Michel Lessard 1942-2022. Celui qui a inscrit le patrimoine dans la grande histoire du Québec

* L’auteur est membre du GIRAM et ami de Michel Lessard. Crédit photo : Normand Rajotte

LMichel Lessard N Rajotte’historien Michel Lessard s’est éteint le 5 avril dernier à sa résidence de Lévis, grande hune sur le Saint-Laurent et par devant le plus ancien territoire de peuplement européen du continent. Elle était, son lieu d’inspiration, son repère d’écriture. De là, il pouvait exercer de façon assidue, une vigie de la capitale nationale et de sa péninsule, véritable acropole naturelle et architecturale. Il la considérait, à tort ou à raison, sous menace constante en dépit d’une protection de ville du Patrimoine mondial. Chaque soir venu, il aimait voir le soleil se coucher lentement derrière les Laurentides, laissant les étoiles reprendre lentement leur place. Ainsi coulait sa vie d’écrivain, de chantre de pays, de poète, de veilleur de nuit.

Patrimoine architectural, paysages humanisés, culture matérielle du Québec ont été pour cet insatiable passionné de découvertes, source intarissable d’inspiration. Plus de 8000 étudiants de l’UQAM ont eu le privilège de son enseignement, de son talent de conteur. D’autres, par milliers également, amoureux du Québec ou passionnés d’architecture et d’objets anciens, ont puisé et puisent encore dans ses publications et recherches, le sens de leur action et l’inspiration pour mener un chantier de conservation et de mise en valeur.

C’est dans une vingtaine d’ouvrages substantiels et tout à fait remarquables produits sur cinq décennies, dans une production cinématographique vivante (Un pays, un goût, une manière) et dans de nombreuses contributions à des revues que sont compilés les chapitres de son fabuleux récit de civilisation. Mille et une pages d’illustration sur l’invention d’un pays neuf. Généreux de sa personne, il a, presque jusqu’à la fin, supporté des émules, les mettant en contact avec ses meilleures sources et/ou en rédigeant pour plusieurs des préfaces toujours invitantes. Bon communicateur et prodigue de son savoir, il n’a jamais refusé une conférence ou une entrevue. Tous les médias étaient bons pour diffuser son message : magazines, télévision et radio et même la grande toile.

Jeune historien doué d’une capacité de travail et de synthèse inouïe, pédagogue dans l’âme, Michel Lessard a voulu dès le départ contribuer au façonnement de notre identité collective, mais d’une autre façon que les François-Xavier Garneau et Lionel Groulx. Son intuition déferlante le porta à imaginer un récit abordant le côté abstrait du temps et de l’espace au moyen du concret, de l’objet, du bâti, de l’image, des couleurs. N’est-ce pas pour beaucoup dans les objets et les lieux que s’incarne la mémoire ? La photographie ancienne (Livernois, Prudent-Vallée, Notman) et la contemporaine allaient lui permettre de réaliser son ambition.

On est au début des années 70, il y a renouveau d’intérêt des Québécois pour leur passé en même temps qu’une perspective d’avenir collectif. Un contexte éminemment propice à la référence historique et au développement d’un récit « nouvelle manière ». Dès la publication de ses encyclopédies, Michel Lessard réussira d’emblée à créer une émotion, plus, un coup de cœur dans le grand public. Jamais on n’avait fait connaître avec autant d’intensité, l’univers pittoresque de la culture matérielle de nos ancêtres (« la rencontre du langage du cœur et des mains ») et le génie de leurs trois siècles d’habitations construites pour affronter des hivers à pierre fendre.

Au cours de ses nombreux périples, à pied, en voiture, les milliers d’images emmagasinées dans sa lanterne magique vont nous convier à un grand voyage à travers les paysages humanisés des régions du Québec. Les bâtiments de nos villes et de nos campagnes façonnés jadis au prix de labeurs surhumains vont nous être révélés sous un jour nouveau, enluminés, riants et chantants.

Pour Michel Lessard, l’habitation traditionnelle du Québec, sa culture matérielle façonnée par quatre siècles d’apprentissage, ne relèvent pas du tour guidé. Elles doivent raviver la fierté de son peuple, participer à la construction d’une identité résolument nationale, elles doivent être porteuses d’un sentiment national et de cohésion. Sous sa plume, la « maison canadienne » de la génération de nos grands-parents devient « maison québécoise », le sens du mot national en matière de patrimoine doit dorénavant référer au peuple québécois.

C’est dans une telle optique de construction du pays que Michel Lessard a conçu son œuvre et qu’il a souhaité qu’elle soit lue.

On connaît, par ailleurs, un peu moins le côté frondeur de l’historien. Son œil tout comme sa plume en constant état d’alerte pourront s’avérer militants et parfois fougueux. Durant ses quelque trente ans au sein du Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM), il n’hésitera pas à tirer sur la sonnette d’alarme et à monter au créneau pour sauver des bâtiments menacés ou faire échec aux affairistes, marchands du Temple et usurpateurs de paysages. Il sera quelques fois pugnace et sans ménagement pour les « peddleurs » de projets insensés, notamment ceux de la petite oligarchie autoproclamée du Port de Québec, véritable principauté fédérale au sein de la capitale nationale. Rappelons à ce chapitre, l’épisode des silos d’alumine sur la berge de Sillery (1989), aujourd’hui site de la promenade Samuel-De Champlain, la trop longue saga du terminal gazier Rabaska/Gazprom (2005-2009), puis plus récemment le projet d’oléoduc Énergie Est (2014) et Beauport 2020 (2017), inacceptables tentatives pour faire transiter les « huiles sales de l’Ouest » vers des marchés externes à travers la vallée du Saint-Laurent.

Esprit libre, Michel Lessard n’hésita jamais non plus à vilipender les usurpateurs de mémoire. En 2008, année du 400e anniversaire de Québec et de la naissance du pays, les couleurs du Québec sont littéralement mises sous le tapis. Refusant le mutisme politique ambiant et le manque de hauteur qui devait normalement entourer une commémoration de cette importance, c’est sans retenue qu’il en dénoncera l’odieux détournement de sens au profit d’un tonitruant festival d’été. Plus d’une fois, il se désolera publiquement que plus de 40 % du territoire historique de sa capitale nationale soit sous propriété et couleurs fédérales. Il n’aura jamais compris que le Québec ait jadis laissé aller au profit du Canada une partie de ses plus beaux symboles identitaires, incluant son hymne national.

Son riche parcours lui permettra de recevoir plusieurs hommages et récompenses, notamment les prix Robert-Lionel Séguin (1985) et Gérard-Morisset (1996), la médaille de l’Assemblée nationale (2011) et celle du Mérite exceptionnel remise par le lieutenant-gouverneur (avril 2022). Il portait, faut-il le souligner, une affection toute particulière pour les activités organisées régionalement dans le cadre de la Journée nationale des patriotes. Il fut l’heureux récipiendaire en 2009, du prix Étienne Chartier, le prêtre patriote. Le fleurdelisé dominait en permanence son bout de falaise de Lévis et son pavoisement du 24 juin était des plus ostentatoires.

En 2013, au lendemain du défi et franc succès d’édition de son Québec éternelle : Promenade photographique dans l’âme d’un pays, l’heure de la retraite semblait devoir sonner. Mais la passion demeurait toujours vivante, indomptée par les années de travail. D’autres chantiers l’appelaient allant jusqu’à le hanter parfois ; le matériel était déjà en réserve. Mais sur terre, malheureusement, aucune vie ne serait assez longue pour ces êtres exceptionnels qui auraient encore tant à raconter.

En Michel Lessard, le Québec perd un être aux convictions hors dimensions, un puits de connaissances, une plume généreuse, un combattant sans trêve, un éternel amoureux de la vie, un talentueux chantre du pays, un plaideur de grand talent, un patriote dont la voix demeurera un repère essentiel sur notre route. Son pays et ses compatriotes, il les aura aimés à en mourir.

Mille fois merci, cher Michel.

Qu’en ton honneur, dansent éternellement sous la grande voûte azurée du Québec, les enivrantes couleurs des Patriotes.

Ouvrages les plus marquants

Encyclopédie des antiquités du Québec : Trois siècles de production artisanale (1971)

Encyclopédie de la maison québécoise : Trois siècles d’habitations (1972)

La maison traditionnelle au Québec : Construction, Inventaire, Restauration (1974)

Complete guide to French-Canadian antiques, Michel Lessard et Huguette Marquis (1974)

L’art traditionnel au Québec : Trois siècles d’ornements populaires (1975)

Les Livernois, photographes, Musée du Québec (1987)

Québec, ville du patrimoine mondial. Images oubliées de la vie quotidienne 1858-1914 (1992)

Montréal, métropole du Québec. Images oubliées de la vie quotidienne 1852-1910 (1993)

Objets anciens. Vie sociale et culturelle (1994)

Objets anciens du Québec. La vie domestique (1994)

Montréal au XIXe siècle. Regards de photographes. (Avec Serge Allaire, Martin Brault, Lise Gagnon et Jean Lauzon) (1995)

L’île d’Orléans. Aux sources du peuple québécois et de l’Amérique française (1998)

Meubles anciens du Québec (1999)

Le Vieux-Québec sous la neige (2003)

La nouvelle encyclopédie des antiquités du Québec (2007)

Québec éternelle – Promenade photographique dans l’âme d’un pays (2013)