Le prix Richard-Arès 2017 à Serge Dupuis

Le prix Richard-Arès de L’Action nationale récompense l’auteur du meilleur essai publié au Québec durant l’année. Il a été créé en hommage au père Richard Arès qui, par ses multiples écrits sur notre question nationale, a contribué d’une manière exceptionnelle à stimuler et à enrichir la réflexion de nos compatriotes. Ce prix est attribué chaque année depuis 1991 par la Ligue d’action nationale à l’auteur d’un essai publié au Québec qui témoigne d’un engagement à éclairer nos concitoyens sur les grandes questions d’intérêt national. Il est doté d’une bourse de 1000 $. La création de ce prix a pour objectif essentiel de promouvoir la culture nationale en encourageant l’expression de la pensée.

Le jury du prix Richard Arès 2017 – formé de Robert Comeau, Lucille Beaudry et moi-même – a retenu un ouvrage très original, Le Canada français devant la francophonie mondiale (Septentrion, 2017) de Serge Dupuis.

Serge Dupuis est chercheur associé à la Chaire CEFAN de l’Université Laval – Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique – dont l’historien Martin Pâquet est l’actuel titulaire. Fondée par le regretté Jean Hamelin, cette chaire se consacre depuis 1989 à l’étude du fait français en Amérique en mettant l’accent sur les relations entre les diverses composantes du Canada français incluant les Franco-Américains. Je rappelle qu’il existe à l’Université Laval dans diverses disciplines – histoire, science politique, sociologie, littérature, notamment – une très longue tradition d’études portant sur la nation canadienne-française, et notamment sur les relations entre la société québécoise et les diverses communautés nationales, sans oublier l’Acadie.

Serge Dupuis s’est intéressé à l’étude du Canada français, considérée comme une entité globale, une nation historique qui a éclaté autour du milieu des années 1960. Au Québec, nous avons un peu oublié cet ancien Canada français et les études sociologiques ou historiques se font maintenant plus rares.

L’auteur comble un vide avec cette étude du mouvement des clubs Richelieu, pendant des clubs de services d’inspiration américaine ou anglo-saxonne tels que les Kiwanis, Lions ou Rotary. Les élites canadiennes-françaises ont voulu en effet mettre sur pied des clubs offrant des services à la population francophone et catholique et l’auteur documente bien les liens du mouvement Richelieu avec le défunt Ordre de Jacques-Cartier, voué à la promotion des intérêts des Canadiens français sur la scène fédérale canadienne, à une époque difficile pour eux comme on le sait. Mis sur pied à Ottawa en 1944, les clubs Richelieu ont essaimé partout dans l’espace canadien-français, de la Nouvelle-Écosse au Manitoba et aussi en Nouvelle-Angleterre. Ils se voulaient le rempart contre la menace culturelle que représentaient les clubs américains ou anglo-saxons.

Les Richelieu ont été un « maillon » dans le réseau institutionnel du Canada français. Nous savons tous que l’Église catholique a joué un rôle important dans le développement du Canada français, au moment où l’on parlait de la survivance. Mais la nation canadienne-française a aussi bénéficié d’autres institutions, notamment le réseau associatif, les sociétés patriotiques, tout le réseau d’enseignement. Le Richelieu fait partie de ces réseaux de la société civile.

Au moment de sa fondation, le mouvement s’était investi dans l’« Église-nation » canadienne-française, mais la montée de l’État providence, de la contre-culture, du mouvement féministe, des politiques participatives et (surtout) des tensions constitutionnelles l’ont amené à s’en éloigner. Au lieu de s’entêter à défendre un paradigme chancelant, le Richelieu a choisi d’embrasser une « solidarité francophone », certes plus diffuse, mais offrant la possibilité de rassembler des sociétés disparates autour de la langue française, de la démocratie, la justice sociale et la diversité culturelle (p. 12).

Cette citation montre bien que plusieurs grands défis se sont posés aux clubs Richelieu. Le mouvement était confessionnel à l’origine, mais il a dû s’adapter dès les années 1960-70 à la déconfessionnalisation au Québec, une tendance qui s’est manifestée plus tardivement au sein des communautés canadiennes-françaises.L’effectif dans les clubs Richelieu était réservé au départ aux hommes et ils ont été confrontés aux exigences de mixité sexuelle. La mixité ethniquea présenté plus tard un autre défi, analysé dans l’ouvrage. Ainsi, dès les années ١٩٥٠, s’est posé l’enjeu d’admettre des membres non canadiens-français, comme les immigrants italiens.

Les clubs Richelieu ont été amenés à se positionner dans les nouveaux rapports sociaux avec l’arrivée des femmes dans la sphère publique, le déclin de l’influence des clercs et de l’Église canadienne-française sans oublier la montée de l’état providence qui offrait de plus en plus de services à la population.

Le grand mérite de ce livre est de déborder le cadre étroit d’une monographie qui n’aurait porté que sur les clubs Richelieu eux-mêmes. En fait, c’est toute l’histoire du Canada français qui est convoquée dans ce livre à travers le cas particulier de ces clubs. Ainsi, les tensions en leur sein entre le nationalisme québécois et les luttes pour renouveler le fédéralisme canadien dans la perspective de la dualité nationale ont été vives.

L’ouvrage de Serge Dupuis développe une thèse originale qui ne manquera pas d’intéresser bien des lecteurs. Les clubs Richelieu ont constitué « un prélude aux relations étrangères canadiennes-françaises » (p. 68). Les membres canadiens-français se sont intéressés à la présence francophone dans le monde, en dehors des frontières du Québec et du Canada en s’ouvrantà l’international, préoccupés de connaître le monde extérieur. Les clubs Richelieu ont donc essaimé dans la francophonie. Le livre précise et documente un bon nombre d’initiatives en Europe et en Afrique. Au début des années 1970, les Richelieu lancent 120 projets d’affiliation à l’international, avec l’appui des ambassades canadiennes. Si les clubs Richelieu ont vécu le démantèlement du nationalisme canadien-français, ils ont par contre participé étroitement à la mondialisation de la francophonie. C’est un aspect méconnu de notre histoire que Serge Dupuis a bien analysé. Loin d’être une société fermée sur elle-même, le Canada françaisa été bien présent sur la scène internationale par leurs initiatives.

L’auteur a fouillé un grand nombre de fonds d’archives et il a rencontré bon nombre d’acteurs au sein des Richelieu. Il nous livre donc un travail scientifique sérieux, bien documenté et réalisé dans les règles de l’art. Mais il livre aussi une interprétation de la mutation du fait français au Canada. Ce livre nous invite à réfléchir sur le présent et l’avenir des relations entre Québécois et francophones canadiens, qui semblent peu préoccuper nos contemporains.

Les membres du jury tiennent à féliciter Serge Dupuis pour son travail d’historien et pour le bel essai qu’il a publié. Voici un prix bien mérité.

10 septembre 2018