Après les résultats du 1er octobre dernier, au moins deux questions se posent : pourquoi et quoi faire maintenant ? Dans un premier temps, je compte analyser les résultats du 1er octobre et en proposer une interprétation d’un point de vue nationaliste à la lumière du contexte international. Dans un deuxième temps, je compte évoquer des pistes pour l’avenir.
Car si on regarde ce qui se passe ailleurs dans le monde, on remarque que le nationalisme en général, et le nationalisme des petites nations en particulier, ne sont pas en déclin sur le plan électoral. Pensons aux exemples de l’Écosse, de la Flandre, de la Catalogne ou de la Corse, qui sont toutes des nations gouvernées par des nationalistes. Et c’est logique, car dans un contexte de mondialisation où la libre-circulation des biens et des personnes peut favoriser l’homogénéisation des cultures, chaque nation cherche à préserver son identité.
À l’inverse, on remarque que les sociaux-démocrates connaissent un déclin électoral à plusieurs endroits en Occident. On pense à la France bien sûr, mais aussi à l’Allemagne et à l’Italie. Ici aussi, cela s’explique logiquement.
C’est que la social-démocratie, c’est un compromis entre le capital et le travail. Avant l’époque du libre-échange et de la libre-circulation, les gouvernements de centre-gauche pouvaient forcer le capital à faire des compromis avec les travailleurs. Mais avec la hausse de la libre-circulation des biens et des personnes, le capital n’a plus à faire de compromis. Si des normes sociales ou environnementales imposées par un pays A ne lui conviennent pas, le capital peut déplacer sa production de ce pays A vers un pays B, sans perdre l’accès aux consommateurs de ce pays A, et ce, grâce au libre-échange. Autre possibilité, le capital peut faire venir des travailleurs à bon marché du pays B dans le pays A, cette fois grâce à la libre circulation des personnes.
Dans ce contexte, il est beaucoup plus difficile pour les partis socio-démocrates d’imposer des compromis au capital. Généralement, ils doivent se contenter de proposer des mesures qui visent non pas à améliorer les conditions des classes ouvrières ou populaires, mais simplement à amoindrir les impacts négatifs des évolutions engendrées par le capitalisme mondialisé. Bref, ils passent de la social-démocratie au social-libéralisme et perdent alors des appuis dans ces classes sociales. Surtout que, parallèlement, se développe une autre gauche qui multiplie les propositions de réformes sociales radicales, sans tenir compte de la réalité économique mondiale, et qui du coup va chercher des appuis au sein des classes ouvrières et populaires.
Je pars donc de la présomption que le Québec n’est pas sur une autre planète et donc que, sauf si on arrive à faire une démonstration contraire, ce qui se passe ici peut s’expliquer à la lumière de ce qui se passe ailleurs en Occident. Partant de cette présomption, j’en conclu que l’échec du PQ est celui de la social-démocratie, davantage que celui du nationalisme.
Outre le contexte international, les résultats de l’élection québécoise en attestent. Même en ajoutant aux appuis obtenus par le PQ ceux de l’autre parti social-démocrate, soit le NPD Québec, on arrive à un total d’à peine 17,7 %. Alors que si on additionne les appuis aux deux partis nationalistes, soit le PQ et la CAQ, on obtient un total de 54,5 %.
Dans ce contexte, au cours des prochaines années, les nationalistes peuvent espérer voir se mettre en œuvre plusieurs politiques intéressantes qui pourraient être appuyées par la CAQ et le PQ. Je pense bien sûr à la laïcité et la langue, mais aussi au cours d’Éthique et de culture religieuse que Joëlle Quérin a autrefois qualifié de cours d’endoctrinement multiculturaliste. Le PQ s’était engagé à la remplacer par un cours de citoyenneté ; la CAQ s’est toujours dite ouverte à la réformer. C’est un dossier à suivre.
Bien sûr, il existe une différence fondamentale entre ces deux partis, considérant que l’un est souverainiste et l’autre pas. Mais si le gouvernement de la CAQ devait mettre de l’avant des revendications constitutionnelles pouvant augmenter substantiellement l’autonomie du Québec, les souverainistes ne devraient pas hésiter à appuyer ces revendications, tout en précisant qu’elles n’impliquent pas de signer la Constitution canadienne (ces revendications pourraient toucher l’immigration, la langue et la culture tout autant que l’environnement ou les affaires autochtones, selon ce que réclameraient les Québécois lors d’une vaste consultation préalable à la présentation officielle de ces revendications à Ottawa). Même chose si le gouvernement de la CAQ devait non pas seulement demander plus d’autonomie, mais en prendre plus unilatéralement. On pense ici à la clause dérogatoire et aux autres exemples tirés de l’histoire du Québec : que ce soit le rapport d’impôt provincial ou la doctrine Gérin-Lajoie (pourquoi ne pas créer à l’Assemblée nationale une commission parlementaire permanente dédiée entièrement aux affaires internationales ?).
Bref, il y a un potentiel de faire des gains pour le nationalisme québécois au cours des prochaines années, et ce, en faisait pression sur la CAQ, mais aussi sur le PQ qui lui-même peut faire pression sur la CAQ en chambre. Car, pour être influents, les nationalistes doivent agir sur tous les fronts : intellectuel, médiatique et politique, y compris parlementaire.
Est-ce à dire qu’il ne faut plus se soucier de la question sociale ? Pas du tout, comme l’illustre le fait qu’on m’a invité à parler du nationalisme et que j’ai débuté en abordant la social-démocratie. Car il ne faut pas oublier qu’au Québec les deux sont liés. Un gouvernement québécois a beau être nationaliste sur les questions identitaires, s’il réduit la taille de l’État québécois et que cela laisse la place au fédéral, c’est un recul pour la nation.
C’est pourquoi les nationalistes devraient inciter le gouvernement de la CAQ à adopter des politiques nationalistes et à ne pas adopter de politiques néolibérales, comme la réduction de nombre d’employés dans le secteur public. Surtout que des politiques néolibérales pourraient le rendre impopulaire et pousser encore plus d’électeurs à appuyer Québec solidaire en raison de ses politiques sociales, malgré son côté anti-nationaliste.
De telles politiques néolibérales pourraient-elles pousser des électeurs à retourner au PQ ? Peut-être, mais cela m’apparaît moins évident. Il semble que, au-delà de ses idées, c’est la marque de commerce du PQ qui est souvent perçue négativement. Et il peut difficilement échapper aux difficultés inhérentes à un positionnement social-démocrate, sauf s’il prend un virage vers la gauche radicale ou le centre mou, ce qui dans les deux cas pourrait manquer de crédibilité et rendre l’offre du PQ moins différente de celle d’un parti concurrent. Même un changement de chef, de ligne politique et de nom pourrait ne pas suffire ; comme le rappelle l’exemple de l’Union nationale dans les années 1970. À mon avis, le PQ doit faire un examen de conscience et mettre toutes les options sur la table. Parmi ces options, une qui n’a pas été évoquée à ce jour me semble devoir l’être : une refondation venant de l’extérieur. On se souviendra que la CAQ et QS sont nés d’un mouvement politique extra-parlementaire qui est ensuite devenu un parti politique à la faveur d’une fusion. En effet, avant QS il y a eu Option citoyenne qui s’est jointe à l’Union des forces progressistes. Et avant la Coalition avenir Québec, il y a eu la Coalition pour l’Avenir du Québec qui a absorbé l’ADQ.
Donc, surtout si la CAQ devait décevoir bon nombre de nationalistes et de progressistes, il y aurait possiblement là une option à considérer. Car au-delà des véhicules politiques précis, ce qui compte c’est que les nationalistes et les progressistes aient un endroit pour se rassembler et faire avancer le Québec, son identité et sa liberté.