Le démantèlement de la nation (chronique 6)

La période couverte s’étend du 23 février au 7 avril 2015.
À moins d’indication contraire, toutes les dates réfèrent aux éditions papier du journal Le Devoir.

1. Affaiblir la capacité de l’État québécois de structurer le territoire, la société et la nation

1.1. L’action du gouvernement du Québec du libéral Philippe Couillard

Délégitimer l’action des organismes publics, notamment en les privant des moyens d’exercer leur mission. Par exemple, la Commission de l’administration publique, un organisme parlementaire non partisan, peine à surveiller les dépenses publiques (23 février[1]) ; autre exemple : les départs sont en hausse au bureau du Vérificateur général du Québec (25 mars). Tout ceci ne peut que faciliter l’utilisation des ressources publiques pour les amis libéraux. Or, il faut que nos institutions soient en mesure de continuer à dépister les scandales, tels que ce juteux contrat informatique gardé secret pendant trois ans au ministère de la Santé et des Services sociaux (10 mars).

Délégitimer l’action des organismes publics, en réservant de nombreuses décisions au palier politique, forcément partisan. Les cas d’ingérence politique ont déjà commencé : psychodrame de la démission et du retour du directeur du CHUM, Jacques Turgeon (6 au 11 mars).

Renoncer au peu d’autonomie fiscale qui reste au Québec. Certes, la réduction des impôts est prévue seulement pour 2017, et depuis un an le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises s’est au contraire alourdi de 800 millions $ (25 mars).

Il reste que les recommandations du rapport Godbout vont dans le sens d’alléger l’impôt sur le revenu d’une valeur de 4,4 milliards $, quitte à remplacer le manque à gagner par une hausse des taxes et des tarifs.

Or, réduire les impôts veut dire aussi renoncer au peu d’autonomie fiscale de notre État vis-à-vis d’Ottawa, ou autrement dit à la petite marge de manœuvre que le Québec a pour ajuster son régime fiscal. Ceci placera l’État québécois encore davantage à la remorque des choix d’Ottawa. Ce que Luc Godbout reconnaît d’emblée : « parce que le gouvernement fédéral se montre déjà généreux, la Commission recommande d’abolir le crédit d’impôt pour les activités des jeunes et l’incitatif à l’épargne-études » (20 mars). Qu’en sera-t-il quand le fédéral privilégiera des comportements moins utiles à la société québécoise, voire nuisibles à certaines catégories de Québécois comme les femmes ? Ottawa n’hésite d’ailleurs pas à prendre de telles décisions : on sait par exemple que l’abolition progressive des crédits d’impôt fédéraux pour les fonds de travailleurs touche particulièrement la classe moyenne québécoise (26 février). Comment pourrons-nous affirmer nos propres choix si notre État se prive de l’outil qu’est un impôt conséquent ? Il ne restera plus ensuite qu’à faire comme les autres provinces et laisser à Ottawa le contrôle complet en matière de fiscalité ! En diminuant unilatéralement les transferts fédéraux depuis plusieurs années, et en dépit de l’impact temporaire de la baisse des prix du pétrole, l’État fédéral engrangera d’importants surplus dans les années à venir (2,4 milliards juste en décembre 2014) (1er mars), ce qui lui donnera un pouvoir encore plus grand sur les provinces.

Se laisser traverser par le pipeline Énergie-Est sans rien dire ni rien réclamer. Soixante-quinze villes québécoises manifestent leur inquiétude, mais aucune évaluation environnementale n’a été annoncée par le gouvernement Couillard (26 février). Transport Québec retire sa demande de participation aux audiences de l’ONE et ne veut même pas dire pourquoi ; pourtant le passage du pipeline ne sera pas sans conséquence sur la fluidité et la sécurité de notre réseau routier (7 et 11 mars). Par ailleurs, et c’est le comble, le gouvernement Couillard refuse de s’engager à exiger des redevances ! (2 avril)

Ne pas soutenir Gaz Métro contre TransCanada. À plusieurs reprises, Sophie Brochu, présidente et chef de la direction de Gaz Métro, s’est montrée très inquiète de l’impact du projet Énergie-Est sur le prix du gaz et la facilité d’approvisionnement. « Qui décide, demande-t-elle, les provinces ou les compagnies ? » (12 mars)

Ne pas utiliser l’immigration pour renforcer le caractère français du Québec. Et ce, malgré toutes les protestations vertueuses de la ministre Kathleen Weil. De moins en moins d’immigrants connaissent le français, et le gouvernement est loin de s’en alarmer. Où sont les mesures pour favoriser leur intégration : une intégration en français, et dans toutes les régions du Québec ? Au contraire, le critère de la connaissance du français sera encore abaissé (18 et 27 mars).

Bilinguiser de plus en plus l’État québécois et les organismes qui relèvent du gouvernement du Québec (Michel David, 17 mars). De ce point de vue, et pour ne donner que l’exemple le plus récent, apprécions la réaction de la ministre de la Justice du Québec, Stéphanie Vallée, qui a tourné en dérision l’appel des parlementaires péquistes à faire respecter la loi 101 dans une affaire impliquant la juge de la cour supérieure Karen Kear-Jodoin. Celle-ci a rédigé uniquement en anglais un jugement dans une affaire pourtant plaidée entièrement en français : l’avocat du plaignant ayant demandé la traduction immédiate du jugement d’une part, et d’autre part sur un ton qui n’a pas plu au juge en chef de la cour (nommé par l’État fédéral), ce dernier demande ni plus ni moins au Barreau d’enquêter pour infraction au code de déontologie (3 avril). La ministre Vallée n’a pas l’intention d’intervenir.

Ne pas mettre les ressources de l’État au service de la municipalité de Ristigouche dans sa lutte contre la gazière Gastem (qui appartient à un ancien ministre libéral). La Ville risque la faillite pour avoir voulu protéger ses sources d’eau potable (17 mars).

Ne pas freiner les financiers qui accaparent des superficies de plus en plus grandes de terres agricoles. Cela empêche la relève agricole d’acquérir des terres, compromet le modèle agricole québécois fondé sur la ferme familiale et transforme les jeunes agriculteurs en employés à vie (17 mars).

Ne pas utiliser les ressources de l’État pour créer des conditions favorables au maintien de l’entrepreneuriat régional. Le ministre Jacques Daoust a traité les entrepreneurs en région de « rois de village » (3 mars). Les serres Savoura ferment pendant que le syndicat des producteurs en serre du Québec attend toujours que le gouvernement libéral réponde à sa demande d’élargir l’accès au gaz naturel sur le territoire québécois et d’offrir aux producteurs des tarifs d’électricité préférentiels, comme cela se fait en Ontario (2 et 4 mars). D’ailleurs, c’est tout le secteur agroalimentaire québécois qui va pâtir de la disparition des CRÉ et des CLD, selon l’UPA, en même temps qu’on va assister à la déstructuration massive du milieu rural et à une nouvelle centralisation (le mur-à-mur) à Québec (14 mars).

Ne pas utiliser les ressources de l’État pour maintenir les infrastructures routières en région : 53 % de l’enveloppe réservée par Québec pour les chantiers routiers dans la programmation 2015-2017 iront à la région métropolitaine. Pour 2014-2016, la programmation libérale a au contraire sabré de 44 % les investissements routiers sur la Côte-Nord, de 33 % au Bas-Saint-Laurent et de 28 % en Gaspésie (2 mars). C’est l’une des raisons pour lesquelles les municipalités se tournent vers Ottawa, même si l’entretien et la construction des routes sont de compétence provinciale… La solution provisoire serait que Québec obtienne des points d’impôts pour être en mesure d’exercer sa juridiction. La solution définitive : reprendre le contrôle de tous nos impôts ! J

Ne pas profiter de la baisse des prix du pétrole pour relancer à plein l’économie du Québec. C’est nulle autre que la Banque Royale qui le dit : l’austérité privilégiée par le gouvernement Couillard compte parmi les facteurs qui limiteront la croissance économique au Québec (13 mars). D’ailleurs, il s’est perdu 1100 emplois nets au Québec en 2014 selon l’Institut de la statistique du Québec ; sous le gouvernement du Parti québécois, en 2013, 47 800 emplois nets avaient été créés (24 heures Montréal, 19 mars). De plus, l’écart des salaires entre le Québec et l’Ontario est passé de 4200 $ à 5800 $ depuis un an (25 mars). L’industrie manufacturière tard d’ailleurs à remonter la pente malgré la baisse du prix du pétrole : les indicateurs sont négatifs depuis quatre mois consécutifs, dit la Banque Royale (2 avril).

Aller créer des emplois ailleurs plutôt qu’ici. Après avoir consacré 1,5 milliard de dollars de fonds publics en recherche d’une technologie de stockage d’énergie, Hydro-Québec et le Québec devront accepter que la fabrication de la batterie pour autobus crée 600 emplois… En France ! (TVA nouvelles, 4 mars)

D’ailleurs, le premier ministre Philippe Couillard « veut faire du Québec une vitrine de la technologie française » (6 mars), plutôt que de la France une vitrine de la technologie québécoise. Cherchez l’erreur.

1.2. L’action du gouvernement fédéral et des organismes fédéraux

Occuper le territoire du Québec. Malgré des demandes répétées de plusieurs organisations québécoises, l’Office national de l’énergie refuse de suspendre le processus de consultation (sic) pour le projet Energie-Est et réitère son refus de traduire les documents déposés par TransCanada (24 février). Du reste, l’ONE fédéral ne tiendra pas compte de la question des gaz à effet de serre et des changements climatiques dans l’étude qu’il fera du projet (27 février). Finalement, il n’y aura pas de port pétrolier à Cacouna (2 avril). Mais désormais, c’est Baie-des-Sables qui est pointée par la pétrolière (Radio-Canada web, 4 avril). Vu que le Québec ne peut espérer aucune retombée économique, il faut se mobiliser encore davantage pour empêcher le pétrole sale de menacer notre territoire.

Occuper le territoire du Québec, en laissant Nalcor Energy modifier l’utilisation du territoire et des ressources du Québec par les Innus. La Cour suprême refuse d’entendre les Innus, dont pourtant même la Commission d’examen fédérale-terreneuvienne du projet Churchill a reconnu (quoique en le déclarant négligeable) l’impact qu’auront sur eux les barrages (6 mars).

Occuper le territoire du Québec, en accroissant la dépendance de Montréal aux budgets fédéraux d’infrastructures. Le chantier du nouveau pont Champlain menace l’eau potable à Montréal. La Ville craint d’avoir à payer une note de plusieurs dizaines de millions de dollars. Le gouvernement fédéral veut limiter sa participation aux coûts les plus directs ; pour les autres, il se laisse le loisir de décider si l’argent sera pris dans l’enveloppe déjà dédiée aux infrastructures pour Montréal ou s’il daignera accepter que Québec et la Ville se mettent à genoux pour solliciter une part du Fonds Chantiers Canada (26 mars).

Ne pas dépenser les budgets pourtant adoptés pour le développement économique. L’Agence de développement économique du Canada n’a pas dépensé près de 132 millions de dollars au Québec depuis 2010, alors que les sommes pour l’aide aux entrepreneurs québécois ont été annoncées publiquement par le gouvernement fédéral (4 mars).

Limiter l’entrée de stagiaires étrangers, notamment français. La Fédération des cégeps et l’Office franco-québécois pour la jeunesse ont beau faire pression pour que le gouvernement fédéral renonce à compliquer le processus d’accès aux stagiaires étrangers, celui-ci reste de marbre (6 mars). Après les travailleurs temporaires, dont des milliers ont dû quitter le pays le 1er avril, Ottawa s’en prendra aussi aux stagiaires étudiants : 1000 stages sont compromis, ce que dénoncent les universités françaises (31 mars et 1er avril).

Ne pas répondre aux priorités du Québec concernant l’évasion fiscale. Au Canada, c’est le gouvernement fédéral qui siège à l’OCDE et qui peut obliger les institutions financières émettrices des cartes de crédit à percevoir la taxe de vente du Québec sur les achats en ligne à l’étranger ou dans les autres provinces : eh oui, le Québec doit passer par Ottawa pour obtenir la perception de sa propre taxe ailleurs que sur son territoire. En ce moment, Ottawa ne fait pas une priorité de ce dossier auprès de l’OCDE (24 mars).

Adopter des mesures fiscales peu conformes à la sociologie des ménages québécois. C’est le cas par exemple du fractionnement du revenu. On peut être en désaccord, comme l’était d’ailleurs le ministre fédéral conservateur Jim Flaherty. On peut reprocher à cette mesure d’enrichir les riches et d’inciter un certain nombre de femmes à quitter le marché de l’emploi. Et en plus, on peut noter que le fractionnement du revenu mis en place par le gouvernement Harper « profitera » beaucoup moins aux Québécois, entre autres parce qu’ici les écarts de revenus entre conjoints sont moins grands qu’ailleurs et parce que la majorité des ménages sont dans la tranche d’impôts la plus basse (11 juin 2014 et 18 mars 2015).

Adopter des taxes peu conformes aux pratiques québécoises en santé mentale. Ottawa taxera les services de santé mentale requis aux fins d’évaluation auprès d’un assureur ou d’un employeur. Les Québécois seront davantage touchés parce que c’est au Québec qu’on a le plus recours aux services des psychologues, notamment en cas de divorce ou pour la constitution des dossiers devant la CSST (4 mars).

Utiliser l’immigration pour entraver le processus d’appartenance au Québec et favoriser la bilinguisation de notre belle province. En contrôlant le système d’immigration, Ottawa impose la symbolique canadienne et suscite dès le premier jour la loyauté au fédéralisme, rappelle Maka Kotto. À quoi notre ministre de l’Immigration, Kathleen Weil, répond textuellement : « C’est quoi le problème ? » [de ne pas avoir à se sentir Québécois quand on immigre au Québec] ! (21 mars) Ottawa encourage d’ailleurs les immigrants à considérer le Québec comme une province bilingue (Michel David, 17 mars).

1.3. L’action des groupes de pression, des compagnies privées et des organismes internationaux

Ne pas respecter la règlementation environnementale. À Malartic, depuis 2006, la minière Osisko a reçu pas moins de 150 avis de non-conformité de la part du ministère de l’Environnement du Québec, dont on sait pourtant à quel point il peut être complaisant sous des gouvernements libéraux ! (20 mars)

Faire pression pour que cette règlementation soit sans cesse allégée. L’étude environnementale du Québec sur l’exploration pétrolière sur Anticosti pourrait se passer d’évaluer l’impact des forages avec fracturation (11 mars). Par contre, les coûts publics peuvent toujours augmenter : les reports du projet font augmenter la facture pour l’État québécois, qui finance la plus grande partie des investissements (10 mars). Les profits éventuels, eux, sont d’ores et déjà assurés d’être privatisés.

Exiger de payer toujours moins. La présidente de l’Association minière du Québec, Josée Méthot, réclame des « mesures fiscales efficaces » pour les minières, et prétend que l’État québécois a « une crédibilité à rétablir » après avoir voulu en 2013 instaurer une hausse des redevances. Pourtant, du même souffle, l’Association reconnaît que le Québec occupe le 6e rang parmi les juridictions mondiales les plus intéressantes pour l’investissement ! (27 février)

Ne pas respecter la Loi 101. Depuis 2012, l’Office de la langue française est incapable de faire construire le nouveau CHUM en français. Et le gouvernement ne sévit pas contre les entreprises délinquantes (22 mars).

Pousser à la centralisation fédérale. C’est la tendance systématique du FMI. Après avoir manifesté son soutien à une Commission « nationale » des valeurs mobilières, voici que l’organisme de Washington en remet. Minimisant que la régulation du marché immobilier relève aussi (et même en principe essentiellement) des juridictions des provinces, l’organisme de Washington encourage la création d’une seule et même entité étatique pour surveiller et réguler le marché immobilier canadien ainsi que l’instauration d’un système de coordination susceptible d’assurer une prise de décision rapide en cas de crise (11 mars).

2. Affaiblir nos outils collectifs

Hydro-Québec. La récente augmentation de 2,9 % de l’électricité ne passe pas. La population québécoise, longtemps si fière d’Hydro-Québec, est en train de perdre le sentiment d’appartenance qui l’unissait à l’entreprise publique. Ce sentiment d’appartenance est pourtant le meilleur bouclier contre la privatisation complète. Or, pourquoi cette hausse des tarifs ? Parce que le gouvernement libéral de Jean Charest a déjà privatisé partiellement la production d’électricité au Québec, et ce au profit d’entreprises étrangères ou d’amis libéraux (éoliennes, biomasse, minicentrales) en obligeant Hydro-Québec à acheter cher cette électricité (10 mars).

Cinémathèque. Disparition progressive par manque de soutien public depuis 1993. La plus récente nouvelle est sa fusion avec BAnQ. Il faudra voir jusqu’à quel point cette fusion ne signe pas la fin de l’institution (26 et 27 mars). Il n’existe que très peu de cinémathèques nationales dans le monde, la plupart sont dans des pays francophones. Aux dernières nouvelles et après une forte mobilisation du milieu, il se pourrait que la cinémathèque bénéficie d’un sursis (28 mars).

Le Cirque du Soleil. Bien sûr, il s’agit d’une entreprise privée. Mais elle est un tel objet de fierté pour les Québécois qu’elle en devient presque un outil collectif au soutien de notre estime de nous-mêmes. Son propriétaire, Guy Laliberté, dit souhaiter qu’après la vente, qui devrait survenir plus ou moins prochainement, le siège social puisse demeurer à Montréal. Mais, évidemment, il ne peut pas en être certain. Le ministre Jacques Daoust n’a pas l’air de se préoccuper beaucoup que le Cirque puisse être acquis par des intérêts étrangers (26 mars).

Fiducie du Chantier de l’économie sociale. L’économie sociale avait été reconnue officiellement par le gouvernement du Parti québécois en 2013. Mais désormais, avec la disparition des CLD et le déclin massif du soutien public aux entreprises d’économie sociale, c’est à restructuration du réseautage et de la concertation que ce grand chantier est confronté (21 mars).

Universités et, plus généralement, l’ensemble du système d’éducation. Le gel (+ 0,2 %) du budget de l’éducation manifeste une volonté claire de ne pas donner à notre jeunesse ce qu’il lui faudra pour affronter les défis qui l’attendent (budget 2015, 27 mars). Services de garde : compressions supplémentaires de 74 millions pour 2015-2016 (28 mars) ! Primaire et secondaire : « Québec envisage de ne plus tenir compte d’emblée des enfants en difficulté d’apprentissage » (4 avril). « Les cégeps et les universités y goûtent : le budget Léitao impose pour l’année qui vient des compressions supplémentaires de 21 millions au réseau collégial et de 103 millions » aux universités (Le Soleil, 27 mars).

Le système de santé. Plusieurs analystes disent que la loi 20, telle qu’elle est actuellement en projet, encourage la privatisation. Les données de la Régie de l’assurance maladie du Québec révèlent d’ailleurs que, depuis le 1er janvier 2015, 17 médecins ont fait le saut en pratique privée. (La Presse, 26 mars). Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la loi 10, ainsi que les modifications à prévoir dans les régimes de retraite font en sorte que « l’exode des cadres menace le réseau » (28 février). Rien qu’en santé publique, les coupes sont majeures, et elles touchent particulièrement les régions (2 mars).

L’environnement. Feu vert donné à Mine Arnaud à Sept-Îles. Le BAPE a noté d’immenses lacunes environnementales, la Santé publique a documenté l’augmentation des maladies des populations habitant près d’une mine à ciel ouvert, la population est divisée, la Banque mondiale prévoit que les prix du phosphate continueront à reculer, le partenaire privé norvégien a été reconnu coupable de corruption en 2009 en Lybie et c’est évidemment le gouvernement du Québec qui est le principal actionnaire du projet, vu qu’il est plus que risqué (14 mars). D’ailleurs, le Plan Nord est un des seuls projets du gouvernement Couillard qui échappe aux compressions : investissements publics pour profits privés (4 avril).

L’environnement. Continuer à privilégier le pétrole, et même le gaz de schiste (4 avril) au lieu des énergies vertes et de l’électrification des transports.

3. Délégitimer totalement la volonté du peuple québécois de faire société différemment

3.1. Par Ottawa

Itinérance. Même si les milieux de l’itinérance au Québec sont unanimes pour déplorer l’angle du tout ou presque au logement retenu par la politique fédérale au détriment des services de première ligne, même si l’itinérance est un problème social de juridiction provinciale exclusive, et même si par deux fois l’Assemblée nationale a voté des motions unanimes pour réclamer de pouvoir dépenser l’argent selon ses propres priorités, le gouvernement Couillard a plié : Ottawa peut imposer unilatéralement ses conditions et Québec devra les respecter pour que notre argent nous revienne (16 et 21 mars). Inutile de dire que voilà un autre secteur où nous devrions réclamer des points d’impôts ou le droit de retrait avec pleine compensation financière.

Loi C-51. Même le gouvernement Couillard s’inquiète des nouveaux pouvoirs accordés au SCRS dans le projet de loi C-51. Trois de ses ministres « se désolent qu’Ottawa n’ait pas consulté les provinces avant de rédiger son projet de loi comme l’aurait exigé un fédéralisme coopératif » (19 mars).

Registre des armes à feu. Un autre cas de fédéralisme coopératif à sens unique. La Cour suprême a donné raison au gouvernement fédéral : il peut détruire les données québécoises du registre des armes à feu, que nous avons pourtant payées. Les trois juges du Québec font partie du groupe minoritaire dans ce jugement. Le Québec devra donc de nouveau payer pour recommencer un registre (28 mars). Dans une ultime tentative, l’Assemblée nationale, à l’unanimité, a demandé au gouvernement fédéral de renoncer à sa destruction (31 mars). Mais comme l’a bien dit le ministre fédéral Maxime Bernier le 19 mars : « J’en ai soupé des déclarations unanimes de l’Assemblée nationale » (vu sur le site Blocquebecois.org).

Projet de loi pour augmenter la durée de la détention pour certains criminels. Dans l’ensemble, ce projet de loi a été très mal reçu au Québec (5 mars).

Cours d’éthique et culture religieuse. La Cour suprême donne raison à l’école secondaire anglophone privée catholique Loyola : elle pourra « enseigner le catholicisme d’un point de vue catholique, mais les autres religions de façon objective et avec respect » (20 mars). Les parents d’une école publique de Drummondville ont été déboutés, eux, il y a quelques années, exactement sur la même question. On doit donc conclure ceci : à l’école publique financée par les fonds publics, pas de perspective confessionnelle, la Cour l’interdit. Mais à l’école privée financée par les fonds publics, oui à la perspective confessionnelle. Cela devient complètement absurde. Une seule solution : arrêter de consentir des fonds publics aux écoles privées.

Multiculturalisme vs interculturalisme. Dans le débat opposant le multiculturalisme canadien à l’ambition québécoise d’interculturalisme, Micheline Labelle rappelle l’avis du constitutionnaliste Philippe Lampron, selon lequel : « L’article 27 de la Charte canadienne des droits a pour effet de court-circuiter toute possibilité d’interprétation interculturelle des droits et libertés fondamentaux protégés sur le territoire québécois puisqu’il prévoit que l’interprétation des droits fondamentaux doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens » (5 mars).

Guerre en Irak et en Syrie. Avez-vous été consultés ? La mission va coûter au bas mot 500 millions $ (2 avril).

Patrimoine. Maintenant que l’État fédéral jouira de surplus budgétaires, des institutions comme Bibliothèque et Archives Canada peuvent recommencer à acheter notre patrimoine. Dans sa mire : les archives de Jean Béliveau. La famille n’a pas encore répondu (Huffington Post Québec, 4 avril). Espérons que si elle décide de céder les souvenirs du grand hockeyeur, Bibliothèque et Archives nationales du Québec puisse les acquérir.

3.2. Par Québec

Creuser les inégalités. Une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) révèle hors de toute contestation que l’austérité des libéraux accroît les inégalités non seulement entre les riches et les pauvres, mais aussi entre les hommes et les femmes. Les mesures de relance, en plus, avantagent moins les femmes (3 et 5 mars). La ministre Stéphanie Vallée refuse d’étudier l’impact de l’austérité sur les femmes (15 mars). Chaque fois qu’on amoindrit les services publics, on augmente les inégalités, selon Alain Noël, de l’Université de Montréal, qui a déposé un mémoire devant la commission Godbout (28 mars).

Briser la cohésion sociale. Le gouvernement libéral tolère la brutalité policière (29 mars). Il cherche délibérément à dresser la population contre les étudiants qui manifestent (François Blais, 25 mars). Le ministre Blais veut même que les recteurs « fassent des exemples » en renvoyant deux ou trois étudiants contestataires par jour (1er avril).

Briser la cohésion sociale. L’inaction du gouvernement Couillard sur la question de la laïcité de l’État fait que le débat s’envenime de plus en plus et que la question musulmane prend une ampleur tout à fait disproportionnée par rapport au poids des musulmans dans la société québécoise, et surtout par rapport au nombre de musulmans radicaux (février-mars). Ce mois-ci, la société québécoise s’est divisée sur l’affaire de la juge Marengo et l’obligation ou non d’enlever son hijab devant la cour (début mars). Le gouvernement Couillard cherche à créer des divergences sur les accommodements raisonnables, la laïcité, la lutte contre les intégrismes et contre le racisme entre les Québécois de diverses origines, alors que les sondages depuis 2006 montrent qu’une vaste majorité, de toutes origines, converge sur la reconnaissance de la nécessité de telles actions (Micheline Labelle, 5 mars).

S’en prendre au processus de concertation typique du modèle québécois, particulièrement dans l’économie sociale (où secteur privé, secteur communautaire et secteur public ont l’habitude de cohabiter et de dialoguer), pour imposer autant que possible la privatisation et le faire en brisant le consensus social (22 mars). De même, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette a réussi avec la loi 10 à créer un « climat d’affrontement » (4 avril) dans le réseau, ce qui ne peut que compromettre l’esprit de collaboration indispensable pour assurer la cohésion et l’efficacité du système public.

S’en prendre jour après jour aux acquis des Québécoises. Par exemple, en lançant un « ballon d’essai » pour voir les réactions devant les restrictions prévues dans le projet de loi 20 au nombre d’avortements pratiqués par les médecins (25 mars).

S’en prendre aux groupes les plus vulnérables, et démanteler un filet social plus protecteur qu’ailleurs en Amérique du Nord. La Commission des droits de la personne s’oppose aux modifications de l’aide sociale décidées par le gouvernement libéral, car celles-ci iraient non seulement contre la Charte québécoise des droits et libertés, mais même contre des garanties protégées par le droit international (21 mars). Les assistés sociaux sont soumis à de plus en plus de vexations et de contrôles (4 avril).

S’en prendre aux groupes les plus vulnérables. Neuf fondations privées québécoises s’inquiètent du démantèlement du filet social québécois, que vont accélérer les compressions imposées par Québec dans les budgets des groupes communautaires qui travaillent auprès des plus démunis (19 mars).

Dévaloriser l’identité québécoise. Certes, on doit saluer le retour de certains crédits d’impôt dans la culture (27 mars), mais ce sont des centaines de milliers de dollars que le gouvernement Couillard sabre dans les budgets des organismes qui organisent la Fête nationale (2 avril).

4. Détruire ce qui reste de l’institutionnalisation du caractère distinct du Québec dans la constitution canadienne et les institutions fédérales

Radio-Canada. La saignée des postes dans les services français continue. Particulièrement en dehors du Québec, mais aussi dans les régions du Québec. La plus récente annonce parle de 100 postes coupés dans les services français, un effort disproportionné par rapport aux 144 postes coupés du côté anglophone ; en contrepartie, on ne promet qu’une dizaine de nouveaux postes en français dans le numérique, contre 80 en anglais (27 mars).

Radio-Canada. L’organisme fédéral se limite de plus en plus à un rôle de diffuseur, délaissant la production de contenus. Certes, les producteurs privés peuvent créer des séries qui donnent aux Québécois un regard sur eux-mêmes. Mais c’est aussi une des missions de Radio-Canada. Pourtant, les uns après les autres, les ateliers de costume, de décors et d’accessoires ferment et le grand édifice de la rue René-Lévesque se vide, compromettant la capacité des Québécois de présenter ce que nous sommes, y compris sur les plateformes numériques (cette rubrique est en partie fondée sur l’article d’Isabelle Montpetit, 3 avril).

Sénat. Ottawa s’oppose à ce que la Cour entende une cause en provenance d’un citoyen de Vancouver qui veut forcer le gouvernement fédéral à nommer des sénateurs aux sièges vacants du Sénat. Or, le Sénat ne peut pas être en quelque sorte progressivement « aboli par défaut » sans que les provinces, dont le Québec, donnent leur accord. Actuellement, quatre des vingt-quatre sièges du Québec sont vacants (21 mars).

*

Malgré l’intimidation croissante pratiquée par les corps policiers, la répression encouragée par le gouvernement Couillard et toutes les sanctions que souhaite voir pleuvoir le ministre François Blais sur les étudiants, le temps se réchauffe. Bientôt, nous devrons être tous mobilisés de différentes façons pour dire : ça suffit la régression de l’État québécois, ça suffit le démantèlement de notre nation !

Le gros œuvre étant fait, le gouvernement libéral procédera sans doute désormais de façon plus chirurgicale. Certes, il continuera de couper dans les missions et les outils de notre État. Mais pour saisir l’ensemble de ses destructions, il faudra aussi poser la loupe sur chaque secteur et travailler de plus en plus finement. À la revue de presse, il faudra ajouter des enquêtes sectorielles. Pour cela, j’aurai besoin d’aide. Il ne s’agit pas nécessairement de produire des analyses, mais simplement, comme je le fais ici, de rassembler les faits.

Par exemple, est-ce que l’un-e de nos lecteurs pourrait se donner la tâche de scruter l’impact différencié de la loi 10 sur les établissements de santé selon la langue ? Il semble que le réseau anglophone sera beaucoup moins affecté que le réseau francophone. Il faudrait lire en profondeur la loi 10 et sortir en outre les points des règlements. Une enquête du même type serait à faire pour les commissions scolaires. Les fusions et compressions bouleverseront moins les commissions scolaires anglophones. Mais dans quelle mesure ? Là encore, il faut quelqu’un pour documenter spécifiquement ce thème.

La question des infrastructures est cruciale : le gouvernement libéral effectue des compressions dans les régions, il réserve une part grandissante de ses propres fonds d’infrastructures à la région métropolitaine : se pourrait-il qu’il y en ait un peu plus pour des routes, des trains, des ponts, des échangeurs situés dans l’ouest de l’île que dans l’est ? C’est une impression, il faudrait la documenter mieux.

Toute la question du soutien à l’économie des régions est à étudier de manière plus fine, et peut-être dans une certaine durée. À l’aide des journaux régionaux (quotidiens ou hebdos), on peut mettre des faits sur le déclin économique des régions depuis l’arrivée du gouvernement Charest au pouvoir, en 2003. Quelqu’un en Outaouais, en Mauricie ou ailleurs voudrait-il en faire son dossier personnel pour sa propre région ? On peut le faire assez facilement en recourant à la base de données Euréka, qu’on peut consulter gratuitement dans les bibliothèques des cégeps et des universités.

Si vous préférez suivre l’action de l’État fédéral, il est certainement possible de documenter sans trop de temps ni d’effort l’impact différencié des compressions à Radio-Canada sur les deux réseaux linguistiques.

Bref, les thèmes ne manquent pas et si vous avez une autre idée, elle sera la bienvenue. Vous pouvez entrer en contact avec moi par courriel (Lucia.Ferretti@uqtr.ca). Ce que nous cherchons à faire, c’est à montrer concrètement les coûts et les dangers du fédéralisme.