Municipalités locales et MRC : proximité avec qui ?

La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, et plus particulièrement la ville de Saguenay et les municipalités de la MRC du Fjord-du-Saguenay, est le lieu de convergence de plusieurs enjeux qui dépassent largement les limites administratives de son territoire. La zone industrialo-portuaire de Saguenay (ci-après Zone IP), reconnue par le gouvernement du Québec en 2016 dans le cadre de sa stratégie maritime, a attiré plusieurs projets industriels devant se concrétiser au cours des prochaines années : usine de transformation de concentré de fer en fonte brute et en ferrovanadium, usine cryogénique, complexe d’exportation de gaz naturel liquéfié et construction d’un terminal maritime en rive nord du Saguenay (dans la municipalité de Sainte-Rose-du-Nord)1. La protection de l’environnement et du fjord du Saguenay, les changements climatiques, le développement et la diversification économique en région éloignée traversent le débat sur le développement de ces projets industriels de la zone industrialo-portuaire. La confrontation des enjeux locaux, supralocaux, nationaux et mondiaux, soulève plusieurs questions, dont celles du rôle, des compétences et du pouvoir des autorités locales (municipalités) et supralocales (MRC) face aux défis du XXIe siècle. Notre texte se penche spécifiquement sur ce sujet avec une attention particulière concernant la place des citoyens qui sont les premiers visés par les impacts et retombées des projets.

Une multiplicité d’acteurs publics

L’Administration portuaire du Saguenay (ci-après Port Saguenay) est propriétaire des terrains dédiés au développement industriel de la Zone IP tout en étant promoteur et gestionnaire du terminal maritime de Grande-Anse situé à Saguenay (arrondissement de La Baie)2. L’organisation opère aussi le terminal des croisières internationales au quai de l’arrondissement de La Baie3. Port Saguenay est un organisme fédéral autonome relevant de Transport Canada. Son conseil d’administration est composé de sept personnes, la plupart venant du milieu des affaires de la région, dont deux sont nommés par les gouvernements du Canada et du Québec et un autre par la ville de Saguenay. Pour favoriser l’attraction, l’installation et les opérations des industries, il est nécessaire d’approvisionner la Zone IP en gaz naturel, électricité, eau de procédé et eau potable. Il est essentiel de distinguer ces deux volets soit, d’une part, les interventions relatives à l’approvisionnement de la Zone IP pour répondre aux besoins des industries, et, d’autre part, les projets industriels. Toutes ces interventions génèrent diverses procédures qui se déroulent sensiblement dans une même période. Les projets liés à l’approvisionnement et aux usines sont soumis à divers processus permettant à la fois de vérifier leur conformité aux lois et règlements et de s’assurer, si la loi le prévoit, que les populations concernées soient informées ou consultées sur les impacts. Le tableau suivant résume les interventions et projets visés par le développement de la Zone IP ainsi que les autorités directement concernées par l’information et la consultation citoyennes. Notons qu’il y a deux projets de ligne de transport électricité soit l’une pour approvisionner la Zone IP et l’autre dédiée spécifiquement aux opérations de l’usine de liquéfaction de gaz naturel. Nous n’avons pas la liste des communautés autochtones visées par les projets, mais elles sont incontournables dans les procédures de consultation.

Résumé des interventions et projets liés à la Zone IP

 

Description

Autorités publiques

Volet 1. Approvisionnement gaz, électricité et eau de la Zone IP

   

Alimentation en gaz naturel

Promoteur : Énergir

Conduite de 15 km

Environnement et Lutte contre les changements climatiques du Québec

Ville de Saguenay

Alimentation en électricité

Fournisseur : Hydro-Québec

Ligne de transport d’électricité de 9,1 km

Hydro-Québec (consultation spécifique)

Ville de Saguenay

Alimentation en eau (de procédé et eau potable)

Fournisseur : Ville de Saguenay

Promoteur : Développements Port Saguenay Inc.

Ville de Saguenay a accordé un contrat de services à Développements Port Saguenay Inc.

Ville de Saguenay

Volet 2. Les projets industriels

   

Gazoduc

Promoteur : Gazoduc inc.

Gazoduc de 750 kilomètres pour transporter le gaz naturel de l’Ouest canadien jusqu’à Saguenay dont 235 km traverseraient la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean

Environnement et Lutte contre les changements climatiques du Québec (BAPE)

Office nationale de l’énergie

MRC Domaine-du-Roy

Ville de Saguenay

MRC Lac-Saint-Jean Ouest

MRC du Fjord-du-Saguenay

Usine de liquéfaction en gaz naturel

Promoteur : GNL Québec

**Une ligne de transport d’électricité de 45 km est nécessaire pour alimenter l’usine de liquéfaction

L’usine de liquéfaction

Transport par bateaux

Environnement et Lutte contre les changements climatiques du Québec (BAPE)

Agence canadienne d’évaluation environnementale

Ville de Saguenay

Usine de transformation de concentré de fer en fonte brute et en ferrovanadium

Promoteur : Métaux BlackRock (MBR)

Chemin de fer pour transporter le minerai de la mine de Chibougamau à la Zone IP

Usine de transformation

Transport par bateaux

Environnement et Lutte contre les changements climatiques du Québec (BAPE terminé)

Ville de Saguenay

Usine cryogénique

Promoteur : MBR

Sert exclusivement à l » usine MBR mais non-incluse dans le processus contrairement à une recommandation du BAPE *.

Environnement et Lutte contre les changements climatiques du Québec (BAPE).

Ville de Saguenay

Terminal maritime en rive nord du Saguenay

Promoteurs : Arianne Phosphate et Port Saguenay

Construction du terminal

Transport par bateau

Agence canadienne d’évaluation environnementale du Canada

MRC du Fjord-du-Saguenay

* Puisque l’usine cryogénique assurerait en exclusivité le service de l’usine de MBR, l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de ce projet auraient dû être réalisés de façon concomitante au projet MBR. À cet égard, la procédure devrait être révisée pour s’assurer qu’un tel projet soit évalué de façon simultanée avec le projet le justifiant ». Projet d’usine de transformation de concentré de fer en fonte brute et en ferrovanadium à Ville de Saguenay, BAPE, page xiv.

Le territoire québécois est morcelé par une multiplicité de découpages administratifs et législatifs. Les rôles, responsabilités et compétences des MRC, municipalités et autres organisations publiques s’ajoutent à ceux des gouvernements du Canada et du Québec. Le décompte des organisations qui interviennent dans le développement de la Zone IP est une démonstration probante de cette accumulation. Il faut ajouter à la compilation du tableau tous les ministères fédéraux et provinciaux ainsi que les organismes publics qui produisent des avis (ex. : ministères de l’environnement et des transports des deux paliers, Pêches et Océans Canada, CPTAQ, etc.). À elle seule, la construction du gazoduc touche au Québec 5 MRC dans 3 régions différentes, 16 municipalités locales et 2 territoires non organisés. L’ensemble du tracé impose aussi la consultation de 25 communautés autochtones, dont plusieurs au Québec.

La loi sur l’aménagement et l’urbanisme, quelle place pour les citoyens ?

Le gouvernement du Québec s’est doté à la fin des années 1970 d’une loi encadrant le processus de planification de son territoire. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) instituait un cadre de référence en définissant les rôles de chacun des paliers gouvernementaux impliqués dans le processus, mais également les outils dont ils disposent afin de planifier leur territoire.

La LAU marquait un tournant, car, pour la première fois, elle instituait un modèle de concertation entre les différents paliers, en plus d’associer des responsabilités et des outils de planification propres à chacun de ceux-ci. Au cœur de ce processus figure la MRC, structure créée dans la foulée de l’adoption de la LAU. La MRC est constituée de toutes les municipalités d’un même territoire d’appartenance, dont le conseil est composé des maires de chacune des municipalités constitutives. C’est le conseil de la MRC qui est chargé de se doter d’un schéma d’aménagement et de développement (SAD), outil visant à encadrer la planification du territoire de la MRC et à laquelle devront se soumettre les municipalités locales constitutives. Ce SAD doit par la suite recevoir l’avis de conformité afin de s’assurer qu’il respecte les orientations, lois et politiques gouvernementales.

Une fois l’avis de conformité obtenu, les municipalités locales doivent se doter d’un plan d’urbanisme (PU) respectant les orientations émises par le SAD. Une fois ce certificat obtenu, chaque municipalité locale de la MRC adopte une réglementation municipale lui permettant ainsi de rendre opposable aux citoyens les orientations d’aménagement définies dans le PU. Ce faisant, la LAU s’assure d’une coordination et d’une cohérence entre les trois paliers concernés. L’un des principes sur lesquels se fonde la LAU est celui d’une participation plus active des citoyens à la prise de décision et à la gestion de l’aménagement4. Le citoyen constitue l’un des acteurs de la LAU, sa présence étant assurée par différents mécanismes de consultation et de concertation. Voyons maintenant comment se traduisent les objectifs de cette loi dans le développement de la Zone IP et de la construction du terminal maritime sur le versant nord du Saguenay. Soulignons que les promoteurs consultent volontairement des organismes ou citoyens touchés directement par leur projet. Par exemple, MBR et GNL Québec ont organisé des séances d’information pour répondre aux questions. Notre intérêt se porte sur celles des institutions démocratiques locales et supralocales.

La Zone IP

Les terrains de cette zone font partie d’une unité de planification de l’arrondissement de La Baie (119-P). La dominance de l’unité de planification est résolument industrielle, orientée vers le renforcement de la vocation portuaire et maritime des installations de port Saguenay et le développement d’un parc industriel maritime intermodal. Étant donné que cette vocation est déjà présente et que les usages permis à la réglementation municipale s’inscrivent dans cette orientation, rien de force Saguenay à tenir des séances d’information auprès des citoyens pour aller de l’avant avec le projet, les mécanismes d’information et de consultation étant réservés lors de changement dans les outils de planification et réglementaire. De son côté, Port Saguenay n’a aucune obligation légale en ce sens. De fait, les citoyens peuvent se prononcer uniquement par l’entremise du cadre prévu par les organisations publiques comme l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACÉE) ou le BAPE. Il n’est plus possible de débattre des grandes orientations stratégiques de développement de la Zone IP.

La ville de Saguenay a respecté le cadre réglementaire en adoptant les résolutions obligatoires pour le développement de cette zone : conformité au schéma d’aménagement de la ligne électrique ou appui de la demande d’Énergir et d’Hydro-Québec à la CPTAQ pour le passage sur des terres agricoles par exemple. La ville de Saguenay a adopté un règlement pour « créer un programme de crédit de taxes à l’investissement en soutien à son développement économique » favorisant le développement de la Zone IP5. Le 3 décembre 2018, le conseil a en outre adopté un règlement pour soutenir l’entrepreneuriat dans la Zone IP par l’entremise d’une aide financière de 150 000 $ à Développements Port Saguenay Inc., une filiale de Port Saguenay6. Le même soir, la ville de Saguenay accordait à ce même organisme le mandat de réaliser les infrastructures nécessaires pour desservir la Zone IP, soit l’approvisionnement en eau potable, eau de procédé, collecte des eaux usées et ouvrages de voirie7. Investissement Québec injecte 30 millions de dollars pour réaliser ce mandat. Aucun article de cette résolution ne prévoit ou ne fait mention de la nécessité d’informer ou de consulter la population. Pourtant, la quantité d’eau de procédé nécessaire aux opérations de l’usine de MBR est majeure : 800 m3 en continu, 24 heures par jour, 365 jours par année, pendant au moins 25 ans. À ce jour, nous n’avons pas d’information précise sur le lieu de prélèvement de la ressource.

La participation de la population : symbolique ou réelle ?

Le concept de participation citoyenne embrasse divers mécanismes qui n’ont pas tous la même valeur. L’échelle de participation de Sherry Arnstein8, encore pertinente aujourd’hui, porte notre attention sur le pouvoir réel des citoyens en considérant que tous les outils ne se valent pas entre eux. Jusqu’à quel point la participation citoyenne influence-t-elle les résultats ou les décisions ? Par exemple, une simple séance d’information est symbolique, car sans effet sur les résultats. Déposer un mémoire aux audiences du BAPE se situe à un niveau plus élevé de l’échelle, car la commission considère les points de vue des citoyens dans l’analyse et le rapport d’enquête. Toutefois, le BAPE n’est pas décisionnel. Le référendum citoyen sur un règlement d’urbanisme constitue un pouvoir réel susceptible de remettre en cause une décision des autorités municipales, mais comme il n’y a pas eu de changement à des dispositions de la réglementation susceptibles d’approbation référendaire, cette possibilité n’était pas envisageable. Dans les cas de la Zone IP et du terminal sur la rive nord, les citoyens ont eu la possibilité de s’exprimer par l’entremise de divers mécanismes liés surtout aux consultations volontaires des promoteurs ou à celles prévues par la loi (BAPE, ACÉE). Les villes et les MRC étant des instances démocratiques de proximité, elles ont un rôle en ce qui concerne la participation citoyenne. Qu’en est-il de la ville de Saguenay et de la MRC du Fjord-du-Saguenay dans le cheminement des grands projets ?

Approvisionnement de la Zone IP et projets industriels

L’unique activité d’information organisée par la ville de Saguenay a eu lieu en février 2018 lorsque l’approvisionnement en eau de procédé et potable pour l’usine MBR s’est retrouvé dans les médias. Un des scénarios visait l’utilisation de l’eau de la nappe phréatique de Laterrière. Face à la mobilisation citoyenne, une séance d’information, ciblant spécifiquement la population de l’arrondissement de Laterrière, a été organisée pour répondre à l’inquiétude des citoyens. L’option de la nappe phréatique n’a pas été retenue. On peut donc supposer que, dans ce cas-ci, les citoyens ont exercé un certain contrôle en se mobilisant contre le projet. Selon notre compréhension, l’enjeu de l’approvisionnement en eau est désormais entre les mains de Développements Port Saguenay Inc. qui n’a aucune obligation envers la population. Pour le reste des projets, les séances mensuelles du conseil municipal, où le niveau de participation est symbolique et sans contrôle sur les décisions, sont encore le seul endroit pour poser des questions.

Le terminal maritime sur le versant nord du Saguenay

Les terrains devant accueillir le terminal maritime sur le versant nord du Saguenay se situent dans la municipalité de Sainte-Rose-du-Nord. Arianne Phosphate Inc., promoteur du projet de mine du Lac à Paul, a déjà acheté plusieurs terrains pour accueillir le nouveau terminal ainsi que les autres équipements et infrastructures (chemin, réservoirs, etc.). Puisque le territoire visé pour la construction a une vocation de conservation, il est nécessaire de modifier le schéma d’aménagement. La MRC du Fjord-du-Saguenay a donc lancé le processus légal, prévu dans la LAU, comprenant une séance de consultation (30 janvier 2019) qui a mené à l’adoption du règlement modifiant le schéma d’aménagement pour la création d’une zone industrialo-portuaire par Port Saguenay (12 février 2019). Lorsque le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation aura accepté le règlement, chaque municipalité concernée par le changement devra procéder à des consultations pour modifier son plan d’urbanisme. C’est à l’étape du changement à la réglementation que les citoyens pourront exiger un référendum étant donné l’ajout d’usages dans la zone qui n’étaient pas permis auparavant. Toutefois, le cas échéant, ce sont uniquement les habitants de Sainte-Rose-du-Nord, et plus spécifiquement des zones contiguës aux changements réglementaires, qui pourront voter alors que les impacts concernent une population beaucoup plus large. De fait, la très grande majorité des personnes qui s’opposent au terminal maritime sur le versant nord du Saguenay, notamment par l’entremise des différents collectifs citoyens, sera en grande partie exclue de cette procédure.

Le déroulement de la réunion de consultation du 30 janvier 2019, portant sur le changement d’affectation du site où est projeté le projet par la MRC, est intéressant. Les citoyens présents ont été surpris d’apprendre de la bouche de l’avocat de la MRC du Fjord-du-Saguenay que les élus n’avaient pas le pouvoir de dire non au changement d’affectation. Le projet de port maritime relève du gouvernement fédéral et ce dernier a préséance9, ce que nous confirment les documents transmis par la MRC du Fjord-du-Saguenay. Les opposants au projet ont quand même fait parvenir des suggestions à la MRC tout en contestant son pouvoir réel : « Pourquoi tenir une consultation si la MRC ne peut que donner son aval ? À quel moment du processus la MRC aurait-elle pu refuser un projet sur son territoire 10? » Ces questions nous ramènent au rôle des institutions démocratiques locales dans le développement du territoire. Jusqu’à présent, les mécanismes relèvent davantage d’information que d’une participation active aux décisions.

Le rôle politique des institutions

Des États généraux de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme se sont tenus à Québec en octobre 2016. Le ministère des Affaires municipales et des Régions s’en est inspiré pour rédiger un diagnostic de l’application de la LAU11. Le premier principe énoncé est le suivant : l’aménagement est d’abord une responsabilité politique. Ce principe établit que l’aménagement n’est pas « le fruit de gestes au hasard ou la succession d’événements aléatoires, mais bien la recherche d’une organisation de l’espace orientée par des élus et qui engage l’ensemble de la société » et que « l’adoption de ce projet collectif est un geste fondamentalement politique parce qu’il appartient d’abord aux élus, représentant leurs citoyens, de marquer leur volonté et, par la suite, d’effectuer des choix et de prendre toutes les décisions qui s’imposeront relativement à toute intervention ayant une incidence sur l’aménagement d’un territoire donné12. » Les municipalités et MRC ont toute la latitude pour dépasser les cadres réglementaires si elles souhaitent informer, consulter voire même favoriser une délibération sur des orientations de développement aussi fondamentales que celles des projets industriels. Au même titre que les promoteurs des projets, une ville ou une MRC peut, sur une base volontaire, mettre en place ces types de procédures. Aucune ne l’a fait dans le cas présent. Mais le veulent-elles vraiment ? Peut-on appuyer des projets et agir en même temps pour que la population comprenne les enjeux, les impacts et risques associés aux décisions ? Que la population délibère pour orienter les décisions publiques ?

L’approche des autorités locales, qui appuie les projets, est conforme à la vision gouvernement du Québec. Que ce soit sous Philippe Couillard ou François Legault, le gouvernement du Québec est en faveur des projets et a accordé des subventions pour favoriser leur réalisation. Le 21 août 2018, en pleine campagne électorale, Philippe Couillard annonçait une contribution financière de 248 millions de dollars pour soutenir le projet de MBR alors que le BAPE n’avait pas encore déposé son rapport d’enquête. Le 7 mai 2019, le gouvernement a annoncé une aide financière de 1,5 million de dollars pour le projet de mine de phosphate au Lac à Paul. Lors des audiences du BAPE sur le projet de MBR, le mémoire de la MRC du Fjord-du-Saguenay appuie les grands projets tout comme celui de Promotion Saguenay, organisme de développement lié aux orientations de la ville de Saguenay. En mars 2019, Saint-Honoré, Bégin et Saint-David-de-Falardeau, trois municipalités de la MRC du Fjord-du-Saguenay, ont adopté une résolution pour appuyer les grands projets régionaux. Le 6 mai 2019, lors du dépôt d « une pétition de 10 000 signatures en faveur des grands projets, la mairesse de Saguenay a réitéré son appui et sa volonté de contribuer à leur réalisation.

Conclusion

Les débats sur les projets industriels à Saguenay ne sont pas terminés. Toutefois, il semble bien que les municipalités et les MRC aient choisi une application stricte et minimale des procédures prévues dans la LAU. Pourtant, les enjeux locaux, qui ont notamment des impacts directs sur la population, sont nombreux : milieux naturels, faune et flore terrestres, risques naturels et technologiques, paysage, transport, sécurité et santé de la population, terres agricoles et, évidemment, les emplois. À ce jour, ce sont les retombées économiques qui dominent les discours politiques. Plusieurs rétorqueront que la population est d’accord avec ces projets. Mais quel est le niveau de connaissance réel de la population sur les impacts de ces projets si les élus n’abordent que les enjeux économiques ? Sur quelles informations ce consentement collectif est il basé ? Le cas de la Zone IP pose une question démocratique fondamentale. Port Saguenay et ses deux filiales, Développements Port Saguenay inc. et Investissements Port Saguenay inc., ne sont pas redevables devant la population, ni même le gouvernement du Québec, alors qu’elles sont au cœur des décisions concernant les projets traités dans ce texte. Les effets cumulatifs du transport maritime sur le fjord, que ce soit le niveau de pollution, la protection du béluga et des autres espèces marines ou encore les effets sur les activités touristiques, convergent vers les activités de Port Saguenay.

Force est de constater que, même si la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme prend en considération les différentes échelles territoriales, il y a un grand vide pour les enjeux supralocaux. Comment s’assurer d’une participation citoyenne pour des enjeux comme les gaz à effet de serre, la biodiversité du fjord du Saguenay ou le trafic maritime quand les impacts sont locaux ? Nous sommes face à la difficile sinon impossible adéquation entre des besoins strictement locaux, comme l’emploi, et des enjeux qui interpellent plus largement le Québec. Le projet de gazoduc et de l’usine de liquéfaction est un autre exemple qui illustre la limite importante des outils d’information et de communication et du rôle politique des institutions. Malgré les demandes de plusieurs citoyens et groupes, ce vaste projet est aujourd’hui scindé en plusieurs projets où se côtoient enjeux locaux, supralocaux, québécois et mondiaux. Ces derniers s’imposent à tous les paliers gouvernementaux : changements climatiques, transition énergétique et protection de la biodiversité. On peut s’inquiéter devant ce qui s’apparente à une obsolescence des règles actuelles. Si l’aménagement et l’urbanisme sont une responsabilité politique et que les règles de participation des citoyens jouent un rôle fondamental, comment interpréter cette convergence du discours politique des élus locaux vers les intérêts des promoteurs privés ? La Loi 122, visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, permet aux municipalités locales de se doter d’une politique de participation publique contenant des mesures complémentaires à celles édictées par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (chapitre 11.2). Le cas de Saguenay nous invite à la prudence et au scepticisme face aux effets de cette nouvelle loi. La volonté d’informer et d’impliquer les citoyens dans les décisions collectives risque de ne pas être suffisante.

 

 

1 Cette infrastructure maritime est liée au projet d’exploitation de la mine du Lac à Paul de la minière Arianne Phosphate. Bien que Port Saguenay ait publiquement affirmé qu’elle dépend de la mine (« pas de mine pas de port », tel que spécifié par Carl Laberge, directeur de Port Saguenay), le rapport annuel 2017 de l’organisation indique qu’il s’agit d’un port multiusager qui servirait à d’autres projets liés à la stratégie du Plan Nord. Le terminal et la mine ne sont pas situés dans la Zone IP, mais le transport par bateau fait partie des enjeux environnementaux soulevés par l’ensemble des projets relativement aux effets cumulatifs du transport maritime.

2 Les dernières données du registre foncier indiquent que les terrains où sont localisées les infrastructures du terminal maritime Grande-Anse sont la propriété du gouvernement du Québec et qu’Administration portuaire du Saguenay a un bail de location.

3 Les bateaux de croisières ne sont pas liés directement aux projets industriels. Comme le terminal maritime en rive nord du Saguenay, ils font partie des préoccupations environnementales liées au transport maritime. 59 bateaux de croisière sont attendus en 2019 et Promotion Saguenay a annoncé l’ajout de croisières hivernales d’ici 2022.

4 Les principes sont tirés de l’ouvrage : Secrétariat à l’aménagement et à la décentralisation, ministère du Conseil exécutif. « L’aménagement et l’urbanisme », La décentralisation : une perspective communautaire nouvelle, Fascicule 3, 1978.

5 Résolution VS-R-2018-104

6 Résolution VS-CM-2018-570

7 Résolution VS-CM-2018-569. Notons que cette transaction directe entre une ville et un organisme fédéral étant interdite, Saguenay a eu besoin de l » autorisation du conseil exécutif du gouvernement du Québec.

8 Arnstein, Sherry R. “A Ladder of Citizen Participation”, JAIP, Vol. 35, No. 4, July 1969, pp. 216–224

9 Journal Le Quotidien, 31 janvier 2019, « Arianne Phosphate. La MRC ne peut dire non », p.8.

10 Ibid.

11 Affaires municipales et Régions, Fiche de veille, La réforme du cadre de planification instauré par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, diagnostic de l’application de la loi, avril 2007.

12 Ibid.

* Isabel Brochu, M.A. en études régionales, consultante en développement territorial et professionnelle de recherche à l’UQAC et Jean-Guillaume Simard, PH. D. en développement régional et enseignant au département des techniques d’aménagement et d’urbanisme du Cégep de Jonquière.