Les valeurs d’André Pratte

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Les Québécois ne s’ennuient pas des éditoriaux dégoulinants de complaisance libérale qu’André Pratte signait jadis au quotidien La Presse. Sitôt retraité de ce journal en 2016, il avait été nommé sénateur par Justin Trudeau, un poste que Pratte avoua avoir lui-même sollicité1. Comme quoi le système des castes ne perdure pas qu’en Inde ou au Japon. Bon, le loyal scribe de GESCA y toucherait un généreux salaire annuel de 150 600 $ payé par nos impôts, mais au moins, on n’aurait plus à subir quotidiennement sa plume de mercenaire des intérêts financiers et préférences politiques de Power Corporation. C’était donc un mal pour un bien.

Mais voilà que l’actualité des derniers mois nous rappelait de bien désagréables souvenirs de l’ancien éditorialiste en chef de La Presse et exécuteur des basses œuvres propagandistes de la famille Desmarais. Le 30 mars dernier, on apprenait en effet que l’ex-sénateur coprésiderait un comité du Parti libéral du Québec ayant pour mandat de préparer la relance du parti en actualisant ses « valeurs profondes » et en définissant sa raison d’être. Ce comité doit déposer à l’automne son rapport qui, tient-on à préciser, ne sera pas la prochaine plateforme électorale du PLQ, mais un guide préalable à la rédaction de cette plateforme. Pourtant, explique-t-on, ce rapport ne liera pas le futur chef ou la future cheffe du parti à la suite d’une course au leadership dont on ne sait quand elle sera lancée. Bref, après la pire performance électorale et les pires sondages de sa longue histoire, le PLQ est si égaré qu’il ne sait pas par où commencer pour définir son identité. Mais avec pareil co-président, le PLQ sait pourtant fort bien à quoi s’attendre comme conclusions des délibérations dudit comité. Alors, quelles sont donc ces valeurs qu’André Pratte veut enchâsser dans les fondements du Parti libéral du Québec ?

Un mandat de sénateur entaché au plan éthique

Déjà en mars 2019, on apprenait qu’à 13 reprises dans le cadre de son mandat de membre de la Chambre haute, l’honorable sénateur Pratte avait reçu des invités à son bureau du centre-ville de Montréal, dans la tour du siège social de… Power Corporation. Mais, vous dites-vous, n’était-il pas retraité de La Presse, filiale de Power ? Pourquoi alors y avait-il encore un bureau ? Eh bien, voyez-vous, quand il a quitté La Presse, il a aussitôt été engagé comme conseiller auprès du Comité d’investissement Sagard China, filiale de Power. Rassurez-vous, « c’était simplement pour donner quelques conseils sur la conjoncture en Chine2 » au cours de la seule année 2016, s’est justifié le sénateur. Mais ce n’est pas tout : il a aussi travaillé de 2016 à 2018 comme analyste stratégique chez Power Corporation et conseiller principal chez Power Communications. Ainsi, en plus de son salaire de sénateur et de sa pension de La Presse, André Pratte touchait des salaires pour trois autres emplois chez Power Corporation. Formellement, rien n’interdit à un sénateur d’occuper d’autres emplois. Mais c’est lorsque l’étanchéité entre ces emplois et le travail de sénateur fait défaut que les choses se gâtent.

Pendant la période où l’ancien donneur de leçons à La Presse était à la fois triple salarié de Power et sénateur, La Presse, filiale de Power, cherchait à obtenir l’aide fédérale pour se transformer en organisme sans but lucratif (OSBL). Au même moment, l’Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales (IRAI) financé par l’ex-chef péquiste Pierre-Karl Péladeau trimait bien vainement pour se faire reconnaître par Ottawa en tant qu’organisme de bienfaisance3, un statut fiscal que possédait déjà L’Idée fédérale, organisme de propagande fédéraliste fondé par André Pratte, et dont le président du conseil des gouverneurs était Jean Charest, chef du PLQ de 1998 à 2012.

Déjà en 2016, le gouvernement de Philippe Couillard avait semé la controverse en accordant un prêt de 10 millions $ à Capitales Médias, qui regroupait Le Soleil de Québec et cinq autres journaux régionaux dont s’était délestée Power aux mains d’un autre de ses larbins, l’ancien ministre libéral Martin Cauchon4. Lasse d’éponger seule les déficits récurrents de tous ces véhicules de l’idéologie fédéraliste pro-sables bitumineux des Desmarais, Power semblait donc avoir décidé de faire payer sa propagande d’unité canadienne au Québec par les contribuables et de gros donateurs de partout au Canada. Mais n’allez surtout pas penser que le sénateur Pratte, triple salarié de Power jusqu’en août 2018, a joué un rôle dans le fait qu’en février 2018, le budget fédéral du libéral Bill Morneau ait annoncé que seraient étudiés de nouveaux modèles autorisant « les dons privés et le soutien philanthropique pour […] des nouvelles locales fiables et un journalisme professionnel, à but non lucratif5 ». Coïncidence quant à ces nouveaux modèles : conformément aux doléances de La Presse, il allait « s’agir de nouveaux moyens, pour les journaux canadiens, d’innover et d’obtenir le statut d’organisme de bienfaisance en tant que fournisseur de journalisme à but non lucratif6 ». C’est fou, le hasard, tout de même…

N’allez surtout pas penser non plus que l’honorable sénateur ait eu la moindre influence dans le fait que le budget Morneau de mars 2019 ait finalement accordé aux journaux un crédit d’impôt 13 750 $ par année par journaliste. N’empêche que cette aide au prorata du nombre de journalistes tombait pile pour La Presse qui, plus que tout autre journal au Québec, en employait au-delà de 200, pour une aide totale de 2,75 millions $. Néanmoins, le président de La Presse, un certain monsieur Levasseur prénommé (ça ne s’invente pas) Pierre-Elliott, n’a pas pu se retenir de laisser savoir qu’il ne trouvait pas ça assez.

Il est évidemment interdit de s’imaginer qu’André Pratte ait eu quelque message que ce soit à transmettre pour que Bill Morneau crée, sur mesure pour La Presse, les « organisations journalistiques canadiennes admissibles » (OJCA), nouvelle mouture d’organisme de bienfaisance pouvant émettre des reçus fiscaux aux généreux donateurs. Depuis janvier 2019, ces derniers peuvent signer à La Presse des très gros chèques, la seule limite étant qu’en un an, un donateur ne pourra avoir donné à lui seul plus de 20 % de la cueillette totale, le don de 50 millions $ de Power à La Presse ayant fait commodément exception. Alors que les entreprises ne peuvent donner à des partis politiques, elles peuvent faire des dons à La Presse. Et alors que l’identité de tous les donateurs aux partis politiques est rendue publique, le gouvernement fédéral ne dévoile que l’origine des dons à La Presse dépassant les 5 000 $. Cela fait dire aux plus cyniques que La Presse n’a qu’à rassembler 200 prête-noms au sein des milieux d’affaires canadiens pour encaisser 1 million $ en toute discrétion.

Voilà des décennies que La Presse et plusieurs quotidiens de GESCA étaient soupçonnés de fonctionner à perte. De 2008 à 2010, le Robin des banques, Yves Michaud, avait d’ailleurs vainement fait appel aux tribunaux pour forcer Power à dévoiler les états financiers de La Presse. En 2013, après y avoir investi 40 millions $, La Presse+ lançait son édition numérique sur tablette. Mais chez les experts, le modèle d’affaires sans abonnements payants sema un fort scepticisme. Depuis 2013, les « autres filiales » de Power, qui incluent La Presse+, ont enregistré des pertes totales de 400 millions $, dont 89 millions $ en 2017. Finalement, toute cette aventure numérique aura été un gouffre financier encore plus grand que l’édition papier. Mais en juin 2018, en cédant La Presse à une OSBL, le président de Power Corporation, André Desmarais, s’est dit confiant quant au maintien de la ligne éditoriale du journal. « Est-ce qu’elle sera fédéraliste ? La réponse, probablement, c’est oui. Je serais surpris que La Presse change sa façon aussi considérablement sur sa mission », a-t-il déclaré. Et cette ligne éditoriale, a-t-il précisé, « ne supporte pas un parti séparatiste qui veut séparer le Québec du Canada7. »

Enfin, lorsqu’en mars 2019, il a été révélé qu’André Pratte avait tenu à son bureau de Power Corp. de nombreuses rencontres liées à son travail de sénateur, l’honorable membre de la Chambre haute s’était vigoureusement défendu d’avoir quoi que ce soit à se reprocher. Mais en mai, le conseiller en éthique du Sénat lui a adressé un blâme pour s’être placé en situation d’apparence de conflit d’intérêt. Le sénateur Pratte s’est donc excusé. Personne n’ayant été témoin des discussions tenues entre M. Pratte et ses interlocuteurs dans son bureau de Power Corp., on ne peut affirmer hors de tout doute qu’elles portaient sur les doléances de La Presse adressées au ministre des finances du Canada. Mais la simultanéité des événements est plus que troublante. Ayant eu tout ce qu’elle voulait, Power Corporation a promis qu’elle ne fournirait plus de bureau au sénateur Pratte. Et la vie a continué comme si de rien n’était… ou presque. En effet, l’étoile du sénateur Pratte avait pâli.

Lui, partisan ?

En octobre 2019, André Pratte annonça sa démission du Sénat. Questionné par l’animateur Patrick Masbourian8 sur les raisons qui l’avaient poussé à se retirer de la Chambre haute, André Pratte a affirmé qu’il ne trouvait pas sa place dans un contexte aussi partisan. Pourtant, de 1970 à 2018, La Presse a toujours publié un éditorial préélectoral dans lequel elle accordait son appui au Parti libéral du Québec, cette séquence ininterrompue de quatorze élections9 incluant les années 2001 à 2015 (cinq élections) au cours desquelles l’éditorialiste en chef de La Presse était nul autre qu’André Pratte. Mais il ne s’est jamais plaint que ce contexte-là soit partisan. Il semble qu’il ait même tôt fait de s’ennuyer de son rôle de chantre du PLQ et du statu quo constitutionnel.

Le « Québec bashing », rhétorique séparatiste

La plume de l’ex-sénateur s’est vite activée en ce sens, en particulier dans les pages du magazine L’Actualité. Le 6 septembre 2021, la modératrice du débat des chefs en anglais de la campagne électorale fédérale, Shachi Kurl, s’adresse au chef bloquiste Yves-François Blanchet :

Vous niez que le Québec ait des problèmes de racisme et pourtant, vous défendez des pièces législatives comme les projets de loi 96 et 21 qui marginalisent les minorités religieuses, les anglophones et les allophones. Le Québec est reconnu comme une société distincte, mais pour ceux qui sont en dehors de la province, aidez-les, s’il vous plaît, à comprendre pourquoi votre parti appuie lui aussi ces lois discriminatoires.

Le 14 septembre, l’Assemblée nationale du Québec adopte unanimement une motion condamnant l’acharnement anti-Québec (« Québec bashing ») qui a eu libre cours lors de ce débat des chefs en anglais. Pratte s’empresse aussitôt de minimiser les accusations de racisme ayant fusé de toutes parts dans les médias du Canada anglais après l’adoption du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État. Il banalise tout autant les virulents gazouillis anti-Québec du professeur Amir Attaran, de l’Université d’Ottawa, Pratte en conclut que « Le prétendu Québec bashing conforte les indépendantistes dans leur conception d’un Canada où le Québec est toujours traité injustement10 ». Pourtant, le 6 décembre 2022, le Conseil de presse du Québec adressera un blâme à la journaliste Shachi Kurl.

Les anglo-Québécois victimes de « discrimination systémique »

Dans L’Actualité du 10 février 2022, Pratte qualifie de « cas patent de discrimination » l’annulation par le gouvernement Legault du projet d’agrandissement du collège Dawson, « pour des raisons purement politiques » et « à la suite de pressions des mouvements nationalistes11 »., D’entrée de jeu, il conteste la « prémisse » selon laquelle « le français est en grave recul au Québec », affirmant que « les statistiques montrent que ce n’est pas nécessairement le cas ». À ce sujet, que dit Statistique Canada, qui n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de « mouvement nationaliste » ? Comme le rapporte le chercheur Frédéric Lacroix :

Les projections démolinguistiques effectuées par Statistique Canada nous annoncent que les francophones ne constitueront plus que 69% de la population du Québec selon la langue maternelle et 73,6% selon la langue d’usage en 2036. Il s’agit d’une chute de 9,9 points et de 8 points, respectivement, par rapport à 2011, soit en vingt-cinq ans seulement. Entre 2006 et 2016, on a aussi mesuré un doublement de l’anglicisation des jeunes francophones à Montréal. On peut dire que, démographiquement parlant, le groupe de langue française est en « chute libre » au Québec12.

« Ce projet ne vise pas à augmenter la clientèle de Dawson, mais à mieux desservir la clientèle actuelle », affirme Pratte. Faux : la direction de Dawson admet elle-même que le projet créera 800 nouvelles places, soit presque l’équivalent du cégep de Matane ou de celui de Rivière-du-Loup. « De toute façon, c’est le gouvernement qui fixe le nombre d’étudiants que peut accueillir chaque collège », renchérit-il. À ce sujet, Frédéric Lacroix dit :

On se rappellera que le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) attribue un certain nombre de places dans les cégeps selon un « devis » ; pour Dawson, par exemple, le devis ministériel est de 7075 étudiants (voir p. 56 du « Régime budgétaire et financier des cégeps », mai 2019). Or, en 2018, Dawson en était rendu à 7889 étudiants inscrits au DEC à la formation ordinaire dans un programme préuniversitaire ou technique, soit 814 étudiants de plus que ce que son devis autorise ; depuis plus de 12 ans, Dawson excède son devis ministériel. Sans conséquences, apparemment13.

« Rien ne justifie que les anglophones du Québec aient moins de droits que leurs concitoyens francophones », peste enfin André Pratte, se demandant « jusqu’où ira cette discrimination systémique ? », tels les Lambropoulos, Garneau et Housefather de ce monde. Selon lui, l’annulation de l’agrandissement du collège Dawson fait fi des grandissants besoins d’espace de ce cégep pourtant déjà de loin le plus gros au Québec, d’où violation présumée des droits des anglo-Québécois à une éducation de qualité égale à celle des autres Québécois. Ce faisant, Pratte ne se penche d’aucune façon sur les sources de cette fulgurante croissante. En effet, comme l’explique Lacroix dans son essai Pourquoi la loi 101 est un échec (Boréal, 2020), depuis le milieu des années 1990, les cégeps anglais ont capté 95% de la hausse du nombre d’étudiants à Montréal. Mais surtout, la demande est telle que Dawson reçoit 11 500 demandes d’admission par année et ne peut en accepter que 30%. Cette situation force le collège à n’admettre que les meilleurs étudiants, en grande partie francophones et allophones et issus des écoles secondaires françaises. C’est ce que Lacroix appelle « l’écrémage » des candidatures, aussi pratiqué au collège John-Abbott. C’est plutôt cette situation qui limite l’accès des anglophones au cégep anglais. Si on voulait assurer l’enseignement collégial en anglais à davantage d’anglophones (aujourd’hui minoritaires à Dawson), il faudrait donc leur réserver des places. André Pratte serait-il en faveur de l’application de la loi 101 au cégep ?

Une comparaison odieuse avec les francophones hors-Québec

Mais là où Pratte verse dans l’indécence, c’est lorsqu’il fait de l’agrandissement de Dawson « une question de droit » en citant un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans une cause concernant les revendications de francophones de Vancouver pour une petite école primaire. Il écrit :

À cet égard, la Cour suprême a statué, dans le dossier de l’école Rose-des-Vents à Vancouver, que le droit à l’enseignement dans leur langue des enfants d’une minorité de langue officielle entraîne le droit à des installations éducatives de même qualité que les installations de la majorité : ce qui est primordial, écrivait en 2015 la juge Andromache Karakatsanis, c’est que l’expérience éducative des enfants de titulaires des droits garantis [par la Charte] soit de qualité réellement semblable à l’expérience éducatives des élèves de la majorité linguistique14.

Ce que Pratte ignore manifestement, c’est que cette cause est le meilleur exemple de l’ineffectivité de la Charte canadienne en matière de défense des droits scolaires des francophones hors-Québec.

En effet, en mai 2010 à Vancouver, les parents de l’école francophone Rose-des-Vents en ont eu assez de devoir faire endurer à leurs enfants une école faite de maisons mobiles raboutées, avec des classes mal insonorisées, souvent sans fenêtres et beaucoup plus petites que celles des écoles anglaises. L’école n’avait ni gymnase ni espace vert, trop peu de vestiaires, une bibliothèque minuscule et seulement neuf toilettes pour 350 enfants et les enseignants, alors que l’école a été conçue pour 200 élèves. Plus de 500 enfants d’ayants droit vivaient sur son territoire. L’association des parents d’élèves de l’école a traîné le Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique (CSF) et son gouvernement provincial devant les tribunaux, invoquant l’article 23 de la Constitution de 1982. En avril 2015, au terme de dix ans de revendications face au refus acharné de la province, la misérable école Rose-des-Vents gagnait sa cause devant la Cour suprême du Canada.

Mais huit ans plus tard, la nouvelle école Rose-des-Vents se fait toujours attendre. C’est que le jugement n’était que déclaratoire et a donc renvoyé les parents francophones de Vancouver négocier avec un gouvernement provincial qui se fiche d’eux depuis un quart de siècle. Un site voisin, les « Heather Lands », a été dézoné en mai 2018 pour faire place à un vaste projet immobilier sensé inclure la nouvelle école. La location de sa partie du terrain est depuis en négociation avec la Société immobilière du Canada et trois bandes autochtones, toujours sans résultat. Les promoteurs du projet ont fixé la superficie de chacun des nombreux bâtiments du projet sauf celle de l’école. On a évoqué l’échéance de sa construction pour 2021, puis 2028. Un épais brouillard est ensuite venu occulter cet horizon maintenant franchement opaque. « On n’a pas d’échéancier. […] Huit ans après [la décision de la Cour suprême], il n’y a toujours rien, en fait. C’est ça qui est fou, complètement fou! […] On n’est loin, loin, loin d’être prioritaires », s’impatiente Pascal Simonpietri, président de l’Association des parents d’élèves de l’école Rose-des-Vents15. Ce très lent et incertain processus en dit long sur le poids d’une communauté francophone minoritaire, même victorieuse en Cour suprême du Canada.

La prétention de certains à l’existence d’un droit au libre-choix de la langue de l’enseignement post-secondaire au Québec apparaît carrément choquante lorsqu’on se penche un seul instant sur la lutte encore et toujours incessante des francophones hors-Québec – souvent jusqu’en Cour suprême du Canada – pour bien vainement faire respecter leurs droits constitutionnels en matière d’enseignement francophone… à l’école primaire ! Référer à cette cause de l’école Rose-des-Vents de Vancouver pour plaider l’agrandissement de l’opulent Dawson College, marche-pied vers les riches et surfinancées universités McGill et Concordia, est donc non seulement odieux, mais cela démontre à quel point en matière de respect des droits constitutionnels des minorités linguistiques canadiennes, André Pratte ne sait absolument pas de quoi il parle.

Les problèmes éthiques du gouvernement Charest : des « théories » et des « mythes »

Toujours dans L’Actualité, André Pratte écrit :

Après huit ans d’enquête et plus de 300 personnes interrogées, l’Unité permanente anticorruption (UPAC) a finalement clos son enquête Mâchurer sur le financement du Parti libéral du Québec. Cette nouvelle […] ne suffira pas à faire changer d’avis ceux qui, depuis une décennie, répètent que [le] gouvernement [Charest] était l’un des plus corrompus de l’histoire de la province. […] Ces accusations ont été répétées tellement souvent pendant et depuis les années du PLQ au pouvoir sous M. Charest qu’elles se sont transformées en énoncés béton. On y croit parce que c’est la « vérité » véhiculée par les médias, sur la base de fuites soigneusement organisées par les enquêteurs de l’UPAC, enquêteurs dont on se demande bien ce qu’il leur reste de crédibilité16.

L’UPAC a effectivement clos son enquête Mâchurer en janvier 2022, mais seulement après que, le 25 septembre 2020, l’ancienne vice-première ministre Nathalie Normandeau, l’ex-ministre et ex-organisateur Marc-Yvan Côté et plusieurs autres aient tous bénéficié, en vertu de l’arrêt Jordan, d’un arrêt de procédures pour cause de « délais déraisonnables ». Or, plus de trois années de ce délai sont attribuables aux interminables recours judiciaires de l’ex-grand argentier du PLQ Marc Bibeau17. En effet, en novembre 2013, l’UPAC a exécuté à cinq mandats de perquisition dans les locaux des entreprises de la famille Bibeau où des dirigeants de firmes de génie sont souvent allés porter des enveloppes de chèques destinés au PLQ. Les entreprises Saramac et Schockbéton ainsi que les Centres d’achats Beauward ont aussitôt contesté ces saisies de serveurs, disques durs, cellulaires et autres supports externes, sous prétexte qu’il y aurait violation du secret professionnel d’un avocat et un notaire comptant parmi leurs employés. Malgré l’avis du syndic du Barreau du Québec à l’effet que ce risque était minime, ladite saga judiciaire s’est éternisée jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada y mette fin en février 2017. Par quoi se serait soldée l’enquête sans toutes ces années de paralysie ? On ne le saura jamais.

Rappelons que dans le cadre de l’enquête Mâchurer, onze patrons de firmes de génie et de construction ont affirmé sous serment à l’UPAC avoir accepté de financer le PLQ dans l’espoir d’obtenir des contrats ou d’établir un lien avec l’entourage du premier ministre Charest. Luc Benoit, ex-président de Tecsult, a présenté Marc Bibeau aux policiers comme « la porte d’entrée pour obtenir de l’information pour les projets du gouvernement ». Il a affirmé que Bibeau était en mesure de montrer le pointage d’entreprises citées lors d’appels d’offres, et qu’il l’a même un jour appelé pour « lui annoncer qu’il avait eu un contrat avant que ça soit officiel ». Georges Dick, ex-PDG de RSW, s’était fait dire par Marc Bibeau qu’il était en mesure d’influencer l’octroi des contrats d’Hydro-Québec, mais qu’il fallait pour cela que RSW donne à la caisse libérale autant que les autres firmes de génie, ce que M. Dick avait aussitôt assimilé à du trafic d’influence. Une adjointe au bureau du premier ministre a déclaré à l’UPAC qu’on lui ait demandé « plusieurs fois » de transmettre à Marc Bibeau des documents confidentiels du ministère des Transports à l’aide d’un fax crypté. Marc Bibeau fixait aux chefs d’entreprises des « objectifs de financement » à rencontrer en recourant à des prête-noms parmi leurs employés, une pratique illégale. Selon les données du PLQ lui-même, ce « financement sectoriel » de M. Bibeau a récolté à lui seul plusieurs millions de dollars18.

Et Jean Charest dans tout cela ? Les registres téléphoniques obtenus par l’UPAC montrent qu’entre 2006 et 2012, Marc Bibeau a communiqué près de 700 fois – l’équivalent d’un appel tous les trois jours – avec son grand ami le premier ministre Charest. Aussi, sept dirigeants d’entreprise ont raconté à l’UPAC qu’au début des années 2000, Marc Bibeau organisait de fastueuses réceptions dans son domaine de Beaconsfield pour remercier les firmes qui contribuaient généreusement à la caisse libérale, en présence de ministres, de députés et… du premier ministre Charest. Compte tenu de tous ces témoignages et des multiples perquisitions, pourquoi aucune accusation n’a été portée contre Marc Bibeau, contre son acolyte la directrice du financement du PLQ Violette Trépanier et, par extension, contre Jean Charest lui-même qui pendant dix ans, a touché un salaire annuel de 75 000 $ par année du PLQ en plus des 182 000 $ de son salaire de premier ministre19 ? Dans leur ouvrage collectif intitulé « PLQ inc. – Comment la police s’est butée au parti de Jean Charest » (Les Éditions du Journal, 2019), les auteurs parlent d’une « autodestruction » de l’UPAC. Il demeure que les affidavits que les policiers ont présentés en 2016 à un juge afin d’obtenir des mandats de perquisition20 dans les locaux des entreprises de Marc Bibeau font frémir, tout comme les 385 000 $ (et possiblement 717 000 $ supplémentaires) que le gouvernement du Québec a été condamné à verser à Jean Charest en dédommagement pour les fuites de l’UPAC dans les médias.

Une relance peu prometteuse

Quels sont donc les précieux conseils qu’André Pratte compte donner au PLQ pour assurer sa relance ? Alors que les anciens ministres Benoît Pelletier et Monique Jérôme-Forget croient tous deux que « le PLQ a une conception trop absolutiste des droits et libertés21 » pour « reconnecter » avec les francophones, Pratte demeure inflexible. Toujours dans L’Actualité, il écrit :

La longue histoire du Parti libéral du Québec le prouve, les Québécois sont attachés aux droits et libertés de la personne, tels qu’ils sont protégés de nos jours par les deux chartes, la québécoise et la canadienne. Le PLQ est la seule formation politique de la province qui fait de ces droits son principal ancrage. C’est un héritage précieux, que les libéraux n’ont pas le droit de gaspiller pour des gains illusoires. […] Le PLQ n’a pas à faire de « virage nationaliste. » Le mythe, souvent répété, selon lequel les gouvernements de Jean Charest et Philippe Couillard « ont été les moins nationalistes de l’histoire moderne du Québec » n’est que cela, un mythe, habilement construit par ceux qui s’opposent aux libéraux22.

On est loin de l’introspection.

L’ex-député libéral de Sherbrooke et ex-conseiller aux communications de Jean Charest, Luc Fortin, croit que le PLQ « a peut-être été un peu trop canadian dans sa façon d’être fédéraliste23 » ces dernières années. Qu’à cela ne tienne. Martelant son opposition au recours préventif à la clause dérogatoire dans les projets de loi 21 (sur la laïcité de l’État) et 96 (sur la langue française), André Pratte ajoute que « le Parti libéral du Québec est le seul regroupement d’élus qui allie cette défense ferme des intérêts de la province au sein de la fédération et une foi inébranlable dans les avantages du projet canadien pour le Québec. » Voilà ce que l’éditorialiste du Devoir Robert Dutrisac appelait récemment « la foi du charbonnier fédéraliste24 ». Quand on se souvient à quel point la base libérale du West Island a fait ravaler à l’ex-cheffe Dominique Anglade son timide « virage nationaliste », on ne doute pas que ce dernier retranchement libéral accueillera très chaleureusement le rapport du groupe de réflexion coprésidé par André Pratte et comptant aussi dans ses rangs nul autre qu’Antoine Dionne-Charest, fils de l’ancien premier ministre Jean Charest. Mais manifestement, plus ce rapport aura d’influence sur les orientations futures du PLQ, plus ses adversaires pourront être rassurés.

 


1 « “L’avenir du Sénat est prometteur” : le sénateur Pratte discute du vaste potentiel de l’institution alors qu’il quitte la Chambre rouge », Magazine SenCA+, 19 novembre 2019

2 « Le sénateur Pratte se défend d’avoir été en conflit d’intérêts », Journal de Montréal, 28 mars 2019.

3 Après un long combat incluant la contestation de cette décision devant la Direction des appels de l’Agence du revenu du Canada et la Cour d’appel fédérale, ce n’est qu’en octobre 2018 que l’IRAI a finalement obtenu le statut d’organisme de bienfaisance dont jouissaient déjà de nombreux instituts de recherche voués à la promotion du fédéralisme. En s’acharnant dans son refus jusqu’à l’ultime limite, l’Agence du revenu du Canada a démontré que sa fin de non-recevoir était de nature éminemment politique.

4 En août 2019, Groupe Capitales Médias a déclaré faillite et son président Martin Cauchon a démissionné en soutenant que « contrairement à ce que les gens pensent, ce n’est pas une journée si négative » (« Capitales Médias : “Pas une journée si négative”, dit Martin Cauchon », La Presse, 19 août 2019). En décembre, Le Soleil de Québec, Le Droit d’Ottawa, La Tribune de Sherbrooke, La Voix de l’Est de Granby, Le Nouvelliste de Trois-Rivières et Le Quotidien de Chicoutimi ont été sauvés in extremis par un plan de relance de 21 millions $ permettant aux 350 employés restants de poursuivre leurs opérations sous forme de coopératives de travailleurs. Le principal créancier était Investissement Québec dont le prêt de 10 millions $ avait été autorisé par le gouvernement Couillard. Au passage, les employés ont dû accepter un gel de salaire de deux ans et – tout comme les retraités – la perte de 25 à 30% de leurs droits accumulés de retraites. Bref, un beau gâchis libéral.

5 « La Presse deviendra propriété d’un OBNL », La Presse, 8 mai 2018.

6 Idem.

7 « André Desmarais, le patron de Power Corporation, a témoigné en commission parlementaire mercredi », Journal de Québec, 6 juin 2018.

8 Radio-Canada, 21 octobre 2019.

9 Il faut aussi ajouter à ce palmarès les deux référendums de 1980 et 1995 à l’approche desquels La Presse a publié un éditorial appuyant le NON à la souveraineté-association puis à la souveraineté-partenariat, conformément aux positions du PLQ.

10 « Québec bashing, vraiment ? », André Pratte, L’Actualité, 15 décembre 2021

11 « Dawson : un dangereux précédent », André Pratte, L’Actualité, 10 février 2022

12 « Projet de loi 96 : Le gouvernement défait avec l’argent ce qu’il tente de faire avec le droit », Frédéric Lacroix, L’Aut’journal, 24 septembre 2021.

13 « C’est le Québec qui finance sa propre assimilation : entretien avec Frédéric Lacroix », Journal de Montréal, 8 juin 2020

14 « Dawson : un dangereux précédent », André Pratte, L’Actualité, 10 février 2022.

15 Entrevue téléphonique avec Pascal Simonpietri, 24 mai 2023.

16 « Qui a peur de Jean Charest », André Pratte, L’Actualité, 3 mars 2022

17 Marc Bibeau siège depuis une quinzaine d’années au conseil d’administration de Financière Power, et est membre du conseil de la Financière IGM, de IG Gestion de Patrimoine et de Mackenzie, toutes des filiales du conglomérat de la famille Desmarais. Antérieurement, il a siégé au conseil d’administration d’au moins cinq autres entreprises des Desmarais.

18 Pour la seule année 2016 (de janvier à octobre), Marc Bibeau a recueilli 428 000 des 700 000 $ amassés au total par le PLQ (« Mâchurer l’enquête », Daniel Gomez, Les Cahiers de lecture de L’Action nationale, printemps 2020).

19 Selon son ancien directeur de cabinet Ronald Poupart, avant de toucher un salaire de son parti, Jean Charest s’est aussi fait rembourser par le PLQ une partie de l’hypothèque de sa résidence de Westmount (« La police a enquêté sur la théorie du pont d’or », Journal de Montréal, 29 octobre 2019). L’UPAC a débuté son enquête parce qu’elle estimait le coût annuel du train de vie de Jean Charest à 700 000 $.

20 Ces affidavits ont été publiés par le Journal de Montréal (« Dans les coulisses de Mâchurer : des documents inédits publiés en intégralité », 17 janvier 2020)

21 « Les libéraux dus pour une véritable réflexion, disent d’ex-élus », La Presse, 15 avril 2023

22 « Éviter la tentation du sauveur », André Pratte, L’Actualité, 10 novembre 2022.

23 « Les libéraux dus…», op. cit.

24 Le Devoir, 7 mars 2023.

* Président de la Ligue d’action nationale.

Les Québécois ne s’ennuient pas des éditoriaux dégoulinants de complaisance libérale qu’André Pratte signait jadis au quotidien La Presse. Sitôt retraité de ce journal en 2016, il avait été nommé sénateur par Justin Trudeau, un poste que Pratte avoua avoir lui-même sollicité1. Comme quoi le système des castes ne perdure pas qu’en Inde ou au Japon. Bon, le loyal scribe de GESCA y toucherait un généreux salaire annuel de 150 600 $ payé par nos impôts, mais au moins, on n’aurait plus à subir quotidiennement sa plume de mercenaire des intérêts financiers et préférences politiques de Power Corporation. C’était donc un mal pour un bien.

Mais voilà que l’actualité des derniers mois nous rappelait de bien désagréables souvenirs de l’ancien éditorialiste en chef de La Presse et exécuteur des basses œuvres propagandistes de la famille Desmarais. Le 30 mars dernier, on apprenait en effet que

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