Les secousses actuelles du séisme de 1663

En 1663, le jésuite Jérôme Lallemand faisait en quelque sorte entrer Baie-Saint-Paul dans l’histoire en parlant des effets prodigieux d’un tremble-terre (tremblement de terre) survenu dans le secteur et dans toute la Nouvelle-France. Il parlait alors d’un grand éboulement et de la création d’une sorte d’île. Le premier historien de Baie-Saint-Paul, l’abbé Charles Trudelle (1822-1904)[1], s’est d’ailleurs servi de ce texte pour fonder les origines de ce lieu. Mais tout le monde devrait savoir – et sait au fond – que les propos du jésuite n’avaient rien de scientifique et s’apparentaient plus à un discours religieux qu’à une étude géologique. Cela n’a pas empêché certains chercheurs d’échafauder, sur la base de cet extrait des Relations des jésuites, bien des théories farfelues sur les tremblements de terre dans Charlevoix.

 

Mais que nous dévoile un regard strictement historique sur les conséquences réelles des tremblements de terre dans Charlevoix depuis 1663, dont les plus importants se sont produits en 1791, 1860, 1870 et 1925 (magnitude entre 6 et 7 mais jamais plus de 7) ? Rien de très effrayant : quelques bâtiments effondrés, beaucoup de peur et un retour momentané à la prière… Certes, notre Revue d’histoire de Charlevoix[2] a pu rendre compte de deux décès lors du séisme de 1870, faisant de Charlevoix le seul lieu au Canada où des morts directes aient été causées par des tremblements de terre. Mais ce furent des accidents imprévisibles que rien n’aurait pu vraiment empêcher à l’époque – et sans doute aujourd’hui.

Alors, comment expliquer le besoin soudain manifesté par le ministre de la Santé de détruire un bâtiment hospitalier de toute urgence ? En novembre 1988, un tremblement de terre de magnitude 6 environ n’avait causé aucun dommage majeur à l’édifice actuel de l’hôpital de Baie-Saint-Paul ! Aucun autre bâtiment de Charlevoix n’avait été sérieusement endommagé non plus ! Le ministre évoque les dangers d’une secousse de plus 7, mais aucun tremblement de terre de cette magnitude n’a jamais été enregistré dans l’histoire géologique de Charlevoix. Quand cela risque-t-il de survenir ?

L’exagération du jésuite de 1663 ne fut pas la seule. En 1925, un journaliste de la région déplorait les textes peu sérieux relatifs au séisme survenu cette même année :

Les journaux de Québec ont fait beaucoup de tapage et alarmé bien des gens au sujet de la Baie-Saint-Paul. Leurs rapports ont été grandement exagérés. Qu’ils vérifient donc leurs informations avant d’imprimer des détails invraisemblables propres à troubler les personnes… [3]

En fait, comment justifier plusieurs années d’incertitude autour des soins de santé dans Charlevoix sur la base de telles suppositions ? Tout cela ne mériterait-il pas un temps de réflexion plus grand ? Et puis, rayer de la carte un bâtiment historique comme le centre hospitalier de Baie-Saint-Paul, un hôpital bien équipé et fort moderne, n’est-ce pas quelque chose d’un peu farfelu quant à un risque éventuel sur lequel il conviendrait sans doute de s’interroger encore ? La question se pose vraiment.

Il faut donc que Charlevoix et Baie-Saint-Paul se retrouvent encore empêtrés de leur folklore pour qu’un tel « grand dérangement » puisse être autorisé sur de si fragiles fondements. Le discours merveilleux du jésuite de 1663 servirait-il maintenant à une dérive sécuritaire dont les conséquences sociales peuvent être bien plus grandes que ces risques appréhendés ? Espérons que le ministre Bolduc et ses conseillers ont su bien lire l’histoire avant de mettre en jeu l’avenir même des soins de santé dans Charlevoix. 

 


[1] Trudelle, Charles. Notes Historiques sur Baie-Saint-Paul. La Malbaie, Éditions Charlevoix, 2010. 69 pages.

[2]Lamontagne, Maurice. « Deux morts causées par le tremblement de terre de 1870 dans Charlevoix », Revue d’histoire de Charlevoix, 59 (Février 2008) : 13-18.

[3]Porter, Margaret. Mille en moins. Baie-Saint-Paul, s.é, 1984. p. 156-157.