Jean Lacoursière est physicien spécialiste en conception de systèmes optiques et citoyen de Québec.
Quand remblayer le fleuve en ruinant le panorama de Québec et de la plage publique de la baie de Beauport devient prétendument la seule manière de survivre pour un port qui n’est l’hôte que d’une activité industrielle à faible valeur ajoutée, qui persiste à contaminer par ses poussières toxiques l’air et les surfaces des quartiers voisins et qui entrepose et transporte (train et bateau) des matières liquides hautement dangereuses à proximité des gens, n’est-il pas temps de stopper la procrastination des 35 dernières années et d’enfin réfléchir à la croissance du transbordement maritime des matières solides et liquides en vrac loin des zones densément peuplées ? Vingt raisons pour lesquelles Beauport 2020 est un projet choquant.
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Tous se réjouissent de la disparition des réservoirs pétroliers sur le littoral ouest de Québec et de son accès au fleuve rafraichi grâce à la promenade Samuel-De Champlain inaugurée en 2008 lors du 400e de Québec. Personne ne trouverait que remblayer le fleuve sur l’équivalent de 25 terrains de football en bas de la côte de Sillery, pour y transborder des matières solides et liquides en vrac, serait un beau projet. Pourquoi alors un tel projet est-il jugé « positif » par le ministre fédéral des Transports Marc Garneau s’il se situe dans l’est de la ville, en plein visage d’une plage publique, elle aussi aménagée pour le 400e de Québec ?
- Le Port promeut Beauport 2020 en disant que toutes les activités de stockage et de transbordement de matières en vrac s’y feraient sous couvert, tentant ainsi de masquer le fait que ses activités actuelles à l’air libre polluent encore l’air et les surfaces des quartiers voisins en libérant des poussières métalliques portées par le vent, comme le rapporte de façon éloquente une présentation faite en 2016 lors d’une séance de consultation publique sur le Schéma d’aménagement et de développement de l’agglomération de Québec. Incroyable, mais vrai : ce problème de contamination des quartiers voisins est pourtant connu depuis 37 ans. Dans ses communications, le Port pervertit le sens du mot écosystème en utilisant souvent l’expression « écosystème maritime » pour décrire ses activités, lesquelles mériteraient alors de croitre sans entraves, sans quoi ledit écosystème, grâce à la notion de fragilité communément associée à la réalité que ce mot représente, risquerait d’être perturbé négativement. Or, si l’on tient à utiliser cette métaphore, faisons-le jusqu’au bout en discutant de « chaine alimentaire », en mesurant ce que mangent les maillons inférieurs de la chaine (les bambins des quartiers avoisinants) lorsqu’ils mettent leurs mains empoussiérées dans leur bouche.
- Le maire de Québec Régis Labeaume appuie fortement Beauport 2020, disant qu’il s’agissait là « d’un beau legs qu’il pouvait laisser. » Il a même déjà dit vouloir « combattre tout effort de gens qui voudraient diminuer la valeur du port, ou contrecarrer ses efforts de développement ». Pourtant, s’exprimant lors de la séance du conseil municipal du 18 novembre 2013 au sujet des nouveaux silos de granule de bois à l’Anse-au-Foulon, le maire constatait la tendance mondiale du transbordement maritime de matières en vrac voulant que cette activité se fasse de plus en plus loin des zones urbaines densément peuplées. Il dit alors : « La tendance en urbanisme en Occident depuis des années, c’est de libérer le bord de l’eau. […] Les maires de ces grandes villes-là [Toronto, Chicago, Bordeaux, Milwaukee] ont libéré le bord de l’eau, ont convaincu les industries d’aller s’établir ailleurs, parce qu’un bord de l’eau libéré, ça décuple l’attraction d’une ville. […] Je voudrais juste préciser que quand même, on parle d’entrepôt. On ne parle pas de laboratoires, d’innovations technologiques, on parle de deux entrepôts. […] Je voudrais juste qu’on ne se trompe pas sur la valeur du projet. » Agrandir et développer les ports de vrac loin des zones sensibles est la stratégie environnementale la plus judicieuse et la plus rationnelle.
- Jadis, nos élus, et même une chambre de commerce (celle de Beauport–Côte-de-Beaupré en 2000), remettaient courageusement en question les visées expansionnistes du Port à Beauport. Par exemple, le parti municipal Rassemblement populaire disait en 1982 : « Remplir le fleuve Saint-Laurent, au centre de Québec, pour agrandir des installations portuaires, c’est une idée géniale… pourvu qu’elle soit mise de l’avant par le parti Rhinocéros. » Cette opposition à l’expansion portuaire dans le secteur Beauport s’est manifestée de façon claire et majoritaire lors des consultations publiques que le Port a dû tenir en 2000, en amont de la rédaction de son Plan d’utilisation des sols exigé par la nouvelle Loi maritime du Canada entrée en vigueur en 1999. Malheureusement, l’expansion beauportoise a quand même fait partie de la version finale du Plan, en dépit du fait que le Plan devait tenir compte, selon la Loi, « des facteurs d’ordre social, économique et environnemental applicables et des règlements de zonage qui s’appliquent aux sols avoisinants ».
- Après la Pointe-à-Carcy et son agora, les terrasses du Vieux-Port et le terminal de croisière, Beauport 2020 constitue une nouvelle attaque fédérale contre la richesse paysagère du littoral historique et patrimonial de Québec, une poursuite rétrograde de l’industrialisation massive d’un panorama naturel extraordinaire.
- L’allongement de 610 mètres de la ligne de quai dans le secteur Beauport, et les activités industrielles physiquement imposantes qui auraient lieu sur ces 18 hectares de nouveaux terrains seraient visibles à partir du principal site touristique de Québec : la terrasse Dufferin. Dans son étude d’impact environnemental, le Port de Québec a omis d’en faire l’une de ses nombreuses simulations visuelles.
- Les simulations visuelles faites à partir de la plage de la baie de Beauport, absentes du document intitulé Simulation visuelle de l’Étude d’impact environnemental du Port et figurant étrangement dans le document Évaluation des effets du projet sur le milieu humain autre qu’autochtone, montrent que le paysage unique offert par la plage de la baie de Beauport sera radicalement dénaturé par le projet d’agrandissement Beauport 2020. Pour mettre en perspective la beauté de ce paysage, citons James Di Salvio, leader du groupe de musique Bran Van 3000, qui disait avant le spectacle Le chemin qui marche à la plage de la baie de Beauport en août 2008 : « Ça me rappelle la Californie. »
- L’aménagement du site de la baie de Beauport pour le 400e de Québec aurait-il été un « cadeau » empoisonné ? Le site fut aménagé au coût de 19 M$ de l’argent des Canadiens. Compte tenu des appuis politiques récemment observés envers Beauport 2020, au mépris de la réserve que mérite le processus d’évaluation environnementale en cours, l’hypothèse d’un marchandage autour de ce legs d’Ottawa devient de plus en plus plausible.
- Un tel agrandissement portuaire heurterait l’attrait du site de la plage de la baie de Beauport de multiples façons, l’une d’elles étant de sérieusement réduire son attrait pour la pratique de la voile légère et des autres sports nautiques. Cet endroit est le seul à Québec où ces activités peuvent être pratiquées dans toutes les conditions de vent et de marée.
- La quantité de matières liquides hautement inflammables actuellement stockées dans le secteur Beauport du port est déjà inquiétante en soi. Des maisons de Limoilou et le bassin Louise se trouvent à moins de 1,25 km des réservoirs actuels, tout comme la plage de la baie de Beauport. Des experts ayant contribué à l’Étude d’impact environnemental du Port recommandent « par prudence d’appliquer un film de polymère sur les fenêtres des bâtiments situés à l’intérieur du périmètre pour éviter les bris de vitres à la suite du souffle de l’explosion ». Ça, c’est la situation actuelle. Pourquoi diable oserait-on aujourd’hui ajouter de tels réservoirs de matières inflammables à un jet de pierre de la plage ?
- Le Port de Québec dit que Beauport 2020 « créera à terme 1 100 nouveaux emplois permanents ». Il s’agit là d’une généreuse estimation par le Port de la somme des emplois directs, indirects et induits, dans l’ensemble du Canada, que créerait Beauport 2020. Or, une analyse basée sur des sources sérieuses (l’une d’elles étant le Port lui-même au début des années 1980) permet d’estimer que Beauport 2020 créerait au mieux entre 30 et 60 emplois directs localement. Ces derniers nombres sont réalistes. Par exemple, le projet de la compagnie Chaleur Terminal inc. au port de Belledune (N.-B.), comprenant un terminal pétrolier composé de huit réservoirs d’une capacité totale de 1,2 million de barils (Beauport 2020 : 1,8 million de barils), a selon le promoteur le potentiel de créer environ 30 emplois à temps plein en phase d’exploitation. Un autre exemple : la Corporation internationale d’avitaillement de Montréal (CIAM) planche actuellement sur un projet de terminal d’approvisionnement de carburant aéroportuaire situé dans le port de Montréal. Il s’agit d’un projet similaire à Beauport 2020, mais utilisant 10 hectares de terrains existants au lieu de 17,5 hectares à créer par remblaiement du fleuve. La phase d’exploitation de ce terminal générerait, selon la CIAM et une modélisation de l’Institut de la statistique du Québec, 20 emplois permanents. Ce projet illustre par ailleurs la déficience en gestion intégrée du transport maritime des marchandises sur le Saint-Laurent : le Port de Québec justifie Beauport 2020 en prétendant manquer d’espace, mais la CIAM a pour but de « rapprocher le point de réception des navires-citernes à Montréal au lieu de Québec ».
- Le Port dit que Beauport 2020 « pérennisera » la plage de la baie de Beauport. Le dictionnaire nous apprend que le mot « pérenniser » veut dire rendre durable, éternel. (Ça, c’est long !) Or, la réalité exprimée dans l’étude d’impact environnemental du Port est que l’aménagement Beauport 2020 ne fera que ralentir la (déjà) lente érosion de cette plage artificielle et que l’apport de sédiments sous forme de recharge sera à long terme toujours nécessaire.
- Le Port prétend ne pas savoir qui louerait ses nouveaux terrains ou quelles y seraient précisément les matières en vrac transbordées, mais selon toute vraisemblance, les nouveaux terrains et les équipements de Beauport 2020 auraient les atouts pour devenir un terminal pétrolier. La circulation ferroviaire dans Limoilou et Vanier serait considérablement augmentée puisqu’il faudrait obligatoirement amener le pétrole brut par train. Après Lac-Mégantic, Limoilou ? Le PDG du Port Mario Girard s’est peut-être échappé au sujet du pétrole le 1er février 2017, pendant la séance d’information sur Beauport 2020 organisée par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale ; un citoyen lui a posé la question suivante : « Est-ce que Beauport 2020 servira à l’exportation du pétrole ? » Réponse de Mario Girard : « Pas pour le moment. »
- Comment le gouvernement canadien peut-il envisager de subventionner (60 M$) le Port de Québec pour l’aider à augmenter l’intensité de ses activités, alors que le Port et son client (Compagnie d’arrimage de Québec) font encore face à deux recours collectifs en lien avec la contamination des quartiers avoisinants par des poussières métalliques issues de leurs activités ?
- Comment le gouvernement fédéral peut-il envisager de subventionner (60 M$) le Port de Québec pour l’aider à augmenter l’intensité de ses activités, pendant que le Port et son client (IMTT-Québec Inc.) affrontent l’État québécois en Cour d’appel à cause d’un désaccord profond : l’applicabilité en territoire portuaire de la Loi provinciale sur la qualité de l’environnement. Ce débat historique implique des enjeux aussi fondamentaux que les titres historiques de propriété, au point où le PDG d’IMTT-Québec a déjà dit que tout développement était « gelé tant que la cause ne sera pas entendue ».
- Depuis des décennies, le Port se dit incontournable et hautement concurrentiel à cause de ses deux attributs principaux : a) il offre 15 mètres de profondeur à marée basse ; b) il offre la route la plus courte entre l’Europe et les Grands Lacs. Or, même sans Beauport 2020, ces deux précieuses qualités demeureront. Comment alors le Port peut-il se dire menacé de disparition si Beauport 2020 n’est pas réalisé ?
- La justification première (et choquante) de Beauport 2020 fut mainte fois exprimée par le PDG du Port Mario Girard : « En répétant pendant 25 ans la meilleure année que nous avons connu en 2012, nous n’aurions pas assez de revenus pour réparer les infrastructures. Ça prend de nouveaux revenus pour réparer le Port de Québec. » Il est insultant pour la population de se faire dire par le fiduciaire non élu de ces terres de la Couronne que la seule manière de se renflouer est de remblayer le fleuve, cela en raison de l’absence de subvention fédérale pour réparer le vieux alors qu’il en existe pour faire du neuf.
- Le 1er février 2017, lors d’une séance d’information sur Beauport 2020 organisée par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, un citoyen a posé la question suivante au PDG du Port Mario Girard : « S’il existait des subventions fédérales pour réparer les infrastructures portuaires décaties, serions-nous ici ce soir à débattre sur l’agrandissement Beauport 2020 ? » Réponse de Mario Girard : « Oui. » C’est à n’y rien comprendre. (Voir raison no 17.) Bien que réelle, l’inexistence d’un programme fédéral de subventions pour réparer le port ne serait-elle au fond qu’un alibi utile pour créer de nouveaux terrains à même le fleuve, au bénéfice d’entreprises désireuses d’y mener des affaires en vrac ?
- La péninsule artificielle de la baie de Beauport fut complétée dans sa forme actuelle en 1972. Selon le Port, la partie industrialo-portuaire de cette péninsule, approximativement 80 hectares de terrains, est maintenant utilisée au maximum de sa capacité (tonnage record transbordé en 2012). Il aura donc fallu 40 ans pour que ces terrains créés par remblaiement du fleuve à des fins industrialo-portuaires soient complètement utilisés. Il est pertinent de rappeler que la pollution des quartiers voisins du port par les poussières issues de l’entreposage et du transbordement à l’air libre de matières solides en vrac est aussi connue depuis une quarantaine d’années. Durant quatre décennies, le gouvernement fédéral aura donc failli, malgré la densité de population avoisinante et la finitude des terrains portuaires, à réaliser que l’augmentation continuelle du tonnage de matières transbordées dans le secteur Beauport était insoutenable, et failli à prévoir des solutions alternatives à un remblaiement additionnel de la baie de Beauport à des fins industrielles.
- En 2014, la limite du pouvoir d’emprunt accordée au Port de Québec par le gouvernement canadien fut augmentée de 46 à 110 M$. Compte tenu de l’échec lamentable du Port dans l’atteinte de la rentabilité nécessaire à l’entretien de ses infrastructures au fil des décennies, et compte tenu de l’absence actuelle de locataires pour les nouveaux terrains que créerait Beauport 2020, comment une banque oserait-elle prêter 110 M$ à cet organisme pour Beauport 2020 sans l’assurance qu’Ottawa (c.-à-d. les contribuables canadiens) sera là advenant un défaut de paiement ? Le modèle d’affaire des ports semble insoutenable et Beauport 2020 ressemble à une véritable fuite en avant.