baisse

Aide sociale. Il n’y a jamais eu aussi peu de bénéficiaires de l’aide sociale depuis 40 ans (23 déc.). Un des facteurs explicatifs est le vieillissement : les assistés vieillissent, ils quittent l’aide sociale pour toucher la pension de vieillesse (23 déc.). Par ailleurs, énormes compressions dans le soutien aux nouveaux jeunes assistés sociaux.

Régie des rentes. Depuis leur création, le Régime des rentes du Québec et le Régime de pensions du Canada sont harmonisés. Pour éviter d’augmenter les cotisations, le ministre Leitao voudrait que les futurs retraités québécois soient désormais moins bien couverts que les Canadiens. En plus de ne hausser les prestations qu’à la marge, il souhaite augmenter l’âge de la retraite, diminuer l’indexation et réduire la rente au conjoint survivant (Serge Cadieux, 19 déc.). Mais si le régime québécois devient moins avantageux, les salariés relevant de la compétence fédérale et même les autres désireront cotiser au RPC, ce qui affaiblira le RRQ, un outil capital pour le développement du Québec.

RRQ et CPE. Le gouvernement Couillard veut délester l’État québécois de sa responsabilité envers certains citoyens pour les refiler au gouvernement fédéral. C’est le cas des retraités pauvres et des parents. Alors qu’Ottawa cherche le moyen de remplacer à terme le Supplément de revenu garanti par une bonification du RPC reposant sur une hausse de cotisations, le ministre Carlos Leitao cherche à éviter toute hausse de celles-ci ; il propose donc à Ottawa de renoncer à son projet et, au contraire, d’admettre davantage de retraités au SRG. Ainsi, certains Québécois actuellement non éligibles pourraient réclamer le supplément fédéral. (19 janv.). / Il en va de même pour les jeunes enfants. En orientant les enfants vers les garderies privées, ce qui rend les parents admissibles au crédit d’impôt fédéral, Québec peut réduire les places dans les CPE sans faire trop de mécontents (Pierre Fortin, 26 nov.). Mais si les CPE coûtent cher au gouvernement du Québec, c’est parce que le fédéral refuse, encore une fois, de retourner à notre État une partie de nos ressources fiscales. Ottawa préfère bien sûr transférer l’argent directement aux parents. Dans ces deux exemples, le gouvernement Couillard fait en sorte qu’Ottawa soit indispensable à encore plus de Québécois, et que ceux-ci voient clairement tout ce que le fédéral fait pour eux.

Des grands projets ruineux pour l’environnement et probablement peu rentables

Réseau électrique métropolitain. Avec l’ajout de trois nouvelles stations, le coût estimé du REM a grimpé à 5,9 milliards $ (7 déc.). Malgré de très nombreuses critiques d’experts (récemment : Marsan, 14 déc.), le premier ministre Couillard a décidé que le projet irait de l’avant coûte que coûte. Quitte à faire fi du BAPE, qui refuse d’émettre un avis favorable tant sur le plan de l’environnement que sur celui de la rentabilité (21 janv.). Du reste, Michael Sabia, président de la Caisse de dépôt estime qu’il est trop tôt pour parler du rendement du REM ! (23 février). L’IRIS soulève une autre question : la Caisse a créé une filiale privée pour le projet du REM. Pour l’instant, cette filiale appartient essentiellement à la Caisse, mais comme toute entreprise privée, elle pourrait éventuellement être vendue (2 mars). Et pas nécessairement à l’État.

Hydro-Québec. Idem pour le projet d’Hydro-Québec d’une ligne Québec–New-Hampshire passant par un milieu protégé. Le BAPE a émis un avis défavorable et s’est interrogé sur sa rentabilité (10 févr.). Le gouvernement du Québec entend-il dilapider entièrement la richesse collective des Québécois ?

Budget : un outil de destruction de l’État québécois

Priver l’État de revenus. Le gouvernement Couillard a exclu que la vente du cannabis récréatif soit monopole public comme celle d’alcool. Or, selon l’IRIS, cette solution ferait gagner à l’État québécois 457 millions $ de redevances dès la première année de la légalisation. La vente et les profits du cannabis iront au secteur privé (14 déc.).

Priver l’État de revenus. À cause du refus d’Ottawa de respecter la compétence en santé du Québec, le gouvernement Couillard s’attend à être privé de 230 millions $ de transferts en santé en 2017. À terme, on parle de 2,5 milliards $ perdus (1er mars). S’il finit par y avoir entente, ce sera aux conditions d’Ottawa. Il aurait vraiment mieux valu, et ce depuis longtemps, exiger le retour de la capacité fiscale du Québec plutôt que de se contenter de réclamer davantage au titre des transferts.

Surplus. Néanmoins, le ministre des Finances, Carlos Leitao, prévoit un surplus de 2,2 milliards $ pour 2016-2017 (15 févr.). L’an dernier, il a été de 3,6 milliards $ avant le versement au Fonds des générations (site de Radio-Canada, chronique de G. Filion, 16 févr.).

Comment cela peut-il se faire ? D’abord, par les compressions. Gérard Filion estime que « les compressions du gouvernement Couillard en santé et services sociaux ainsi qu’en éducation et culture se situent quelque part entre 1,6 milliard et 2,5 milliards $ » depuis 2014 ; en plus, il y a celles dans tous les autres secteurs. L’État québécois se désengage.

Les surplus s’expliquent aussi par l’inaction à laquelle le gouvernement Couillard condamne l’État québécois. Les ressources de l’État sont réservées aux amis des libéraux et aux clientèles fidèles. Elles n’aident d’autres clientèles que si celles-ci, tout en étant peu fidèles, sont néanmoins encore nécessaires pour gagner la prochaine élection.

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’abandon de la réforme de la taxation agricole. Au détriment des agriculteurs, le gouvernement Couillard voulait avantager les municipalités en région, très souvent dirigées par des maires d’allégeance libérale. Mais il a dû céder. La fermeture des sentiers de motoneige aurait compromis la saison touristique. Le risque devenait trop grand de mécontenter non seulement les agriculteurs, mais aussi les restaurateurs, hôteliers, motoneigistes et autres électeurs des régions, qui ne sont pas une clientèle acquise, mais dont le PLQ peut avoir encore besoin pour un temps (23 déc., 4 févr.). La peur de perdre des clientèles électorales encore utiles explique aussi le recul du ministre Léitao sur les crédits d’impôt aux aînés. (18 févr.)

Quelques annonces en culture ou en santé ne contrebalancent pas les milliards de compressions. 3 millions $ pour restaurer du patrimoine religieux, dont le tiers pour la Christ Church Cathedral, et 2,6 millions $ pour le Centre canadien d’architecture (30 nov.) ; 20 millions $ dans la lutte contre l’analphabétisme (4 déc.) contre 94 millions $ à HEC pour construire un nouveau pavillon où on enseignera un programme à 89 000 $ (Michel David, 11 déc.) ; 21 millions $ pour réduire l’attente des diagnostics (1er déc.) ; 100 millions pour rouvrir un petit nombre des lits en CHSLD (8 déc.).

Une activité législative au ralenti

Des réformes au point mort. À peine une dizaine de lois ont été adoptées durant l’automne 2016, contre 17 à l’automne 2015. Surtout, des projets dont on parle depuis plusieurs années n’avancent pas : réforme du droit de la famille, loi sur la métropole, loi sur l’accès à l’information (Antoine Robitaille, 6 déc.). Même la refonte du Code de sécurité routière ne progresse que très peu : les consultations achèvent, mais les propositions viendront à une date indéterminée.

Grève des juristes de l’État. Certes, cette grève qui a duré plus de quatre mois a contribué à ralentir le processus législatif. Des professeurs, tels Patrice Garant et Benoît Pelletier, ont invité le gouvernement à respecter le travail fait par ces avocats et notaires dans le domaine de la justice civile et administrative. Mais le ministre Pierre Moreau a d’abord voulu laisser aller. Une loi spéciale n’était pas envisagée (15 et 16 févr.). Des contrats pour près de 900 millions $ ont été octroyés sans vérification juridique pendant le conflit, dont la moitié sans appel d’offres. C’est peut-être le premier ministre Couillard, voyant qu’il y a désormais moins de profit pour le PLQ que d’inconvénient à tirer de cette grève, qui a demandé au ministre Moreau de préparer une loi spéciale (28 févr.)

Justice. La crise des délais est en partie due aux compressions considérables faites dans le système judiciaire par les gouvernements libéraux depuis une quinzaine d’années (8 déc.).

L’arrêt Jordan décrété par la Cour suprême aurait pu être suspendu par l’utilisation de la clause « nonobstant ». La ministre Stéphanie Vallée a eu l’air réceptive (30 nov.). Mais, comme d’habitude, elle s’est fait replacer assez vite par son patron (1er déc.). 1. Dans un premier temps, les libéraux ont voulu continuer leur stratégie immobiliste : le président Jacques Chagnon, a jugé qu’aucune crise aigüe et soudaine, ni aggravation de crise ne justifiait d’accéder à la demande de l’opposition de tenir un débat d’urgence à l’Assemblée nationale (3 déc.). 2. Parallèlement, des fraudeurs libéraux notoires ont été libérés, emportant leurs secrets avec eux : Luigi Coretti, par exemple, et Christian Blanchet visé par l’UPAC à Mascouche (29 nov.). La liste menaçait d’être très longue. 3. Alors, il a fallu quand même donner l’impression qu’on prenait la situation au sérieux : le gouvernement a débloqué dans la précipitation la somme de 50 millions $, la ministre Vallée a voulu accélérer la nomination des juges quitte à déroger aux recommandations de la commission Bastarache et elle a soumis en catastrophe un plan d’action sur les quatre prochaines années (4, 7 et 8 déc.).

Neutralité religieuse. Voilà un autre dossier qui n’aboutit pas et qui finit par pourrir véritablement l’atmosphère. Le rapport de la commission Bouchard-Taylor a dix ans. Après l’attentat à la mosquée de Québec, les trois partis d’opposition sont prêts à accepter une loi basée sur les recommandations minimales faites à l’époque et à laisser tomber leurs demandes pour une neutralité religieuse plus affirmée. Mais le gouvernement libéral trouve que Bouchard-Taylor, c’est encore trop. Et Charles Taylor qui vient en aide à Philippe Couillard. Alors que fait le premier ministre ? Il repousse encore la discussion sur le projet de loi 62. (Plusieurs dates en févr.). Comme le dit Robert Dutrisac, le premier ministre Couillard n’acceptera rien d’autre que l’ultralibéralisme qui fonde le modèle canadien en matière d’accommodements religieux (16 févr.)

Inaction, attentisme et immobilisme

Sièges sociaux. Aucune des mesures annoncées par le gouvernement Couillard pour protéger les sièges sociaux québécois n’aurait pu bloquer la vente de fleurons comme RONA, St-Hubert ou le Cirque du Soleil (Gérard Bérubé, 23 février).

Loi 101. Comme la Cour d’appel a jugé que les marques de commerce sont de compétence fédérale, le ministre Luc Fortin s’est contenté du nouveau concept de « présence suffisante » pour imposer le moins possible de français dans l’affichage extérieur (24 nov.).

Loi 101. Au congrès de la FTQ qui s’est tenu en novembre, plusieurs syndiqués ont fait connaître leurs difficultés à travailler en français. Le problème vient du peu de pressions gouvernementales sur les entreprises pour qu’elles se francisent et de l’abolition ou réduction des cours de francisation en milieu de travail (30 nov.). De plus, le nouveau programme de francisation dans les centres de formation aux adultes n’est pas accompagné d’un matériel didactique suffisant. Pourtant, cela fait au moins deux ans que la Fédération autonome de l’enseignement prévient Québec d’y penser (19 janv.).

Politique économique internationale. On attend encore du gouvernement Couillard le document promis sur la politique internationale du Québec. La dernière remonte à 2006. Depuis, les libéraux ont tellement coupé dans les ressources du ministère des Relations internationales et de la Francophonie que le Québec est de moins en moins présent dans le monde pour défendre ses intérêts. Il est même prévu que le budget du MRIF diminue encore en 2017-2018. Le gouvernement Couillard laisse le fédéral négocier à la place du Québec dans des domaines aussi importants pour notre économie que le bois d’œuvre ou la gestion de l’offre. Comme l’écrivent Guy Lachapelle et Stéphane Paquin à propos de la renégociation de l’ALENA : « Nous risquons de perdre nos acquis au profit des intérêts électoralistes du Parti libéral du Canada ou devant les pressions de l’industrie automobile de l’Ontario et des pétrolières de l’Ouest » (5 févr.).

Protection du territoire. À peine plus de la moitié de l’objectif de protection du territoire nordique fixé en 2011 pour 2020 a été atteint jusqu’à maintenant. Le ministre de l’Environnement redit sa détermination, mais, selon Nature Québec et la Société pour la nature et les parcs, son ministère ne fait pas ce qu’il faut pour y arriver. L’objectif de protection du milieu marin, fixé à 10 % pour 2020 n’atteint encore pour l’instant que 1,3 % (12 déc.) Et, au sud, le Québec ne compte actuellement que 10 % d’aires protégées alors que le gouvernement avait pris l’engagement d’atteindre 12 % avant la fin de 2015. Il semble d’ailleurs que 69 projets d’aires protégées ne pourront se réaliser parce qu’ils entrent en conflit avec des droits industriels déjà concédés (23 février).

Faune. Une cinquantaine de postes d’agents de la faune ont été abolis depuis 2010. Le ministre Luc Blanchette ne s’en fait pas (27 févr.).

GES. Le Québec est en retard : à peine la moitié de la cible de réduction des GES prévue pour 2020 est atteinte.

Crise de l’eau potable aux îles de la Madeleine. Un bris d’aqueduc majeur y est survenu récemment. La municipalité propose depuis des années des projets d’infrastructures pour régler le problème de l’eau potable. Le gouvernement libéral ne bouge pas (15 févr.).

Femmes autochtones. Cela a pris des mois avant que le gouvernement Couillard se décide à lancer cette commission réclamée par les femmes autochtones pour enquêter sur le traitement que leur réservent des policiers de la SQ. Le premier ministre y était opposé au point de remettre les pouvoirs du Québec au fédéral pour qu’il s’en occupe (16 et 22 déc.).

Commission des droits de la personne et de la jeunesse. Depuis le début de 2016, six des treize membres sont partis, dont le président et la vice-présidente. Aucun n’a été remplacé, ce qui compromet le travail de cette commission. La Ligue des droits et libertés soupçonne le gouvernement de souhaiter l’empêcher d’agir (Filion et Massy, 1er déc.).

Autisme. En février 2016, la ministre Lucie Charlebois a promis 5 millions $ pour un plan d’action. Les familles continuent d’attendre (site de Radio-Canada télé, 16 févr.).

Blocage d’initiatives citoyennes. Après des décennies d’attente, le village de Sainte-Pétronille, à l’ile d’Orléans, a finalement un projet d’usine d’épuration. L’initiative est bloquée par le ministère des Transports (15 janv.). / À Sorel, le ministère de la Santé refuse que l’hôpital achète un appareil médical pourtant entièrement financé par la population (site de Radio-Canada info, 5 févr.).

Ou alors, action contraire à l’intérêt général

Garderies privées. Un modèle des CPE, salué partout dans le monde, a été systématiquement attaqué par les gouvernements libéraux. Il y a des clientèles électorales qu’on fidélise par l’octroi de permis de garderie privée. Rappelons-nous l’affaire Tomassi. Les garderies commerciales ont connu une expansion de plus de 1000 % depuis 2009 tandis que le réseau des CPE stagne. Pourtant, une enquête de l’Institut de la statistique du Québec démontre la qualité très insuffisante des services hors CPE, particulièrement dans les garderies privées non subventionnées (28 nov. ; Brian Myles, 9 janv.).

Promoteurs. Le gouvernement peut déjà dézoner des terres agricoles pour un usage public ou pour satisfaire des promoteurs privés. Mais pour cela, il doit passer publiquement par-dessus les recommandations de la Commission de protection du territoire agricole. Le gouvernement veut en donner davantage aux promoteurs et aux villes et le faire plus discrètement. Sa solution est dans le projet de loi 122 : soustraire les municipalités rurales à la loi et s’autoriser lui-même à procéder par simple règlement pour tout dézonage. Cela revient à restreindre l’étendue de la loi et à ôter une grande partie de son autorité à la commission (26 janv. ; Manon Cornellier, 27 janv.). Pour éviter de perdre son autorité, la commission a proposé elle-même d’amoindrir la loi dans le sens souhaité par le gouvernement ! Heureusement, l’UPA et l’Institut Jean-Garon se sont montrés plus incisifs en rejetant la double démarche inscrite dans le projet de loi 122 (17 févr.)

Contrats publics. Le chef du Renouveau prévostois, Paul Germain, se désole : c’est « comme si la commission Charbonneau n’avait jamais existé ». Par le projet de loi 122, le gouvernement veut donner aux municipalités le pouvoir d’accorder sans appel d’offres les contrats d’une valeur de moins de 100 000 $. Dans les petites municipalités, « les vilains merles municipaux deviendront des roitelets distribuant les faveurs et avantages ». Le gouvernement a-t-il « abdiqué sa responsabilité de mettre de l’ordre dans nos villes ? », demande-t-il (11 janv.).

Pétrolia. Le gouvernement a finalement appuyé la candidature d’Anticosti au concours du patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais il a soumis en même temps celle du fjord du Saguenay. Selon le professeur Marc Durand, si le fjord est choisi comme c’est très probable, le gouvernement aura le bénéfice politique de son appui tout n’ayant jamais cessé d’autoriser la dévastation de l’île, y compris par des travaux de fracturation (3 mars).

Tout cela alors qu’on sait maintenant que l’exploitation du pétrole d’Anticosti ne sera jamais rentable. Rappelons que pour récupérer sa mise, Pétrolia menace de poursuivre le gouvernement en cas d’arrêt des travaux. Rappelons aussi que c’est le gouvernement Charest qui a forcé Hydro-Québec à céder ses permis à ses amis libéraux de Pétrolia en 2008. Le gouvernement Marois s’est mis le bras dans le tordeur seulement parce qu’on annonçait que les droits vendus au privé pouvaient valoir des milliards et qu’il cherchait à en récupérer une partie pour les Québécois (Le Devoir, 15 février 2014).

Gaz et pétrole. La loi 106, pilotée par le ministre David Heurtel et adoptée sous le bâillon, donne aux gazières et pétrolières détentrices de titres d’exploration à peu près tous les droits sur le territoire agricole, le territoire de centaines de municipalités, et sur votre jardin. Elles sont autorisées à exproprier, et on ne peut les empêcher d’explorer. Alexandre Shields note que le gouvernement n’a pas révoqué les permis d’exploration, « acquis en quasi-totalité sous les libéraux, au départ pour 10 cents l’hectare » par crainte de poursuites (8 et 11 déc., 7 janv.).

Environnement. Les promoteurs et les groupes patronaux n’aiment pas le BAPE. Dans le projet de loi 102, le ministre Pierre Arcand a donc décidé de restreindre les évaluations menées par ce Bureau : pour les remplacer par des formes allégées de consultation, ou pour laisser le gouvernement fédéral s’en occuper. Tout en se défendant de dépouiller le BAPE, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles vient de créer un Bureau de coordination à qui sera confié l’analyse économique des projets ayant une incidence environnementale (25 nov., 31 janv., 6 et 8 fév.). Par ailleurs, le lobby patronal essaie de faire éliminer le « test climat » prévu dans le projet de loi (25 nov.).

Environnement. L’excellent journaliste Alexandre Shields a révélé une baisse nette de 4225 inspections entre 2010 et 2015, soit 21,4 %. Autrement dit, le ministère vérifie beaucoup moins que les conditions fixées pour autoriser les projets sont bel et bien respectées. Les suivis sont insuffisants parce qu’il y a moins d’inspecteurs. Et voilà maintenant (voir ci-haut) que le ministre Heurtel veut en plus réduire de 30 % le nombre de projets nécessitant une évaluation (20 et 21 févr.). Autrement dit, les évaluations environnementales québécoises, cela risque d’être bientôt chose du passé.

Environnement. Je ne peux m’empêcher de citer quelques phrases d’un article de Gérard Beaudet (1er mars) :

Les attaques dont le BAPE a été l’objet à la suite du dépôt de son rapport sur le REM, la réduction du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire à une coquille vide en ce qui concerne les questions d’urbanisme et d’aménagement, tout comme la manière dont se défile constamment le ministère de l’Environnement en regard de ses responsabilités suggèrent que cette disparition des écrans radars n’est pas fortuite. Elle participe d’un désintérêt manifeste pour ces questions. Sur la colline Parlementaire et dans certaines municipalités, on n’en a désormais que pour les vraies affaires. Et celles-ci se brassent avec les promoteurs et non pas avec les citoyens, quoi qu’en disent ceux qui soutiennent qu’elles se brassent en leur nom.

Conflits d’intérêts, fraudes et allégations d’inconduite sexuelle

Commission Charbonneau. Depuis un an, selon le comité de suivi indépendant, le gouvernement Couillard a donné suite à seulement 15 des 60 recommandations du rapport Charbonneau, et mis partiellement en œuvre seulement 9 autres. Les deux tiers n’ont donc encore fait l’objet d’aucune décision. La ministre Rita de Santis a promis un projet de loi en précisant que le gouvernement ne tiendra pas compte de toutes les recommandations. Pour les oppositions, l’inaction du gouvernement montre qu’il ne prend pas au sérieux la lutte contre la corruption (24 et 25 nov.).

Fraude présumée à la Société immobilière du Québec. Les collecteurs libéraux, avec la bénédiction du premier ministre Jean Charest à l’époque, ont tiré de gros bénéfices de diverses transactions impliquant cette société d’État. Puis, le gouvernement a préféré avantager les amis libéraux plutôt que de faire annuler une vente d’immeuble désavantageuse pour les contribuables (30 nov.). Bref, les Québécois se sont fait plumer une fois de plus. L’UPAC a mis son nez là-dedans.

Irrégularités dans les deux commissions scolaires anglophones de Montréal. L’UPAC a été saisie (1er déc.).

Encore Premier Tech. L’entreprise est soupçonnée d’avoir exercé à trois reprises des pressions indues auprès de l’ex-ministre Sam Hamad pour obtenir une subvention (22 déc.)

Financement politique. Les libéraux font tout, depuis plusieurs années, pour maintenir l’opacité de ce dossier. On apprend donc les faits seulement par bribes. Récemment, des ingénieurs de la firme Roche ont dû payer des amendes pour participation illégale au financement politique du Parti libéral. (16 févr.)

Arrêt Jordan et fraudeurs libéraux ou proches des libéraux. L’ancien maire de Laval, Gilles Vaillancourt, a plaidé coupable à des accusations de fraude. La plus grave, celle de gangstérisme, étant plus longue à prouver, elle a été suspendue. Si bien que Vaillancourt s’en tire avec une sentence allégée. Bien que des juristes refusent de lier la tournure de l’affaire à l’arrêt Jordan, plusieurs pensent que bien des fraudeurs pourront s’en tirer désormais plus facilement (2 déc.). / Le maire Vaillancourt n’est pas le seul à avoir fait l’objet d’allégations ou d’accusations de fraude, de corruptions et/ou d’abus de confiance. Rappelons le cas de l’ancien ministre libéral et maire de Montréal Gérald Tremblay, de l’ancien maire de Montréal Michael Applebaum (reconnu coupable), de l’ancienne mairesse Sylvie St-Jean de Boisbriand (coupable), de l’ancien maire de la même ville Robert Poirier (coupable, cause en appel), du maire de Gaspé François Roussy, arrêté en même temps que la ministre libérale Nathalie Normandeau, du maire de Mascouche Richard Marcotte (décédé) et du maire Michel Lavoie de Saint-Rémi (procès en cours) (2 déc.). / Deux coaccusés de Gilles Vaillancourt ont d’ailleurs déjà été libérés en vertu de l’arrêt Jordan (18 févr.)

Pietro Perrino. La CAQ a demandé sa démission du Conseil exécutif du Québec à cause de ses amis douteux, notamment Luigi Coretti et l’ancien maire Vaillancourt. La famille Perrino est très proche des libéraux. Le gouvernement de Jean Charest a enrichi son ami au milieu des années 2000 par des investissements dans deux FIER contrôlés en 2009 par le Vérificateur général. Le premier ministre Couillard l’a nommé en 2014 secrétaire général associé au ministère du Conseil exécutif et il lui a obtenu en 2015 une permanence dans la haute fonction publique du Québec (2 déc.).

Pierre Paradis. Le ministre a dû quitter ses fonctions à l’Agriculture, non seulement à cause d’une chute, mais parce qu’il fait actuellement l’objet d’une enquête policière, peut-être de nature sexuelle, sur une ex-employée (27 janv.). Le député Gerry Sklavounos n’a pas réintégré le caucus libéral à cause d’allégations semblables (10 févr.).

*

On savait déjà qu’un parti politique fédéral peut désormais remporter une élection sans avoir besoin du Québec. Ce sera d’ailleurs de plus en plus vrai. Selon les premiers résultats livrés par le Recensement de 2016, le poids du Québec n’est plus que de 23,2 % alors qu’il était de 28,9 % il y a 50 ans. (9 févr.).

Toujours selon StatCan, la population de langue maternelle française ne sera plus que de 70 % au Québec, en 2036. Et celle de première langue officielle parlée ne sera plus que de 82 % contre 85,4 % actuellement. Les couronnes de Montréal, en particulier, seront de plus en plus anglophones… (26 janv.). À cause de ce déclin et de la division du vote francophone, Michel David a pu écrire : « Fort de l’appui indéfectible des anglophones et des allophones, le PLQ a de moins en moins besoin des francophones pour se maintenir au pouvoir » (14 févr.).

Jusques à quand accepterons-nous cette minorisation ? q

1 À moins d’indication contraire, toutes les dates font référence à l’édition du jour du journal Le Devoir (format papier). Il suffit d’entrer les mots-clés du propos pour trouver la référence exacte des articles utilisés.

2 Entre autres dans : Andrée Lajoie, « Trajectoires de Claude Ryan. De l’Action catholique au Livre beige », dans Andrée Lajoie et al. (dir.), Ruptures et continuité de la société québécoise, Montréal, Université de Montréal, 2005, p. 153-165