On peut télécharger le rapport de recherche Le Québec rate sa cible. Les efforts du Québec en matière de francisation et d’immigration sur le site de l’Institut de recherche en économie contemporaine.
L’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) publiait en janvier dernier un important rapport de recherche faisant le point sur les pratiques du gouvernement du Québec en matière de francisation et d’intégration des immigrants depuis 1991. Jean Ferretti, chargé de projet à l’IRÉC et auteur du rapport, déclarait :
Le gouvernement du Québec n’agit pas avec la cohérence et la rigueur requise pour la francisation et l’intégration des immigrants. Cette négligence a pour résultat de réduire la place du français dans la vie québécoise et de compromettre l’intégration des nouveaux arrivants à la société et à la culture québécoise. Nous faisons treize propositions de nature à corriger la situation.
Les Québécois s’attendent à ce que l’accueil et l’intégration des immigrants contribuent à enrichir la société québécoise. L’inefficacité et les contradictions de nos politiques ne servent personne. Elles nuisent à la réussite du projet d’immigration des nouveaux arrivants et elles minent la cohérence institutionnelle requise pour que nos objectifs linguistiques soient atteints.
Impact sur l’équilibre linguistique
Plus de 200 000 immigrants, soit 20 % de l’ensemble de la population immigrée du Québec, ne parlaient toujours pas le français en 2011. Ils étaient 159 575 à parler uniquement anglais et 43 255 à ne parler ni français ni anglais. Parmi eux, plus de 111 000 sont arrivés après 1991 dont près de 43 000 entre 2006 et 2011. Le chercheur constatait :
De tels chiffres laissent voir que, contrairement à son objectif de consolider le caractère français du Québec, la politique d’immigration menée depuis au moins 25 ans et la défaillance des programmes de francisation contribuent largement à l’anglicisation de Montréal.
Il est donc inexact de prétendre que la population immigrée anglicisée serait celle des contingents anciens. Les arrivées récentes contribuent de manière importante au recul du français. Le gouvernement du Québec a réduit la politique d’immigration à une question de volume en négligeant son impact sur l’équilibre linguistique.
Le rapport établissait que les personnes nées à l’étranger représentaient en 2006 14,2 % de la population de langue maternelle anglaise du Québec et 30,6 % de la population dont l’anglais est la Première langue officielle parlée (PLOP).
L’étude soulignait que la concentration à plus de 70 % des immigrants sur l’île de Montréal et la baisse du poids démographique des francophones créent un effet de milieu qui rend plus difficile l’apprentissage du français par les immigrants et qui contribue à élargir le fossé entre un Montréal de moins en moins francophone et le reste du Québec.
Dans ce contexte, le rapport relevait que plus de 40 % des immigrants déclarant ne pas connaître le français en arrivant au Québec ne s’inscrivent pas aux formations de francisation. Cette proportion est stable depuis 1991 et monte à plus de 50 % pour certaines communautés. Le rapport révèlait aussi le déclin marqué de la fréquentation des cours à temps complet ces dernières années, qui passe de 13 230 inscrits en 2010-2011 à 10 759 en 2014-2015 et constitue un phénomène inquiétant. Le chercheur de l’IREC faisait remarquer :
Depuis 2011-2012, alors que le nombre d’immigrants ne connaissant pas le français est en augmentation, le financement des programmes de francisation diminue dans l’ensemble des ministères concernés par la francisation (MIDI, MELS et MESS).
C’est d’autant moins justifiable que parallèlement, sur la période 2010-2012 à 2014-2015, le ministère de l’Immigration a retourné environ 70 M$ de crédits autorisés au fond consolidé.
Une plus grande transparence
L’absence de moyens adéquats de contrôle de la qualité des apprentissages ne permet pas de mesurer le succès des mesures déployées. Plusieurs intervenants affirment que la formation est insuffisante. Le rapport demande une plus grande transparence dans la reddition de compte et estime que le ministère de l’Immigration devrait assumer un leadership plus ferme dans la concertation des divers ministères et intervenants communautaires. « Les moyens sont dispersés, les objectifs sont peu précisés et les moyens de mesure des résultats sont trop souvent défaillants, quand ils existent » relevait Jean Ferretti.
Faits saillants
Ce rapport évalue la cohérence de l’action du gouvernement du Québec dans l’atteinte de l’objectif de la Charte de la langue française de faire du français la langue commune des Québécois.
Notre principale conclusion est que le gouvernement du Québec ne prend pas les moyens nécessaires pour s’acquitter de ses responsabilités eu égard au maintien du français comme langue de convergence de tous les citoyens.
Recul du français
- Accélération du déclin du poids démographique des francophones au Québec. C’est particulièrement le cas sur l’île de Montréal, où la proportion d’individus de langue maternelle française est descendue sous la barre des 50 % et celle des individus parlant principalement français à la maison a décliné pour s’établir autour de 52 % en 2011.
- Déclin de l’usage du français dans la sphère publique, particulièrement en milieu de travail. La part des travailleurs du secteur privé sur l’île de Montréal travaillant généralement ou uniquement français au travail est passée de 62,5 % en 1997 à seulement 43,7 % en 2010.
- L’immigration se concentre à 86 % dans la région métropolitaine de Montréal. Cela crée un effet de milieu qui accroît le clivage entre un Montréal de moins en moins francophone et le reste du Québec.
L’impact sur les pratiques linguistiques et le fait français
- Plus de 200 000 immigrants, soit 20 % de l’ensemble de la population immigrée du Québec, ne parlent toujours pas le français en 2011. Parmi eux, plus de 111 000 sont arrivés à partir de 1991 dont près de 43 000 entre 2006 et 2011. De ces 202 830 immigrants, 159 575 parlent uniquement anglais et 43 255 ne parlent ni français ni anglais.
- Les personnes nées à l’étranger représentaient en 2006 14,2 % de la population de langue maternelle anglaise du Québec et 30,6 % de la population dont l’anglais est la Première langue officielle parlée (PLOP).
- Les immigrants non-francotropes (43,5 %) utilisent le plus souvent l’anglais dans leurs interactions publiques alors qu’ils sont 40,1 % à utiliser les plus souvent le français et 16,4 % utilisent à la fois le français et l’anglais.
- On note d’importantes différences dans les pratiques linguistiques en milieu de travail. 69,6 % des immigrants francotropes parlent le plus souvent le français au travail alors qu’à peine 33,5 % des immigrants non-francotropes font de même et que 48,3 % utilisent l’anglais le plus souvent.
- Malgré une amélioration des tendances depuis 1970, les transferts linguistiques vers le français demeurent insuffisants pour freiner le déclin du groupe francophone. Cette amélioration découle davantage de la sélection d’une plus grande part d’immigrants de langue latine ou qui sont issus de la francophonie internationale, plus portée à adopter le français comme langue d’usage qu’à l’amélioration des services d’intégration.
- Les immigrants qui ne sont pas de langue maternelle latine ou qui sont issus de la francophonie internationale sont restés insensibles aux mesures de francisation depuis 30 ans. Parmi ceux qui ont opéré un transfert linguistique, seulement 15 % l’ont fait au profit du français, un niveau semblable à celui des années 1970.
La composition actuelle des flux migratoires ne permet pas de freiner le déclin du français
- Environ 40 % des immigrants ne connaissent pas le français à leur arrivée au Québec. Cette proportion semble de surcroît avoir été sous-évaluée jusqu’en 2011 en raison du manque d’évaluations standardisées des compétences linguistiques lors de la sélection en entrevue.
- Le moyen le plus efficace de freiner le déclin du groupe francophone est d’agir sur la composition des flux migratoires en sélectionnant davantage d’immigrants de langue latine ou qui sont issus de la francophonie internationale.
Le bilinguisme institutionnel nuit à la francisation
- Le bilinguisme des institutions publiques, pratiqué notamment par certains ministères et organismes comme Revenu Québec et la SAAQ, n’est pas cohérent avec l’objectif de faire du français la langue commune.
- Les ministères et les institutions publiques interagissent en anglais avec près de 75 % des immigrants non francophones et qui sont installés dans la région de Montréal.
Le réseau de la francisation
- Augmentation globale de l’offre et de la fréquentation des formations en francisation depuis 1991. Le réseau de la francisation repose de plus en plus sur les partenaires du ministère de l’Immigration, notamment le ministère de l’Éducation, le ministère de l’Emploi et certains organismes communautaires spécialisés en immigration
- Développement d’une concurrence inefficace entre les acteurs en francisation.
- Progrès ces dernières années dans l’harmonisation des programmes, notamment par la création d’un guichet unique pour orienter et répartir les immigrants dans les différents services.
- Réduction du nombre de groupes à temps complet du ministère de l’Immigration, qui passe de 1 314 en 2003-2004 à 952 groupes en 2014-2015. Il semble que l’on oriente de plus en plus les immigrants vers les cours à temps partiel, par la conversion des cours spécialisés à temps complet de niveau avancé en français écrit et oral en cours à temps partiel, et que l’on favorise la formation en ligne plutôt que la formation en classe.
La fréquentation
- Globalement, depuis 1991, on observe une hausse de la fréquentation des services de francisation. Depuis 2009-2010, le nombre d’individus inscrits aux formations de francisation (temps complet, temps partiel et en ligne) tourne autour de 27 000.
- Depuis le début des années 1990, au moins 40 % des immigrants ne connaissant pas le français à leur arrivée ne s’inscrivent pas aux cours de français. Pour les années 2006 à 2010, ce chiffre monte à plus de 50 %. Absence de données pour les années suivantes.
- Taux de fréquentation fortement liés à l’origine des immigrants : en 2010, 29,6 % des immigrants latino-américains déclarant ne pas connaître le français à leur arrivée ne se sont pas inscrits aux cours. Cette proportion atteint 63,9 % des immigrants d’Asie du Sud-Est, 54,8 % de ceux provenant d’Asie orientale et 51,6 % de ceux provenant d’Asie méridionale.
- Augmentation, puis stagnation des effectifs des cours de français à temps complet jusqu’en 2008. Déclin marqué de la fréquentation des cours à temps complet ces dernières années, qui passe de 13 230 inscrits en 2010-2011 à 10 759 en 2014-2015.
- Hausse de la fréquentation des cours à temps partiel, qui passe de 7017 en 1998-1999 à 15 150 inscrits en 2014-2015.
Bilan des apprentissages
- Plusieurs études soulignent que le nombre d’heures de cours est insuffisant : certains immigrants ayant complété tous les cours à temps complet offerts par le ministère de l’Immigration n’ont pas atteint un niveau qui leur permette de fonctionner en français.
- Environ la moitié des immigrants ayant terminé le parcours de francisation considèrent ne pas maîtriser le français à l’écrit.
- Satisfaction des immigrants inscrits à l’égard des cours qu’ils ont reçus, au niveau des apprentissages et de la confiance en soi. Une forte majorité d’entre eux émettent le désir de poursuivre les cours de français.
Principaux défis du réseau de francisation
- Stimuler la formation à temps plein. Elle offre de meilleurs résultats en matière d’apprentissages et des taux d’abandons nettement plus bas que pour la formation à temps partiel.
- Rejoindre les communautés dont les taux de fréquentation sont faibles.
- Développer la francisation en milieu de travail. Elle ne concerne qu’entre 2000 et 3000 travailleurs annuellement. Ces dernières années, ce nombre est en baisse.
- Assurer un meilleur suivi de la part du ministère de l’Immigration. La décentralisation des services de francisation n’a pas été accompagnée par une surveillance et une évaluation en continu des programmes. Absence de document de compilation des données.
Un soutien financier croissant jusqu’à 2011
- En plus des transferts fédéraux, le gouvernement du Québec a ajouté de ses propres ressources aux programmes d’intégration et de francisation des immigrants. Jusqu’en 2011, le gouvernement du Québec a globalement soutenu et augmenté le financement des programmes de francisation.
- Relâchement des efforts consentis par le ministère de l’Emploi en matière de francisation depuis 2008.
- Nous nous interrogeons sur certaines activités financées par le ministère de la Santé et des Services sociaux grâce aux transferts fédéraux et qui semblent s’adresser à des populations non visées par l’Accord Canada-Québec.
- Depuis 2011-2012, alors que le nombre d’immigrants ne connaissant pas le français est en augmentation, le financement des programmes de francisation diminue dans l’ensemble des ministères concernés par la francisation (MIDI, MELS et MESS). Parallèlement, sur la période 2010-2012 à 2014 – 2015, on observe que le ministère de l’Immigration a retourné environ 70 M$ de crédits autorisés au fond consolidé.