Le droit des peuples autochtones et l’indépendance du Québec

L’auteur est avocat constitutionnaliste

En septembre-octobre 2017, des déclarations lourdes de conséquences ont été effectuées par des hommes politiques relativement aux droits autochtones et au territoire du Québec. Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a déclaré qu’advenant l’indépendance du Québec, les nations autochtones pourraient invoquer leur droit à l’autodétermination pour obtenir la partition de la moitié du Québec. Un député de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a affirmé que les nations autochtones pourraient quitter le Québec. Le programme de son parti indique qu’il faudrait remplacer la notion d’intégrité territoriale du Québec par une autre, non précisée, qui laisserait s’exercer le droit à l’autodétermination des Autochtones. Et l’entente de principe en vue de la fusion entre Québec solidaire et Option nationale reconnaît la souveraineté autochtone. Enfin, le maire de Montréal, Denis Coderre, est d’avis que le territoire de Montréal est un territoire mohawk non cédé.

Ces déclarations laissent perplexe une grande partie de la population du Québec et créent de la confusion. 

Pour pouvoir juger dans quelle mesure elles peuvent être fondées, il faut examiner l’évolution du droit international et du droit canadien relativement aux nations autochtones. Ce faisant, il faut éviter deux écueils : la négation de leur identité et de leurs droits établis ; et l’autoflagellation née d’un sentiment de culpabilité du peuple québécois devant le sort des Autochtones, ce qui peut conduire à une complaisance dénuée d’esprit critique devant certaines revendications.

Savoir de qui on parle

Il importe d’abord d’établir qui sont les autochtones du Québec. Il n’y a pas de consensus sur leur nombre officiel. On sait que les personnes qui se disent d’origine autochtone sont plus nombreuses que celles qui se considèrent comme autochtones. On sait aussi que ces dernières sont plus nombreuses que celles qui sont inscrites au Registre du ministère des Affaires indiennes. Le gouvernement fédéral a toujours eu intérêt à minimiser le nombre d’autochtones afin de réduire ses charges financières. De plus, de nombreux autochtones ne sont pas en mesure d’établir qu’ils satisfont aux critères sanguins de la Loi sur les Indiens. Ces autochtones se trouvent dans une catégorie spécifique appelée «Indiens sans statut». Les critères sanguins font en sorte qu’un autochtone peut se joindre au peuple québécois, mais qu’un Québécois ne peut se joindre à un peuple autochtone.

On peut estimer que les autochtones forment approximativement 100 000 personnes au Québec, si on tient compte à la fois du Registre officiel et du nombre des Indiens sans statut, soit environ 1,5 % de la population québécoise. Cette proportion est la moins élevée des provinces canadiennes. Au Canada dans son ensemble, elle est de 4 %.

Cette population est répartie en 11 nations reconnues au Québec par une résolution de l’Assemblée nationale. Dix d’entre elles ont été reconnues en 1985 sous le gouvernement de René Lévesque : les Inuits au Nunavik, les Cris dans la région de la Baie-James, les Naskapis à Schefferville, les Anishnabe (appelés Algonquins par les non-autochtones) en Abitibi et en Outaouais, les Attikameks en Haute-Mauricie, les Innus au Lac-Saint-Jean, sur la Côte-Nord et à Schefferville également, les Mohawks près de Montréal, les Wendats (appelés Hurons par les non-autochtones) à Québec, les Abénaquis près de Trois-Rivières, et les Micmacs en Gaspésie. Une onzième nation, les Malécites du Bas-du-Fleuve, a été reconnue en 1989 par une résolution additionnelle de l’Assemblée nationale.

Les Autochtones habitent donc toutes les régions du Québec, sauf les Cantons de l’Est qui étaient un no man’s land inhabité au moment de l’arrivée de Champlain au début du 17e siècle, car des guerres faisaient alors rage entre les Innus et les Anishnabe situés au nord du Saint-Laurent, auxquels les Français se sont alliés, et les Mohawks alors situés au nord de l’État de New York.

La population des nations autochtones va d’environ 20 000 individus pour les Cris à quelques centaines pour les Abénaquis, les Malécites et les Naskapis.

La situation économique, politique et juridique de ces onze nations varie considérablement. Elles se répartissent en trois groupes. Un premier groupe est formé par les trois nations signataires des traités modernes que sont la Convention de la Baie-James et la Convention du Nord-est québécois. Ces nations sont beaucoup plus autonomes et bénéficient d’un niveau de vie plus élevé que la plupart des autres nations autochtones du Canada et du Québec. Le contraste est frappant, par exemple, entre l’aisance des Cris et la grande pauvreté de leurs voisins anichinabés et attikameks au Québec, de même que celle de leurs cousins cris de l’Ontario.

Les Cris ont reçu 250 millions $ lors de la signature de la Convention de la Baie-James en 1975 et ont pu dès ce moment échapper à la Loi sur les Indiens au moyen d’une loi fédérale qui leur accordait une autonomie alors exceptionnelle selon les termes de la Convention. Ils ont plus tard reçu 5 milliards $ en vertu de la Paix des Braves (3,5 milliards $ d’Hydro-Québec sur 50 ans à partir de 2002, 1,5 milliard $ de la part du gouvernement fédéral). La Paix des Braves constitue l’un des nombreux amendements. Les Inuits ont de leur côté reçu environ un milliard $. Les Inuits n’ont jamais été soumis à la Loi sur les Indiens. Leurs villages relèvent du ministère des Affaires municipales du Québec.

Plus important encore, les institutions autonomes mises sur pied par les lois fédérales et québécoises donnant suite à la Convention permettent aux Cris et aux Inuits de gouverner, par l’entremise d’institutions publiques où ils sont majoritaires, de vastes territoires à l’extérieur de leurs villages. Les non-autochtones dans ces territoires sont ainsi soumis à la gouvernance autochtone. Par exemple, l’Administration régionale Kativik, une MRC aux responsabilités et aux pouvoirs exceptionnels, a juridiction sur 500 000 kilomètres carrés, soit le tiers du territoire du Québec. Cette MRC est publique, c’est-à-dire que des non-autochtones peuvent y être élus, mais la population permanente d’un peu plus de 10 000 personnes est composée à 90 % d’Inuits.

Un deuxième groupe de nations autochtones est composé de celles qui étaient présentes sur leur territoire actuel, mais n’ont signé aucun traité. Il s’agit des Anichinabés, des Attikameks, des Innus, des Malécites et des Micmacs (ces derniers font partie d’une nation dont la majorité des membres se trouvent dans les provinces maritimes). Certaines de ces nations (les Innus et les Attikameks) négocient un traité depuis des décennies sans succès. Les autres ont entamé le processus de négociation depuis peu.

Enfin, un troisième groupe, les Mohawks, les Wendats et les Abénaquis, est composé de nations qui n’étaient pas présentes au Québec à l’arrivée des colonisateurs français. Certains Mohawks, originaires des États-Unis près du lac Champlain, se sont établis près de Montréal après avoir été convertis ; les Wendats ont fui l’Ontario pour se réfugier près de Québec ; les Abénaquis ont été refoulés de la Nouvelle-Angleterre pour habiter la région de Trois-Rivières. Leurs droits ancestraux, en vertu du droit canadien actuel, sont en principe moins importants à l’extérieur de leurs réserves que ceux des autres nations autochtones qui sont originaires du Québec1. Leurs droits sont dérivés en grande partie des chartes seigneuriales obtenues du Roi de France par des communautés religieuses qui leur ont permis de s’établir au Québec. La revendication des Mohawks voulant que Montréal soit un territoire mohawk non cédé est douteuse, comme le font voir deux textes parus dans La Presse des 26 et 27 septembre 2017 et signés par les professeurs Laurent Turcot et Denis Delâge respectivement2.

Une douzième nation qui n’est pas reconnue au Québec est celle des Métis. Les Métis sont reconnus au Labrador terre-neuvien, en Ontario et dans les provinces de l’Ouest. Ils sont issus d’une ascendance autochtone et non autochtone. On sait que de nombreux Québécois croient qu’ils ont des ancêtres autochtones3 dans une proportion difficile à établir pour les démographes en raison des lacunes des archives publiques, où l’origine autochtone n’était souvent pas mentionnée. Malgré cette réalité historique, aucune communauté métisse n’a été identifiée comme telle au Québec.

Il existe une autre forme de métissage très fréquente au Québec, celle entre les membres des nations autochtones. Ainsi, un enfant innu peut avoir un père innu et une mère attikamek ou wendat. Ces croisements fréquents font en sorte que, comme pour tous les autres peuples, l’origine ethnique des Autochtones est en réalité de plus en plus diversifiée.

Un peu d’histoire du droit

Pour bien comprendre où nous en sommes, il faut examiner rapidement l’évolution du droit international, du droit américain et du droit canadien relativement aux nations autochtones.

1.1 Le droit international

Bien qu’il ait des origines sur différents continents, le droit international des 16e et 17e siècles, l’époque des grandes « découvertes » occidentales, était essentiellement une construction récente destinée à régir les rapports entre les monarchies européennes dans leurs efforts pour s’approprier la majeure partie de la planète. Pendant plusieurs siècles, les continents américain, africain et asiatique furent colonisés par les puissances européennes sans que le droit international ne reconnaisse aucun droit à leurs habitants. Cette doctrine était appelée terra nullius, et signifiait que ces continents étaient officiellement inhabités, puisqu’il ne s’y trouvait aucune civilisation comparable à celle de l’homme blanc. Comme ces terres étaient juridiquement inhabitées malgré la présence de peuples autochtones, il suffisait aux représentants d’une monarchie européenne de poser un geste officiel à son arrivée pour conférer un titre à son Roi qui serait valable à l’encontre des autres États. C’est ce que fit par exemple Jacques Cartier, en 1534, en érigeant une croix à Gaspé, de même que Maisonneuve à Montréal en 1642, puisque les symboles de l’Église et de l’État étaient confondus. La seule préoccupation du droit international de cette époque était d’établir des règles entre les États colonisateurs, qui pouvaient recourir à la force entre eux ou à l’égard des Autochtones aussi souvent que leurs intérêts le commandaient. La traite des Noirs de l’Afrique à l’Amérique, par exemple, n’était pas contraire au droit international de l’époque puisque les droits fondamentaux des personnes et des peuples étaient inconnus. La Cour internationale de Justice n’a abandonné la doctrine du terra nullius qu’en 1975 dans l’affaire du Sahara occidental.

L’Espagne était la plus grande puissance au moment de la découverte de l’Amérique par les Occidentaux. Les Espagnols se seraient livrés à des mauvais traitements des Autochtones et à des massacres dès l’arrivée de Christophe Colomb4. Il y eut un débat célèbre entre deux juristes espagnols au 16e siècle afin de savoir si les Autochtones avaient des âmes. Le pape trancha positivement en affirmant qu’ils devaient être convertis de force si nécessaire. Les Espagnols détruisirent nombre d’œuvres culturelles des Autochtones dont ils ne comprenaient pas la signification. Rien de tout cela n’était alors contraire au droit international, dont le profond racisme était incontestable.

Du point de vue des Autochtones, l’arrivée des Européens menait à une perte plus ou moins rapide de leur souveraineté et de leur liberté par l’occupation ou la conquête5. Ils n’ont jamais accepté le discours de la découverte puisque, venus d’Asie, ils étaient en Amérique depuis plusieurs millénaires. Ils n’ont jamais cessé depuis de lutter pour recouvrer l’exercice le plus large possible de leurs droits.

Ce n’est qu’à partir des années 1960 que le droit international commença lentement à s’intéresser au sort des peuples autochtones. Le point culminant de cette évolution fut l’adoption en 2007 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones qui fut votée par l’Assemblée générale des Nations unies à une très large majorité après plus de 20 ans de négociations. Le préambule de la Déclaration précise qu’elle constitue un idéal à atteindre. La Déclaration reconnaît des droits substantiels aux peuples autochtones. L’article indique qu’ils détiennent le droit à l’autodétermination, mais l’article 4 ajoute que ce droit est un droit à l’autonomie dans le cadre d’un État existant. L’article 46.1 précise que la Déclaration ne peut servir à détruire ou amoindrir, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un État souverain et indépendant, ce qui comprend bien sûr le Québec indépendant. L’article 46.1 a été inséré à la demande du groupe d’États africains à l’Assemblée générale, car ils craignaient que la Déclaration se serve à remettre en question la stabilité de leurs frontières.

1.2 Le droit américain

L’histoire des États-Unis relativement aux peuples autochtones fut violente et caractérisée par un esprit de conquête. Même s’il n’y a pas eu de génocide comme en Amérique latine, les colons américains ont dans l’ensemble ignoré complètement les droits des peuples autochtones. En 1831, dans l’affaire Cherokee Nation v. State of Georgia, la Cour suprême des États-Unis a rendu un jugement avant-gardiste et éclairé pour son époque6. Tout en condamnant les pratiques du passé, la Cour a tenté de jeter les bases d’une coexistence plus respectueuse des Autochtones. Elle a déclaré que ceux-ci formaient des domestic dependent nations, que nous qualifierions aujourd’hui de nations internes, qui détenaient toujours une souveraineté sur le plan intérieur. Cette souveraineté avait toutefois nécessairement été amputée de sa dimension internationale par la création d’un nouvel État indépendant, les États-Unis d’Amérique. La souveraineté interne était un droit inhérent à l’autonomie qui pouvait s’exercer dans tous les domaines où le Congrès américain n’était pas intervenu. Autrement dit, il ne s’agissait pas de pouvoirs délégués comme ceux des municipalités, et l’autonomie autochtone ne pouvait être réduite par des lois des États américains. Même si elle n’était pas constitutionnalisée, l’autonomie autochtone ainsi définie demeurait considérable. La souveraineté des États-Unis se concilie avec celle des nations autochtones au moyen de traités internes. Ce jugement majeur ne fut pas respecté par le gouvernement américain avant plusieurs décennies, alors que se déroulait la conquête de l’Ouest, mais il est aujourd’hui le fondement du droit autochtone dans ce pays.

Dans un jugement antérieur7, la Cour suprême avait commenté favorablement les liens entre les colonisateurs français et les Autochtones. Le plus haut tribunal américain a alors considéré que les Français étaient plus respectueux des droits autochtones en pratique, même si le droit français ne les reconnaissait pas. Les historiens américains appellent encore aujourd’hui la guerre de Sept Ans, qui a mené à la conquête britannique de la Nouvelle-France, la French and Indian War, ce qui résume la perception qu’avaient les colons américains de l’étroitesse des rapports entre Français et Autochtones.

1.3 Le droit canadien

Champlain et ses successeurs ont fait de la nécessité une vertu. Comme la Nouvelle-France était dix fois moins peuplée que les colonies américaines, mais qu’elle revendiquait un très vaste territoire allant de Québec à La Nouvelle-Orléans en passant par le bassin du Mississippi, l’alliance avec les peuples autochtones était essentielle. Les Français n’ont pas manifesté une ouverture particulière aux peuples qu’ils avaient colonisés sur d’autres continents, mais il ne fait guère de doute qu’en Amérique du Nord ils ont maintenu des relations plus horizontales fondées sur un réseau d’alliances militaires et diplomatiques8. Dès son arrivée à Tadoussac, avant même de fonder Québec en 1608, Champlain avait conclu une alliance avec les Innus et les Anichinabés dans leur guerre préexistante contre les Iroquois, ancêtres des Mohawks. En 1701, la Grande Paix de Montréal réunissait autour des Français plusieurs dizaines de nations autochtones, dont certaines d’aussi loin qu’au-delà des Grands Lacs. Lors de la Conquête, plusieurs nations autochtones alliées des Français refusèrent dans un premier temps de reconnaître la souveraineté britannique.

Les Britanniques se voulaient néanmoins plus progressistes que l’état du droit international de la fin du 18e siècle. Ils n’appliquaient la doctrine de terra nullius qu’aux populations autochtones jugées les moins évoluées de leur empire, tels que les aborigènes d’Australie. Ceux-ci étaient jugés incapables de comprendre la notion de droits fonciers. Les peuples autochtones d’Amérique du Nord étaient considérés comme plus avancés. Le droit britannique leur reconnaissait des droits ancestraux sur le territoire qui tirait leur origine de leur occupation antérieure. La Proclamation royale de 1763 reflétait ce nouvel ordre juridique en exigeant la cession des droits ancestraux au moyen de traités avant que la colonisation puisse se réaliser sur un territoire. Ces traités étaient fondés sur l’indépendance ou à tout le moins l’autonomie politique des peuples autochtones9. Ils avaient pour but de légaliser l’appropriation des territoires autochtones par la Couronne britannique.

La Proclamation royale excluait les régions déjà colonisées (dont le bassin du Saint-Laurent et les provinces maritimes) de cette exigence. En Ontario et dans l’Ouest canadien, des traités furent conclus pour établir la souveraineté britannique, puis canadienne. Par ces traités, d’immenses territoires (comprenant la région de Toronto et l’ensemble des provinces de l’Ouest) furent cédés par les nations autochtones pour une bouchée de pain dans des circonstances frauduleuses. La conséquence principale de ces traités fut que les droits ancestraux furent abolis. La Cour suprême refuse aujourd’hui de remettre en question ces traités inéquitables, qui constituent l’un des fondements du Canada. Aucun de ces traités ne fut conclu au Québec.

En 1867, la Constitution fédérale mise en place par une loi britannique accorda au Parlement canadien la compétence législative sur la personne des Autochtones et aux provinces la propriété et la compétence sur les terres publiques, contrairement aux États-Unis où les terres publiques sont fédérales ce qui facilite une gestion globale des affaires autochtones. Au Canada, les Autochtones ont souvent fait les frais des tensions fédérales-provinciales, car il fallait l’accord des provinces pour créer des réserves ou accorder aux Autochtones des droits hors réserve.

La Loi constitutionnelle de 1867 ne reconnaissait ni les nations autochtones ni leurs droits. Cependant, le gouvernement fédéral continua à reconnaître officiellement l’existence des droits ancestraux et à conclure des traités profondément injustes. En même temps, il s’empressa d’utiliser sa compétence pour faire adopter dès les premières années de son existence la Loi sur les Indiens, qui réduisait à néant l’autonomie des Autochtones et les cantonnait sur de minuscules territoires. Il est établi que la Loi sur les Indiens du Canada fut l’un des modèles du régime d’apartheid mis en place en Afrique du Sud. De plus, le régime des pensionnats, qui enlevait les enfants autochtones à leurs familles et les soumettait à des abus et des mauvais traitements systématiques, a duré près d’un siècle et est aujourd’hui officiellement considéré comme une forme de génocide culturel, qui a donné lieu à des compensations massives de la part du gouvernement canadien.

Ayant imposé l’étau étroit de la Loi sur les Indiens, qui interdisait même les cérémonies traditionnelles à cette époque, le gouvernement fédéral cessa de négocier des traités dans les années 1920 même si tout le territoire canadien n’était pas recouvert par ceux-ci. La notion même de droits ancestraux tomba en désuétude.

Le territoire du Québec s’arrêtait en 1867 à une ligne qui allait du nord de l’Abitibi au nord du lac Saint-Jean. En 1912, ce territoire fut agrandi considérablement par des lois parallèles fédérales et provinciales pour recouvrir la Baie-James et le Nunavik actuels. Ces lois posèrent comme condition d’obtenir la cession des droits ancestraux des peuples autochtones concernés, conformément à la politique traditionnelle britannique et fédérale. Comme cette politique fut abandonnée quelques années plus tard, ni le Québec ni l’Ontario ne se sont conformés à cette obligation pendant plusieurs décennies.

En 1968, Trudeau père prit le pouvoir et nomma Jean Chrétien ministre des Affaires indiennes. Ensemble, ils émirent un livre blanc sur ce qui devait être la nouvelle politique autochtone du gouvernement canadien. Dans le livre blanc, ils osèrent proclamer pour la première fois de manière officielle que les droits ancestraux n’avaient plus aucune valeur juridique, seulement une valeur morale ou politique. Ils proposèrent également la disparition des réserves et l’assujettissement des Autochtones aux compétences provinciales. Cette politique de négation de l’existence et des droits des Autochtones était conforme à la négation de l’existence et des droits du peuple québécois.

La Cour suprême a toutefois imposé un revers au gouvernement Trudeau en 1973 dans l’affaire Calder, initiée par la nation Nishga de Colombie-Britannique. Dans ce jugement, la Cour suprême rappela la nature juridique des droits ancestraux. Du coup, l’obligation faite dans les lois fédérale et québécoise de 1912 de négocier la cession de ses droits avec les occupants du Nord québécois redevint réelle, au moment même où le gouvernement Bourassa avait annoncé la construction des barrages de la Baie-James. Le gouvernement du Québec, avec l’accord du gouvernement fédéral, négocia en catastrophe le premier traité moderne au Canada, connu sous le nom de Convention de la Baie-James. Par ce traité, les Cris et les Inuits acquirent une autonomie nettement supérieure à celle prévue par la Loi sur les Indiens, et une compensation financière s’élevant à 250 millions $ en 1975. En 2002, une modification de la Convention appelée la Paix des Braves ajouta 3,5 milliards $ (70 millions $ par année sur 50 ans) à la compensation versée par Hydro-Québec ; un peu plus tard, le gouvernement fédéral ajouta 1,5 milliard $. Des droits ancestraux, qui ne valaient rien ou presque avant l’arrêt Calder, valaient des millions, puis des milliards, après ce jugement.

Les Innus ont été les victimes de ce revirement. Dans les années 1960, la communauté innue de Pessamit n’obtint qu’un maigre 50 000 $ pour le développement du réseau hydroélectrique de la Manicouagan, d’une puissance pourtant comparable à celui de la Baie-James. Cette question constitue l’un des obstacles à la conclusion d’un traité avec les Innus, en négociation depuis plus de 30 ans.

En 1982, le gouvernement Trudeau fit un virage à 180 degrés par rapport à sa position de 1968. Il accepta à ce moment de constitutionnaliser les droits ancestraux et ceux issus de traités dont il avait nié la nature juridique quatorze ans plus tôt. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaissait ainsi l’existence et l’identité des peuples autochtones, une reconnaissance qui était refusée au peuple québécois. Les peuples autochtones canadiens trouvaient cependant cette reconnaissance insuffisante. Ils auraient préféré notamment une reconnaissance explicite de leur droit à l’autonomie gouvernementale et la mise en place dans la Constitution d’un troisième ordre de gouvernement autochtone, après le fédéral et les provinces.

Les principaux groupes autochtones du Canada se sont adressés aux tribunaux britanniques en 1982 pour tenter de bloquer le rapatriement de la Constitution, c’est-à-dire l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 par le Parlement britannique. Dans cette affaire, ils ont soulevé leur relation particulière avec la Couronne avec laquelle ils avaient conclu des traités. La Cour d’appel britannique a répondu dans un jugement majeur que leur relation les liait maintenant à la Couronne canadienne, c’est-à-dire le gouvernement fédéral, du fait de l’indépendance du Canada. Il est probable que ce jugement majeur serve de précédent pour les tribunaux canadiens lors de l’indépendance du Québec ; ceux-ci décideront vraisemblablement comme les tribunaux britanniques que l’indépendance transfère les obligations à l’égard des Autochtones au nouvel État. Cependant, les tribunaux canadiens ont créé dans les années 1960 l’obligation fiduciaire du gouvernement fédéral à l’égard des communautés autochtones. Cette obligation a pour but de préserver ce que la jurisprudence appelle « l’honneur de la Couronne » en sanctionnant les comportements jugés frauduleux ou indignes des agents de la Couronne. Certaines transactions foncières ont ainsi été annulées parce qu’elles étaient incompatibles avec l’obligation fiduciaire. Les tribunaux ne sont toutefois pas allés jusqu’à l’appliquer rétroactivement aux traités dits numérotés déjà mentionnés, conclus dans d’évidentes conditions frauduleuses du 18e au début du 20e siècle, qui ont transféré d’immenses territoires à la Couronne et éteint les droits ancestraux sur de grandes parties du Canada. Il se pourrait toutefois que les tribunaux canadiens invoquent l’obligation fiduciaire pour exiger du gouvernement fédéral d’obtenir du gouvernement du Québec indépendant une protection constitutionnelle pour les droits autochtones équivalente à celle de 1982.

La Loi constitutionnelle de 1982 prévoyait la tenue de trois autres conférences fédérale-provinciales-autochtones jusqu’en 1985 pour renforcer davantage la constitutionnalisation des droits autochtones. Les Autochtones avaient souhaité ainsi aller au-delà de l’article 35 lors de ces conférences, mais les négociations avec les provinces échouèrent. Le meilleur allié des Autochtones fut René Lévesque, qui accepta de participer à ces conférences au nom du Québec malgré son rejet du rapatriement. Il inclut même les chefs autochtones dans la délégation du Québec à l’une de ces conférences. Juste avant son départ de la vie politique, René Lévesque fit adopter par l’Assemblée nationale une résolution qui demeure une partie importante de son héritage. Cette résolution reconnaissait dix nations autochtones au Québec (une onzième, les Malécites, fut adoptée en 1989). La résolution était progressiste en ce qu’elle était tournée vers la coexistence dans l’avenir en mettant toutes les nations autochtones sur le même pied. En ce sens, elle anticipe sur la vision de la Déclaration des Nations unies de 2007. Au contraire, la constitutionnalisation des droits ancestraux en 1982 a donné une jurisprudence très tournée vers le passé, puisqu’elle est axée sur la preuve souvent extrêmement difficile et onéreuse des pratiques autochtones spécifiques à chaque nation au moment du contact avec les colons européens et de l’établissement de la souveraineté britannique.

La résolution du 20 mars 1985 reconnaissait aux nations autochtones du Québec l’exercice :

– « du droit à l’autonomie au sein du Québec ;

– du droit à leur culture, leur langue, leurs traditions ;

– du droit de procéder et de contrôler des terres ;

– du droit de chasser, pêcher, piéger, récolter, récolter et participer à la gestion des ressources fauniques ;

– du droit de participer au développement économique du Québec et d’en bénéficier,

de façon à leur permettre de se développer en tant que nations distinctes ayant leur identité propre et exerçant leurs droits au sein du Québec10 ».

La résolution convenait également que soit établi un forum parlementaire permanent permettant aux Autochtones de faire connaître leurs droits, leurs aspirations et leurs besoins. Ce forum parlementaire ne fut malheureusement jamais mis sur pied.

Cette résolution était avant-gardiste, car elle préconisait une approche politique plutôt que judiciaire, fondée sur de grands principes évolutifs applicables à toutes les nations autochtones plutôt que sur la preuve de droits ancestraux à la pièce et inégaux. La résolution de 1985 constitue, répétons-le, l’un des plus beaux héritages de René Lévesque. Sa vision éclairée et moralement supérieure n’a pas pu s’imposer jusqu’ici devant celle, beaucoup plus étroite, de la Loi constitutionnelle de 1982. Les peuples autochtones du Québec ont ainsi souffert de l’approche canadienne mise en place à ce moment. Ils ont cherché avec leurs confrères du Canada à renforcer leurs droits à nouveau dans l’Accord de Charlottetown de 1992, mais celui-ci fut rejeté dans des référendums parallèles tant au Québec qu’au Canada. La nation québécoise et les nations autochtones du Québec devraient plutôt s’inspirer de l’approche de René Lévesque, qui est beaucoup plus prometteuse et beaucoup plus proche de la Déclaration des Nations unies que ne l’est la Constitution canadienne. La résolution de 1985 devrait d’emblée faire partie de la Constitution du Québec indépendant.

Les nations autochtones au moment du passage du Québec à l’indépendance

Les nations autochtones du Québec peuvent tenir leurs propres référendums et adopter leurs propres constitutions. Dans ces référendums, ils peuvent choisir l’autonomie au sein du Québec, l’indépendance ou le rattachement au Canada. Ils peuvent même aller au-delà du cadre de la Déclaration des Nations unies de 2007 et émettre une déclaration unilatérale d’indépendance. Cela ne signifie pas toutefois que ces options sont toutes réalisables.

En effet, l’indépendance de peuples de quelques centaines ou quelques milliers d’individus aurait peu de chances d’être reconnue. Plus important encore, il serait très difficile de créer à cette échelle un État viable ou fonctionnel.

Une étude commandée en 1992 par la Commission d’étude des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté (ci-après dénommée la « Commission sur la souveraineté »), une commission parlementaire spéciale de l’Assemblée nationale créée à la suite de la commission Bélanger-Campeau, avait établi que dans l’éventualité de la souveraineté du Québec, le droit international garantissait que le nouvel État souverain conserverait tout le territoire terrestre de la province de Québec (Frank et autres, 1992). Cet avis reprend la règle de l’uti possidetis, selon laquelle les anciennes colonies et les États fédérés qui accèdent à l’indépendance conservent leurs territoires.

La Cour internationale de Justice a reconnu la règle de l’uti possidetis pour les anciennes colonies dans l’affaire du Burkina Faso en 1986. Cette règle remonte à l’indépendance des anciennes colonies d’Amérique du Sud au début du 19e siècle, dans lesquelles vivaient de nombreux peuples autochtones. L’Avis de 1992, s’appuyant sur la pratique internationale qui est déterminante, l’a étendue aux États fédérés.

Cette étude avait été réalisée par cinq experts étrangers, dont le professeur français Alain Pellet, qui était alors le président de la Commission du droit international de l’ONU, et la professeure britannique Rosalyn Higgins, une future présidente de la Cour internationale de justice. Les trois autres experts, des juristes britannique, américain et allemand, faisaient également autorité. Aucune autre étude internationale d’un poids comparable n’a jamais été réalisée au sujet du territoire du Québec11.

Les questions posées par la commission étaient les suivantes :

1. Dans l’hypothèse de l’accession du Québec à la souveraineté, les frontières du Québec souverain seraient-elles les frontières actuelles, qui comprendraient les territoires attribués au Québec par les lois fédérales de 1898 et de 1912, ou celles de la province de Québec au moment de la formation de la fédération canadienne en 1867 ?

2. Dans l’hypothèse de l’accession du Québec à la souveraineté, le droit international ferait-il prévaloir le principe de l’intégrité territoriale (ou uti possidetis) sur les revendications visant à démembrer le territoire du Québec, plus particulièrement :

  • les revendications des autochtones du Québec qui invoquent le droit à l’autodétermination des peuples au sens du droit international ;
  • les revendications de la minorité anglophone, notamment en ce qui concerne les régions du Québec où cette minorité est concentrée ;
  • les revendications des personnes résidant dans certaines régions frontalières du Québec, quelle que soit l’origine ethnique de ces personnes ? (paragr. 1,01)

Les cinq experts ont conclu à l’unanimité que le Québec souverain conserverait la totalité du territoire terrestre de la province de Québec :

Il apparaît donc qu’aucune circonstance particulière n’est de nature à tenir en échec le principe bien établi du droit international selon lequel, une fois l’indépendance du Québec acquise, le nouvel État aurait droit à voir l’intégrité de son territoire respectée dans le cadre de ses limites actuelles (paragr. 2,37).

Ils précisent qu’il n’existe aucun intervalle entre la garantie constitutionnelle offerte au territoire du Québec dans la fédération canadienne et celle qui découle du droit international après l’indépendance :

Au demeurant, dans le cas du Canada et du Québec, l’intégrité territoriale de celui-ci est garantie, avant l’indépendance, par les règles constitutionnelles de celui-là et le serait, après l’accession éventuelle du Québec à la souveraineté, par les principes bien établis et impératifs du droit international général. Il n’y a pas place pour une situation intermédiaire dans laquelle s’appliqueraient des règles différentes.

Lorsque la sécession se produit dans le cadre d’une circonscription territoriale bien définie, les anciennes limites de celle-ci constituent les frontières du nouvel État (principe de l’uti possidetis juris). La pratique internationale récente ne laisse aucun doute sur ce point lorsque l’État prédécesseur est une fédération, et traduit l’existence d’une opinio juris généralisée en ce sens.

Ces règles ne sont pas tenues en échec par les circonstances dans lesquelles certains territoires ont été rattachés au Québec. Seul importe l’instantané territorial au moment de l’accession à la souveraineté.

Si celle-ci se produit, le Québec héritera de l’intégrité du territoire qui est aujourd’hui le sien et de toutes les compétences relatives à celui-ci qui sont actuellement exercées par les autorités fédérales notamment, et y compris sur les réserves indiennes (paragr. 4,01).

Les cinq experts ont conclu que la thèse partitionniste qui s’appuie sur les modifications antérieures du territoire du Québec pour le limiter à celui de 1867 est sans fondement :

Il s’est fréquemment produit, dans le contexte colonial, qu’une puissance administrante modifie les limites administratives entre ses diverses possessions ; nul n’a cependant jamais prétendu que celles-ci devaient accéder à l’indépendance dans le cadre des limites antérieures. La date critique est celle de l’accession à la souveraineté… (paragr. 2,31)

L’Avis des cinq experts précise que les peuples autochtones détiennent en vertu du droit international des droits étendus sur leurs terres et territoires ancestraux, mais que ces droits ne constituent pas des droits de souveraineté :

Ainsi, contrairement à ce qui se produit pour les minorités non autochtones, le droit international contemporain tend à reconnaître à ces peuples des droits étendus sur leurs terres et territoires ancestraux. Mais, quelle que soit la valeur juridique des textes qui traduisent cette tendance, ils ne vont pas jusqu’à reconnaître à ces terres et territoires un statut séparé de celui du territoire de l’État et ces droits ne s’apparentent en aucune manière à des droits de souveraineté (paragr. . 3,31).

L’avis ajoute cependant ce qui suit au même paragraphe :

Certes, si un ou plusieurs peuples autochtones en venaient à imposer l’existence effective d’un État dans un cadre territorial déterminé au détriment du Canada (ou du Québec, si celui-ci accède à l’indépendance), cet État pourrait acquérir une existence juridique. Mais il tiendrait son existence de son effectivité, renforcée, le cas échéant, par les reconnaissances dont il bénéficierait, mais non d’un droit préexistant appartenant au(x) peuple(s) considéré(s). Le problème se poserait alors, sur le plan des principes, dans les mêmes termes que pour le Québec lui-même…, mais pourrait être compliqué, concrètement, par la difficulté de déterminer précisément les limites des territoires autochtones.

En réalité, l’effectivité autochtone est difficilement imaginable à l’extérieur des villages et des réserves que les nations autochtones occupent actuellement. De plus, le Canada n’aurait aucun intérêt à reconnaître leur indépendance, puisque ce serait créer un précédent que les Autochtones du reste du pays pourraient invoquer, tels que les Inuits du Nunavut, un vaste territoire situé au nord du Québec12.

Il pourrait être dans l’intérêt du Québec de s’engager à rouvrir la Convention de la Baie-James, particulièrement dans le cas des Premières Nations qui ont été exclues des avantages de la Convention même si elles fréquentaient ce territoire depuis des millénaires (les Anichinabés, les Attikameks et les Innus). Ces Premières Nations ont des griefs légitimes et pourraient s’associer au Québec indépendant si ces griefs étaient satisfaits.

Pourquoi, par ailleurs, le Québec indépendant ne mettrait-il pas fin aux coupes forestières intensives dans le parc de La Vérendrye et ne confierait-il pas la gestion ou la cogestion du parc aux Anichinabés ? Pourquoi ne dédommagerait-il pas les Innus pour le développement du réseau hydroélectrique Manicouagan-Outardes dans la même mesure que pour les Cris à la Baie-James ? Pourquoi ne faciliterait-il pas le retour des Malécites dans une réserve près de Cacouna pour remplacer celle dont ils ont été spoliés il y plus d’un siècle ? De telles interventions éclairées seraient nettement dans l’intérêt bien compris du Québec.

Outre le fait qu’on pourrait ainsi remédier à de graves injustices, ce serait une bonne manière d’éviter que le Canada ou d’autres États tirent prétexte de la question autochtone pour refuser la reconnaissance du Québec ou pour faire pression sur lui. Les Premières Nations, comme en 1995, pourraient lors d’un prochain référendum acquérir momentanément une plus grande visibilité internationale et chercher plus activement à améliorer leur situation, ce qui est légitime. Dans le cas des Cris et des Inuits, s’ils sont à nouveau tentés par le partitionnisme comme en 1995, le Québec pourra rappeler avec plus de force qu’à cette époque et avec justesse que les avantages consentis par la Convention de la Baie-James et ses nombreuses conventions complémentaires, dont la Paix des Braves de 2001 et des ententes comparables pour les Inuit et les Naskapis, trouvent peu d’équivalents sur la planète.

Si certaines nations autochtones du Québec refusent de faire partie du Québec indépendant, une solution intermédiaire, applicable de manière temporaire ou à plus long terme serait que leurs réserves et villages continuent à faire partie du Canada, tout en maintenant l’accès à leurs territoires traditionnels situés au Québec. Cette idée, qui aurait été envisagée par Jacques Parizeau, pourrait dédramatiser la controverse sur la partition pendant un certain temps en donnant aux relations plus générales entre le Québec et le Canada le temps de se stabiliser. Cela suppose toutefois que le Canada sera prêt à accorder une telle liberté de choix aux nations autochtones, qui pourrait équivaloir à un droit de se séparer du Canada, et qu’il continue à soutenir les nations autochtones financièrement. Cette solution irait au-delà du droit international actuel, qui n’interdit toutefois pas au Canada et au Québec d’innover de concert avec les nations autochtones.

À noter que dans le Renvoi sur la sécession du Québec de 1998, la Cour suprême n’avait pas étendu aux Autochtones l’obligation de négocier après un référendum québécois favorable à l’indépendance, ce qui pourrait être considéré comme un abandon qui est une hantise pour de nombreux Autochtones. Dans les faits, au-delà du Renvoi, cette obligation de négocier avec les Autochtones paraît incontournable tant pour le Québec que pour le Canada.

Même si le consentement des Premières Nations à l’indépendance du Québec n’est pas requis par le droit international, ce consentement est hautement souhaitable du point de vue moral et politique. Ce consentement, du moins celui de la majorité des Premières Nations officiellement reconnues par l’Assemblée nationale, est possible à obtenir si des négociations particulières et approfondies sont engagées. Il faut se donner pour objectif de réaliser la souveraineté du Québec en alliance avec les Premières Nations. Un tel objectif est ambitieux, mais réalisable.

Une entente de nation à nation pourra être conclue afin d’exprimer le consentement des Premières Nations à l’indépendance du Québec. Cette entente devrait comprendre les éléments suivants :

– l’inscription des droits fondamentaux des nations autochtones dans la Constitution du Québec et la reconnaissance du droit international applicable ;

– la création d’un tribunal spécialisé pour résoudre les différends entre les nations autochtones, le Québec et les tiers relativement à ces droits constitutionnels ;

– la mise en place de gouvernements régionaux où les nations autochtones seraient représentées ;

– la création d’un forum parlementaire permanent pour les Autochtones qui pourrait prendre la forme d’une recomposition de l’Assemblée nationale ou d’une chambre haute du Parlement québécois, appelée Chambre des régions, afin d’y réserver des places aux représentants des nations autochtones.

Un dialogue constant et approfondi doit être entrepris dans les meilleurs délais, car une entente de cette importance doit être longuement préparée. Elle signalera un nouveau départ dans les relations entre la nation québécoise et les Premières Nations, fondées sur l’amitié et le respect mutuel. Cette entente constituera une alliance historique, politique et économique conforme à l’esprit de la Déclaration des Nations Unies de 2007. Cette alliance, à laquelle les nations autochtones voudront probablement donner une dimension spirituelle conforme à leur vision de leurs rapports avec la nature, sera un élément fondamental de l’identité et du développement du Québec indépendant. Elle représentera l’engagement irréversible du Québec de voir désormais les nations autochtones comme des partenaires essentiels et permanents.

Conclusion

Les nations autochtones du Québec peuvent aider la nation québécoise à réussir son indépendance. Une alliance entre les peuples originaires du Québec et le peuple québécois accroîtrait nettement la légitimité internationale de l’accession du Québec à l’indépendance. Le mouvement indépendantiste québécois doit se donner une telle alliance pour objectif.

L’intégrité territoriale du Québec et le droit à l’autonomie des Autochtones ne doivent pas s’opposer, mais se combiner. Pour ce faire, il faut revenir à la résolution de l’Assemblée nationale de 1985, qui traçait la voie de la coexistence de manière progressiste et éclairée dans un rapport de nation à nation. La vision de René Lévesque est beaucoup plus proche de celle de la Déclaration des Nations unies de 2007 que, celle, passéiste et parcellaire, de la Constitution canadienne.

Dans un ouvrage récent, Romeo Saganash, actuel député fédéral, mais auparavant négociateur de la Déclaration de l’ONU et de la Paix des Braves, déclarait :

Il n’y a jamais eu de pays constitué avec la participation des Autochtones. La souveraineté du Québec pourrait en être l’occasion13 !

L’auteure ajoute :

Ainsi, Saganash se libère-t-il du passé en rendant hommage au Québec14.

Ce message de confiance et d’espoir est fidèle aux origines du Québec. Un dictionnaire français-innu nous apprend que le verbe kapak signifie débarquer d’un moyen de transport, tel qu’un canot ou une motoneige. Une tradition orale enseigne que les Innus auraient accueilli les navires français avec ce mot de bienvenue qui serait à l’origine du traité d’alliance entre Champlain, les Innus et les Anichinabés. Le mot kapak serait à l’origine du mot Québec au propre et au figuré. Le Québec est depuis toujours fondé sur une alliance avec les Autochtones. Il ne peut en être autrement du Québec indépendant.

Le 19 octobre 2017

 

 


1 À l’intérieur de leurs réserves, les Mohawks et les Wendat ont néanmoins réussi à créer une autonomie significative par leur dynamisme.

3 J’ai moi-même eu la surprise de constater que des Anishnabe venus me rencontrer à mon bureau avaient apporté leur arbre généalogique où j’ai retrouvé mes propres ancêtres français. Je conserve ce document précieusement.

4 Arnaud Leparmentier, « À New York, la statue de Christophe Colomb fait polémique », Le Monde, 17 octobre 2017

5 M. Morin, L’usurpation de la souveraineté autochtone, Boréal, 1997 ; Denis Delâge, Le Pays renversé, Boréal, 1991.

6 Cherokee Nation c. State of Georgia, 5 Peters 1 (1831). Voir aussi Worcester c. State of Georgia, 6 Peters 515 (1832).

7 Johnson c. M’Intosh, 8 Wheat. 543 (1823).

8 G. Havard, Empire et métissages, Indiens et Français dans le Pays d’en haut (1660-1715), Septentrion, 2017.

9 S. Grammond, Les traités entre l’État canadien et les peuples autochtones, Éd. Yvon Blais, 1995, p. 24-29.

10 Le souligné est de l’auteur.

11 L’Avis des cinq experts de 1992 se trouve ici : http://capsurlindependance.quebec/liste-des-etudes/ (étude no 12).

12 Le Nunavut est à distinguer du Nunavik, qui fait partie du Québec et constitue sa région polaire de 500 000 kilomètres carrés, soit un tiers du Québec. Les Inuit du Nunavik et du Nunavut pourraient un jour tenter de fusionner leurs territoires avec le Groënland, un territoire autonome inuit sous souveraineté danoise. Le Danemark a reconnu dans un accord sur l’autonomie le droit à l’indépendance du Groënland. Par ailleurs, le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon ne sont pas des provinces, mais des territoires fédéraux autonomes. Leurs représentants assistent aux conférences fédérales-provinciales, mais pas ceux du Nunavik.

13 E. Walter, Le centre du monde. Une virée en Eeyou Istchee Baie James avec Romeo Saganash, Éditions Lux, 2016, p. 77.

14 E. Walter, déjà citée, p. 77-78.