Pierre-Luc Bégin et Manon Leriche (dir.)
Lève la tête, mon frère. Hommage à Pierre Falardeau,Drummondville, Les éditions du Québécois, 2016, 204 pages
Les funérailles de Pierre Falardeau ont fait d’éclatante façon la démonstration d’une réalité connue de plusieurs mais qui, en cette journée d’octobre 2009, s’est révélée au grand jour : le peuple québécois reconnaissait en lui un défenseur indéfectible, un homme qui avait été de son bord toute sa vie. On assistera à la même reconnaissance quelques mois plus tard lors du décès de Michel Chartrand. Le monde politique souverainiste était bien sûr présent avec Jacques Parizeau, Barnard Landry et Pierre-Karl Péladeau. Des intellectuels aussi étaient venus témoigner, comme Pierre Vadeboncoeur, Yvon Rivard et Bernard Émond, de même qu’un grand nombre de comédiennes et de comédiens qui faisaient leurs adieux au cinéaste. Mais il y avait surtout, dans cette foule de plus de deux mille personnes massées dans l’église Saint-Jean-Baptiste, du monde ordinaire, de petites gens qui savaient depuis toujours pour qui Falardeau menait le combat.
Dans son homélie, le jésuite Guy Paiement a vu juste quand il a salué, sous les applaudissements de la foule, un homme debout :
Je sais qu’il a voulu faire sien le destin de tout un peuple, un peuple dépossédé par les puissants et les intrigants. À ce titre, il mérite plus que notre admiration. Il s’est tenu debout et nous invite à faire de même (p. 74).
Cette citation, on la retrouve dans le recueil publié par Les éditions du Québécois, qui présente plus d’une cinquantaine de témoignages réunis par Pierre-Luc Bégin et la compagne de Pierre Falardeau, Manon Leriche. Elle va dans le même sens que l’a écrit le scénariste François Avard : « L’art utile de Falardeau, il existe dans le cœur et les tripes de ses semblables qu’il n’a jamais snobés » (p. 33). Dans une lettre à son compagnon, Manon Leriche indique le sens de cette publication :
Si j’essayais de parler du livre en ton hommage… Toi qui détestais les honneurs, m’en voudras-tu ? On a dit de toi que tu étais timide, que tu t’intéressais toujours à l’autre, que tu écoutais beaucoup plus que tu ne parlais, que tu laissais toute la place à ces gens du peuple que tu aimais et que, quand tu prenais la parole, c’était pour défendre la majorité silencieuse. Sache qu’après ta mort, il y a eu de si beaux témoignages à ton endroit qu’il fallait les réunir dans un livre, pour ne pas les perdre et pour se rappeler aussi (p. 10).
Le but est atteint. Tout à coup, Falardeau nous revient comme dans le temps.
Il a été du côté du peuple, corps et âme. De ces témoignages se dégage le portrait un homme entier, un bagarreur qui engageait les combats visière levée, qui a laissé une œuvre cinématographique coup de poing, des textes écrits avec une plume trempée dans le vitriol. Mais on retrouve aussi, sous la plume de plusieurs, quelques traits qui nous rappellent comment Pierre Falardeau était aussi un tendre, un fidèle en amitié, « un honnête homme. Un poète. Je vous le redis, la poésie est une clameur », comme le précise Pierre Foglia. Ou encore, comme le dit Paul Piché, le chansonnier : « On se voyait avec beaucoup de tendresse et beaucoup d’amitié, comme lui seul est capable d’en donner, ce que ceux qui l’ont connu savent bien. »
Perrault, Vadeboncoeur, Émond
Il avait « la dent dure et non limée », pour reprendre l’expression du cinéaste Pierre Perrault. Dans tous ces témoignages qui se sont exprimées pour la plupart à l’occasion de son décès, on ne lui tient pas rigueur de ses coups de gueule. Même que ceux qui l’ont fait s’en repentent, comme Perreault, qui écrit :
Je t’ai reproché, l’autre jour, ta façon de parler. Je le regrette. Elle est récupérée par ta façon d’écrire. Par ton commentaire sur les bouffons, ton texte sur la bêtise est extrêmement efficace. Comme si cette langue verte qui t’arrive de l’oral décuplait dans l’écriture (p. 14).
Le comédien Luc Picard témoigne dans la même veine quand il écrit préférer :
[…] encore un honnête homme qui a un peu tort à l’occasion à un menteur qui a raison tout le temps. Trop facile d’être beau quand on se cache la moitié du visage, quand on dissimule. Toi, tu ne t’es jamais caché, tu ne t’es jamais beau. […] Un homme franc. Un homme libre. Mon ami, ce fut un honneur et un bonheur (p. 104).
On me permettra ici une anecdote. Jean-François Nadeau, le directeur des pages culturelles du Devoir et moi avions demandé à Pierre Vadeboncoeur d’écrire un hommage à Pierre Falardeau, hommage devant être lu par Luc Picard le jour des funérailles. Nadeau voulait recevoir le texte assez tôt pour le publier dans l’édition du samedi. Picard voulait aussi recevoir le texte pour bien se l’approprier. Les deux me demandaient donc d’insister auprès de Vadeboncoeur pour qu’il termine son hommage. Après plusieurs coups de téléphone, le grand essayiste, que je n’avais de cesse de presser, m’avait cette fois répondu : « Dis-leur que je suis en brake syndical ! » Il fallait, aux funérailles, entendre Julien Poulin, compagnon de route du cinéaste, livrer l’évangile de Luc sur les pharisiens, « beaux et blancs à l’extérieur, mais sales en dedans ».
Vadeboncoeur souligne à larges traits les qualités qu’il a reconnues dans l’homme.
Il était tout en mouvement, plein d’activité et, ce qui fait contraste, très présent néanmoins aux individus, très attentif. Des gens l’arrêtaient fréquemment dans la rue. Les gens le connaissaient, ainsi que son action et le sens qu’elle avait. Ils aimaient son tempérament fougueux, son parler sans détour (p. 77).
Il croit voir en lui, au-delà de l’extraverti, de l’agitateur, quelqu’un de « profondément méditatif. Il n’aurait probablement pas rejeté cette idée. » (p. 77). Dans le texte rendu par Luc Picard, Vadeboncoeur rappelle comment, un an auparavant, il avait été impressionné par la colère de Falardeau devant le projet de reconstitution de la bataille des Plaines d’Abraham. « Alors Falardeau, de sa propre autorité – et seul, remarquez-le – a apostrophé les responsables. Ce n’était pas une simple protestation, c’était une mise en demeure, péremptoire. » (p. 78).
Dans un texte intitulé Pour comprendre la colère, le cinéaste et écrivain Bernard Émond évoque le destin du peuple québécois. « Il faut se rappeler, écrit-il, qu’un peuple peut survivre à des siècles de défaites et d’oppression, mais qu’il ne peut pas survivre à sa propre indifférence. » (p. 85). Il ajoute aussi que les peuples ne meurent pas deux fois, car la première fois est la bonne. Émond, et Falardeau aurait certes partagé ce cri du cœur, s’indigne :
Ainsi, nos ancêtres auraient peiné sur des terres de misère pour rien ? Ils auraient enduré ce qu’ils ont enduré dans les chantiers des autres, dans les usines des autres, pendant tout ce temps, pour que leurs descendants se laissent couler en riant, peuple à genoux devant les amuseurs de la télévision ? (p. 85).
On croirait entendre l’imprécateur.
Un homme d’espérance
Mais Pierre Falardeau n’était pas habité par le désespoir, loin de là ! L’ex-président de la CSN, Gérald Larose, l’a bien compris quand il le remercie « d’avoir nourri notre espérance et de nous avoir constamment rappelé qu’il nous appartenait de lui donner des mains ». (p. 56). Victor-Lévy Beaulieu d’ajouter que pour lui, il était « un complice qui me stimulait, rendant impossible tout découragement dans un pays-pas-encore-pays par la faute de ses élites bourgeoises, corporatistes et veules ». (p. 41).
Et l’émotion nous gagne quand son fils Jérémie, 18 ans, répond à la lettre que son père lui avait adressée en 1995.
Tu nous manques à tous. J’essaie de prendre soin de Manon et de lui faciliter la tâche, mais des fois je trouve ça dur. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour nous. Je te remercie aussi de m’avoir foutu quelques coups de pied au cul de temps en temps, histoire de me donner une certaine discipline. […] Mais bon. Je vais devoir être autonome et me débrouiller seul. Sur ce, on se revoit un jour là-haut. Merci p’pa, merci pour tout (p. 184).
Michel Rioux