Le Parti québécois face à son destin

En 1970, pour son premier test électoral, le Parti québécois avait recueilli seulement sept députés, mais était parvenu à terminer deuxième dans l’électorat avec 23 %. Pour consoler ses troupes réunies au Centre Paul Sauvé, René Lévesque y était allé d’une formule-choc comme lui seul en avait le secret : « C’est une défaite qui a l’air d’une victoire ! »

Le 4 septembre 2012, Pauline Marois aurait pu facilement paraphraser le fondateur de son parti, mais en en inversant les termes et la signification. Avec un pourcentage des suffrages plus faible que lorsqu’il a perdu en 2003 et en 2008 et avec une majorité d’à peine quatre sièges sur son plus proche concurrent, le PQ a remporté une victoire qui comporte bien des pièges.

Quoi qu’il en soit, le PQ détient néanmoins désormais le contrôle – fut-il partiel – de l’État québécois et l’utilisation qu’il en fera, dans les prochains mois, sera déterminante. À quoi peut-on s’attendre d’un gouvernement minoritaire Marois ? Comment le PQ pourrait-il se sortir d’une certaine impasse dans laquelle il semble coincé ? Toutes ces questions trouveront très certainement leurs réponses au cours des prochains mois. Un retour sur les 33 jours de cette élection et sur ses résultats s’impose. Pour comprendre les déboires du PQ, il faut bien entendu remonter à sa fondation et aux choix qui ont été faits. Cela n’est cependant pas l’objet du présent billet, qui dresse plutôt un bilan de sa campagne et un aperçu des défis qui l’attendent.

Les trente-trois jours de campagne du Parti québécois : enfer ou purgatoire ?
Petit retour sur la catastrophe Boisclair

Lorsque Pauline Marois est arrivée aux commandes du Parti québécois, elle y amenait trois repositionnements politiques majeurs. André Boisclair venait de mener le PQ à l’abattoir. Après avoir abandonné le programme de pays voté lors du congrès péquiste de 2005 au profit de sa « feuille de route » provinciale, le chef péquiste avait maintenu tout de même la promesse d’un référendum imminent, ranimant les éternelles contradictions du principe de la gouvernance provinciale. Promettre la gestion de la province de Québec entre évidemment en pleine contradiction avec l’argument indépendantiste sur le caractère ingérable du Québec en tant que province. Sans oublier qu’un « bon bilan » laisse entendre aux Québécois que leur État a les moyens d’assurer son développement avec son statut actuel et qu’un « mauvais bilan » éloigne nos concitoyens de la volonté de faire un pays avec ses « mauvais dirigeants ». Boisclair avait également laissé échapper la question identitaire au profit de l’ADQ, alors que Mario Dumont n’avait eu qu’à dénoncer certains abus de certains accommodements religieux pour qu’André Boisclair laisse paraître son jupon chartiste et ultra-moderniste en s’en remettant aux institutions juridiques pour trancher des cas litigieux. Le PQ avait une fois de plus laissé passer une chance en or de faire un réel procès du régime canadien et de son multiculturalisme d’État, se faisant ultimement damer le pion par l’ADQ qui lui arracha le statut d’opposition officielle.

Après le départ d’André Boisclair, et pour palier aux faiblesses idéologiques majeures du PQ, Pauline Marois promettait ainsi essentiellement trois choses : 1) rompre avec l’obsession référendaire ; 2) ramener une défense identitaire décomplexée du « nous » ; 3) revoir la social-démocratie sans négliger l’importance de la création de la richesse avant d’envisager un quelconque partage de cette dernière.

La fin partielle du messianisme référendaire

Le PQ qui se présentait devant l’électorat en août dernier n’a que partiellement procédé aux changements promis par sa cheffe. En ce qui concerne le premier objectif, soit la rupture vis-à-vis de l’objectif suicidaire de tenir un référendum à tout prix, fut-il perdant, Pauline Marois a introduit le concept de « gouvernance souverainiste ». Le principe est en soi louable : gouverner afin de remettre le Québec en mouvement en occupant au maximum les domaines relevant des juridictions provinciales tout en réclamant des pouvoirs supplémentaires à Ottawa. Un refus de la part d’Ottawa contribuerait évidemment à l’impopularité du camp fédéral et, puisque l’appétit vient en mangeant, une acceptation ne pourrait qu’être bénéfique à la construction de l’État indépendant du Québec. Cependant, le contenu de la « gouvernance souverainiste » est malheureusement déficient et incomplet sur bien des plans dans la mesure où le PQ n’a jamais été en mesure de rompre avec son approche de gestion provinciale en s’engageant clairement dans la voie de la rupture anticonstitutionnelle et de la remise en question de la légitimité du cadre légal canadien. Au cours de la campagne, le cafouillage autour des référendums d’initiative populaire[1] (RIP) a démontré la vacuité stratégique du PQ. Le concept des RIP était un bonbon destiné aux militants lorsque la direction de Pauline Marois était dans la tourmente au cours de l’année infernale que celle-ci avait subie. Les RIP représentaient malheureusement un recul du politique, qui devrait rester en contrôle de l’agenda référendaire. Il était néanmoins totalement burlesque que François Legault y voie une réelle menace que le Québec soit plongé dans une consultation sur la souveraineté dans la mesure où l’obtention des 850 000 signatures nécessaires pour provoquer un tel processus semble être réalistement inatteignable. Legault a par ailleurs créé un monstre, ramenant l’expression « caribou » – étiquette qu’on lui collait d’ailleurs à l’époque où il était au PQ – à l’avant-scène, incitant de nombreux militants indépendantistes à s’afficher en tant que caribous sur les médias sociaux. La propagande caricaturale de Jean Charest sur l’imminence d’un référendum a néanmoins trouvé un certain écho, peut-être favorisé par le manque de clarté du PQ sur ses promesses en la matière. Le PQ a certainement raison de ne pas vouloir exposer clairement à ses adversaires son cadre stratégique, mais bien des péquistes semblaient avoir du mal à comprendre et à expliquer leur changement de cap.

Le retour du nationalisme historique

C’est sur le plan d’une défense accrue de l’identité nationale que la direction de Pauline Marois a été le plus satisfaisant. Ce virage reste néanmoins teinté par les exigences de la rectitude politique, mais tranche tout de même avec le jovialisme péquiste des quinze dernières années. Il n’est pas négligeable que le PQ ait abandonné sa phobie de l’enjeu de l’état du français héritée de Lucien Bouchard et ait enfin saisi que la sacro-sainte paix linguistique ne se fasse qu’au profit de l’anglicisation croissante de Montréal. L’adoption de la promesse d’étendre les dispositions de la Charte de la langue française au niveau collégial, après quinze ans de tentatives infructueuses de la part de l’aile militante, constitue une réelle bouffée d’air frais. L’établissement d’une Charte de la laïcité respectueuse du patrimoine catholique, l’adoption d’une citoyenneté québécoise et la mise en place d’une nouvelle loi 101 qui s’appliquerait notamment au niveau collégial constituent des actes d’État, des gestes de souveraineté pouvant réellement rapprocher le Québec de l’indépendance. Le PQ s’est positionné comme la seule formation politique abordant ce terrain.

Cependant, l’affaire Benhabib a failli faire déraper l’enjeu identitaire tout en ouvrant une réflexion sur la place des intellectuels en politique. Djemila Benhabib, candidate défaite du PQ dans Trois-Rivières, constitue l’exemple parfait d’une assimilation harmonieuse à la nation québécoise : lors de son arrivée au Québec, par attachement notamment aux valeurs démocratiques et libérales de sa nouvelle communauté, elle a choisi immédiatement de faire siens le passé, le présent et de l’avenir du Québec. Cela peut sembler être une hérésie face au multiculturalisme fédéralisant : contrairement à de nombreux membres de notre nation qui sont québécois, Djemila Benhabib a choisi d’adopter le Québec. Les propos du maire de Saguenay Jean Tremblay étaient non seulement déplacés, mais totalement infondés, car Benhabib se situe à mille lieues de l’immigrante rejetant férocement l’enracinement et exigeant l’aménagement de la société d’accueil en sa faveur. Bien au contraire, sa critique sévère du communautarisme en fait une adversaire acharnée du déracinement multiculturel. La couverture médiatique[2] et la récupération politique des propos du maire Tremblay par le ministre libéral Serge Simard ont créé une situation des plus ironiques, alors que le parti le plus multiculturaliste et le plus immigrationniste a su instrumentaliser à son avantage le nationalisme québécois contre une de ses principales défenseures[3] à travers l’enjeu du crucifix à l’Assemblée nationale[4]. La défaite de Djemila Benhabib dans Trois-Rivières prive le PQ d’une joueuse importante qui aurait pu contribuer à un sain renouvellement de sa culture politique. Le nombre impressionnant de votes recueillis par Benhabib nous indique néanmoins que l’origine ethnique n’a pas été un réel frein dans une circonscription où l’accueil a été généralement très favorable[5] pour la candidate d’origine étrangère et où cette dernière compte s’installer. La conjoncture du gouvernement minoritaire donnera probablement très bientôt à Benhabib l’occasion d’un match revanche dont la réussite serait un atout indéniable.

L’échec d’une révision de la social-démocratie

En ce qui concerne le renouvellement de la social-démocratie, Pauline Marois avait enclenché le parti sur la voie d’une nouvelle vision économique qui ne craindrait pas nécessairement l’entreprenariat privé. Lors du colloque de mars 2010 portant sur le développement économique, qui avait constitué l’avancée la plus importante en ce sens, le PQ en avait d’ailleurs profité pour expulser le SPQ libre, club politique fortement ancré à gauche dont le poids médiatique était radicalement supérieur à son importance réelle au sein du parti. Suivant la descente aux enfers de Pauline Marois, cette dernière a par contre choisi de se radicaliser à gauche afin de contenter une base militante qui était gagnée par une gronde grandissante à l’égard d’une cheffe incapable de remettre le PQ dans une bonne position dans les sondages. Les forces du statu quo sont évidemment très fortes au sein du PQ où les liens avec les alliés traditionnels (dont, en premier lieu, les syndicats) sont bien difficiles à atténuer. C’est avec un programme économique résolument progressiste que le PQ s’est lancé en élection, se distinguant ainsi de la CAQ et du PLQ, mais se coupant d’une part importante de l’électorat nationaliste qui bascula de fait vers la CAQ. Si le PQ fait le choix politique de maintenir au contraire le cap clairement à gauche il faudra néanmoins qu’il se dote d’un argumentaire économique crédible.

Le paradigme moderniste : La « première femme première ministre »

Le PQ a joué activement la carte du féminisme lors de cette campagne. La logique moderniste se traduisait, sous André Boisclair, par une volonté affichée de faire élire le premier chef d’État homosexuel en Amérique du Nord. Sous Pauline Marois, l’objectif était bien entendu de faire élire la première femme première ministre du Québec. Si cela peut effectivement constituer un puissant symbole sous l’angle du combat des femmes – lesquelles ont bien raison d’être fières de Pauline Marois pour son accomplissement non négligeable – pour l’égalité, il est plus que douteux que cela ait pu constituer sérieusement un argument électoral. Comme si le sexe devait éclipser la considération majeure pour la compétence des aspirants premiers-ministres. La logique consistait à évoquer la nécessité pour les Québécois de poser un geste progressiste, d’envoyer un message prouvant leur état d’évolution sociale. Peut-être s’agissait-il aussi de mobiliser l’électorat féminin. Or, une telle posture s’improvisant en argument n’aurait eu aucune portée si le Parti libéral du Québec avait été dirigé par Nathalie Normandeau, par exemple.

Contradictions et revirements

Les contradictions et les revirements ont été omniprésents dans la campagne péquiste. Le parti ne semblait pas si préparé qu’il le prétendait. Dans la dernière semaine, par exemple, Pauline Marois a annoncé qu’elle siègerait au Conseil de la fédération créé par Jean Charest après avoir prôné son abolition. Cela peut sembler bien douteux de la part d’un parti aspirant par son option à briser le cycle du quémandage provincial. Les exemples de revirements et de contradictions formeraient une liste trop longue pour les énumérer ici.

« Un choix entre progressistes et conservateurs »

Un autre évènement mérite d’être souligné. Lors de la première journée consacrée au vote par anticipation, Pauline Marois a répondu à deux reprises aux journalistes que les souverainistes conservateurs devraient se tourner vers les deux partis « de droite », c’est-à-dire la CAQ et le PLQ. Marois a ensuite convoqué la presse pour corriger le tir, affirmant qu’elle avait mal compris la question et que les « conservateurs » pouvaient être rassurés de la par la saine gestion des finances publiques par le PQ, limitant ainsi sa définition du conservatisme à la droite fiscale. On ne peut présumer de rien, et il est très possible qu’après plusieurs semaines d’une épuisante campagne, la cheffe péquiste n’ait véritablement pas compris la question. Est plus important cependant le fait que, précédemment, la cheffe péquiste a affirmé que le débat se situait d’abord sur le terrain de l’affrontement entre progressistes et conservateurs, puis en second lieu sur l’axe national. Cela révèle la forte inconsistance issue de la dérive idéologique du PQ. Alors que d’aucuns spéculent sur la disparition de la question nationale au profit du débat de société, l’existence même du PQ (autrefois une coalition) devrait précisément incarner une posture plaçant l’axe au niveau de l’enjeu de l’indépendance. Logiquement, il est impossible d’affirmer que la joute électorale se situe à la fois sur les deux fronts, à moins de croire en une adéquation parfaite entre progressisme et souverainisme d’un côté, conservatisme et fédéralisme de l’autre. L’affirmation de Pauline Marois témoignait véritablement d’un consentement au raisonnement de Québec Solidaire,[6] de la même manière que le positionnement exclusivement anti-Harper du Bloc québécois avait ouvert toute grande la porte au NPD. Il faut que dire que les candidats vedettes les plus proches de la cheffe – à l’instar de Jean-François Lisée, Nicolas Girard ou Daniel Breton – étaient candidats dans des comtés où le chant des sirènes orange pouvait réellement sembler menaçant pour le PQ. Malheureusement, effacer l’axe souverainiste-fédéraliste au profit de celui de la gauche et de la droite. On l’a dit et redit, se déplacer vers la gauche dans le but de sauver quelques candidatures de prestige représente un abandon des milliers d’électeurs indépendantistes se réclamant de la seconde catégorie. Malheureusement pour le PQ, Mercier et Gouin semblent définitivement passés dans le giron de l’ultra-gauche pour un bon bout de temps.

Quel avenir pour le Parti québécois au pouvoir ?

Pour le PQ, le résultat de l’élection a montré qu’on ne peut corriger quinze ans de vacuité par trente-trois jours de campagne. La soirée électorale n’a probablement pas été à la hauteur du moment que Pauline Marois préparait depuis une trentaine d’années. Avec un gouvernement minoritaire extrêmement faible, il peut se compter chanceux dans son malheur. Avec un peu plus de soixante sièges, le parti gouvernemental aurait été contraint de subir le chantage des deux élus de Québec solidaire – qui auraient détenu la balance du pouvoir. Maintenant, Pauline Marois aura l’occasion d’accomplir la modernisation économique qu’elle entrevoyait au départ, car le PQ sera forcé de composer avec la CAQ plutôt qu’avec QS, ce qui l’éloignera de l’idée loufoque d’une alliance électorale qui serait totalement incohérente. Au lendemain de l’élection, d’aucuns tentent de relancer ce débat en évoquant la division du vote. Ce sera pourtant là une erreur majeure que de supposer qu’une simple addition des appuis des deux partis donnerait une adéquation parfaite. Au contraire, le PQ sauverait peut-être quelques votes à Montréal, mais se couperait durablement de l’électorat conservateur des régions. Pour récupérer les indépendantistes égarés à QS et à ON, le PQ devra évidemment faire son introspection. Son recentrage demeure nécessaire pour élargir sa base électorale, mais il n’en demeure pas moins insuffisant pour distinguer le PQ des deux grandes formations fédéralistes.

La balle est désormais dans son camp. Nous pouvons craindre qu’il se comporte de la même manière qu’il a agi au cours de cette campagne, car ses multiples erreurs ont témoigné d’une certaine confusion dans la culture idéologique qu’il s’est lui-même imposée. Ce serait là une erreur majeure. Si cela devait arriver, on peut s’attendre à ce que le gouvernement s’enlise dans la gestion à la petite semaine de la province de Québec. Cette dernière ne peut s’apparenter qu’à une réparation de dégâts qui ferait rapidement sombrer le parti gouvernemental dans l’impopularité.

Élu avec un résultat de défaite, le PQ devra à la fois éviter de s’asseoir sur sa victoire, mais également assumer clairement cette dernière. Cela peut sembler contradictoire, mais ça ne l’est nullement.

Le PQ doit évidemment se rappeler sa raison d’être et redéfinir son indépendantisme. De nombreuses réflexions ont germé, mais bien peu se sont rendues à l’éclosion[7]. Son option reste la donnée significative le distinguant des autres partis, mais une absence de redéfinition de l’argumentaire indépendantiste pourrait entraîner le projet dans les bas fonds de l’opinion publique tant et aussi longtemps qu’il sera associé au PQ. La souveraineté a d’ailleurs subi une baisse importante de popularité pendant cette campagne au profit du nombre d’indécis sur cette question. En apparence, la mise sous le boisseau de son option au profit de la partisanerie peut sembler payante. Pour la prise du pouvoir, jouer la politique provinciale peut sembler être une voie beaucoup plus simple que de tenter de soulever le peuple par undiscours ambitieux appelant au courage et au sacrifice. L’ennui, c’est que le pouvoir échappait au PQ depuis 2003. Avec 31,9 %, la victoire n’est qu’une question de circonstances relevant du mode de scrutin et de la division de ses adversaires. Le Bloc québécois, auparavant, jouissait d’une meilleure situation, car il monopolisait le nationalisme québécois (bien qu’incapable de penser la nation avec cohérence). Mais il oubliait que d’élection en élection son existence était remise en question et qu’il s’enlignait toujours vers une défaite. À chaque fois, il a pu tomber sur une bouée de sauvetage lui permettant de se maintenir (commandites, coupes en culture, etc.). Chaque fois, il a donc remis à plus tard la réflexion fondamentale qu’il devait avoir. Depuis que le PQ perd en 2003, il promet une réelle remise en question, mais la met vite sur les tablettes lorsque les sondages font ressortir l’impopularité du gouvernement libéral. La course de 2005 est intéressante : les péquistes ont opté, sur la seule base des sondages, pour un candidat qui n’avait rien d’un libérateur de peuple. La direction péquiste n’aura d’autre choix que d’acquérir le sens de l’Histoire, et en cela pousser plus loin les avancées entamées sous Pauline Marois.

J’affirmais plus tôt que le PQ devait également assumer sa victoire. Il s’en trouve néanmoins, malgré son faible résultat, au pouvoir. Il devra en comprendre la légitimité et se distinguer de ses adversaires en agissant. La stratégie Harper reste la plus efficace : lorsque le Parti conservateur est parvenu à arracher le pouvoir au PLC en 2006 il ne disposait que d’un gouvernement minoritaire très faible. Sa stratégie a été fort simple : se rappeler qu’il a gagné et se comporter comme un gagnant. Harper a fait le maximum qu’il pouvait faire par décrets administratifs et a soumis ses propositions les plus controversées au Parlement pour polariser et clarifier les options politiques. D’un côté, les conservateurs étaient les seuls à se camper sur leurs propositions tandis que l’opposition, composée de trois partis, s’unissait contre lui. Par ses positions fermes et claires, Harper est parvenu ensuite à obtenir un mandat majoritaire. Maintenant qu’il le détient, les Canadiens ne peuvent prétendre qu’ils ne savaient pas à quoi s’attendre et Harper peut procéder à la construction nationale qu’il prévoit depuis longtemps. Pauline Marois pourrait apprendre de ce grand réformateur, dont nous avons souvent dit qu’il gouvernait en majoritaire lorsqu’il était minoritaire. Le programme du PQ contient plusieurs promesses audacieuses, dont l’établissement d’une citoyenneté québécoise, la mise en place d’une Charte de la laïcité et le retour d’une loi 101 qui a des dents. Ces propositions sont de réels gestes de rupture qui briseraient la conjoncture et nous rapprocheraient collectivement de l’indépendance. Dans le cas du projet de citoyenneté québécoise, il démontre même d’une volonté d’établir un cadre propre à nous et de fonctionner selon nos propres règles. En contexte majoritaire, l’adoption de ces trois propositions constituerait un véritable acte d’État. Dans le cadre du gouvernement minoritaire actuel, rien n’empêche Pauline Marois de les soumettre néanmoins à l’Assemblée nationale. Un débat autour de ces questions aurait le mérite de clarifier les options et placerait certainement dans une position embarrassante une CAQ ayant une position identitaire des plus floues tout en forçant QS à révéler son idéologie multiculturelle.[8] Le choix de la rupture historique ne peut qu’entrer en confrontation avec le régime constitutionnel d’Ottawa. Il faudrait pour cela que Pauline Marois soit en mesure d’emprunter également la voie de la rupture vis-à-vis de la culture péquiste.

C’est sur ce front que se situera, si le PQ y travaille, la réelle relance d’un cycle pouvant mener ultimement à l’indépendance. Cela pourrait advenir bien davantage sur le terrain du conflit des légitimités que sur celui des rapatriements de pouvoirs. Cette idée n’est pas mauvaise en soi, mais néglige l’habileté et la détermination de Stephen Harper, qui a su jusqu’à présent éviter les chicanes Ottawa-Québec et saurait intelligemment fournir au Québec l’illusion d’un compromis.

En agissant dans le seul intérêt national du Québec pour que les limites du cadre canadien imposé par notre statut provincial paraissent évidentes, le PQ serait en mesure de remettre le Québec en mouvement. Cela est beaucoup plus envisageable en étant aux commandes de cet outil fondamental qu’est l’État québécois. Dans le contexte de la crise à la direction, les péquistes pourraient se démarquer de la sorte.

Dans le cas inverse, si le PQ ne procède pas aux renouvellements idéologiques nécessaires et ne s’engage que sur la voie de la gestion à la petite semaine, le projet indépendantiste pourrait s’enfoncer de plus en plus dans la marginalité et même mourir de sa belle mort.

Conclusion : une élection provinciale

Le débat politique au Québec a été une de fois de plus désespérément « provincial », c’est-à-dire étroit de point de vue et pauvre d’ambition. Une fois de plus, on y a été condamné à discuter constamment de la manière d’aménager notre statut d’État incomplet. La politicaillerie partisane empêche, comme toujours, la formulation de solutions complètes à nos problèmes. Elle tourne autour de la vente de rêves et non de résultats. Notre condition nationale se résume à une acceptation résignée de solutions inadéquates. Les quelques positions audacieuses du PQ ont été vite taxées de radicalisme, ce qui était prévisible de la part de ceux qui n’ont aucun horizon ambitieux.

Le provincialisme aplatit la politique québécoise et il représente bien en cela un certain inachèvement de notre société. Même si plusieurs refusent de le voir, ce provincialisme nous condamne à la petitesse. En l’absence d’une réelle vision de notre intérêt national, la partisanerie règle seule le jeu politique, et celle-ci ne cherche que les slogans accrocheurs pour masquer le manque de contrôle des moyens. C’est malheureusement d’un discours réaliste dont nous aurions besoin, appelant au dépassement national. L’État provincial ne semble plus avoir d’autre fonction que de coaliser des intérêts particuliers. Comme ailleurs en Occident, la volonté majoritaire et la légitimité électorale et institutionnelle d’un gouvernement sont ici en déclin. Mais le provincialisme aggrave les conséquences associées à la crise que traverse la démocratie de représentation.

Le Québec paie cher la dynamique épuisante de la question nationale. L’impression de tourner en rond est fondée : un problème qui ne se règle pas épuise. La société québécoise souhaite devenir tout simplement normale, avec de réels débats quant à la direction à donner à la collectivité. Pour s’affranchir de la polarisation entre souverainistes et fédéralistes, il n’y a que deux choix : l’abandonner ou la mener à son point logique d’aboutissement, l’indépendance. Mais les conséquences ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas, c’est la minorisation nationale et la continuation d’une politique s’apparentant à la gestion des conséquences. Il s’agirait d’une démission collective qui nous placerait dans une position d’extrême faiblesse. Et, pour l’instant, aucun projet d’envergure – fut-il de gauche ou de droite – ne pourrait être mis en place alors que les pouvoirs déterminant la personnalité politique d’une nation nous échappent encore.

Il sera vital que l’enjeu national fasse réellement partie du débat et que le cadre politique laisse place à une telle possibilité. C’est là la véritable responsabilité des indépendantistes. ♦

 

 


 

[1] Sur les RIP, nous partageons le point de vue de Joseph Facal, « RIP pour le RIP ». http ://www.journaldemontreal.com/2012/02/05/rip-pour-le-rip

[2] Sur la couverture fallacieuse autour des propos réels de Djemila Benhabib, on lira Mathieu Bock-Côté, « Le PQ, la laïcité, le crucifix et une étrange manière d’en parler » : http ://blogues.journaldemontreal.com/bock-cote/ ?p=8921

[3] Dans son livre « Les soldats d’Allah à l’Assaut de l’Occident » (2011), Benhabib écrivait, au sujet du patrimoine religieux : « [L]es bien-pensants qui prônent l’ouverture à la diversité sont curieusement enclins à l’éradication du patrimoine culturel majoritaire. La place du patrimoine chrétien relève d’une conjoncture historique qu’on ne saurait effacer d’un coup d’éponge. Et il faut souligner que la laïcité n’implique en rien l’effacement du patrimoine culturel national ni sa liquidation. Bien au contraire. Il est du devoir de l’État de prendre en charge la préservation et la sauvegarde de ce patrimoine. […] Ce dernier, bien qu’il ait été culturel, a largement franchi le domaine du culturel pour appartenir à tous et devenir bien collectif. Dans cet esprit, on ne peut déplorer qu’au Québec ce patrimoine chrétien bâti ne soit que médiocrement pris en charge par l’État ». P. 291-292

[4] Ironiquement, le crucifix a été placé à l’Assemblée nationale par Maurice Duplessis, illustre député de… Trois-Rivières

[5] De nombreux observateurs ont rappelé que le premier juif élu dans l’Empire britannique était Ezechiel Hart, député fédéral de Trois-Rivières.

[6] Malgré la rhétorique souverainiste de Françoise David pour gruger des votes au PQ et freiner l’hémorragie de ses militants vers Option nationale, nous sommes d’avis que QS ne peut être considéré sérieusement comme un parti indépendantiste. À ce sujet, lire le texte de l’auteur de ces lignes, « Québec solidaire, aile gauche de l’assentiment canadien », disponible en ligne sur le site du Cercle La Presse. http ://www.lapresse.ca/debats/le-cercle-la-presse/actualites/201208/23/48-1038-quebec-solidaire-aile-gauche-de-lassentiment-canadien.php

[7] L’auteur de ce papier y est déjà allé d’une réflexion sur la question. « Redéfinir l’indépendantisme », dans la section À chaud du site de l’Action nationale : http ://www.action-nationale.qc.ca/index.php ?option=com_content&task=view&id=1323&Itemid=182

[8] QS est notamment opposé à l’application de la Loi 101 au Cégep et est favorable à une laïcité dite « ouverte ». Cette posture s’est traduite plus clairement lorsque le parti a appuyé les conclusions « accommodantes » du rapport Bouchard-Taylor et a pris position en faveur du port du voile.