Martine Tremblay. La rébellion tranquille

Martine Tremblay
La rébellion tranquille. Une histoire du Bloc québécois, Éditions Québec Amérique, 2015, 628 pages

Plus de vingt-cinq ans après sa fondation comme parti politique sur la scène fédérale, le Bloc québécois s’est vu consacré, l’automne dernier, un ouvrage fouillé et documenté sur sa propre histoire. Ce livre d’une grande richesse, elle le fruit des recherches de l’auteure Martine Tremblay, ancienne directrice de cabinet de René Lévesque et historienne de formation. Portant bien son titre : La rébellion tranquille, une histoire du bloc québécois 1990-2011 relate avec moult de détails comment le Bloc québécois est né et s’est ancré sur la scène fédérale canadienne, sans faire de révolution.

Grâce à une recherche exhaustive et à des dizaines d’entrevues réalisées auprès de personnes ayant travaillé au Bloc que ce soit comme député, attaché politique, attaché de presse, secrétaire ou autre, Martine Tremblay a pu peindre un tableau assez juste de la vie du Bloc québécois à Ottawa pendant deux décennies.

D’entrée de jeu, elle relate que la naissance du Bloc québécois et ses premières années ne ce sont pas fait sans heurts avec la cohabitation dans le même parti de députés venant du parti conservateur et de députés, élus en 1993, qui pour plusieurs proviennent des milieux progressistes québécois ou encore du milieu syndical comme Gilles Duceppe. Par ailleurs, elle démontre que certaines personnes ont profité de la naissance du Bloc à Ottawa à des fins politiques. Comme le premier ministre Robert Bourassa qui souhaitait maintenir une tension sur le gouvernement de Brian Mulroney au lendemain de l’échec de Meech et en même temps gagner du temps au Québec afin de calmer le jeu et éloigner la perspective d’un référendum sur la souveraineté. Cette présence du Bloc québécois à Ottawa rassurait également Jacques Parizeau qui ne souhaitait pas à trois ans des élections québécoises avoir un leader comme Lucien Bouchard dans ses jambes à Québec.

Tout au long du récit, l’auteure explique comment les dirigeants du Bloc ont toujours eu un souci constant, au cours de ces vingt ans, de se démarquer du Parti québécois afin de ne pas être inféodé au parti frère souverainiste. Elle soutient également que lorsque Lucien Bouchard a quitté le Bloc en janvier 1996, pour devenir le premier ministre du Québec et le chef du Parti québécois, ce désir de garder une cloison entre les deux partis souverainistes s’est maintenu au grand déplaisir de certains députés bloquistes et conseillers politiques qui dans une certaine mesure ce sont sentis abandonnés par leur ancien chef. Plusieurs d’entre eux ont même affirmé, en entrevue à l’auteure, qu’il leur était très difficile de connaître le calendrier législatif du gouvernement du Parti québécois à l’avance et que les canaux de communications entre les deux partis étaient très ténus. Certains parmi eux regrettent également d’avoir fait les frais des politiques impopulaires du gouvernement de Lucien Bouchard, notamment à l’époque du déficit zéro. Plusieurs électeurs mécontents associaient facilement le Bloc québécois aux politiques du gouvernement de Lucien Bouchard.

Malgré cette distance entre les deux partis, à chaque élection fédérale, les militants péquistes et la machine électorale du parti se mettait au service du Bloc et vice-versa.

Dans un autre ordre d’idées, Martine Tremblay analyse avec rigueur tout le travail effectué au fil de ces vingt ans par le Bloc québécois à Ottawa dans l’opposition à la Chambre des communes. Toutefois, elle note que ce travail s’effectuait dans un milieu plus souvent qu’autrement hostile à ce parti souverainiste qui souhaitait rompre le lien de dépendance avec le Canada. Plusieurs députés lui ont raconté combien il pouvait être difficile de vivre continuellement dans cette ambiance d’animosité à la Chambre des communes. Certains après quelques années de ce régime d’opposition ont préféré quitter cette atmosphère malsaine et retourner à leurs anciennes occupations professionnelles.

Au niveau des dossiers politiques, l’auteure raconte que les députés bloquistes, en tant qu’opposition officielle, ne ce sont pas contentés de couvrir uniquement les problématiques concernant le Québec, mais ont défendu à plusieurs occasions des dossiers concernant tous les Canadiens, notamment la question de l’assurance chômage, Radio-Canada, la protection de la culture canadienne face aux Américains, les pêcheries de l’atlantique, l’universalité des programmes sociaux et même la défense du programme des Casques bleus de l’Armée canadienne, ce qui à fait en sorte de rassurer un certains nombre de Canadiens face à la présence du Bloc à Ottawa. Les chefs du Bloc ont également effectuées des tournées pan-canadiennes pour faire connaître leurs idées et défendre certains dossiers au grand dam des journalistes anglophones des autres provinces.

Le Bloc québécois c’est aussi deux leaders en Lucien Bouchard et Gilles Duceppe qui, au cours des vingt premières années du Bloc à Ottawa, on tenu leur parti avec une discipline de fer, ne tolérant aucun écart de conduite de la part des députés du Bloc. L’auteure relate combien les réunions du caucus étaient dirigées d’une main de maître par le chef et le whip en chef et que les députés qui avaient des divergences de vues avec leur chef dans certains dossiers devaient y aller prudemment dans leurs interventions pour ne pas se le mettre à dos. Aux dires des députés, seule Suzanne Tremblay osait défier Lucien Bouchard en caucus. Bien entendu, cette ligne de parti stricte en Chambre était souvent bien nécessaire contre les partis fédéralistes qui ne laissaient pas beaucoup de marge de manoeuvre au parti souverainiste. De plus, la plupart des députés bloquistes de la première vague n’avaient aucune expérience parlementaire. Par conséquent, la ligne de parti pouvait en rassurer plus d’un, sans compter la rigueur et la minutie avec laquelle les recherchistes préparaient les dossiers que les députés devaient défendre à la Chambre des communes. Comme l’auteure le note, Lucien Bouchard avait une obsession pour l’exactitude des chiffres et des faits que les députés devaient présenter en Chambre à travers les divers dossiers. Il n’acceptait pas l’improvisation.

Après le passage de Michel Gauthier comme chef du Bloc durant l’année 1996, Gilles Duceppe continuera de mener le parti avec autorité et rigueur de 1997 à 2011. Certains députés comme Pierrette Venne et d’autres députés plus conservateurs en subiront les conséquences, notamment lors du débat sur la légalisation du mariage entre homosexuels.

En conclusion, Martine Tremblay, à travers son livre, nous aura permis de mieux comprendre comment le Bloc québécois a réussi à se maintenir pendant vingt ans comme parti souverainiste à Ottawa détenant la majorité des sièges du Québec à la Chambre des communes de 1993 à 2011, afin de défendre les intérêts du Québec et des Québécois sur la scène fédérale. Personne ne peut nier que c’est grâce au travail colossal des recherchistes du Bloc et de ses députés que le scandale des commandites a pu être finalement débusqué et dénoncé à partir de 2004 avec la Commission Gomery. Sans cela, nous n’aurions peut-être jamais su l’ampleur des malversations reliées au scandale des commandites au lendemain du référendum de 1995.

Josiane Lavallée
Historienne