Me Patrice Garant: théoricien du droit ou praticien du Canada

Se peut-il qu’en prenant de l’âge on déserte son propre coeur ?

— Sylvain Lelièvre, (Qu’est-ce que l’on a fait de nos rêves ?, 1993)

Re : Patrice Garant (« Vous que j’ai tant admiré … »), autour de la conférence de M. Jacques Parizeau présentée le 2 février dernier à l’Université Laval

Je suis consternée par la «solennelle» impéritie intellectuelle affichée par l’ex-professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval, Me Patrice Garant, dans son long texte publié, d’abord dans Le Soleil du 4 février dernier, ensuite dans le Fil des Événements de l’Université Laval le 9 suivant. À croire, décidément, que ce commentaire (que je ne puis sans errer affubler du titre de réflexion) a été rédigé peu avant les dernières élections fédérales dans les officines des bureaux ministériels des Denis Coderre et des Pierre Pettigrew.

Une telle litanie de lieux communs, de demi-vérités, d’arguments éculés de longue date, de restrictions mentales, de dénigrement quasi poli, de fausse indignation, et parfois même de procès d’intention, concernant le Projet d’Indépendance du Québec, étonnent au plus haut degré sous la plume d’un individu dont on s’attendrait spontanément qu’il tienne au-dessus de tout à la préservation de sa réputation d’homme de savoir et de discernement.

Quelques illustrations rapides -.

a) Le fédéralisme. La plupart des fédérations dans le monde, M. Parizeau a tout à fait raison, ne tiennent pas le coup. Or bien sûr ! que l’on peut « colimater » quelques cas, rares ou isolés (tel la Suisse), qui semblent «contredire» d’office le discours de l’ex-premier ministre. Sauf que (si on est honnête intellectuellement) loin d’infirmer le propos tenu, il s’agit là plutôt d’exceptions qui confirment la règle. En outre, ces quelques cas de figure fonctionnent assez correctement parce que, contrairement à l’État canadien, le pouvoir central en exercice respecte scrupuleusement les ententes constitutionnelles internes: il ne cherche pas à imposer ses vues, à investir les pouvoirs des États fédérés ou à asphyxier ceux-ci par voies fiscales, et moins encore à acheter leur conscience via la propagande par le biais de l’argent détourné de leurs propres taxes et impôts. 1-0, Parizeau.

b) Les amis de par le monde. Quel puissant argument «professoral», une fois de plus, M. Garant. Or tout comme vous, j’ai le bonheur également d’avoir de nombreux ami(e)s de toutes origines. Et contrairement aux vôtres – dont «aucun», dites-vous (qui avez pour le coup les amitiés bigrement sélectives!), ne s’explique ce projet visiblement insensé d’Indépendance -, «les miens» s’interrogent plutôt à savoir pourquoi le peuple québécois se montre toujours si velléitaire face à l’éventualité de saisir son destin à bras-le-corps. Et parmi eux, figurent même des Britanniques et des… Canadians. Il faudrait sans doute du même élan demander l’avis des Genuine Wool bloquistes Vivian Barbot, Meili Faille et autres Maka Kotto, en passant par un bon nombre d’Haïtiens, par exemple, résidant dans les circonscriptions des Denis Coderre et des ex-ministres Liza Frulla et Pierre S. Pettigrew. 2-0, Parizeau.

c) L’Unipartisme. Suite, pour des raisons qui tombent sous le sens (dispersion des forces de libération nationale), aux réserves de M. Parizeau devant la création d’un nouveau parti politique souverainiste au Québec, Québec Solidaire en l’occurrence, vous profitez de l’occasion de manière à peine voilée pour mettre en doute le caractère foncièrement démocratique des Indépendantistes. Ici, M. Garant, je ne sais plus s’il faut y voir démagogie, mauvaise foi, fanatisme idéologique ou tout bonnement de la sottise. Et pour tout dire je laisse pareille déficience, que je qualifierais de stupéfiante, au commerce de votre propre conscience avec elle-même. 3-0 Parizeau.

Tout le reste du réquisitoire de monsieur est à l’avenant. Suffit pour tout un chacun de le lire pour s’en convaincre.

Certes, vous avez parfaitement le droit de préférer le Québec en plutôt que hors Canada, M. Garant. Fût-ce en dépit de l’intelligence de l’Histoire, des faits et des gifles reconduites dans la plus fidèle régularité au fil des semaines, des ans, des décennies. En retour, commettre des opinions de cette nature sous le couvert de la scientificité et de la compétence juridique, c’est ni plus ni moins, on doit le signaler sans ambages, de la propagande de bas étage où n’y manque plus que l’éloge des Rocheuses à la mode de feue Solange Chaput-Rolland. Aussi je crois qu’il faut miser beaucoup sinon obstinément sur sa réputation académique, en effet, pour s’autoriser de la sorte à tenir un discours à la fois aussi simpliste et sectaire.

Vraiment, tout au long de votre tirade, M. Garant, j’ai eu l’impression de réentendre le André Ouellet de 1980 (Eh oui ! le même «honnête homme» qui fut récemment congédié de la présidence de Postes Canada), alors «grand spécialiste» (dans l’équipe libérale – eh oui ! [bis] – de Pierre Elliott Trudeau) des campagnes de peur auprès des personnes âgées («Il n’y aura plus d’oranges [uniquement des orages…???] dans un Québec indépendant; vous allez perdre votre chèque fédéral de pension»; etc.).

C’est d’une tristesse infinie, vous savez, M. Garant, de parier ainsi sa réputation – en fin de carrière sinon de vie, et à l’instar d’un peu de fric sur tapis vert – pour des motifs à ce point partisans et par la voie d’arguments aussi solides que tapis de glace sur tumultueuse rivière en printemps.

Au surplus, non content d’auto-torpiller une carrière de recherche et d’enseignement somme toute pas médiocre du tout, je n’en disconviens pas, vous ajoutez l’insulte à l’injure en jouant les Tartuffe auprès de l’homme que vous attaquez au tire-pois, on le voit, dans le plus grand sérieux de votre rôle de gendarme de service sinon de gardien du régime. Car, en effet, vous avez démontré à plus d’une reprise dans le passé que si vous éprouviez quelque admiration pour quelque politique québécois que ce soit, c’est bien plutôt du côté de Stéphane Dion qu’il faut tourner les yeux… Duquel vous avez naguère non seulement avalisé l’infâme et so durhamienne loi C-20, mais vous êtes même allé – on croit rêver, faute de vous confondre par inadvertance avec un Marc Lalonde, un Jean Pelletier ou un Jean Chrétien, voire un maréchal Pétain – jusqu’à proposer publiquement de rendre celle-ci plus inique encore !*

M. Garant, je ne vous ai jamais admiré, il est vrai (j’aurais d’ailleurs apprécié que vous témoigniez de la même honnêteté à l’égard de M. Parizeau, en lieu et place de cette fausse affectation qui ne trompe personne). Sans pourtant, je me dois de le préciser, vous détester ou vous mépriser. Mais aujourd’hui je suis au regret de vous annoncer que vous avez à mes yeux perdu définitivement le petit fond de crédibilité intellectuelle que je m’entêtais, contre tout bon sens, je m’en confesse, à vous conserver.

Ne reculant décidément devant aucun ridicule, vous clamez haut et fort avoir été « scandalisé » – rien moins – par les propos de M. Jacques Parizeau. À quoi je répondrai, pour ma part, que je puis « comprendre » le sentiment de l’ingénieur des ponts et chaussées qui «s’indigne» de la fleur superbe qui soudain éclôt tout naturellement – sans agression aucune, simplement par obéissance aux lois de la vie – de dessous le pavé pourtant construit, il en est convaincu, selon les règles de l’art.

Or que faire alors de notre technicien des routes sinon lui offrir une tilleul bien chaude, voire quelque vague psychotrope de dernière génération. Et passer son chemin…

Ultime remarque, en terminant. Nonobstant les divergences politiques, qui ne constituent pas l’essentiel en semblable affaire (chacun a droit à ses convictions), s’il y a en tout ceci un détail qui me «scandalise» à mon tour plus que tout autre (puisque les errements, sophismes et extravagances mentales dans le style de monsieur le professeur Garant se répètent inlassablement et presque mot pour mot depuis plus de quarante ans en terre québécoise, et que par conséquent on n’y fait guère désormais plus attention qu’aux déclarations des Don Cherry, Don MacPherson, Diane Francis ou Bill Johnson), c’est bien le constat que Le Soleil hélas! n’éprouve aucun scrupule à accorder plus d’une demi-page de son édition à des textes d’une platitude et d’une vacuité qui feraient rougir un cégépien d’intelligence moyenne et de culture approximative.

Mais j’avais oublié pour un moment – ça ne pardonne pas – que nous étions bel et bien chez Gesca / Power Corporation.

Marie-Louise Lacroix

MarieLacroix@moncanoe.com

Capitale nationale, 14 février 2006

http://www.vigile.net/auteurs/g/garantp.html et
http://www.fd.ulaval.ca/personnel/profs/garant.html#cv .

* Voir en particulier son odieux «Projet de loi C-20 sur la clarté – Des modifications s’imposent » , paru dans Le Devoir du 1er mars 2000, où ce juriste (québécois, rappelons-le pour la forme) écrit sans sourciller: «Pour satisfaire à l’exigence que la réponse soit vraiment celle de la majorité de «la population», de « la population de la province », comme le prescrit la Cour suprême, nous proposons [patrice.garant@fd.ulaval.ca] que cette majorité soit celle des électeurs inscrits.» Or toute la monstruosité de cette position digne d’une dictature militaire a d’ores et déjà été vertement dénoncée pour ainsi dire en prolepse, il y a une douzaine d’années, dans un commentaire vitriolique («Le courage de Norman Webster» , publié dans Le Devoir du 27 décembre 1994) d’où je tire cet extrait : «Étaler pareil raisonnement sans avoir l’intention de changer de pays, de nom ou de visage demande assurément beaucoup de courage.» De toute évidence, Me Patrice Garant est passé depuis déjà longtemps du statut de théoricien du droit à celui de praticien du Canada.

Soyons clairs : pareille exigence rend tout à fait impossible, ab ovo, un vote positif des Québécois en faveur de l’Indépendance. Il suffit en effet que les tenants du NON restent à la maison le jour du référendum (nulle nécessité, par voie de conséquence, d’avancer le moindre sou dans le cadre d’une campagne référendaire dans laquelle, au reste, il devient absolument inutile de s’investir) pour que la totalité des tenants du OUI (100%) soit impérativement tenue de se présenter aux urnes pour espérer dépasser la barre des 50% (a fortiori celle de la majorité dite «claire» de 55, 60 ou… xx.xx%!). Est-ce bien là le même individu à propos duquel l’Université Laval déclare, via le site du recteur Michel Pigeon: «Son parcours professionnel remarquable et son engagement de tous les instants lui valent l’admiration de tous»?

. «L’admiration de tous», lisons-nous… Bref, à la lumière d’une si jolie entreprise de sape de la démocratie québécoise (imaginons un court instant la réaction des mêmes démocrates canadiens si le gouvernement souverainiste au timon de l’État du Québec décrétait, à la faveur du prochain référendum, que toute abstention de vote se verra de facto comptabilisée comme un OUI en bonne et due forme), on comprendra mieux le sens de la récompense du régime à l’endroit du fidèle cheval de Troie en territoire français d’Amérique. Lequel régime, on le sait, a fait de M. Patrice Garant, ci-devant sage docteur en Droit, un membre en règle de la Royal Society of Canada.

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