Michèle Lalonde (1937-2021)
Michèle Lalonde n’est plus. Sa voix s’était tue il y a plusieurs années. Mais son œuvre a marqué l’imaginaire québécois par sa force d’évocation du réel. Elle avait le « génie travaillé » des mots pour parler des conditions de vie du peuple québécois. La fulgurance de sa pensée éveillait les consciences.
La création n’était pas chose facile pour elle, elle trimait dur pour trouver le mot juste et l’image percutante qui font comprendre les rapports de force et de domination qui écrasent l’être humain. J’ai dis génie travaillé parce que je l’ai accompagné dans l’écriture de deux manifestes : Légitime défense : de Duplessis à Trudeau les intellectuels résistent et Cause commune, pour une internationale des petites cultures. Elle soupesait chaque mot pour choisir celui qui était le plus porteur de sens. Rien de spontané, d’immédiat ou de gratuit dans sa création. Elle construisait mot après mot la représentation de la condition de l’exploité, du dominé, du soumis. Elle exprimait la colère d’un peuple pour l’inciter à prendre son destin en main. Elle n’avait pas peur du politique et ne le fuyait pas, elle voulait plutôt le harnacher et le faire servir à la libération des Québécois et des Québécoises. Elle combattait par la plume et la parole.
Elle était consciente de la dimension internationale du combat québécois et était reconnue en France et dans les pays africains pour son engagement dans la défense de la langue française. Elle envisageait la question du Québec dans une perspective de solidarité internationale avec les peuples en lutte. « Nous ne sommes pas seuls » me répétait-elle souvent. Elle a publié en France chez Seghers/Lafont, en 1979, Défense et illustration de la langue québécoise. Elle a été invitée à de grandes manifestations culturelles internationales comme celle de l’Unesco intitulée « Guerre à la guerre », tenue le 10 décembre 1982 à Paris. Elle est montée sur scène aux côtés des plus grand poètes de l’époque comme l’humaniste russe Evgueni Evtouchenko, le poète qui remplissait les stades, l’américain Allen Ginsberg, le père de la « beat generation », Breyten Breytenbach militant de la lutte anti-apartheid en Afrique du sud, Ernesto Cardenal ministre de la Culture du Nicaragua, Jayne Cortez figure emblématique du Black Art Movement, Jean-Pierre Faye, un des fondateurs de l’Union des écrivains et de la revue Change.
Elle a aussi défendu la cause des écrivains et écrivaines en assumant la présidence de l’UNEQ et de la Fédération internationale des écrivains de langue française où elle cherchait à développer les échanges interculturels et à faire connaître la littérature des peuples africains.
Elle souhaitait faire de la poésie un art populaire et la sortir des cercles élitistes. Dans les années soixante-dix, elle fut une des rares femmes à monter sur une tribune pour dire ses poèmes et en faire des discours de combat. Elle a participé à de nombreux événements comme la «Nuit de la poésie » et « Poèmes et chants de la résistance ».
Elle a aussi voulu innover en acceptant d’écrire pour des manifestations culturelles destinées au grand public. Dès 1967, elle écrivait Terre des Hommes, poème épique qui fut mis en scène à l’occasion du gala inaugural d’Expo 67 à la Place des Arts. En 1980, elle a participé à une tournée en France avec un spectacle intitulé Les sept paroles du Québec. Elle était la seule femme aux côtés des Gaston Miron, Yves-Gabriel Brunet, Michel Garneau, Gilbert Langevin, Raôul Duguay et Paul Chamberland. Elle a aussi écrit Âmes et navires pour un spectacle son et laser, projeté sur le parlement de Québec en 1984, à l’occasion du 450e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier. Elle avait une pensée synthétique qui savait relier le particulier et l’universel ainsi que le passé au temps présents.
Elle était de la trempe des Miron, Aquin et autres qui avaient à cœur le destin collectif. Elle était une figure de proue du Québec moderne qui luttait contre la servitude volontaire. Nous la regretterons, mais nous pouvons la lire et la relire pour trouver l’inspiration et continuer le combat.
* Politologue.