Mort du programme d’ethnologie à l’Université Laval?

En réponse à un étudiant de l’Université Laval qui constatait dans les pages d’un quotidien montréalais le risque de disparition du programme d’ethnologie de cette institution mais qui voulait surtout faire un voyage à Waterloo en Ontario

Permettez-moi de me souvenir qu’en 1978 face à une demande de l’Association des étudiants en Arts et traditions populaires (ancêtre du programme d’ethnologie actuel de l’Université Laval), le directeur du département refusait de nous accorder l’argent pour un voyage d’étude dans… Charlevoix. Nous étions alors plus de 100 étudiants inscrits au programme et finalement la direction a cédé. Mais qu’est-ce qui a changé pour que ce programme regroupe moins de 20 étudiants qui étudient le plus souvent « en ligne » comme vous l’affirmez ?

Beaucoup de choses en fait et la destination de votre voyage vers Waterlo en Ontario en dit beaucoup. Il vous faut participer à un Colloque d’une association pancanadienne de Folklore, laquelle propose des communications en anglais surtout ou encore en « bilingue » et publie aussi une revue dont le contenu est souvent en anglais seulement. Faut-il se souvenir que le programme de recherche fondé autour des Archives de folklore en 1944 visait l’étude du folklore des francophones du Québec et de l’Amérique du Nord ? Cela est-il oublié au fond d’un passé recouvert par un multiculturalisme ambiant maintenant de bon aloi dans ce domaine de recherche à l’Université Laval ?

Il est vrai qu’en 1978 nous étions portés par la vague nationaliste qui avait conduit le Parti québécois au pouvoir le 15 novembre 1976. Il était alors de bon ton d’aimer notre folklore, de le partager avec les autres et de lui assurer une certaine « suite du monde ». Aujourd’hui on dirait cela chauvin, « tricoté serré », pas ouvert sur le monde. Et pourtant le projet des fondateurs des Archives de folklore était bien de croire en cette culture française du Québec et de l’Amérique du Nord. Ce n’est pas dévier que de le rappeler ; je crois plutôt que les promoteurs du programme actuel férus de multiculturalisme qui autorise les subventions fédérales ou même provinciales le savent sans doute aussi.

En fait, si vous voulez faire un Colloque sur l’ethnologie au Canada français, il faut le faire aujourd’hui dans les provinces où les francophones sont minoritaires. Au Québec, les colloques en ethnologie ou folklore québécois – s’il s’en trouve encore – sont tous teintés de l’approche internationaliste et entremêlent les cultures sans faire ressortir spécifiquement celle du Québec francophone. Je ne dis pas cela parce que je suis contre la chose, mais simplement parce qu’il n’est pas normal qu’à la suite des Luc Lacourcière et Félix-Antoine Savard, il ne se trouve plus au Québec un seul programme consacré au folklore des francophones en Amérique du Nord.

Le problème de fond est politique. Il ne faut plus présenter un domaine d’étude retenant les francophones du Québec comme une majorité détentrice d’une culture nationale, mais plutôt comme habitant un « territoire » devenu informe où se métisse « des cultures ». Je pense que cela fait beaucoup dans le manque de recrutement des étudiants en ethnologie à l’Université Laval qui, au temps où j’étudiais dans ce domaine, constituait un secteur de recherche reconnu pour son excellence. Pourquoi s’endetter, avec des prêts et bourses si on parvient à en obtenir, pour étudier une ethnologie multiculturelle dans la « plus vieille université québécoise francophone d’Amérique » ?

Je trouve bien triste que l’ethnologue Conrad Laforte, autrefois professeur de chanson folklorique française, se soit inquiété à sa retraite de l’Université Laval de savoir si le programme d’étude qui avait occupé sa vie professionnelle « existerait encore ». La question a maintenant sa réponse qui est négative. Parfois, dans un élan de pessimisme, je me dis qu’il vaudrait mieux que disparaisse l’actuel programme d’ethnologie de l’Université Laval plutôt que de le voir perdurer si piteusement. Cela me peine tant pour ses fondateurs Savard et Lacourcière qui étaient de grands intellectuels québécois. Mais voilà, grâce à la lettre d’un étudiant en ethnologie, je constate maintenant que mon pire cauchemar est en train de se réaliser bien discrètement par une asphyxie lente et j’en suis fort triste. En attendant bonne chance, chers étudiants, pour votre voyage à Waterlo en Ontario… Mais ce n’est pas là où vous apprendrez la fierté d’être francophone en Amérique ou encore le désir de faire perdurer les traditions et la culture qui s’y rattachent…