Depuis 1989 la Fondation pour l’alphabétisation poursuit un travail essentiel. Elle vient réduire avec constance et détermination le rôle fondamental de la littératie dans l’intégration des personnes à la vie collective, qu’il s’agisse du développement des compétences civiques indispensables à la participation démocratique, de la maitrise de la capacité d’apprendre requise pour participer au marché du travail ou encore, et plus globalement, pour saisir la complexité du monde et s’épanouir au contact des grandes réalisations de la culture et des arts.
La publication récente du rapport La littératie au Québec : un regard local sur les enjeux. Estimation d’un indice de littératie par MRC ajoute une pièce intéressante à sa contribution. Combinant les données du recensement de 2016 aux résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA de 2012) le rapport donne une représentation territorialisée des données et des résultats et produit des portraits fort utiles à la création des dynamiques régionales et territoriales du Québec. Reprenant l’échelle à cinq degrés utilisés par cette étude internationale, le rapport classe les MRC et établit le pourcentage des habitants selon les divers seuils. Selon la convention en usage, c’est le troisième degré de cette échelle qui fixe le seuil de compétence de base, celle qui permet de lire et traiter l’information d’un texte relativement long.
Les résultats de l’étude ont donné plus de précisions, mais peu de surprises : les MRC les plus pauvres, celles où l’économie est dominée par les secteurs primaires et où le réseau institutionnel est déficient sont celles où s’observent les pourcentages les plus inquiétants. 31 MRC se trouvent au bas du seuil qu’il ne serait pas exagéré de considérer comme le seuil d’alerte : environ 60 % de leurs citoyens n’atteindraient pas le troisième niveau, le seuil minimal acceptable. On peut lire ce résultat de deux manières : comme un fléau social ou comme un défi culturel stimulant. Il ne s’agit pas ici d’estimer si le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Il s’agit plutôt de voir les choses comme elles sont : le Québec a fait d’énormes progrès de rattrapage depuis la Révolution tranquille, mais le travail est loin d’être terminé. Il faut trouver le second souffle pour atteindre les objectifs que s’étaient fixés les générations qui ont porté l’effort jusqu’au début des années 60.
On pourra certainement débattre, des enjeux méthodologiques et des fondements théoriques en cause dans la construction et l’utilisation de tels indices et instruments de mesure. Les spécialistes sauront y faire. Quoi qu’il en soit des limites et imperfections du modèle, une chose s’impose néanmoins : les estimations que pointe une telle approche sont utiles à la délibération publique.
Le rapport propose en effet des pistes d’action, des voies de redressement de la situation qui méritent l’attention. Il a d’abord le mérite de mettre en garde contre la complaisance et l’autosatisfaction. Même encore grossiers, les résultats ont de quoi rappeler que des actions immédiates s’imposent. Le rapport identifie quatre grandes approches prioritaires : la mobilisation et la concertation des employeurs et des MRC, des efforts accrus pour compléter l’architecture institutionnelle du réseau d’enseignement et des instruments de développement culturel, la mobilisation des acteurs du milieu agricole en particulier dans les MRC les plus mal en point et, finalement, la promotion d’approches locales très fines dans les quartiers pauvres des grandes villes.
Toutes ces pistes peuvent donner lieu à des plans d’actions spécifiques requérant des moyens considérables. Cela dressera sans aucun doute de nombreuses priorités de travail pour la Fondation elle-même, mais c’est d’abord à celle d’œuvrer à promouvoir une vision partagée des enjeux que ce rapport doit contribuer. Qu’il s’agisse du travail à faire sur le front de la persévérance scolaire et de la lutte au décrochage, sur celui de l’augmentation du niveau de diplomation collégiale et universitaire ou encore sur celui du renouvellement des approches en matière de développement culturel, ce rapport laisse entrevoir les contours d’un immense chantier, celui de la complétude institutionnelle et du renouvellement de son encadrement juridique.
Dans ce paysage à inventer il faudra très certainement miser davantage sur la valorisation de la lecture et sur le rôle crucial des bibliothèques comme institution clé de soutien d’une politique de l’alphabétisation et de renforcement de la littératie. Le portrait territorial livré dans ce rapport permettra de déterminer des actions bien adaptées aux diverses possibilités de mobilisation des milieux concernés. À cet égard, les institutions locales peuvent remplir des rôles de catalyseurs importants. On peut citer de nombreux exemples : engagement des employeurs locaux à ne pas décourager la persévérance scolaire par des pratiques de recrutements des jeunes les détournant de la poursuite des études, programme de promotion de la lecture par des activités d’animation culturelle menées sous la direction des bibliothèques publiques, mobilisation des médias locaux pour donner une plus grande place à la vie culturelle et à la visibilité des œuvres de production écrite de tout genre, etc.
Il faut néanmoins agir sur le plan national, car toutes les solutions structurantes ne passent pas par l’action locale. À cet égard, devant les constats dressés par ce rapport en ce qui concerne les chiffres inquiétants de décrochage scolaire ou les retards dans les taux de diplomation, on s’étonne que ne soit pas mise de l’avant la recommandation de porter à dix-huit ans l’éducation obligatoire, d’associer les programmes de soutien aux entreprises à des exigences de formation de base pour améliorer la capacité de la main-d’œuvre à participer à la révolution technologique en cours. Si le succès des différentes mesures à considérer passe obligatoirement par le niveau local et régional, il repose d’abord sur l’engagement de politiques nationales fortes. Et en cela, tous les signes pointent vers la nécessité de proposer des objectifs de société plus ambitieux.
La publication de ce rapport tombe à point nommé. La pandémie aura révélé de nombreuses faiblesses de nos cadres institutionnels et de nos politiques publiques dans la plupart des domaines clés du développement de notre société. Le diagnostic et les enjeux de littératie rendus visibles par cette étude constituent un autre vibrant plaidoyer pour que le Québec se donne un nouvel élan. La littératie est une condition de succès de la relance. En écho avec les idéaux de la Révolution tranquille à renouveler, l’éducation et la culture doivent être placées au fondement des tâches à entreprendre. « Nous avons, le temps presse, un travail à finir » comme le chante encore Gilles Vigneault. L’existence des poches de mal développement que constituent les MRC les plus mal en point apparait comme un puissant rappel que la force d’une chaîne n’est jamais que celle de son maillon le plus faible.
Robert Laplante
Directeur des Cahiers de lecture