Le financement du Réseau express métropolitain

Retraité du ministère des Transports du Québec où il a travaillé sur la gouvernance et le financement du transport collectif ainsi que sur les dossiers métropolitains.

La première phase du projet de Réseau express métropolitain, ou REM de l’Ouest, découle de la volonté du gouvernement du Québec de lancer un projet d’infrastructure de transport sans emprunter et, partant, sans entacher sa cote de crédit, ainsi que de l’intérêt, pour la Caisse de dépôt et placement du Québec, de réaliser au Québec des projets d’infrastructures publiques essentielles dont elle pourrait tirer un rendement satisfaisant pour ses déposants.

Retraité du ministère des Transports du Québec où il a travaillé sur la gouvernance et le financement du transport collectif ainsi que sur les dossiers métropolitains.

La première phase du projet de Réseau express métropolitain, ou REM de l’Ouest, découle de la volonté du gouvernement du Québec de lancer un projet d’infrastructure de transport sans emprunter et, partant, sans entacher sa cote de crédit, ainsi que de l’intérêt, pour la Caisse de dépôt et placement du Québec, de réaliser au Québec des projets d’infrastructures publiques essentielles dont elle pourrait tirer un rendement satisfaisant pour ses déposants.

La société exploitante du REM financera ses activités d’exploitation et d’entretien, le coût de son capital ainsi que le coût de ses équipements en facturant l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) selon les règles établies dans l’entente sur l’intégration du REM au réseau de transport collectif métropolitain. La facture annuelle prendra la forme d’un tarif basé sur l’achalandage du REM exprimé en passagers-kilomètres. Le tarif fixé dans l’entente est de 0,72 $ par passager-km1 et sera indexé à compter du 1er janvier 2022. L’entente contient un scénario de base sur l’évolution de l’achalandage projeté du REM jusqu’en 2042 exprimé en passagers-km2. Selon ce scénario, l’achalandage progresserait en fonction de la mise en service des différents tronçons et atteindrait son rythme de croisière à partir de 2027 avec un achalandage prévu de 609 M de passagers-km.

Cet achalandage de 609 M de passagers-km sera utilisé pour illustrer les effets de la facturation sur l’ARTM, le gouvernement du Québec et les municipalités. Cet achalandage se traduit par une facture de 438 M$ (609 M X 0,72 $) soumise à l’ARTM sur la base du tarif de 0,72 $ par passager-km (avant indexation). Pour acquitter la facture, l’ARTM disposera de trois sources : les revenus tarifaires, une contribution des municipalités et une aide gouvernementale.

Répartition des revenus tarifaires entre les réseaux

En 2019, l’ARTM a perçu des revenus tarifaires totalisant 940 M$. Lorsqu’elle recevra la facture de 438 M$, l’Autorité prévoit utiliser une part de 128 M$3 provenant des revenus tarifaires pour acquitter cette facture. Cette part de 128 M$ comprend notamment de nouveaux revenus, estimés à un peu plus de 10 M$, générés par les nouveaux utilisateurs attirés par le REM4. Parmi les revenus tarifaires disponibles, une tranche de 118 M$ devra donc être utilisée pour financer le REM, ce qui contribuera à accroître le déficit à la charge des municipalités5. Quant aux revenus tarifaires totaux, ils passeraient de 940 M$ à 950 M$, grâce aux nouveaux usagers attirés par le REM.

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Contributions municipales au REM de l’Ouest

En 2019, l’ARTM a perçu 809 M$ en contributions municipales pour financer les services de transport collectif. De ce montant, le gouvernement a établi qu’une part de 30 M$ devait servir à couvrir le déficit des services remplacés par le REM. Le déficit des autres services s’établissait donc à 779 M$. Le montant de 30 M$ constituera la contribution de base des municipalités au financement du REM.

Deux autres tranches de contributions municipales s’ajouteront :

  • une contribution égale à 15 % du coût additionnel lié au REM ; l’ARTM a estimé que cette contribution sera de 42 M$ lorsque la facture transmise par le REM s’établira à 438 M$ ;
  • une contribution indirecte résultant du partage des revenus tarifaires entre le REM et les autres réseaux et d’autres facteurs.

Ces autres facteurs à considérer incluent le coût d’exploitation d’équipements relevant de l’ARTM (terminus adjacents à des stations du REM, équipements de perception dans les stations). Il y a aussi la diminution possible de subventions à l’exploitation que reçoivent des sociétés pour avoir haussé la quantité des services offerts depuis une quinzaine d’années, mais qui peuvent être réduites puisque les sociétés ajusteront leur offre à la baisse avec la venue du REM. À l’opposé, des économies résulteront du remplacement de certains services par le REM (train de Deux-Montagnes, autobus dans l’axe du pont Samuel-De Champlain) ; elles sont estimées ici à une cinquantaine de millions $.

En somme, la facture additionnelle incombant aux municipalités pour le REM de l’Ouest pourrait atteindre les 150 M$, et ce avant de tenir compte d’effets difficiles à estimer que pourront subir certains services concurrencés par le REM (train de Vaudreuil) ou fortement perturbés par sa présence (train de Mascouche).

Contribution gouvernementale permanente à l’infrastructure du REM

L’arrangement financier entre le gouvernement et la Caisse se distingue d’abord par son coût. En effet, si le montant investi dans le capital-actions du REM par CDPQ Infra (2 952 M$) avait plutôt été emprunté par l’ARTM et remboursé par le gouvernement, le coût annuel du remboursement de cet emprunt aurait été de l’ordre de 170 M$ sur la base des taux d’intérêt récents (2,5 % ou 3 % pour 25 ans). Le montant plus élevé versé par le gouvernement sert par conséquent en quelque sorte à générer un rendement sur l » investissement de CDPQ Infra dans le capital-actions du REM.

L’arrangement entre le gouvernement et la Caisse se distingue aussi par sa durée. Selon cette entente avec CDPQ Infra, le gouvernement versera pendant 99 ans (avec prolongation possible pour un autre 99 ans) une contribution pour un équipement qui aura été entièrement payé au bout de 25 ou 30 ans. S’il s’agissait d’un prolongement du métro, l’emprunt effectué pour financer le coût des travaux serait entièrement remboursé au bout de 20 ans, incluant capital et intérêts, et les ressources financières du gouvernement redeviendraient disponibles pour financer d’autres projets. Il en est de même dans certains PPP où l’instance publique devient propriétaire de l’infrastructure au terme d’une période de 30-35 ans lorsque la contribution initiale du partenaire privé a été remboursée par des paiements effectués chaque année.

En pratique, la formule convenue entre le gouvernement et la Caisse apparaît plus coûteuse pour le gouvernement que la formule usuelle du financement par emprunts. Le gouvernement s’est en effet engagé à verser un montant correspondant à 85 % du coût additionnel lié au REM, un montant que l’ARTM a estimé à 238 M$ par an lorsque la facture transmise par le REM atteindra 438 M$. Ce montant correspond à peu près au rendement que la Caisse souhaite tirer de son investissement dans le REM.

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Note : La contribution au capital investi par CDPQ Infra a été estimée en additionnant des montants graduellement croissants au cours des cinq premières années d’exploitation et le montant de 238 M$ par an au cours des 94 années suivantes.

Application de la même formule au REM de l’Est

Le montage financier qui sera utilisé pour la réalisation du REM de l’Est n’est pas connu. Il en est de même pour le financement de ses dépenses d’exploitation. Qu’en serait-il si le REM de l’Est était financé en utilisant la même formule que pour le REM de l’Ouest ? Pareil exercice suppose que plusieurs hypothèses soient utilisées, étant donné que seules trois données sont connues : le coût estimé de réalisation (10 G$), l’achalandage quotidien prévu (133 000) et le nombre de passagers-km au cours d’une année (380 M).

Selon l’Entente relative à la fourniture et l’intégration du service de transport collectif du Réseau express métropolitain au réseau de transport collectif de la région de Montréal intervenue entre l’ARTM et la société responsable de la construction et de l’exploitation du REM, celle-ci facturera annuellement à l’Autorité un montant correspondant à 0,72 $ pour chaque passager-kilomètre. L’ARTM prévoit recevoir une facture de 438 M$ en 2027.

Au moment où le taux de 0,72 $/passager-km a été convenu, le produit de 438 M$ devait permettre à la société exploitante du REM de couvrir annuellement les coûts suivants :

  • 127 M$ ($ de 2015) pour l’exploitation et l’entretien du réseau ;
  • 236 M$ pour le rendement souhaité de 8 % sur le capital-actions (2 952 M$) détenu par la Caisse dans la société propriétaire du REM ;
  • des dépenses complémentaires (ex. réserve pour réparations majeures et remplacement d’équipement) de l’ordre de 75-80 M$ (ce qui équivaut à 1,25 % de la valeur totale du REM alors estimée à 6 000 M$).

    L’application de ce modèle au REM de l’Est prendrait en compte les coûts suivants :

  • 70 M$ pour l’exploitation et l’entretien du réseau6 ;
  • 400 M$ pour le rendement souhaité de 8 % sur le capital investi (5 000 M$) par la Caisse si celle-ci finance la moitié du coût prévu de 10 000 M$ ; ce montant serait réduit de 100 M$, pour s’établir à 300 M$, si la cible de rendement était réduite à 6 % ;
  • des dépenses complémentaires (ex. réserve pour réparations majeures et remplacement d’équipement) de l’ordre de 125 M$ (1,25 % du montant estimé de 10 000 M$).

    Les coûts totaux à couvrir, de l’ordre de 600 M$ (70 + 400 + 125), étant répartis sur un achalandage prévu de 380 M passagers-km en 2044, le taux facturé à l’ARTM par la société exploitante pourrait être de 1,58 $ par passager-km.

    Pour acquitter cette facture, l’ARTM utiliserait les mêmes sources que pour le REM de l’Ouest : des revenus tarifaires, des contributions municipales et une aide gouvernementale.

    Des revenus tarifaires seraient attribués au REM de l’Est en utilisant le même ratio que pour le REM de l’Ouest (0,21 $/passager-km), ce qui permet d’estimer cette part à 80 M$. Les revenus générés par les nouveaux utilisateurs attirés par le REM pourraient équivaloir à 5 M$, ce qui signifie qu’environ 75 M$ seraient soustraits aux autres réseaux, créant ainsi un déficit additionnel.

    Quant aux contributions municipales (15 % du coût additionnel pour 75 M$, indirectes pour 90 M$), elles pourraient totaliser 165 M$.

    La contribution gouvernementale versée à l’ARTM pourrait être de l’ordre de 430 M$ par an. Or, d’autres contributions gouvernementales s’ajouteraient immanquablement puisque les données précédentes reposent sur l’hypothèse que CDPQ Infra assumerait la moitié du coût de réalisation du REM de l’Est.

    Compétition pour l’accès aux ressources gouvernementales

    En plus de la subvention versée à l’ARTM pour couvrir 85 % du coût additionnel lié au REM, le gouvernement du Québec contribue 1 179 M$ à la réalisation du REM7. Toutes ces sommes proviennent du Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT) et viennent s’ajouter aux autres responsabilités du FORT.

    Le FORT, en effet, est l’instrument utilisé par le gouvernement du Québec pour financer les dépenses d’immobilisation dans le réseau routier du ministère des Transports du Québec ainsi que les aides financières au transport collectif. Ainsi, les infrastructures de transport sont financées au moyen de sources prélevées auprès des usagers de la route en application des principes utilisateur-payeur (l’usager de la route paie pour l’infrastructure routière) et bénéficiaire-payeur (l’usager de la route profite indirectement du transport collectif).

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    Les sources de financement du FORT sont la taxe sur les carburants utilisés par les véhicules routiers, les droits d’immatriculation des véhicules, une part des revenus générés par le Fonds vert et diverses autres sources. Le rendement de la taxe sur les carburants, principale source du FORT8, tend à plafonner et est même appelé à décroître en raison de l’amélioration de la performance énergétique des véhicules et de leur électrification. À l’opposé, les dépenses imputées au FORT sont en croissance surtout celles consacrées au transport collectif qui sont passées de 797,5 M$ en 2016-2017 à plus de 1 800 M$ au cours des trois exercices suivants. En 2017-2018, la hausse des dépenses consacrées au transport collectif découlait principalement des sommes versées pour la réalisation du REM et des compensations versées aux propriétaires de taxi à la suite de la déréglementation de leur industrie9.

    Il en résulte que le FORT enregistre des déficits depuis 2017-2018, si bien que l’excédent cumulé diminue rapidement. D’ailleurs, des crédits budgétaires de 2 175 M$ ont dû être versés au FORT au cours de l » exercice 2020-2021 afin de compenser l’aide financière d’urgence accordée aux réseaux de transport collectif en contexte de pandémie et de maintenir le FORT en état de surplus10. Cet apport exceptionnel a représenté 38 % des revenus du FORT et a constitué son principal revenu en 2020-2021.

    Perspective

    La réalisation du REM de l’Ouest a été présentée comme le plus grand projet de transport collectif au Québec depuis la construction du réseau initial du métro au cours des années 60. Le REM s’annonce comme une infrastructure de qualité et sa venue accroîtra la quantité des services offerts, ce qui ajoutera à l’attrait du transport collectif. Mais ces progrès ont un coût. Un coût qui a été minimisé, parfois même partiellement occulté. À titre d’exemple, CDPQ Infra fait état d’un coût de construction de 6,9 G$11, mais ce montant couvre seulement l’infrastructure et les équipements du REM proprement dit. En incluant les ouvrages complémentaires financés par Hydro-Québec, les gouvernements du Québec et du Canada, Aéroports de Montréal, des municipalités et l’ARTM, le coût probable atteint plutôt les 9,3 G$. Ainsi, le coût annuel du transport collectif dans la région de Montréal sera en hausse d’environ 18 % en raison de ce seul projet alors que l’accroissement de l’achalandage s’annonce marginal.

    Or, ce projet de grande envergure semble avoir été lancé sans analyse préalable de ses conséquences financières pour les différents partenaires, en particulier les municipalités, pour qui l’impact financier a été minimisé.

    Peut-on souhaiter que la réalisation du REM de l’Est, qui s’annonce plus coûteuse que celle du REM de l’Ouest, fasse l’objet, avant la décision définitive, d’une analyse préalable de ses conséquences financières ainsi que d’une analyse avantages-coûts approfondie ?

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    1 Entente relative à la fourniture et l’intégration du service de transport collectif du Réseau express métropolitain au réseau de transport collectif de la région de Montréal, 26 mars 2018, art. 4.1.1, p. 24.

    2 Idem, annexe G, p.49.

    3 L’ARTM obtient ce résultat en utilisant le revenu tarifaire moyen par passager-km pour l’ensemble des réseaux, soit 0,21 $/passager-km.

    4 Selon l’étude d’achalandage du REM, la clientèle comprendra 8 % de nouveaux usagers. Ainsi, 92 % de la clientèle proviendra des services existants, principalement du train de Deux-Montagnes et des circuits d’autobus dans l’axe du pont Champlain. Source : Steer Davies Gleave, Réseau électrique métropolitain – Sommaire des prévisions d’achalandage, février 2017, tableau 7-3, p. 51.

    5 Le montant de 118 M$ semble plus élevé que les revenus tarifaires produits par les services remplacés par le REM. Une part du 118 M$ proviendrait par conséquent des autres services, ce qui hausserait le déficit des organismes responsables.

    6 Le coût d’exploitation et d’entretien du REM de l’Est a été estimé à 70 M$ ($ de 2015) au prorata de la longueur du réseau et du nombre de stations par rapport au REM de l’Ouest.

    7 Le gouvernement a aussi versé 1 283 M$ au capital-actions du REM de l’Ouest. Cette contribution, bien que substantielle, n’est pas prise en compte dans ce texte.

    8 51 % du total des sources en 2019-2020, en déclin par rapport à 66 % en 2010-2011.

    9 Ministère des Transports du Québec, Rapport annuel de gestion 2017-2018, p. 78. Les compensations versées aux propriétaires de permis de taxi par le FORT auraient été d’au moins 227 M$ en 2018-2019 (Budget des dépenses 2020-2021, vol. 4 – Budget des fonds spéciaux, p. 170) et d’au moins 295,6 M$ en 2019-2020 (Budget des dépenses 2021-2022, vol. 3 – Crédits et dépenses des portefeuilles, p. 20-22).

    10 Ministère des Transports du Québec, Rapport annuel 2020-2021, p. 46 et 48. Ministère des Finances du Québec, Comptes publics 2020-2021 – volume 2 – Renseignements financiers sur le fonds consolidé du revenu : fonds général et fonds spéciaux, p. 453.

    11 CDPQ Infra, Mise à jour – Réseau express métropolitain : Présentation aux médias, Juin 2021, p. 23.

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