Marianne White
Salut salut ! Jean Lapierre, un homme du peuple
Les éditions du Journal, 2018, 245 pages
Deux ans après la mort du célèbre chroniqueur politique Jean Lapierre, la journaliste Marianne White fait paraître une courte biographie à son sujet.
Après un premier chapitre rappelant l’accident tragique ayant mené à son décès, l’auteur aborde dans le deuxième chapitre ce qui fut un début de carrière politique fulgurant. Peu après son arrivée au Cégep de Granby, où le Madelinot d’origine effectue des études en sciences humaines, il prend la tête de l’aile jeunesse du PLC. Puis, il étudie le droit à l’Université d’Ottawa et devient, de toute l’histoire politique du Canada, le plus jeune chef de cabinet à 21 ans, le plus jeune député à 23 ans et le plus jeune ministre à 28 ans. Son jeune âge ne l’aidant peut-être pas toujours à prendre des décisions éclairées et courageuses, il vote pour le rapatriement de la Constitution en 1982. Comme le dira plus tard Louis Duclos, le seul député libéral fédéral québécois ayant voté contre ce rapatriement : « Il faut voir les choses telles qu’elles sont : je pense que Jean pensait plus à lui qu’au Québec ».
C’est après la défaite de son parti aux élections de 1984 que Jean Lapierre laissera véritablement sa marque en politique, en faisant partie du « rat pack », ce groupe de députés réputé pour ses questions en chambre « redoutables et parfois vicieuses ». Marianne White nous apprend aussi que Jean Lapierre a été à l’origine de l’interpellation célèbre d’une dame à l’endroit de Brian Mulroney par les mots « Goodbye Charlie Brown! ». L’auteure laisse entendre que cette interpellation aurait contribué à faire reculer le gouvernement Mulroney dans sa volonté de désindexer les pensions de vieillesse.
Cela dit, cette période est marquée surtout par de grands débats constitutionnels. Jean Lapierre se démarque en défendant Paul Martin et l’accord du lac Meech, puis en quittant son parti suite à l’accession à la chefferie de Jean Chrétien, un adversaire de Martin et opposant à cet accord. Mieux encore, avec Lucien Bouchard et quelques autres députés, surtout d’anciens conservateurs, il fonde le Bloc Québécois. Selon White, ce parti s’inspire alors du mouvement jurassien « un groupe de politiciens suisses venant d’horizons politiques divers qui a vu le jour dans le but de créer un rapport de force sur certains enjeux, dont la langue ».
Au sujet de sa « conversion » souverainiste, l’auteur cite longuement Jean Lapierre :
Je voyais le concept de la souveraineté comme un instrument de rapport de force. Je me suis dit : on a essayé de la manière douce [Meech], ça n’a pas marché. On ne peut pas faire plus que ça. Allons-y de la manière de la manière forte. Puis, après ça, quand on aura justement un rapport de force, on négociera un nouveau deal. Et c’est là, moi, que j’ai apprivoisé le concept de souveraineté-association. Je peux dire que les premières semaines et les premiers mois, ça ne glissait pas naturellement. Non. Non. C’était de la résignation.
La force de cette « conversion » étant limitée, Jean Lapierre quitte le Bloc deux ans après sa fondation, en prenant pour prétexte que Robert Bourassa va négocier avec le fédéral plutôt que de tenir un référendum. Puis, en 1995, il aurait voté OUI, selon Gilles Duceppe et Mario Dumont, mais lorsque Paul Arcand lui pose la question en 2005, Lapierre affirme ne plus s’en souvenir…
Il faut dire qu’à cette époque il est de retour en politique active au PLC à titre de ministre, après avoir été animateur de radio et de télé entre 1992 et 2004. Contrairement à cette première moitié de sa carrière médiatique, qui est un succès malgré des débuts difficiles, la seconde moitié de sa carrière politique est un échec. Il revient au moment du scandale des commandites et doit l’affronter chaque jour à titre de lieutenant québécois de Paul Martin. Bien que l’auteure cite une source selon laquelle « La présence du lieutenant québécois au bâton pendant le scandale des commandites a permis aux libéraux de marquer des points », à la lumière des « faits d’armes » du lieutenant qu’elle relate, on peut en douter ; pensons à la fois où il a affirmé que Gilles Duceppe avait « un petit côté naziste ».
Finalement, c’est avec la deuxième moitié de sa carrière médiatique qu’il laisse le plus sa marque. Chroniqueur à l’émission de radio de Paul Arcand et animateur de Laroque/Lapierre à TVA, notamment, il se distingue par sa connaissance fine de la politique et son style populaire. Certaines de ses expressions particulièrement originales resteront dans les annales : « Il a donc de la bavasse celui-là ! », « Ça va empironner avant de s’emmieuter » ou encore « Quand tu tues une mouche, assure-toi que le jus sorte ». Mais surtout, Jean Lapierre aura été un précurseur. À titre d’ancien politicien qui commente pertinemment l’actualité, il aura ouvert la porte à plusieurs autres, dont Bernard Drainville qui l’a remplacé à l’émission de Paul Arcand.
Avec son livre Confessions post-référendaires co-écrit avec Chantal Hébert, ce sont là les principaux éléments de son héritage politique. Car du côté des idées politiques, le bilan est plutôt mince. Tout au plus, l’auteure souligne son attachement à la Charte canadienne des droits et son opposition à la laïcité. Son parcours aura au moins permis de démontrer, une fois de plus, l’impossibilité d’œuvrer dans les paramètres de la pensée libérale canadienne tout en demeurant fidèle au Québec.
Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke