Le robot économique, le robot politique

Vers le 16 février, Bush annonçait que son gouvernement allait désormais voir à ce que soit diffusée, mieux que ce n’est présentement le cas, l’information concernant le « terrorisme ». Cela comprend sans doute, entre autres, « l’information » émanant du régime et de l’armée. Ainsi l’on verra à ce que les médias, pour leur part, servent davantage les fins envisagées par le pouvoir à cet égard.

 

Il s’agit sans doute de s’assurer que ce flot d’informations (ou de messages) pénètre dans le public désormais plus profondément. Si j’entends bien, l’État se mêlerait désormais plus directement de journalisme. 

 

Le gouvernement veut pousser sur la machine. Vous voyez ça d’ici ! Les médias seraient alimentés de surcroît par les services officiels et par d’autres éléments qui ne demandent pas mieux que de collaborer avec les autorités. La presse se verrait davantage sollicitée pour faire circuler d’abondance ce matériel dans le public.

La complaisance des organes de presse était pourtant déjà bien grande. Qu’en sera-t-il désormais si le pouvoir devient plus exigeant, plus présent, plus pressant ?

Je crois que Washington est en train de mettre sur pied un pur service de propagande ou d’activer davantage celui qui probablement existe déjà. Un secrétariat à l’information dirigée ? Une circulation accrue de l’information prétendue objective, sous le patronage du gouvernement et de l’armée ?

Quelle nouvelle ! Mais à quoi donc les journaux réagissent-ils ? À peu de chose, finalement. Le journalisme d’ici, en ces matières, a peu d’antennes, n’est guère alerte, étant peu combatif.

Le gouvernement Bush n’est pas que le gouvernement Bush. Ce n’est pas un simple accident, un fait insolite, une excroissance subite défigurant l’Amérique, une verrue. Particulièrement visible, ce régime est le produit d’une tendance lourde entretenue par nos sociétés, la société américaine tout spécialement.

Or, le système capitaliste, au point où lui et le monde en sont rendus, est une menace, tout comme l’est la concurrence sans fin entre les pays. Les perspectives d’aujourd’hui laissent prévoir un avenir qui était encore difficile à concevoir au temps de la deuxième guerre mondiale. La réalité, l’actualité commencent à prendre un sens eschatologique.

Les Etats-Unis sont pourris de capitalisme. Dans ce pays, celui-ci a peu de contrepoids, par exemple dans la pensée politique. Il est partout dans les articulations de cette société, dans les affaires, dans le gouvernement, dans les partis, dans les organes de presse, dans les mentalités, dans l’histoire profonde de cette nation. Le pouvoir n’y est pas situé autant dans l’État que dans cette puissance parallèle sans morale ni mandat démocratique.

Bush exprime jusqu’à l’évidence ce qui dans le fond des choses travaille l’Amérique et la conduit vers un insondable péril. Or ce péril, par voie de conséquence, est aussi celui de l’humanité.

Dans nos sociétés, la question capitaliste ne se présente justement pas comme une question, particulièrement aux Etats-Unis mais au Canada aussi.

Le capitalisme, là-bas, ici, ne s’entend pas comme un problème. Pourtant, de plus en plus, c’en est un et il est immense.

Il n’y a pas de question capitaliste ? On parle de la question du terrorisme, ou de celle de l’Islam, ou de celle du tiers-monde, ou de celle de l’émergence de la Chine, en somme de n’importe quel grand état de fait représentant pour l’humanité un obstacle à tourner, une contradiction à résoudre. Cette notion de « question » s’entend de toute grande situation faisant problème, de tout état de chose présentant une difficulté historique majeure. C’est ainsi qu’à diverses époques furent considérés la monarchie absolue, ou le bellicisme allemand, ou la menace soviétique, ou le colonialisme européen. Mais le problème capitaliste serait quelque chose qui n’existe pas…

Ce n’est pas ainsi que je conçois les choses. Le capitalisme est une question. Une immense et redoutable question. De plus en plus, du reste.

Il l’était déjà pour Marx. Il l’est encore, mais tout autrement. La pensée critique à son égard n’a plus entièrement les mêmes objets ni les mêmes fins, il s’en faut. Mais elle est encore plus absolue qu’elle ne l’était. Elle est même proprement vitale, à terme, pour une humanité entraînée par des forces économico-politiques funestes. 

D’aucuns, encore trop peu nombreux, s’en avisent. Ils se demandent si le capitalisme ne remplit pas, en fin de compte, des conditions objectives qui semblent mener le genre humain non plus seulement dans l’injustice sociale mais dans des contradictions telles qu’on ne pourrait plus les résoudre et qui étoufferaient littéralement l’humanité.

Le capitalisme va son chemin comme une mécanique. Les dirigeants économiques et politiques sont comme les bielles de cette mécanique. Les multinationales sont de soi impérialistes, chacune pour son compte, puissances aveugles et déterminées, indifférentes aux conséquences universelles de leurs actions, systèmes indépendants et ayant leur logique propre, à laquelle il leur est impossible de se soustraire.

Il ne faut pas leur faire la leçon, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ces forces agissent selon une loi qui est au principe de leur survie particulière. Il ne peut en être autrement. La libre entreprise n’est pas libre : entendez qu’elle n’est pas libre par rapport aux conditions qui font qu’elle peut subsister. Elle est enchaînée par sa nécessité propre. Le capitalisme ne relève pas d’une mauvaise volonté; il relève de la nature des choses dans le système où l’entreprise se trouve.

Sous son règne, l’avenir est bouché, car il est tout entier compris dans les limites d’une problématique fermée, celle de l’entreprise, qui ne saurait en déroger. Donc il ne faut pas s’attendre à une autocritique de sa part. L’entreprise capitaliste est incapable d’une critique humaniste et philosophique de longue portée, car la seconde mettrait en danger l’avenir de la première. 

La concurrence, dans le champ clos de la lutte pour la vie, aurait tôt fait de mettre hors de combat une entreprise qui se reconnaîtrait une responsabilité vraiment sérieuse concernant le futur de l’humanité.

Le système se trouve donc, en bloc, paralysé par ce qui paralyse de la sorte chaque entreprise individuellement. Les possibilités d’indépendance par rapport à la loi de chacune et donc de toutes s’avèrent pratiquement nulles.

L’ensemble s’avance donc peut-être comme la fatalité elle-même.

Par conséquent, le capitalisme continuera de s’engouffrer dans les actions du capital, dans la poursuite du gain, dans l’exploitation illimitée et irresponsable des ressources, dans la guerre et dans les folies de la Défense, dont le Bouclier.

Il ne laissera pratiquement pas d’argent pour défrayer le coût colossal des projets qu’il faudrait mettre en œuvre dans le dessein de prévenir si possible le progrès des destructions et des contradictions qui tendent vers la fin de l’humanité.

La question capitaliste n’existe pas ?… Depuis la fin du marxisme, qui ne la posait d’ailleurs pas dans les termes où elle se soulève présentement, c’est une question morte, pour ainsi dire. Le problème capitaliste en soi a été comme emporté par la fin de la critique marxiste.

Or, il se pose maintenant de nouveau et de la manière la plus profonde, la plus dramatique, car l’homme fait face à une échéance comme il ne s’en est jamais présentée dans l’histoire.

Les écologistes le disent assez. Ils savent que les chances de l’humanité sont désormais étroitement mesurées. Le capitalisme ne saurait tenir globalement compte de cela. Au contraire, par ses entreprises, il actionne tant qu’il peut le robot économique et politique.

Le capitalisme continue visiblement de s’imposer à nos sociétés. Nous avons cette dérive quotidiennement sous les yeux. C’est tout proche de nous. Nous en voyons des manifestations banales et sans trop de relief apparent : indices secondaires mais significatifs – par exemple un Charest, qui cherche à solder le Québec et la propriété collective édifiée par deux ou trois générations de Québécois, la génération de la Révolution tranquille notamment. Par exemple aussi, Harper, qui a déjà commencé, après Martin, à nous donner aux Américains. Et Bush, énormément significatif évidemment, qui est en train de faire produire au capitalisme les fruits extrêmes de l’imprévoyance planétaire, selon un aveuglement corporatif qui est la condition même de l’existence de l’entreprise dans un monde organisé comme il l’est.

Le journalisme d’État dont je parlais au début de cet article n’est qu’un indice, parmi cent autres, d’un capitalisme s’étendant sur toutes choses et tenant l’humanité en otage, l’emprisonnant dans une logique obtuse sous la garde de la plus grande force armée.

Le journalisme d’État ? Un détail additionnel. Un geste du robot, un geste de plus.