Manon Leriche et Jules Falardeau. Album Falardeau

Manon Leriche et Jules Falardeau
Album Falardeau
Montréal, VLB éditeur, 2021, 302 pages

Ils sont nombreux les indépendantistes à se demander ce que pourrait bien penser Pierre Falardeau de notre époque. Celle-ci, qui est marquée par le politiquement correct et la langue de bois, on peut bien s’imaginer que Falardeau la conspuerait. C’est donc généralement avec nostalgie que nous regardons ce cinéaste, et l’Album Falardeau, paru au mois de novembre 2021, peut sans doute venir assouvir en partie ce sentiment. Ce livre de photos préparé par la femme de Pierre Falardeau, Manon Leriche, ainsi que son fils, Jules Falardeau, est à la fois une biographie imagée ainsi qu’une ode à l’œuvre et à la vie de Falardeau. Ne cherchez pas un regard critique sur le cinéaste en ces pages, vous trouverez plutôt une multitude de textes et d’images qui cherchent à situer les films, présenter le personnage et célébrer l’œuvre. Le livre est aussi truffé des meilleures citations de Falardeau. L’album peut donc autant servir à présenter Falardeau à un néophyte, qu’à retrouver l’œuvre et l’homme qui a tant marqué de Québécois.

Jeunesse

Les premières pages de l’album sont évidemment dédiées à la jeunesse de Falardeau et principalement à ses années de collège. À quel moment Pierre est-il devenu Falardeau ? Difficile de le dire, mais il a très rapidement pris des plis toujours visibles à l’âge adulte. Dans une des nombreuses citations qui tapissent le livre, Falardeau explique qu’à 15 ans il est tombé sur la revue Parti pris. Il comprenait peu le langage alambiqué de l’extrême gauche, mais l’analyse de la situation coloniale du Québec l’intéressait, le fascinait même. À côté de sa photo de finissant au secondaire, Falardeau décide de citer Jules Vallès : « Mon nom restera affiché dans l’atelier des guerres sociales comme celui d’un ouvrier qui ne fut pas fainéant. » On ne peut s’empêcher de comparer le Falardeau de 17 ans à un jeune du même âge aujourd’hui. Le premier est habité par le développement d’une nation québécoise et des luttes qui s’inscrivent dans le temps long. Le second trouve qu’un diachylon beige est une micro-agression, il achète la revue Liberté, tout heureux de se faire dire qu’il est maître chez l’autre, et cite Greta Thunberg dans son album des finissants. N’ayons pas peur de le dire, c’était mieux avant.

Sa relation avec l’extrême-gauche

Il ne fait aucun doute que Falardeau a fait son entrée dans le combat national par une certaine gauche et même l’extrême gauche, mais les relations entre le cinéaste et ce camp politique ont toujours été tumultueuses et l’album en fait foi. On explique par exemple qu’il s’engueulait régulièrement avec la Cinémathèque québécoise qui était largement marxiste-léniniste. Il s’offusquait qu’on parlât à l’époque des « cinémas canadiens » et que le nom de « cinéma québécois » était en quelque sorte honni par cette extrême gauche. Il n’hésitait pas à les « envoyer chier » devant ce refus de voir la culture nationale. Avec du recul, force est de constater que Falardeau était très lucide lorsqu’il parlait de cette mouvance politique. Il était aussi conscient que lorsqu’elle critiquait un Lionel Groulx, « cet immense savant » pour reprendre les mots de Falardeau, c’était contre son nationalisme qu’on en avait et on prenait prétexte de son antisémitisme pour les discréditer complètement, lui et le nationalisme. Il n’y a pas à dire, Falardeau voyait clair dans cette manigance.

Somme toute, l’extrême gauche le détestait et c’était réciproque. Il n’était pas non plus indifférent à la gauche bien-pensante, il l’exécrait comme le démontrent ses prises de bec avec Marc Cassivi. Mais dans quelle gauche se reconnaissait-il alors ? C’est dans les écrits d’un Orwell qu’il a pu se reconnaître, une gauche des travailleurs, une gauche du peuple, une gauche nationale. Ces oppositions d’alors ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les oppositions d’aujourd’hui, des fractures similaires divisent toujours les intellectuels québécois.

Inscrire son œuvre dans l’histoire longue

Ce qui singularise l’œuvre de Falardeau, c’est que son œuvre en est une qui s’inscrit dans l’histoire longue de la nation. À plus d’une reprise dans l’album, il explique son héritage : « Mais au fond, moi, en faisant Gratton, c’était de poursuivre la job du RIN, de Miron, mais autrement. La job que Perreault a essayé de faire, que Groulx a essayé de faire, que Fernand Dumont a essayé de faire. Mais par d’autres façons, de façon plus populaire. » (p. 107) Bien que Pierre Falardeau soit né en 1946, Falardeau le cinéaste est né bien avant et il n’hésite pas à reconnaître cette dette.

Bien qu’il aimerait porter en groupe cet héritage, cette mémoire et ce combat, il voit bien que plus il vieillit, plus il est le seul dans cette bataille, écoutons-le : « Mais tous ces intellectuels-là, comme Fernand Dumont, y a-tu encore du monde qui parle de ça ? Miron, ça reste un peu, mais maintenant, c’est la p’tite nouvelle poésie, les p’tits poètes spoken word” bilingues Montréal Blues… » (p. 107)

Et lorsqu’on regarde cette œuvre qui s’enracine dans l’histoire, on se rend compte que plusieurs films resteront longtemps dans l’esprit des Québécois. Le party, Octobre, Le temps des bouffons, 15 février 1839 et évidemment les Gratton ; cet être crapuleux sans qualité qui a finit par être embrassé par le public québécois, c’est à se demander parfois si tous ont bien compris le second degré du personnage et de la critique présente dans la trilogie. On entend d’ailleurs souvent que Falardeau faisait les Gratton pour gagner sa vie et pour faire des films « sérieux » par la suite. Les extraits de l’album viennent démentir cette rumeur : « Gagner ma croûte. Faire d’l’argent pour pouvoir faire des films sérieux. Mais j’comprends pas qui comprennent rien. Mais c’est pas avec Poulin que j’ai compris que le rire pouvait être une arme, mais probablement en regardant Tati pis Chaplin. » (p. 277)

Bien que Falardeau ait eu quelques succès, reconnaissons que c’est une œuvre qui s’est faite généralement en marge du système officiel et même bien souvent contre celui-ci. Simplement pour cette ténacité dont il a fait preuve toute sa vie, Falardeau sert de modèles à tous ces jeunes créateurs et intellectuels qui sont remplis de doutes alors qu’ils ne rentrent pas dans les cases officielles.

Falardeau bricoleur

Un autre élément qui ressort de ce magnifique album est le Falardeau bricoleur. En lisant les témoignages et en voyant les photographies, on comprend que Falardeau était peut-être moins un artiste qu’un artisan. Que ce soit dans sa vie personnelle ou professionnelle, il bricole : il bidouille son équipement de cinéaste, il se patente une maison, il répare les jouets de ses enfants. Il semblait être un homme jamais fatigué, toujours prêt à mettre la main à la pâte. Une telle obstination explique sans doute le sous-titre de l’album : « Nous aurons toute la mort pour dormir ».

Conclusion

Une petite anecdote présentée en début d’ouvrage permet de synthétiser le personnage. Alors qu’un homme approcha Pierre Falardeau pour lui demander un conseil afin de faire du cinéma politique, le cinéaste lui répondit : « Habitue-toi au goût du beurre de pinottes. » Après la lecture de l’Album Falardeau, on a envie d’ajouter qu’au moins ce goût de beurre de pinotte aura l’excellente saveur de celle de l’authenticité et de la cohérence entre les babines et les bottines.