Notre drapeau culinaire

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 par Michel Lambert
Extrait de L’érable et la perdrix publié aux éditions Cardinal (2021)

Le drapeau québécois, d’origine française, est bleu et blanc, des couleurs associées à l’eau de la mer, de nos lacs et de nos rivières, et à la neige de notre nordicité.

Les Autochtones se servaient des rivières bleues comme de chemins pour aller chercher à manger et rencontrer les autres. Leur survie personnelle et collective en dépendait. Les lieux de rencontre où l’on partageait des repas, des projets de mariage et des informations étaient toujours situés au confluent de ces rivières. Le croisement des lignes du drapeau québécois évoque cette rencontre des chemins.

Sur le plan symbolique, ces lignes-chemins qui se croisent en plein centre du drapeau, reliant le nord au sud et l’est à l’ouest, sont aussi l’illustration du village québécois. L’église du village se trouve souvent au point de rencontre des routes locales ; on trouve, tricotés et emmaillotés tout autour, la boulangerie, le magasin général, la fromagerie ou la laiterie, l’école, le bureau de poste et la caisse populaire. Le village, dans sa rondeur approximative autour du croisement des routes, illustre aussi le caractère permanent du peuplement, celui qui ne change pas, qui est fidèle. Cette rondeur est aussi reliée au monde féminin, à l’œuf, à la protection, à la tradition, à la transmission, à l’éducation. Les chemins, de leur côté, sortent du cadre villageois pour aller vers l’extérieur, rôle que les hommes ont joué dans notre histoire. Ceux-ci sortaient du village natal pour aller à l’aventure et faire la traite des fourrures ou la coupe du bois, construire des routes, fouiller des mines, bâtir des barrages, découvrir d’autres cultures, d’autres pays, d’autres filles, pour enrichir sans le savoir le patrimoine financier, culturel et génétique du village et de la nation.

L’eau est aussi associée aux grands événements de la nature et de la vie québécoise. Elle marque les saisons et les fêtes. L’eau de baptême ou l’eau bénite des fêtes catholiques, l’eau de Pâques, l’eau-de-vie du jour de l’An, avec son pouvoir grisant. Chaude, elle a un pouvoir apaisant. Froide, elle rafraîchit. Sucrée et pétillante, elle stimule et fait plaisir.

L’eau, enfin, est utilisée pour cuire les aliments, pour les rendre plus doux et plus faciles à avaler ; le potage, la crème et le velouté sont les expressions les plus raffinées de ce désir de faciliter l’ingestion des aliments. Le bouillon et le lait sont les boissons nourricières qu’on donne aux plus faibles de notre communauté, comme les bébés, les petits enfants, les malades et les vieillards.

Le bouillon de poulet, par exemple, est devenu le symbole même du réconfort qui aide quelqu’un de malade à se relever. Nos mères l’appelaient d’ailleurs le bouillon de relevailles.

Notre cuisine a culturellement privilégié les plats cuits avec de l’eau ou du lait. L’eau nous branche à l’essence même de notre planète bleue. Le lait, de son côté, nous rappelle la blancheur de la neige, les produits laitiers chers à nos origines normandes, les lys blancs de notre drapeau, le blanc des vêtements reliés aux rituels catholiques, le pain blanc du dimanche et la nappe blanche de nos grands repas de Pâques et du jour de l’An…

L’envers, en quelque sorte, du sale quotidien.

Le feu est aussi un élément majeur de notre culture. Il est associé à la chaleur et à la lumière.

Il est à la base de la cuisson. Le centre même de la maison, et permets aux habitants de survivre au froid et à l’environnement menaçant. L’humain l’a lié à la transformation de la matière en apprenant à maîtriser son intensité pour la cuisson, mais aussi pour la fabrication d’outils de survie issus de la matière, en particulier la glaise, le fer, le cuivre et l’étain, avec lesquels on a fait notre vaisselle et nos instruments de cuisson.

Sur le plan culinaire, en plus d’être associé à l’eau qui cuit doucement les aliments, le feu est utilisé pour poêler, sauter, frire, griller ou rôtir avec une chaleur plus vive et plus forte. Nos peuples fondateurs ont utilisé les deux modes de cuisson, selon le temps dont ils disposaient pour manger. Les cuissons longues se sont souvent faites avec de l’eau, et les cuissons courtes avec un corps gras qui augmente rapidement la chaleur. Historiquement, les Anglo-Saxons ont privilégié les cuissons rapides avec des mets comme le steak, le rosbif, les viandes grillées sur le barbecue, les hot dogs ou les hamburgers. Ils accordaient moins de temps au geste de cuisiner que les Français. Leur influence a eu des conséquences importantes sur l’évolution des mœurs culinaires de tous les peuples. Ce n’est pas pour rien que le retour au slow food est né dans un pays latin. l’Italie, où l’on met plus de temps à cuisiner les aliments.

Les modes de cuisson ont beaucoup évolué au fil du temps québécois ; la chaleur s’est transmise par la flamme. Les braises, la cendre, le sable brûlant, les galets chauds qui font bouillir l’eau, la glaise des poteries, le métal des casseroles et des poêles, les fours de fer ou de terre cuite, et, aujourd’hui, par l’électricité, le magnétisme et les micro-ondes. De ces types de cuisson sont nés plusieurs plats, apportés au Québec par les peuples fondateurs et par les échanges internationaux des XXe et XXIe siècles.

D’une certaine façon, l’air, une autre composante de notre culture culinaire, est illustré par la croix blanche de notre drapeau, qui indique les quatre points cardinaux et la direction des vents selon les saisons. Il permet, depuis des millénaires, de sécher des viandes, des poissons, des fruits, des noix et des grains de toutes sortes. Chaque peuple de notre territoire a fait sécher ses aliments préférés. Le fameux pemmican, qui porte un nom différent dans chaque nation, illustre parfaitement cette catégorie de plat. L’association de l’air et du feu produit un autre élément. La fumée, qui a aussi joué un rôle capital dans l’histoire de notre cuisine nationale. Encore là, chaque ethnie avait ses aliments fumés préférés, qui dépendaient la plupart du temps de son environnement immédiat. Cet environnement avait une influence sur le type de bois et d’installation à la portée des personnes pour fumer les aliments. Les Iroquoiens du Saint-Laurent canotaient des centaines de kilomètres, en famille, pour aller chercher du bon poisson gras à fumer, comme du maquereau, du hareng ou du saumon.

L’air et la fumée ne sont pas les seuls à nous donner un moyen traditionnel de conserver nos aliments territoriaux. Il faut ajouter l’air très froid, qui congèle les aliments et les conserve sans problème, spécialement si on sait les envelopper, comme le faisaient nos ancêtres, de substances protectrices comme la neige, les branches de conifères, le bran de scie ou les grains d’avoine.

Les Inuits aimaient beaucoup les viandes et les poissons crus ou à demi gelés. Ils enveloppaient aussi leurs aliments frais de mousse verte, puis les déposaient pendant quelques mois sous des tas de grosses pierres pour les rendre inaccessibles aux animaux sauvages et à leurs chiens.

Ces aliments faisandaient au contact de l’air ambiant et des bactéries léguées par les mousses.

La terre est le dernier élément identitaire de notre territoire et de notre culture culinaire. Elle a produit, avec le soleil, le vent et l’eau, des aliments qui ont nourri nos ancêtres, les ont abrités et les ont protégés des aléas de notre climat nordique. Aride et rocailleuse sur un pergélisol millénaire, la terre de la toundra supporte quelques arbustes nains ou prostrés, de même qu’une généreuse population de mousses et de lichens qui nourrissent les caribous, les lagopèdes et les quelques bœufs musqués du Nunavik contemporain, le pays des Inuits. Noire, humide et acide, elle nourrit la forêt boréale et la taïga aux milliers de lacs qui, à leur tour, accueillent l’orignal, le castor, l’ours noir, la truite mouchetée et plusieurs nations de langue algonquienne. Glaiseuse ou sablonneuse, riche en nutriments, la terre de la plaine du Saint-Laurent, de chaque côté du grand fleuve, a nourri les cerfs, les wapitis et le petit gibier de même que les premiers agriculteurs iroquoiens, français et britanniques de notre territoire. Ceux-ci y ont construit les premières fermes nourricières avec leurs champs de blé, de pois, de sarrasin et de pommes de terre. Chaque type de terre a ses noix, ses fruits, ses plantes, ses poissons et son gibier préférés.

La croix de notre drapeau est historiquement liée à la religion catholique de nos ancêtres français. Elle fait bien sûr allusion à la crucifixion de Jésus, mais elle est aussi le symbole culturel de la religion de la majorité française du Québec.

Et du mot religion découle le mot relier. La croix est la rencontre de deux axes différents, liés au moins dans un lieu commun. Elle peut désormais illustrer, en plus de la rencontre du ciel et de la terre, la rencontre des familles venues de tous les horizons avec le territoire québécois qu’elles ont choisi pour y vivre. Le centre de la croix incarne l’interculturalisme, le mariage des différences, le mélange des cultures, le nouveau village québécois. Notre drapeau est mariage, métissage, rencontre heureuse entourée de fleurs, et il illustre le mariage culturel des peuples de ce pays entre eux, et avec le Québec, territoire aimé et choisi. u

* Auteur notamment de L’histoire de la cuisine familiale au Québec en cinq tomes (2006-2013, Éditions GID).

 Extrait de L’érable et la perdrix publié aux éditions Cardinal (2021)

Le drapeau québécois, d’origine française, est bleu et blanc, des couleurs associées à l’eau de la mer, de nos lacs et de nos rivières, et à la neige de notre nordicité.

Les Autochtones se servaient des rivières bleues comme de chemins pour aller chercher à manger et rencontrer les autres. Leur survie personnelle et collective en dépendait. Les lieux de rencontre où l’on partageait des repas, des projets de mariage et des informations étaient toujours situés au confluent de ces rivières. Le croisement des lignes du drapeau québécois évoque cette rencontre des chemins.

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