Les principes de la planification des transports

La planification du transport des personnes consiste à organiser les réseaux et services afin de répondre aux besoins de la population, tout en tenant compte des impacts sur la santé, sur l’environnement et sur le développement socio-économique avec une vision et des objectifs clairs et mesurables.

Chef de file au Québec, le ministère des Transports du Québec (MTQ) applique une approche de planification tenant compte de tous les modes et aussi des relations des transports avec l’aménagement du territoire. La planification des transports au MTQ s’inscrit dans une démarche assurant une cohérence avec la politique de mobilité durable 2030 du gouvernement du Québec.

La planification des transports au Québec se traduit, entre autres, par les exercices :

  • d’élaboration des politiques et plans stratégiques en matière de transport, notamment la Politique de mobilité durable ;
  • d’évaluation de l’opportunité et des impacts des grands projets de transport et du développement de tous les modes de transport composant les réseaux.

Enquêtes origine-destination

Pour appuyer la prise de décision en planification des transports, le MTQ et les organismes municipaux de transport disposent des enquêtes origine-destination (O-D) régionales qui constituent la pierre angulaire de la connaissance de la demande en transport. Elles caractérisent les habitudes de déplacements des personnes d’une région. Elles permettent d’obtenir un portrait fiable de la mobilité.

Ces enquêtes visent à :

  • mesurer la mobilité des personnes et son évolution ;
  • analyser le comportement et les choix des modes de transport des usagers ;
  • réaliser des prévisions de la demande en transport ;
  • alimenter des modèles de simulation des déplacements sur les réseaux.

Les enquêtes origine-destination sont réalisées cycliquement dans chacun des principaux centres urbains du Québec, soit les régions de Montréal, Québec, Outaouais, Sherbrooke, Saguenay et Trois-Rivières.

Modélisation des systèmes de transport des personnes

La modélisation des systèmes de transport urbain est un des outils clés lors des exercices de planification. Les modèles de simulation sont des systèmes d’information qui exploitent des banques de données à référence spatiale, des statistiques, des méthodes et des logiciels spécialisés afin de représenter et d’analyser l’offre et la demande en transport.

Une bonne utilisation des modèles de transport favorise une analyse structurée et rigoureuse des impacts des projets en fonction de divers scénarios. Ces modélisations permettent d’entrevoir l’évolution de la mobilité dans le temps et de comprendre les impacts à long terme des projets.

Concepts généraux des modèles de transport

Ces modèles supportent la planification des systèmes de transport dans les principales agglomérations urbaines du Québec précitées. Ces activités touchent principalement l’analyse prospective de la demande en transport, la conception des plans de transport régionaux et la réalisation des études d’opportunité et d’impact pour les projets d’infrastructures de transport.

Les déplacements effectués sont associés à des impacts sur le système de transport et sa performance, qu’on mesure par différents indicateurs : achalandage, temps de parcours, congestion, coûts de transport, émissions polluantes, etc.

À court terme, un équilibre s établit entre la demande et loffre en fonction de la performance du système de transport. À moyen et long terme, des équilibres se créent aussi entre le système de transport et l’aménagement du territoire, dont l’utilisation du sol est le reflet. Ce sont ces équilibres qu’on tente de comprendre et de projeter à l’aide des modèles de transport urbain. Ceux-ci permettent donc d’étudier et d’évaluer les effets de scénarios d’intervention relatifs au système de transport.

Exemples de scénarios

Changements dans l’offre

  • Nouvelle infrastructure
  • Nouveaux services de transport collectif
  • Nouvelle tarification ou péage

    Changements dans la demande

  • Demande future
  • Transfert modal
  • Activité économique
  • Développements urbains

    Aperçu méthodologique

    Sur le plan méthodologique, il faut savoir que l’approche employée au Québec s’écarte de ce qu’on appelle « approche séquentielle classique » où les étapes de la génération, de la distribution, de la répartition modale et de l’affectation des déplacements se suivent linéairement. En effet, les planificateurs québécois préconisent une méthode de modélisation qui s’appuie sur la qualité et l’envergure des enquêtes O-D. Cela permet des projections plus réalistes, car basées sur les vrais déplacements de la population.

    CDPQ-Infra n’a pas démontré qu’elle utilisait les données, les modèles et les méthodologies généralement reconnues au Québec.

    Les enjeux de la motorisation dans l’Est de Montréal1

    L’examen des données des enquêtes O-D régionales 2013 et 2018 nous amène à faire les constats suivants :

    Faible motorisation

    L’Est de Montréal, qui compte pour 32 % de la population de l’île de Montréal, présente un taux de motorisation de 0,46 automobile par personne, ce qui est inférieur à tous les secteurs du grand Montréal, exception faite des quartiers centraux.

    Déficit de mobilité

    L’Est de Montréal, qui compte pour le tiers de la population de l’île, ne génère que le quart des déplacements quotidiens, tous modes motorisés confondus. Cet écart est principalement dû au déficit d’attraction de l’Est en termes de secteurs de destinations et d’emplois.

    Forte part modale des transports collectifs

    Après ceux du centre de Montréal, les citoyens de l’Est sont les deuxièmes plus grands utilisateurs du transport collectif, avec une part modale de 27 %

    Pas de nouveaux services en transport collectif

    Le réseau de transport collectif de l’Est a peu évolué au cours des 40 dernières années. Exception faite de la ligne Bleue en 1988 et de la ligne de train de banlieue Mascouche en 2014, aucun service rapide et structurant n’y a été mis en service.

    Destination des déplacements

    Les déplacements quotidiens dans l’Est, tous modes motorisés, se font à 55 % à l’intérieur de ce territoire, dont 18 % en transport collectif. Si le reste des échanges se fait principalement vers le centre-ville (13 %] et avec les quartiers centraux desservis par le métro (13 %), les autres échanges s’effectuent surtout avec les secteurs voisins, mais la part du transport collectif est souvent faible, faute de liens directs vers les générateurs importants. Il faut souligner les volumes non négligeables de déplacements avec les secteurs de Lanaudière, Laval et Longueuil, mais avec de très faibles parts en transport collectif.

    Durée élevée des déplacements

    Les temps de déplacements en transport collectif pour les résidents et les travailleurs de l’Est sont souvent supérieurs à 60 minutes. Cela est définitivement un incitatif à l’utilisation de l’auto personnelle, malgré les niveaux de congestion des grands axes routiers.

    Bref, ces enjeux ne font que justifier davantage la réalisation d’un réseau structurant de transport collectif rapide pour desservir les besoins de mobilité de la population de l’Est de Montréal.

    Répondre aux besoins de mobilité des gens de l’Est de Montréal2

    Choix du tracé pour l’Est de Montréal

    La solution proposée par CDPQ-Infra est-elle la meilleure pour répondre aux besoins de la population de l’Est ? Examinons certains de ses choix.

    Les tracés du REM proposés sont parallèles au SRB Pie-IX, à la ligne Verte du métro et aux bassins des lignes de train Mascouche et de la ligne Bleue du métro. Ce REM viendra-t-il compléter ces lignes pour améliorer la mobilité ou leur nuire en cannibalisant leurs usagers et leurs revenus ?

    CDPQ Infra prévoit accueillir 133 000 passagers quotidiens, dont la quasi-totalité viendrait des autres services de transport collectif et non de l’abandon de l’auto. Quel est le transfert modal de l’auto solo vers le transport collectif ?

    L’axe nord-sud

    Le SRB Pie-IX en construction est à 2 km de l’antenne nord du REM. L’achalandage quotidien prévu de 70 000 passagers est-il toujours valable et une baisse de l’achalandage causée par le REM rend-elle le SRB moins pertinent ? Un tracé plus à l’est servirait-il mieux la population ? Les bus transportent quotidiennement 18 000 personnes sur chacun des boulevards Lacordaire et Langelier et 13 000 passagers dans l’axe du boulevard des Galeries d’Anjou. On peut donc légitimement poser la question suivante : pourquoi le REM sur Lacordaire ?

    Selon les chiffres mêmes de CDPQ-Infra, les études préliminaires démontrent des achalandages équivalents entre les corridors Lacordaire et Langelier. Or, le corridor Langelier aurait l’avantage de combler une discontinuité du réseau artériel dans cet axe et de desservir le secteur résidentiel le plus dense de Montréal-Nord.

    L’axe est-ouest

    Le tracé proposé du REM longe la ligne Verte entre Honoré-Beaugrand et le centre-ville à moins de 500 m sur 12 km. Un rabattement sur la ligne Verte ne serait-il pas une option plus satisfaisante puisque le métro offre une capacité résiduelle à l’est de Berri-UQAM ? Cette option réglerait la problématique d’intégration urbaine sur René-Lévesque.

    Si les réseaux sont complémentaires, a-t-on évalué les impacts sur la ligne de Mascouche dont la fréquentation, déjà affectée par le REM de l’Ouest, le sera aussi par le REM de l’Est ? S’il n’est pas essentiel que le train de Mascouche se rende au centre-ville, pourquoi le serait-ce pour le REM de l’Est ?

    La desserte des points d’intérêts

    On comprend que le REM doive desservir les principaux générateurs que sont l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et le Collège Marie-Victorin. Mais pourquoi le REM passe-t-il à plus de 2 km du pôle d’affaires des Galeries d’Anjou, point de destination important de l’Est de Montréal, et ce, au détriment de tous les efforts faits depuis cinq décennies par la municipalité, puis l’arrondissement, pour confirmer le statut de sous-pôle métropolitain ? Rappelons que depuis plus 30 ans, les résidents de l’extrême est demandent un lien sans correspondance vers les Galeries d’Anjou. La ligne Bleue du métro ne répondra pas à ce besoin, car elle dessert les secteurs situés à l’ouest.

    Le prolongement vers Rivière-des-Prairies

    Si le REM est vraiment conçu pour desservir la population de l’Est, pourquoi le secteur Rivière-des-Prairies, avec 58 000 habitants, n’est-il pas desservi, et pourquoi n’y a-t-il que cinq stations à l’est de Honoré-Beaugrand, alors que Pointe-aux-Trembles et Mercier-Est comptent 94 000 habitants ? D’ailleurs l’achalandage actuel des bus dans l’axe Henri-Bourassa/Maurice-Duplessis/Perras à Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies est de 32 000 passagers quotidiens alors que dans l’axe de Pointe-aux-Trembles, on compte 25 000 déplacements par jour. Les deux quartiers présentent les mêmes caractéristiques géographiques, d’utilisation du sol et de structure de réseau de bus. Alors pourquoi un REM vers Pointe-aux-Trembles et pas vers Rivière-des-Prairies ?

    Choix du mode pour l’est de Montréal

    Un REM de 32 km à 10 milliards de dollars est-il la meilleure utilisation d’une telle somme pour offrir de nouveaux services à la population de l’Est ? La question est d’autant plus pertinente que cet investissement engendrera très peu de transfert modal de l’auto au TC. Quel est le gain réel pour la société ? Combien de kilomètres d’une combinaison de REM, d’Express, de SRB, de Tram Train ou de tramway peut-on offrir avec ce budget ? Le REM est-il vraiment le bon mode de transport ?

    Ces questions démontrent qu’il faut concevoir un projet mieux adapté que le REM de l’Est proposé et un projet qui soit complémentaire aux services existants de transports collectifs afin de mieux répondre aux besoins de mobilité de la population de l’Est de Montréal.

    Principes à respecter pour tout projet de transport collectif

    Un bon projet de transport collectif est un projet qui :

    • répond aux besoins de mobilité de la population et donne accès aux générateurs de déplacement ;
    • est complémentaire aux services existants et renforce l’écosystème de la mobilité tout en augmentant la part modale des TC ;
    • est efficace, abordable, attrayant et confortable ;
    • s’intègre harmonieusement dans la trame urbaine ;
    • se planifie en concertation avec les milieux traversés ;
    • appuie le développement immobilier et économique des grands sites disponibles ;
    • ne met pas en péril, financièrement, les services de TC et leur développement ;
    • présente le meilleur avantages/coûts.
    Antenne Est

    Dans un réseau intégré, l’antenne Est peut se rabattre sur la ligne Verte du métro aux stations Radisson ou Assomption. Les sommes ainsi épargnées entre ce nouveau terminus et le centre-ville permettraient d’investir encore plus dans l’Est pour mieux répondre aux besoins de mobilité des citoyens.

    Pour l’antenne Notre-Dame, une solution hybride avec une implantation en souterrain, en surface et aérienne selon les quartiers traversés est une piste à évaluer sérieusement tout en préservant une vitesse commerciale élevée. Le choix du souterrain a déjà été fait pour l’antenne nord-sud. Cependant pour l’antenne est-ouest, l’utilisation des emprises de la rue Notre-Dame entre les rues Frontenac et Dickson et de Souligny entre Dickson et la 64e Avenue permet une implantation au sol en traversant les intersections en dépression ou en aérien, comme le fait l’antenne Deux-Montagnes du REM du Nord-Ouest. Ce type d’implantation entraîne des économies importantes en éliminant des tronçons de structures aériennes. Entre les rues Frontenac et de la Rousselière, on retrouve un total de 22 croisements sur une vingtaine de kilomètres comparé au REM vers Deux-Montagnes qui compte 20 carrefours entre les gares Du Ruisseau et Deux-Montagnes sur une distance d’environ vingt kilomètres.

    Antenne centre-ville

    Quant au tronçon du centre-ville, s’il s’avère nécessaire de le construire, mentionnons que la plupart des métros légers modernes aériens en périphérie deviennent souterrains ou en tranchée couverte en centre-ville, notamment à Vancouver, Ottawa, Edmonton, Copenhague, Paris, etc. L’intégration urbaine est ainsi facilitée et les conflits avec les rues transversales sont éliminés.

    Analyse complète des impacts du projet

    L’arrivée d’un réseau structurant augmente l’offre et la qualité de service pour la population adjacente aux axes desservis en termes de vitesse et de fréquence. Cependant, on peut s’interroger sur les impacts que subiront les populations demeurant dans des bassins parallèles aux axes du REM. Qu’adviendra-t-il du niveau de service de la ligne Verte du métro, des lignes de bus est-ouest au sud de Sherbrooke, des lignes nord-sud de bus ? Le principal objectif du REM de l’Est devrait être d’améliorer la desserte de l’Est, pas de la détériorer.

    Les enjeux de mobilité sur le territoire de l’Est de Montréal le démontrent clairement : un réseau structurant rapide à capacité intermédiaire est essentiel pour améliorer les conditions de déplacements de la population et accélérer le développement économique et social de cette partie du territoire trop longtemps négligée.

    La proposition de CDPQ-Infra a le mérite de diminuer les temps de déplacements et d’offrir une fréquence de service élevée. Cependant ces deux critères ne sont pas les seuls qui doivent être évalués afin de déterminer si le REM de l’Est est vraiment le meilleur projet pour répondre aux besoins de mobilité des Montréalais et Montréalaises de ce secteur.

    L’AMT utilisait une grille multicritères totalisant 15 critères associés au transport collectif et 13 critères associés à la collectivité. Non seulement CDPQ-Infra doit démontrer aux décideurs que la solution proposée répond de manière optimale aux critères associés au transport collectif, ce qui reste à faire, mais elle doit surtout démontrer à la population que son projet répond aux critères associés à la collectivité.

    Il faut que plusieurs solutions soient étudiées, comparées et expliquées pour que la population soit assurée que la solution retenue est celle qui répond le mieux à ses besoins de mobilité. C’est là une règle élémentaire d’une planification rigoureuse.


  • * Diplômé de Polytechnique et spécialiste en planification des transports collectifs depuis plus de 40 ans au sein d’organismes publics et de la société civile.

    ** (Source : site internet du ministère des Transports du Québec, https://www.transports.gouv.qc.ca/fr/ministere/Planification-transports/Pages/planification-transports.aspx)