Le REM contourne la gouvernance métropolitaine montréalaise

Depuis sa fondation, les réseaux de transport ont été l’outil de développement économique et urbain de Montréal. Les réseaux de transports maritimes et ferroviaires ont assuré son développement et attiré de nombreux travailleurs. L’arrivée du tramway électrique a quadrillé le territoire et permis, aux XIXe et XXe siècles, la construction des premières banlieues sur l’île. Puis l’arrivée de l’automobile et les vastes chantiers de construction des ponts et des autoroutes, dans la deuxième partie du XXe siècle, ont à nouveau modifié la carte du développement urbain. La construction du métro dans les années 1960 a renforcé le centre-ville de Montréal, évitant son affaiblissement et les exodes vécus par les grandes villes américaines vers les banlieues.

Le transport a joué un rôle clef dans le développement de Montréal et, inversement, l’aménagement et l’occupation du sol ont toujours été dépendants des choix de transport. Ces faits ont rendu de plus en plus importante l’intégration des projets de transport aux choix de planification des territoires. Ils ont aussi, à chaque époque, mis en évidence les tensions entre les élus locaux, le gouvernement et les entreprises privées au regard des décisions à prendre, tensions que la représentativité territoriale et la capacité de payer alimentaient.

La difficile construction d’une gouvernance métropolitaine

Parler de gouvernance métropolitaine, c’est rechercher l’échelle territoriale et les entités les plus efficaces et représentatives pour planifier les grands services à la population, les organiser et les financer.

La ville, pilotée par ses élus, s’est définie depuis sa création comme le lieu d’exercice des pouvoirs accordés par le législateur et de prise de décisions concernant leur financement via différents outils de taxation. Le gouvernement du Québec s’est doté de fonctions de planification à l’échelle de la province, en partageant certaines avec le Gouvernent fédéral, et en assurant la coordination des interventions des villes, le tout financé par ses pouvoirs de taxation.

Les pressions pour trouver des lieux de coordination supra municipaux, à dimensions variables, sont venues des problèmes engendrés par la croissance urbaine et l’étalement en périphérie, le développement des infrastructures routières, les problématiques environnementales, le partage équitable des coûts des services supramunicipaux, la concurrence entre les villes. Le palier municipal et le palier gouvernemental vont d’abord résister à la mise en place d’instances métropolitaines, mais ont dû s’y résigner en raison des grands problèmes urbains dépassant les frontières des villes.

Face à ces pressions, les gouvernements occidentaux créent, dès les années 1950, des structures dotées de compétences propres et de mécanismes de financement. L’aménagement urbain et les transports en sont toujours la colonne vertébrale.

Métro Toronto voit le jour en 1954, avec un conseil des 13 maires des municipalités concernées. Les compétences sont : la planification du territoire, les transports publics, les déchets, la police, les infrastructures d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées, la voirie artérielle, l’environnement. La Toronto Transit Commission (TTC) assure les services de transport collectif pour Toronto, tandis que le gouvernement contrôle Go Transit (trains de banlieue et autobus express).

En France, des communautés urbaines apparaissent en 1966 dans les grandes villes. Par exemple, Lyon. Les collectivités locales du Grand Lyon sont regroupées en une communauté urbaine. Elle exerce un contrôle sur le Syndicat mixte des transports du Rhône et de l’agglomération lyonnaise (SYTRAL), l’autorité organisatrice lyonnaise des transports urbains. La gestion du réseau, propriété du SYTRAL, est déléguée à un consortium privé – le groupe Keolis.

À Boston, le transport en commun est placé sous la juridiction directe et exclusive de l’État du Massachusetts. Les maires sont confinés dans un rôle consultatif. L’organisation du transport en commun dans cette région est centralisée entre les mains d’une seule agence, la Massachusetts Bay Transportation Authority (MBTA).

À Montréal, la Communauté urbaine de Montréal (CUM) regroupe, à compter de 1970, les 27 municipalités de l’île de Montréal. Elle assume, entre autres, les compétences en aménagement du territoire, avec le mandat d’élaborer un schéma d’aménagement. La Commission de transport de la CUM (devenue STCUM, puis STM) agit, sous sa gouverne et son financement s’étend à l’échelle de l’ile. Au nord de l’île, Laval avait été créée cinq ans plus tôt par la fusion de 14 municipalités.

À l’échelle du Québec, le besoin de gérer l’urbanisation et de mieux encadrer l’aménagement du territoire, dans un contexte de fragmentation municipale, conduit en 1980 à la création des municipalités régionales de comté (MRC) regroupant plusieurs municipalités et comtés pour assumer la responsabilité de la planification de l’aménagement de leurs territoires dans le cadre de la mise en œuvre de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.

Pendant ce temps, le gouvernement du Québec réorganise sa base territoriale en créant en 1966, les régions administratives du Québec (17 actuellement).

Malgré certains progrès, la multiplication des structures qui se chevauchent, les incohérences fiscales et la poussée rapide et désordonnée de l’urbanisation font en sorte que les métropoles cherchent encore des solutions pour renforcer la gouvernance métropolitaine

La commission Pichette et la création d’une ville région à l’échelle du Grand Montréal

Différentes commissions se sont attelées à la tâche pour trouver des solutions aux problèmes dépassant l’échelle municipale. Les travaux des commissions Paquette (1955), Blier (1964) Sylvestre (1965) et Lemay (1965) n’aboutissent pas à des réformes significatives.

Le gouvernement du Québec créé, en 1992, le Groupe de travail sur Montréal et sa région (GTMR ou Commission Pichette) aux fins de mieux planifier, organiser et financer les services supramunicipaux dans les 105 villes de la région de Montréal (RMR).

En 1994, le GTMR recommande d’implanter une instance apte à diriger la ville région, à l’échelle des 105 villes pour en faire une entité efficace, prospère et vibrante, à vocation internationale et au service des citoyens de la région. Un conseil d’élus municipaux délégués des 105 villes la dirigerait. Pour renforcer l’unité, une seule région administrative serait formée et les MRC disparaîtraient.

L’instance métropolitaine proposée aurait comme responsabilités principales de :

  1. planifier l’aménagement du territoire, en consolidant le centre-ville et les autres pôles d’activités, tout en délimitant les périmètres d’urbanisation prioritaires ;
  2. se doter d’un système de transport régional performant et intégré et d’une approche tarifaire permettant l’accès à tous les réseaux de TC ;
  3. établir, conjointement avec le gouvernement, un plan de transport couvrant TC, autoroutes, réseau routier artériel, infrastructures portuaires et aéroportuaires ;
  4. protéger l’environnement aux fins de lutter contre la pollution, protéger les milieux naturels et les espaces agricoles, décontaminer les sites pollués ;
  5. promouvoir le développement économique, une culture et des arts rayonnants et une sécurité publique accrue.

Située entre le palier municipal et le palier gouvernemental, cette ville région devrait baser sa gouvernance sur une vision partagée par les 105 villes et les acteurs concernés, et sur une approche ouverte, conciliante des processus décisionnels.

La création de l’AMT en 1996 : un premier pas vers une gouvernance métropolitaine des transports

Dans la foulée du rapport du GTMR, et en raison du peu de services de transports collectifs à l’extérieur de l’ile de Montréal – alors que les déplacements sont en croissance et que 50 % de la population vit à l’extérieur de l’île de Montréal –, de la diminution constante de l’usage des TC depuis 1982 et de l’incapacité des sociétés de transport à développer des services à l’extérieur de leurs territoires, le gouvernement créé, en 1996, l’Agence métropolitaine de transport (AMT).

L’AMT relève du ministre des Transports. Elle planifie, coordonne et intègre les services de transport collectif dans les 105 villes afin d’augmenter l’usage des TC et d’améliorer l’efficacité des corridors routiers. Elle exploite le réseau de trains de banlieue, les terminus et stationnements métropolitains, les voies réservées utilisées par plus d’un transporteur et peut implanter des voies réservées sur le réseau artériel routier.

La compétence de l’AMT s’étend sur le territoire de 105 municipalités et la réserve autochtone de Kahnawake, de treize municipalités régionales de comté (MRC), de deux conseils d’agglomération et de quatorze organismes de transports régionaux. Ce qui explique la multitude des acteurs impliqués. Après une vaste consultation, le premier plan de transport métropolitain est adopté en 1998.

Le transport en commun devient le vecteur d’une construction métropolitaine autour d’un référentiel commun plaçant les transports au cœur des enjeux métropolitains, même si l’AMT est une agence gouvernementale, et non une instance métropolitaine.

La CMM et la planification des transports et de l’aménagement du territoire

La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) nait en janvier 2001. Son territoire est celui de l’AMT, à l’exclusion de la ville de Saint-Jérôme1.

La CMM est un organisme de planification, de concertation, de coordination et de financement doté des compétences suivantes : l’aménagement du territoire ; le transport en commun et le réseau artériel métropolitain, l’environnement (déchets, eaux, atmosphère, milieux naturels), le développement économique ; le développement artistique et culturel, le logement social. Elle est dirigée par 28 élus municipaux provenant des 82 villes restantes après les fusions de 2000.

La CMM est l’échelle de prédilection pour aborder les nouveaux enjeux auxquels les villes font face : urbanisation galopante, changements climatiques, congestion routière, mondialisation de l’économie, pollutions diverses, diversité culturelle, intégration sociale, etc.

Après de vastes consultations, le plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) est adopté en 2011. L’exercice prouve sa pertinence quand les villes et la société civile travaillent vers un même objectif. Le PMAD propose une vision concertée pour créer des milieux de vie attrayants et dynamiques, aménagés selon les principes de développement durable. Les municipalités et MRC doivent intégrer les objectifs du plan dans leurs outils d’aménagement locaux. Le PMAD comporte une orientation ambitieuse en transport collectif : atteindre 35 % de part modale TC d’ici 2031.

L’échelle métropolitaine s’impose de plus en plus dans les débats urbains avec des indicateurs clairs des cibles à atteindre d’ici 2031.

Création de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM)

L’organisation du transport collectif dans la région métropolitaine de Montréal est modifiée avec la création, en 2016, de deux organismes pour remplacer l’AMT, l’un dédié à la planification des services (ARTM), l’autre à l’exploitation de services régionaux (RTM).

L’ARTM devient la seule Autorité organisatrice de transport de la région (AOT). Elle planifie, finance, organise les services fournis sur le territoire des 83 villes par les 4 exploitants (RTM, STM, STL, RTL) en vertu de contrats qu’elle leur accorde. Le nombre d’organismes de transport passe de 14 à 4 avec l’abolition des organismes responsables du transport collectif dans les couronnes suburbaines.

La composition du conseil d’administration de l’ARTM (8 membres – dont 5 élus municipaux – nommés par la CMM et 7 membres indépendants désignés par le gouvernement) illustre la recherche d’équilibre entre le palier local et le gouvernement.

Dans les mandats qui lui sont octroyés, deux sont particulièrement importants :

  1. Définir une vision cohérente à court et à long terme de l’entretien, de l’amélioration et du développement des services de transport collectif, en misant sur un système favorisant l’intermodalité, la diminution de l’empreinte carbone, et assurant l’intégration tarifaire ;
  2. Mettre en place de sources et une politique de financement équitables entre les différents exploitants et suffisantes pour que les exploitants remplissent leurs missions.

    La CMM exerce un contrôle sur l’ARTM en établissant les orientations pour son plan de développement des services. C’est pourquoi l’ARTM a développé son plan stratégique de développement des transports collectifs avec l’objectif de part modale des TC de 35 %, en 2031. La CMM approuve le plan stratégique de développement des transports collectifs et la politique de financement, ainsi que les programmes d’immobilisation des exploitants.

    L’ARTM et la CMM représentent une avancée pour prendre des décisions concertées dans une perspective métropolitaine.

    Le gouvernement du Québec court-circuite la gouvernance métropolitaine en transport

    La loi sur les transports est modifiée en 2016 pour donner au gouvernement du Québec le pouvoir de décider du choix d’infrastructures de transport collectif et d’en confier la réalisation à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CPDQ). Le gouvernement définit les besoins à combler et les objectifs d’intérêt public, tandis que la CDPQ étudie les solutions possibles et en soumet une au gouvernement qui, en vertu de l’article 9.3 de la loi, peut conclure une entente avec la Caisse concernant la réalisation et la gestion d’une infrastructure de transport collectif.

    L’entente portant sur le REM de l’Ouest prévoit les mécanismes d’intégration d’un tel projet aux systèmes de transport en commun appropriés, la cadre tarifaire, les mécanismes d’indexation des paiements à verser à la société exploitante. La CPDQ a par ailleurs la pleine autorité pour la conception, la réalisation et la gestion d’un projet faisant l’objet d’une entente. Ainsi la CDPQ a choisi un système de métro léger automatisé, circulant sur une structure aérienne reposant sur les piliers comme mode privilégié. Malgré l’importance du projet, aucune étude avantages/coûts n’a été réalisée et le projet échappe à la directive du Conseil du Trésor portant sur la réalisation des infrastructures publiques. Un tel projet doit offrir un rendement commercial à la CPDQ.

    Le gouvernement du Québec et la CDPQ exercent leurs pouvoirs en contradiction avec les pouvoirs de l’ARTM et des organismes publics de transport qui ont été constitués expressément pour planifier et organiser les services de transport collectif.

    Pire que cela, la loi concernant le Réseau électrique métropolitain (REM), adoptée en 2017, donne la préséance à CPDQ Infra sur les autorités de transport collectif, qui doivent ajuster leurs services pour répondre aux besoins du REM. De plus, aucun service de TC ne peut être organisé pour faire concurrence au REM dans les « bassins de non-concurrence ».

    L’ARTM, pourtant créée pour renforcer l’intégration des services de transport collectif à l’échelle de la région métropolitaine, voit son mandat amputé d’un de ses volets les plus stratégiques. En effet, les modifications législatives forcent l’ARTM à favoriser l’intégration des services des opérateurs de transport avec ceux du REM, en s’assurant que des rabattements soient organisés en fonction des stations du REM et non en fonction des besoins des citoyens.

    Société exploitante du REM, CPDQ Infra décide du niveau de service offert et l’ARTM doit s’y conformer, alors que la RTM, la STM, le RTL et la STL doivent fournir les services demandés par l’ARTM selon sa capacité de financer.

    Les villes ont également été écartées du processus de planification et de réalisation du REM même si :

    • le mode choisi pour le REM est inapproprié en milieu urbain bâti et a de sévères impacts visuels, sonores, effets de barrière, etc. sur les milieux de vie ;
    • elles sont forcées d’investir pour refaire des infrastructures urbaines nécessaires pour le REM et non prioritaires pour elles ;
    • elles vont devoir payer pour les services du REM, fardeau qui s’ajoutera aux quelque 30 % du coût des services qu’elles assument déjà.

    Enfin, notons que l’entente portant sur la réalisation du REM de l’ouest comporte d’autres entorses sévères aux principes de saine gouvernance, comme sa durée (99 ans, renouvelable), le coût imposé au gouvernement pour racheter l’infrastructure, le pouvoir de la CDPQ de vendre l’infrastructure à qui bon lui semble. Autant d’entorses qui mériteraient un autre débat, qu’amorce le texte de Minh Nguyen et Bertrand Schepper.

    En agissant comme il le fait depuis 2017 dans le dossier du REM, le gouvernement saborde 25 années d’un lent processus de construction d’une région métropolitaine forte et dotée d’un système de transport cohérent et intégré. Au moment où les métropoles concurrentes que sont Toronto et Boston sont parmi les mieux gouvernées en Amérique du Nord, on ne peut que s’en désoler.

     


    1 Située à une soixantaine de kilomètres au nord de Montréal, la ville de Saint-Jérôme est desservie par une ligne de train de banlieue même si elle n’est pas incluse dans la CMM.

    * Professeure associée en études urbaines, directrice du FORUM URBA 2015 UQAM,Ex-PDG de l’AMT (1996-2003)