Le drapeau du Québec est-il en voie de perdre sa signification, son caractère national, son autorité ?

État de situation sur les pratiques équivoques ou dérogatoires au sein du milieu municipal et des réseaux de l’éducation et de la santé. Appel en faveur d’un plan d’action du gouvernement du Québec.

Pas si importants les drapeaux ?

De tout temps, les drapeaux sont utilisés pour marquer un territoire, une juridiction et signifier à tous ceux et celles qui le voient qui est propriétaire ou maître des lieux. On les installera toujours dans des endroits stratégiques, en hauteur sur des tours ou des pics, aujourd’hui, au sommet ou en façade des immeubles. Ils doivent d’abord être vus. Ils figurent en tête de lice des puissants moyens de communication. La lisibilité de leur message ne requiert aucun mot, l’image suffit.

Pas si important les drapeaux ? Certains diront que la couleur, le format, la préséance d’un drapeau déployé sur une école, un hôpital, une municipalité sont des choses qui, au fond, ne sont pas si importantes. Pourvu que les services soient dispensés. « Il n’y a que les péquistes pour se préoccuper des drapeaux », disait à l’époque Gérard Deltell, député caquiste (novembre 2012). Justin Trudeau tient le même discours à propos des actions d’ingérence directe du fédéral dans les compétences du Québec.

Rien à foutre, les symboles, dans le quotidien des gens ? Le débat politico-judiciaire autour de la loi 21 touchant le port de signes religieux par les enseignants et autres agents de l’État nous indique le contraire. Celui entourant le serment d’allégeance à la Couronne britannique exigé de nos députés aura propulsé un parti politique qu’on disait moribond.

Si dans la sphère privée, un drapeau ou des drapeaux selon le cas, réfèrent une certaine idée qu’on se fait du pays. Il en est tout autrement dans la sphère publique. Au Québec, par la législation l’instituant, le drapeau exerce trois fonctions : identifier le territoire national, marquer les juridictions qui sont celles de l’État, et signifier l’appartenance institutionnelle des administrations du service public à cet État.

1/ De stature nationale dès son adoption

Le caractère national du drapeau du Québec, clairement inscrit à l’article 1 de la loi l’instituant, n’est pas fortuit. L’idée d’un Québec-nation a fleuri sous Honoré Mercier (1887-1891). Dans la pensée de ce chef d’État avant l’heure, le Québec est dépositaire de souveraineté dans ses compétences et dispose d’un droit de se gouverner. Il est le premier à définir son gouvernement comme un « gouvernement national » et à témoigner d’une ambition pour les affaires extérieures1.

La construction de l’État vient renforcer la signification du fleurdelisé de 1948

À la faveur de la Révolution tranquille, la notion d’État du Québec entre dans le discours officiel. Le 5 octobre 1961, Jean Lesage est reçu avec les égards réservés à un chef d’État souverain par le président de la République française. Il signifiera de façon bien sentie, le rôle de l’État, instrument communautaire d’une affirmation nationale. (Discours de Paris lors de l’inauguration de la Maison du Québec). C’est l’époque de la constitution des grands réseaux publics de l’éducation, de la santé et des services sociaux, des grandes sociétés d’État qui marqueront la réappropriation des leviers économiques par les Québécois. Ils devront clairement être identifiables sous les couleurs du Québec.

Au creux de ce premier sillon tracé à Paris, va éclore la doctrine Gérin-Lajoie (1965). Elle marquera la naissance de la politique internationale du Québec. En juin 1967, fleurdelisé et tricolore font ensemble le Chemin du Roy, de Québec à Montréal. En 1968, le Québec est pour une première fois invité à hisser ses couleurs à une conférence internationale (Gabon). Et en 1969, le Québec devient membre à part entière d’un organisme international (Agence de coopération culturelle et technique). Le fleurdelisé bat pour la première fois en compagnie de drapeaux d’autres pays, un grand pas pour le Québec qui fait rupture avec le symbolisme colonial sauce britannique ou canadienne.

Ces actes de reconnaissance à l’étranger sont d’une importance capitale. Ils auront consacré à l’extérieur le statut national à notre drapeau2. Ce caractère national et non provincial du fleurdelisé se reflétait déjà symboliquement dans le choix de son format officiel (article 1 de la Loi) : « La largeur et la longueur du drapeau sont de proportion de deux sur trois » et non d’un sur deux comme le Red Ensing de l’époque, tenant lieu de drapeau canadien et ceux des provinces canadiennes, tous de filiation britannique. En décidant ainsi, on aura voulu signifier le caractère particulier du Québec en Amérique du Nord.

Le seul drapeau national que les provinces anglophones reconnaitront d’emblée est le drapeau du Canada ; elles le déploient sur leur parlement provincial, de même que sur leurs municipalités, leurs écoles, collèges et universités. La place d’honneur lui est accordée en tout temps3.

« C’est fini les folies »

« Je n’ai rien contre le drapeau du Québec, pourvu qu’il soit un drapeau provincial »4.

(William Johnson, président d’Alliance Québec)

Cette déclaration illustre et rappelle à la fois, le ton de la riposte fédérale déployée à partir de 1982. Une offensive de reprovincialisation du Québec. Elle marquera les débuts d’une stratégie ciblée et soutenue d’envahissement de ses juridictions et compétences : santé, assurance-médicaments, éducation supérieure, culture habitation, petite enfance ; demain la gestion territoriale ? Il ne reste en effet que le secteur municipal. Pas étonnant que cette idée de faire des municipalités du Québec un 3e ordre de gouvernement, trouve si aisément écho du côté du clan Canada. On ouvrirait toute grande la porte à une intrusion dans cette immense juridiction qui est celle du service de proximité et de la gestion des espaces.

Parallèlement, une formidable offensive fédérale se déploiera sur le plan de la visibilité des couleurs canadiennes en territoire québécois. On va les placarder sur tous les immeubles fédéraux, inonder la publicité télévisée, puiser abondamment dans la trésorerie pour des distributions massives et gratuites de drapeaux. Face à cette offensive, le Québec, comme gouvernement, aura toujours observé une certaine retenue, se limitant aux prescriptions plus administratives de sa Loi sur le drapeau.

2/ Identification et appartenance des institutions nationales, socle de la législation du Québec5

L’approche adoptée par Québec dans sa législation sur le drapeau s’appuie sur un principe logique, relativement inattaquable : lorsqu’arboré par un organisme de l’État, le drapeau est investi d’une signification et d’une fonction différentes de celles de la vie courante, il témoigne de la source et de l’autorité gouvernementale du service rendu au citoyen.

Cette approche tient au fait que le Québec est constitutionnellement dépositaire de la gestion du territoire et de son aménagement et en totalité responsable des services d’éducation, de santé et de services sociaux. La Loi et son Règlement sur le drapeau, identifie de façon exhaustive, les organismes gouvernementaux et ceux du service public concernés. Sur l’édifice de l’Assemblée nationale, contrairement aux parlements des provinces canadiennes, un seul drapeau sur la tour centrale, aucun autre sur les tours latérales, sauf à l’occasion d’événements ou activités protocolaires. C’est corollairement la règle qui, en toute logique, devrait être appliquée au niveau local par l’ensemble des institutions et établissements relevant de son administration.

L’article 1 du Règlement est sans équivoque : « À titre d’emblème national, le drapeau du Québec doit être déployé de façon officielle par une institution publique ou un établissement relevant de l’Administration gouvernementale afin d’identifier son appartenance à cette dernière ».

Tel est le sens de la Loi québécoise. Lorsqu’un drapeau est installé par une administration municipale, ce n’est pas pour indiquer son ressenti québécois, canadien, ou les deux à la fois. C’est pour indiquer aux citoyens que l’ensemble de son administration relève des politiques et des lois du Québec, rien d’autre.

Cette prétention sera appliquée à la lettre par les ministères, les sociétés d’État, les commissions, etc. Elle s’avérera malheureusement, ni comprise ni appliquée de façon uniforme par les municipalités et les établissements des grands réseaux de l’Éducation et de la Santé. Dans certains milieux, elle pourra même se voir ignorée, voire délibérément transgressée.

Enfin, il faut le préciser, les drapeaux étant réservés aux entités jouissant de la capacité juridique d’adopter des lois, ce qu’on appelle généralement « drapeaux municipaux », n’en sont donc pas au sens de la loi du Québec. Ils sont reconnus au titre de « bannières municipales ». Par exemple, en tout lieu où ces dernières seront déployées (bibliothèque, parc, bâtiment de services), elles devront être accompagnées du drapeau du Québec (article 4).

3/ Objectif de la loi fédérale : propagation de la fierté canadienne

Le fédéral n’étant responsable d’aucun grand réseau de services aux citoyens à l’exception de ceux dispensés à partir de ses propres immeubles et agences émettrices de chèques, il a initialement procédé par simple Directive administrative pour l’identification aux couleurs canadiennes des immeubles sous sa juridiction (bases militaires, ports fédéraux, etc.). Absolument aucun établissement relevant des provinces ou de municipalités n’est donc visé par cette obligation d’identification fédérale, pas même ceux bénéficiant de programme de financement fédéraux de recherche comme les universités (chaires du Canada).

L’unifolié de 1965 ne sera pas institué par une loi du Parlement canadien, mais par Proclamation de la reine Elizabeth II. Une loi sera par la suite (2012) adoptée, la Loi concernant le drapeau national du Canada, mais cette dernière ne contient aucune édiction ayant portée légale. Conçue dans une seule optique, celle de la promotion de l’unité canadienne, elle revêt un caractère assez spécial pour un légiste : une exhortation au prosélytisme politique. Il faut afficher l’unifolié canadien partout, y compris « sur les immeubles à logements ». « Attendu qu’il est dans l’intérêt national et public d’encourager le déploiement du drapeau canadien, Sa Majesté, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte que tous les Canadiens sont encouragés à déployer fièrement le drapeau national du Canada… ». La commission Gomery fera amplement état des dérives absolument condamnables auxquelles un tel prosélytisme étatique peut conduire.

4/ L’astuce pour tuer le message d’un drapeau : lui juxtaposer un drapeau portant un message différent

En 1995, se présentant au Cégep de Lévis pour une conférence publique, Jacques Parizeau, premier ministre, manifeste son étonnement en même temps que son grand agacement d’y voir déployés côte à côte les drapeaux du Canada et Québec. Il venait de prendre conscience de cette pratique, pourtant pas si récente à l’époque, de jumeler drapeau canadien et drapeau du Québec sur des organismes ou institutions relevant du Québec.

Une brèche plus large peut-être que celle imaginée, une pratique déjà largement visible dans le secteur municipal. En recourant à cette pratique, des administrations du secteur public, certaines consciemment, d’autres moins, brouillent littéralement le message qui doit être porté par le drapeau du Québec, soit leur appartenance à l’administration gouvernementale du Québec.

Chez l’administration fédérale, l’exclusivité, pas de place d’honneur ni de courtoisie.

Dans la Directive fédérale, il n’est nullement question d’une clause édictant la place d’honneur au drapeau du Canada, puisque sur ses propriétés, il ne saurait être tolérés d’autres drapeaux que le sien. Aucune juxtaposition. Il ne faudrait que quelques heures pour que l’apparition d’un fleurdelisé sur l’immeuble de Postes Canada du centre-ville de Montréal soit dénoncée et corrigée.

L’exemple le plus éloquent, celui du parc des plaines d’Abraham. Immense espace de verdure (103 hectares) au cœur de la Ville de Québec ; aucun drapeau du Québec, aucune bannière de la Ville de Québec, ne serait-ce que par courtoisie pour les citoyens (4 millions de visiteurs annuellement). Le pavoisement des Plaines est assez exceptionnel au chapitre du prosélytisme politico-administratif. Les couleurs canadiennes sont omniprésentes, il s’en trouve bien en vue, à chacune des entrées, sur chaque immeuble administratif, sur chaque pavillon et kiosque, sur le Belvédère Grey et son mât de hauteur démesurée. On aura poussé l’audace jusqu’à en planter un directement sous la fenêtre du bureau du premier ministre du Québec (du temps du Complexe J).

Escorté du drapeau du Canada, le fleurdelisé se voit « provincialisé » jusque dans son format

Ce déploiement côte à côte des drapeaux canadien et québécois en plus de semer l’équivoque quant à l’objectif de signifier le rattachement au Québec des organismes du service public, va conduire plusieurs administrations de ce dernier à enfreindre l’article 1 de la Loi du Québec (2e alinéa) relatif à la dimension légale du drapeau du Québec. Les deux drapeaux étant incompatibles par leur format, la norme 3X5 du fleurdelisé sera le plus souvent sacrifiée pour fin d’harmonisation avec celle de l’unifolié deux fois plus long que large (1X2).

Il faut le répéter, ces pratiques dérogatoires qui se sont répandues au sein du réseau municipal et des réseaux publics ne sont pas imposées de l’extérieur, elles semblent essentiellement découler de permissions que se sont octroyées des administrateurs locaux. Ces nouvelles pratiques sont, par ailleurs, bien connues de l’industrie de fabrication des drapeaux. De plus en plus, les fabricants offrent aux municipalités des kits jumelés Canada-Québec.

5/ Municipalités : là où tout a commencé

Les municipalités sont l’État du Québec au niveau local. Il faut que cela soit exprimé clairement et non de façon équivoque.

Selon notre droit constitutionnel, les choses sont bien définies : le pouvoir de créer, fusionner, abolir une municipalité appartient en exclusivité à l’Assemblée nationale. D’un point de vue pratique, les municipalités n’existeraient pas que l’ensemble de leurs responsabilités seraient assumées par le gouvernement du Québec lui-même. L’architecture des lois territoriales du Québec est entièrement construite en fonction de cette réalité du droit. Ce statut d’administration territoriale est également confirmé dans la Loi sur le Ministère du Conseil exécutif qui édicte qu’aucune municipalité ne peut sans l’accord du gouvernement conclure une entente avec un organisme fédéral. Enfin, la Commission municipale du Québec, organisme peut de son propre chef enquêter les finances de toute municipalité et même les comportements déontologiques de ses élus. Nous sommes donc, malgré le discours, loin d’une réalité de troisième ordre de gouvernement.

Dans notre régime politique, le seul drapeau que les municipalités du Québec ont l’obligation légale de déployer est le drapeau du Québec.

Pratiques différentes selon la taille et la région de la municipalité

Sans disposer d’une recension formelle à ce chapitre, on peut observer certaines tendances : les petites municipalités situées hors des grands centres urbains s’en tiendraient au sens de la Loi du Québec, c’est-à-dire un drapeau, celui du Québec. Ces dernières de même que les MRC (1000 entités au total), sont généralement regroupées sous le chapeau de la Fédération des municipalités du Québec (FMQ). Plus les municipalités grossissent en taille, plus elles semblent avoir adopté le drapeau du Canada comme interface au drapeau du Québec. Ces municipalités, au nombre de 300, sont sous le chapeau de l’Union des municipalités du Québec (UMQ).

6/ Le drapeau canadien en lieu et place du fleurdelisé pour exprimer sa désaffiliation du Québec ?

Pour délimiter les territoires municipaux et scolaires où le drapeau du Québec trouve plus difficilement place, il suffit d’identifier les foyers d’émergence de l’idée partitionniste dans la foulée de la loi 101 de 1977 et du référendum de 1995, puis, plus récemment, au mouvement de refus de la Loi 21 sur la laïcité de l’État.

Dans des moments les plus émotifs, on ira jusqu’à faire appel à la désobéissance civile et même à engager des fonds publics pour faire obstacle légal aux projets de l’État dont elles relèvent juridiquement. En début d’année 2024, la Commission scolaire English Montreal avait déjà dépensé 1,3 million $ dans ses contestations judiciaires de la loi 21.

Pas étonnant que dans ces circonstances, le drapeau de référence déployé sur les Citys Halls et certaines écoles, soit le drapeau du Canada et non celui du Québec.

Selon un récent relevé, les sept conseils municipaux du West Island semblent en rupture avec le principe énoncé à l’article 1 de la Loi du Québec, en déployant le drapeau du Canada en place d’honneur sur leur hôtel de ville6.

7/ Montréal : le drapeau du Québec dans le placard durant cinq décennies.

L’édiction de la « place d’honneur devant obligatoirement être attribuée au drapeau du Québec» posa jadis un important problème de conscience et de loyauté chez le maire de la Métropole, Jean Drapeau. Allait-il se soumettre à la prescription d’un « gouvernement provincial » et relayer le drapeau du Canada au second rang ? Il tranchera le nœud en retirant tout simplement le drapeau du Québec de la salle du Conseil et décidera de l’écarter de toute activité protocolaire. Pourtant dérogatoire à la Loi du Québec, cette pratique durera plus de cinq décennies.

Une bannière municipale qui se donne des airs de drapeau national

Pratique également contraire à la réalité constitutionnelle du Québec. La Loi 121, adoptée en 2017 par le gouvernement Couillard consacrant un statut de métropole à Montréal n’y change rien. Les pouvoirs de Montréal sont toujours contenus dans les seules limites de ceux que le gouvernement du Québec lui délègue. Montréal n’est pas Hong Kong ni Dubaï, on ne peut délibérément propager l’illusion qu’elle pourrait un jour avoir la capacité de traiter avec un État constitué.

Denis Coderre fut le premier à soutenir, non sans une certaine assurance, cette idée saugrenue de « Cité-État » pour la métropole, c’est-à-dire une espèce de principauté jouissant d’une part souveraineté en matière de politique linguistique et d’immigration par exemple. Dans une mise en scène qui lui sied parfaitement, on le voit en 2014 avec le président François Hollande, flanqués de la bannière municipale et du grand tricolore français.

Valérie Plante ne sera pas en reste. La galerie de photos est farcie d’images souvenirs de grands destins communs avec des ministres fédéraux, alors qu’elle n’a pas la capacité juridique de signer la moindre entente avec un organisme fédéral, sans l’autorisation du gouvernement du Québec (art. 3.1 Loi du MCE).

Ce manège prendra fin en 2018, soit plus de cinq décennies plus tard. Il faut saluer la décision de la ministre libérale de la Justice Stéphanie Vallée qui, cette année-là, sonnera la fin de la récréation et enjoindra l’administration Plante d’officialiser la réhabilitation du drapeau national du Québec à l’Hôtel de Ville.

8/ Récente intrusion du drapeau canadien sur les écoles du ministère de l’Éducation

Qu’elles soient francophones ou anglophones, ces écoles sont toutes soumises à la Loi de l’instruction publique du Québec et au Régime pédagogique du ministère. Sur le plan immobilier, plus de 4000 bâtiments sous la responsabilité du Québec.

En 2024, selon des signalements adressés au ministre responsable du drapeau des établissements scolaires n’arboreraient toujours pas le fleurdelisé. Mais une autre situation dans grande région de Montréal (y incluant Laval et la Montérégie) interroge : de plus en plus de drapeaux du Canada apparaissent sur des écoles primaires et secondaires. Les exemples foisonnent. Il serait présent sur la plupart des écoles du Centre scolaire Marguerite-Bourgeois.

Comment expliquer ? Les écoles primaires et secondaires ne relèvent-elles pas directement du ministère de l’Éducation ? Le phénomène semble avoir pris naissance ou coïncider avec l’apparition de cohortes d’étudiants de plus en plus multiethniques issues de l’immigration.

Quel rapport entre arrivée massive d’une telle « clientèle » et installation d’un drapeau du Canada ? Veut-on faire de l’accommodement politique ? Qui en a fait la réclamation ? L’école, le drapeau national du Québec, ne sont-ils pas des outils privilégiés d’intégration7 ?

9/ Cégeps et universités : des administrateurs locaux qui s’octroient des libertés

Corporation de droit public, tout comme les composantes de l’Université du Québec, les cégeps sont sous la responsabilité directe du ministre de l’Enseignement supérieur. Une partie des membres des conseils d’administration sont d’ailleurs nommés par ce dernier. En toute logique administrative, seul le drapeau du Québec doit apparaître sur ces institutions, de même que leurs antennes régionales et CCTT (Centres Collégiaux de Transferts Technologiques).

Lors de cette visite de monsieur Parizeau à Lévis en 1995, non seulement le drapeau du Canada trônait-il sur l’entrée principale, mais les administrateurs de l’époque avaient poussé le zèle jusqu’à en installer un second exemplaire dans la salle du conseil d’administration.

Les collèges anglophones de Montréal, John Abbott, Vanier, Dawson, MacDonnald étaient du nombre. Faut-il s’en surprendre ?

Enfin, du côté des universités beaucoup de variété : face à l’exemplarité de l’Université de Sherbrooke [drapeau du Québec à titre exclusif], l’Université Bishop’s en aligne quatre ; à l’Université Laval, assemblement triangulaire dont on devine mal lequel occupe la place d’honneur. Quant à Concordia, université régie, à l’instar de toutes les autres, par la Loi québécoise sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire, on est dans un registre d’une autre catégorie, celle d’une université située en territoire autochtone non cédé (Nation Kanien’kehá : ka). Difficile d’y dénicher le drapeau du Québec.

10/ Réseau de la santé et de services sociaux : confusion des genres de plus en plus manifeste

Ici, les pratiques correctes et incorrectes se côtoient allègrement. L’héritage ou l’adhésion linguistique des administrations semble agir comme déterminant. Exemple tiré de la Ville de Québec : le drapeau du Québec à titre exclusif sur l’Hôpital de l’Enfant-Jésus basse-ville], le drapeau du Canada en place d’honneur sur Jeffery hôpital de tradition anglophone.

Idem pour « le Jewish » à Montréal, l’hôpital Pontiac en Outaouais, CLSC Ormestown en Montérégie, Hôpital Wakefield, CLSC Parc Extention Côte-des-Neiges, Des Collines, [Chapeau].

En matière d’aberration, la palme revient cette fois-ci au CH Santa Cabrini [Montréal], établissement du CIUSSS de l’Est de l’Ile et sur lequel la place d’honneur accordée au drapeau du Canada, lequel est flanqué à droite du drapeau de l’Italie éloignée de plus de 6500 km. Un multiculturalisme bon chic bon genre qu’on ne retrouve pas même sur un hôpital de Toronto.

Pas si importants les drapeaux ?

Jusqu’au qu’à ce qu’on s’aperçoive que notre propre terrain se retrouve investi par celui du voisin.

Sur un territoire national qui est le sien, le gouvernement du Québec est constitutionnellement unique responsable d’importantes institutions, dont les administrations municipales et deux vastes réseaux d’établissements qui ont pour mission première de fournir des services aux citoyens. Ces relations État-citoyens doivent de toute évidence être identifiables et reconnaissables visuellement sur l’ensemble du territoire. Il faut convenir que des failles importantes existent à ce chapitre et que des correctifs doivent être apportés.

Confronté à une stratégie assez grotesque d’ingérences du Fédéral dans ses compétences constitutionnelles, le gouvernement du Québec ne doit pas hésiter à prendre les mesures administratives pour que soit affirmée visuellement, sans équivoque aucune, son autorité exclusive sur les municipalités du Québec, l’éducation, l’enseignement supérieur.

Quelques recommandations

1- Un inventaire nécessaire

Ce texte réfère à une série d’observations recueillies de façon aléatoire. Pour se donner un portrait plus juste, il faut une recension plus systématique. Il est donc proposé que le Ministre responsable du drapeau procède à un inventaire des pratiques existantes dans les trois réseaux. Une simple photo par établissement. Une opération pas si complexe à l’époque du téléphone intelligent. Un exercice qui pourrait être coordonné sur le terrain par les Centres scolaires, la SQI, les directions régionales des ministères concernés.

2- Communication

Dans un premier temps, le gouvernement du Québec doit s’employer à expliquer plus correctement à la population, et de façon plus ciblée, à ses propres administrations locales, la logique et la fonction du drapeau du Québec lorsque déployé sur une institution publique.

Au chapitre de cet enjeu central des drapeaux juxtaposés, des guides publiés par notre gouvernement semblent plutôt participer à la confusion qu’à éclairer. Des directeurs généraux de municipalités se proclament d’ailleurs de ces guides officiels dans leur justification d’installer le drapeau du Canada en parallèle avec celui du Québec. Dans aucun de ces textes il est clairement énoncé la place d’honneur réservée au drapeau du Québec se rapportant aux activités protocolaires.

Dans le guide intitulé Règles générales du drapeau national [site Web], il est de surcroit affirmé que « Le drapeau d’un État souverain a préséance sur celui d’une province… ». Ce qui de prime abord semble contredire l’article 2 de la Loi du Québec. et semer la confusion dans les esprits.

3- Écoles primaires et secondaires

Sur ce plan, il faut d’évidence revenir à la situation ante, soit prendre les mesures, avec les Centres scolaires afin que soient retirés les drapeaux fédéraux installés sur les établissements par des directions d’écoles. Il doit en effet être clairement imprimé dans l’esprit des cohortes de nouveaux arrivants que l’éducation et la formation scolaire relèvent de la mission exclusive de l’État québécois. Il n’y a pas de situations justifiant des accommodements basés sur des préférences ou références identitaires.

Si le message devait être davantage appuyé, le Ministère pourrait envisager d’appliquer rétroactivement à toutes les écoles du Québec, la nouvelle signature gouvernementale élaborée récemment pour les nouvelles générations d’écoles.

4- Réseau de la Santé et Services sociaux

À ce chapitre, même recommandation que pour le secteur scolaire. Dans un deuxième temps, il faudrait envisager que les établissements l’ensemble du territoire puissent être identifiés au moyen d’une signature uniforme du type de celle qui est en voie d’implantation en éducation. Le transfert des responsabilités du Ministère à une super Agence rend la chose encore plus nécessaire.

5- Le réseau des municipalités

Personne morale de droit public, une municipalité se voit confier par les lois du Québec une mission de service public au même titre qu’un hôpital, un cégep ou une composante de l’Université du Québec. Une municipalité bénéficie toutefois d’attributs supplémentaires qui ont leur importance politique : ses dirigeants sont élus au suffrage universel et elle dispose de la capacité légale de tirer des revenus sous forme de taxes. Dans le dossier qui nous intéresse, cela amène un degré de complexité à considérer.

Un comité de travail doit être envisagé dans le but de traiter de la question avec des représentants des deux unions municipales. Au terme de la réflexion, une solution devrait être trouvée. Il faut qu’il soit compris que les conseils municipaux ne peuvent juxtaposer le drapeau du Canada à celui du Québec sans annuler l’effet de l’article 1 du Règlement sur le drapeau.

6- La question de l’absence de sanctions dans la loi

Toute loi ou un règlement ne prévoyant pas de pénalités en cas de non-observance a nécessairement une portée plus limitée. Les seules édictions de la Loi sur le drapeau se rapportent à l’État lui-même, sauf l’interdiction générale à quiconque de l’utiliser de façon à laisser faussement croire qu’il est revêtu de l’autorité de l’État.

Dans de telles circonstances, le pouvoir moral doit normalement suffire, à défaut le pouvoir d’autorité. En cas de désobéissance de la part d’un organisme faisant partie des catégories énumérées dans la Règlement, des « interventions persuasives » peuvent toujours être envisagées en lien avec les protocoles d’agrément ou de financement.


1 Argument. « Nation et société : Papineau, Mercier et Lévesque ». Philippe Bernard. Vol. 14 no 1 Automne 2011 – Hiver 2012.

2 Ce caractère national sera ultérieurement formellement inscrit à l’article 2 de la Loi (Emblème national du Québec…), de même que dans le Règlement sur le drapeau.

3 « Le drapeau canadien doit toujours avoir préséance sur le drapeau du Nouveau-Brunswick et occuper la place d’honneur lorsque présenté en compagnie du drapeau du Nouveau-Brunswick ». (Règles générales régissant l’utilisation des drapeaux au Nouveau-Brunswick).

4 Déclaration dans le cadre d’un panel avec Anne-Marie Dussault, le 21 janvier 1998, à l’occasion du 50e anniversaire de l’adoption du fleurdelisé.>

5 Les observations qui suivent sont en partie tirées de deux lettres adressées par l’auteur aux ministres responsables de l’administration du drapeau du Québec. La première datée du 8 janvier 2018, adressée à Mme Stéphanie Vallée, ministre de la Justice et intitulée « Montréal et l’usage du drapeau du Québec : renier son appartenance au Québec en se soustrayant aux règles édictées par le gouvernement du Québec ». Cette missive concerne la gestion du premier emblème de l’État par la ville de Montréal. Une fois rendue publique sur le site de L’Action nationale, cette dernière a entrainé dans son sillage de vigoureuses interventions citoyennes auprès du Conseil de ville. Malgré une résistance, l’administration Plante s’est finalement résolue à se conformer à la Loi du Québec.

La seconde lettre, datée de janvier 2024 a été adressée au ministre Jean-François Roberge, désigné par décret spécial, ministre responsable. Intitulée « Le drapeau du Québec, signature officielle du service public et des institutions relevant de l’État : persistante confusion des genres du côté des municipalités et des réseaux de l’éducation et de la santé », cette lettre plaide en faveur d’un retour à l’esprit et à la lettre de la Loi du Québec dans les réseaux de l’éducation et de la santé.

6 Baie d’Urfé, Beaconsfield, Dollard-des-Ormeaux, Kirkland, Sainte-Anne-de-Bellevue, Pointe-Claire, Dorval.

7 Le dernier Portrait socioculturel des élèves inscrits dans les écoles publiques de l’île de Montréal rapporte que 56 % de leurs élèves sont soit nés à l’étranger, soit nés ici de deux parents étrangers. Sur un total de 447 écoles, 165 écoles publiques (primaires ou secondaires) de l’île affichent une proportion de 66 % ou plus d’élèves issus de l’immigration. Parmi elles, 111 en comptent 75 % ou plus, 43 en accueillent 85 % ou plus. (J-F Lisée, Le Devoir, 24 février 2024).

* Ex-conseiller en affaires institutionnelles, Gouvernement du Québec.

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Hommage à Yves Michaud Grand bretteur et patriote