Marie-France Bazzo. Nous méritons mieux

Marie-France Bazzo
Nous méritons mieux, Montréal, Éditions du Boréal, 2020, 211 pages

De tous les chroniqueurs, animateurs, producteurs, peu prennent le temps de défendre leur point de vue dans un essai. Cette situation s’explique sans doute parce qu’au Québec le livre ne rend pas riche et c’est d’autant plus vrai pour l’essai. Ceux qui ont déjà une voix dans les médias au Québec ont donc bien peu d’intérêt à écrire ce type de livre. Bref, lorsqu’on écrit un essai, c’est parce qu’on en ressent le besoin de manière presque viscérale. C’est dans cet état d’esprit que la chroniqueuse, animatrice et productrice Marie-France Bazzo a rédigé Nous méritons mieux paru au mois de novembre 2020 aux Éditions du Boréal. Dès les premières pages, on comprend que l’essayiste n’a toujours pas digéré son congédiement sans justification de Radio-Canada à titre de morning woman en 2015. Elle est limpide : dans les 200 pages qui suivront, elle n’entend pas se faire de nouveaux amis dans le milieu médiatique, car elle critiquera sévèrement ce dernier.

La valeur de l’essai ne réside pas dans ses références fouillées, mais plutôt dans son angle unique, soit celui d’une femme qui travaille dans le milieu médiatique depuis plusieurs décennies. Telle une lanceuse d’alerte, Bazzo révèle que les réunions entre producteurs et diffuseurs ne sont pas toujours édifiantes surtout si vous faites partie de ceux qu’on appelle « les gens ». Ces messieurs-mesdames-tout-le-monde qui font leur 8 à 5 se font mépriser par le monde des médias. Les grands décideurs considèrent que « les gens n’aiment pas les affaires trop complexes », qu’ils sont des « épais », des « matantes sans désirs d’apprendre » ou « des mononcs un peu colons ». Ces représentations péjoratives du commun des mortels expliqueraient pourquoi les diffuseurs refusent de présenter des émissions avec des niveaux intellectuels plus élevés. Bazzo est convaincu qu’un jour, le public sera tanné de se faire considérer ainsi et que les diffuseurs s’ajusteront en conséquence. La chroniqueuse a raison et on peut déjà voir que ce mépris est bel et bien ressenti par « les gens » et ils le rendent en votant de plus en plus pour les partis populistes qui se font critiques des médias.

Ailleurs, Bazzo explique que les médias sociaux ont tendance à créer des chambres d’écho : ce que l’on entend et lit va dans le sens de nos préconceptions ce qui mène à la diabolisation de « l’autre camp ». Cette tendance des réseaux sociaux ne s’observe pas seulement dans les nouvelles plateformes comme Twitter, Facebook ou Instagram. Nous avons tous un biais de confirmation qui nous pousse à construire autour de nous un entourage qui partage en grande partie nos idées. Là où réside le problème, et Bazzo est à son plus pertinent lorsqu’elle analyse la chose, c’est que les médias poursuivent cette tendance en cédant à « l’esprit de clique ». Autrement dit, ce que nous vivons dans notre quotidien et sur les réseaux sociaux se confirme malheureusement dans les médias. Nous méritons mieuxque ces animateurs et animatrices qui invitent leurs amis qui les inviteront à leur tour à leur propre émission. Les médias devraient offrir une variété de points de vue qui permettent de comprendre le monde plutôt que de nous enfermer dans nos représentations.

Bazzo ajoute à ses explications que toute l’information qui est diffusée au Québec est financée par le public. Même les chaînes privées le sont, car elles bénéficient de crédits d’impôt. Puisque toutes les chaînes reçoivent de l’aide financière du public, elles devraient toutes respecter un contrat moral qui consiste à respecter leur auditoire en offrant des émissions plus exigeantes sur le plan intellectuel.

Ce qui précède est vrai pour les chaînes privées, mais ce n’est que plus vrai pour Radio-Canada qui est largement financée par l’argent des contribuables. Il est inconcevable que Radio-Canada ait un parti pris pour la gauche et la bien-pensance, c’est Marie-France Bazzo, elle qui a travaillé pour cette entreprise, qui le reconnait, ce n’est pas une lubie des chroniqueurs du Journal de Montréal. Bazzo dédie plusieurs pages de son ouvrage à cette notion de bien-pensance, c’est-à-dire « la posture de supériorité idéologique mâtinée de victimologie qui est celle de nombreux groupes se décrivant comme minoritaires ». L’essayiste explique d’ailleurs avec raison que cette posture intellectuelle qui exclut les pensées divergentes est payante, car tout un marché l’attend : média, université, ministères, etc. Cette idéologie qui ne dit pas son nom, mais qui se présente plutôt comme l’objectivité même, valorise la diversité, mais mène en réalité à son contraire : une homogénéité idéologique qui entretient l’entre soi médiatique.

Selon Bazzo, cette posture intellectuelle postmoderne ou « woke » a fleuri rapidement et fortement au Québec. La cause de ce phénomène serait notre mémoire complexée et le sentiment de culpabilité qui s’en suivrait : « La culpabilisation, ressort fondamental de l’idéologie bien-pensante, fonctionne probablement mieux qu’ailleurs auprès de la majorité francophone du Québec. » Bazzo a tort ici. La majorité des Québécois n’accepte pas cette idéologie comme en témoigne leur soutien à Slav, à Kanata et à Verushka Lieutenant-Duval.

À l’opposé de cette approche intellectuelle qui mène à un « assemblage de ghettos » et d’enfermement dans son identité, Bazzo propose un humanisme rassembleur où tout le monde a sa place dans une discussion. Bazzo rêve d’une diversité dans les médias, une réelle diversité qui inclut les minorités ethniques, les hommes et les femmes, des personnes de tout âge, des philosophes, des anthropologues, des géographes, des sociologues, des économistes, des conservateurs, des multiculturalistes, etc.

Bazzo fait preuve d’une grande ouverture en voulant favoriser la diversité des points de vue, mais elle n’invite pas tout le monde pour autant à la table de débat, car elle défend une certaine forme d’élitisme. L’auteure critique le relativisme et le « toutes les opinions se valent », mais comment ne pas arriver à cette conclusion lorsque la diversité pour la diversité est valorisée ? Par exemple, Bazzo condamne l’approche intellectuelle des conspirationnistes. On peut certes penser que certaines personnes sont de mauvaise foi ou bien qu’ils ont des idées farfelues, mais il est difficile pour le lecteur de comprendre en quoi ils n’auraient pas leur place dans les médias si la diversité est la valeur suprême. Comment concilier verticalité et recherche de la vérité avec la diversité ? Cet enjeu est central à notre époque et le lecteur aurait aimé que l’auteure l’aborde.

Le monde des idées n’est pas le seul à ne pas trouver sa place sur les ondes québécoises, notre territoire est tout aussi peu présent dans notre univers médiatico-culturel. Nos émissions ne sont pas ancrées dans nos saisons, nos romans parlent de ce qui entoure la ligne orange et les régions ne se voient pas à la télé. Bazzo propose donc une idée originale et très prometteuse : les médias devraient miser sur le territoire québécois pour expatrier nos séries télévisées. C’est entre autres par cette particularité que nous pouvons mieux nous comprendre ainsi que nous démarquer à l’international.

Si les médias québécois ne se caractérisent ni par leur contenu intellectuel ni par le territoire québécois, par quoi se distinguent-ils ? Aux yeux de Marie-France Bazzo, c’est l’humour qui occupe toute la place. Cette tendance s’observe aussi ailleurs en Occident, mais cette manie de tout tourner à la blague serait particulièrement forte ici. Aux yeux de beaucoup de diffuseurs et de producteurs, il semble tout simplement impossible d’aborder un sujet sans qu’une boutade vienne interrompre le fil de la discussion. Sans la nommer, on comprend qu’avec cette critique, l’essayiste vise particulièrement l’émission Tout le monde en parle. Cette tendance s’expliquerait par l’épuisement collectif des Québécois de parler de la question nationale qui a occupé leur esprit lors de la seconde moitié du vingtième siècle. Nous avions besoin d’un peu plus de légèreté et nous sommes passés « de militants à carnavaleux ».

Le livre de Bazzo est on ne peut plus nécessaire et toute personne qui aspire à ce que le Québec développe une véritable culture intellectuelle approuverait les idées présentées dans son ouvrage. Malgré ces qualités indéniables, le lecteur boulimique d’actualité aurait aimé que l’essayiste approfondisse davantage ses réflexions et qu’elle nomme sans vergogne les émissions qui ne remplissent pas leur mission d’éducation populaire et qui ne présente pas une panoplie d’approches divergentes.

David Santarossa
Enseignant