Il faut quitter les bunkers. Cesser d’avoir peur. L’avenir ne sera peut-être pas radieux, mais il sera rassurant. Le Canada veille. Le Québec peut respirer, il a trouvé sa nouvelle égérie. Une passionaria. Une vraie. Vibrante et porteuse d’avenir. Avec la même adresse que celle requise pour servir les plats. Et elle s’y connaît, elle a toujours su polir l’argenterie et prendre soin de la faïence. C’est à cette adresse qu’elle doit sa carrière. Il faut un minimum de talent pour servir le Canada. Il en faut cependant moins pour donner le Québec au Canada comme on a pu le voir aux premiers émois provoqués par les premiers chapitres du Livre bleu. Si jadis il y a eu les trois colombes, il n’y a plus désormais que les moineaux pour s’agiter autour des épouvantails bricolés à Ottawa.
Pablo Rodriguez n’a qu’à bien se tenir. L’aura mélaniesque le laissera dans une ombre épaisse, tutélaire sous laquelle le PLQ aura du mal à briller. Si jamais il reste en poste et survit au vaudeville, il sera déjà devenu le Daniel Johnson de la prochaine ronde. Ectoplasme canadian. Un commis aux insignifiances. Un chef de rien, préposé à la servitude. Quel beau spectacle nous offre la politique provinciale ! Et dire que le PQ n’a encore à son actif que des résultats de sondages. Sa capacité de mobilisation commence à peine à se manifester, crédibilisée, il est vrai, par une cohérence idéologique qu’on ne lui avait pas connue depuis des lustres. Point besoin de lunettes roses pour s’attendre à ce que le meilleur reste à venir.
Il faudra cependant beaucoup d’efforts pour raccommoder les forces vives de la société civile. Le Québec est mal en point tant il vacille sous la médiocrité que répand la CAQ. Les ratés de l’époque Legault n’en finissent plus de semer la désolation, de miner la confiance dans nos institutions et de déglinguer les services publics. Le crépuscule des alibis autonomistes n’a pas fini de semer la noirceur. Il faut d’ores et déjà s’employer à faire voir ce que tous ces échecs ont obscurci : le Québec a tout ce qu’il faut pour s’assumer. Tout, sauf peut-être le supplément de confiance en soi pour réussir à s’arracher au vide canadian.
Et c’est pourquoi nous avons besoin d’une Mélanie : pour faire voir qu’il n’y a plus rien à voir. Le Québec navigue à vue sur un océan de renoncements. Le Canada ne lui demande que cela : renoncer à lui-même pour se livrer aux intendants qui font carrière à le rendre docile. Il n’y a plus de projet sur la scène politique des inconditionnels qui pensent encore que le Canada peut être notre pays. Ce sera – c’est d’ores et déjà – la particularité de la relance du mouvement national : les indépendantistes et les Québécois de plus en plus nombreux sont enfin sortis de la sphère du simulacre du dialogue politique. Le Québec est désormais aux prises avec lui-même. Le Canada se fait sans même mobiliser les faussaires ou les naïfs. Pablo l’a souhaité, il faudra bien un jour signer la Constitution. Ceux-là des Québécois qui se disent fédéralistes ne se paient que de mots. Pas de projets, pas d’inconfort à n’en pas avoir. Simplement la satisfaction de se savoir du côté de la force tutélaire. Et la joie de se voir représenter par un homme de service qui joue les cordonniers de village…
Le retour de la question nationale n’en est pas un : l’expression est trompeuse. Ce qui se joue, c’est moins le retour que le début de la politique nationale. Une politique enfin conçue dans l’intérêt national et sans compromis autres que ceux que le peuple se propose pour lui-même afin d’accorder ses espérances aux possibles. Finies la phase nationaliste et l’ambivalence. Le Québec n’a plus qu’un seul projet politique pour faire lever l’horizon. C’est l’indépendance ou le non-lieu.
Les crises qui se succèdent et se répondent, ou s’imbriquent, ont le « mérite » de déporter le Québec au bord de lui-même. L’effondrement caquiste se fait dans le fracas de l’imposture canadian. La politique provinciale ne porte plus rien, ne nourrit rien. Le gouvernement de la province ne peut plus rafistoler les demi-solutions dans lesquelles les Québécois ont tenté de se forger un destin en phase avec leurs attentes légitimes. Les caquistes ont fait la démonstration de l’obsolescence de l’arrangement institutionnel que la Révolution tranquille a tenté de formaliser. Il n’était pas viable dans le statut de province. La démission caquiste et les menées d’Ottawa ont dissipé toutes les illusions concernant sa pérennité. Le régime érode lentement les acquis, dévoie les institutions et retourne contre notre existence nationale ce qui a été conçu pour la fonder. La province est et ne sera qu’un registre de régression.
Dans les faits, le prochain gouvernement et le Québec tout entier se retrouveront dans une logique de refondation. Cela ne tiendra pas seulement à la nécessité de rénover ce que le délabrement caquiste aura laissé en démanche, cela sera requis par l’urgence qui pointe déjà et qui sera faite à l’ensemble de notre société de se repenser dans une vision unifiée d’elle-même, de son intérêt national. Le conditionnement minoritaire, le dédoublement institutionnel, les contraintes intériorisées dans un ordre des choses bâti sur le consentement à des contraintes imposées par un ordre déterminé par un régime qui nous rend étrangers à nous-mêmes, tout cela devra être renversé. Cela demandera de l’audace et du courage. Du dépassement de soi, partout, dans toutes les sphères de la vie de la nation, pour cesser d’exister à la périphérie de nous-mêmes dans le destin d’une existence divisée par le rôle que nous fait jouer l’ordre imposé.
Les Mélanie et autres petits cordonniers n’ont d’autres fonctions que celle du dévoilement. Ces personnages parviennent admirablement à faire voir l’imposture. Les énormités qu’ils profèrent les drapent dans des costumes de figurants d’un mauvais vaudeville. La protection canadian qu’ils invoquent ne sera jamais que celle de la dépendance. Ce que le Canada présente comme de la sécurité, c’est la confusion entretenue par ceux qui le servent entre la torpeur et le déshonneur toxique. Il n’y aura pas de proposition politique pour donner la réplique aux indépendantistes. Que des simagrées mises en scène pour habiller la démission. Pour nous encastrer dans ce que Gaston Miron a appelé « la vie agonique ».



