Notre maître, Lionel Groulx !

Enfin, une biographie de Lionel Groulx ! L’historien Charles-Philippe Courtois lui a consacré cinq ans de sa vie. Il a donc eu tout le temps voulu pour méditer, pour confirmer ou infirmer telle ou telle hypothèse, pour choisir tel angle plutôt que tel autre, enfin, plus important encore, ces cinq années lui ont permis de polir son style. Ainsi, c’est beaucoup plus qu’une biographie. C’est une chevauchée passionnante dans le XXe siècle canadien-français, chevauchée dont Lionel Groulx est le héros. Doté d’une formidable vitalité, ce dernier nous a laissé une œuvre incomparable. Quel homme peut en effet se vanter d’avoir à son actif la publication d’une centaine d’ouvrages diffusés à des milliers d’exemplaires, la fondation d’un département universitaire, de revues scientifiques, d’organisations patriotiques et religieuses, sans oublier l’ébauche de nouvelles perspectives historiques ?

Régulièrement, le professeur se muait en tribun, prononçant un nombre incalculable de conférences sur tous les sujets : histoire, patriotisme, politique, religion. Comme si cela n’était pas suffisant, de nombreux esprits, petits et grands, ont jaugé Groulx et son œuvre. En ce qui le concerne, ce n’est donc pas la rareté des sources qui pose problème, mais leur abondance. Il y en a suffisamment pour rendre fou l’historien moindrement brouillon. Courtois, comme tous ses confrères, a donc dû se plier à cette loi d’airain : faire des choix. Car, bien qu’elle compte 575 pages, il reste que cette biographie est une synthèse. Distinguer l’essentiel de l’accessoire, voilà le véritable travail de l’historien de métier. Pour entreprendre et mener à bien une telle corvée, il doit aussi être, à la fois, humble et insolent ; humble devant l’immensité de la tâche, insolent de s’y attaquer. Quand bien même cette biographie serait décevante, ce qui n’est pas le cas, il me faudrait rendre hommage à Charles-Philippe Courtois de l’avoir achevée.

D’abord, un mot sur le style de Courtois ; sa phrase est courte, son vocabulaire est précis. Notre auteur privilégie le style sobre, clair, épuré. Il va droit au but, sans fioritures inutiles. « Il n’y a pas un mot de trop » lui aurait dit Guy Frégault. Plus encore, il évite le détestable jargon à la mode dans les universités. Quoique tendu comme une corde à linge, le récit glisse en notre esprit comme le patineur artistique sur la glace : avec grâce et élégance. En dépit de la vie mouvementée de son sujet, la lecture de cette biographie s’apparente plus à l’écoulement paisible du ruisseau qu’au jaillissement impétueux du rapide. Courtois laisse à d’autres les aphorismes fracassants. Il ne cherche pas à nous étourdir, mais à nous présenter la vie d’un homme d’exception. Courtois, un historien de métier, sait qu’il n’y a rien à ajouter. Il possède la qualité des bons historiens, je dirais même des bons écrivains : son style est adapté à son sujet et l’auteur s’efface devant son personnage. En guise d’exemple, lisons ceci :

Le « GRAND COLLÈGE », Lionel Groulx avait longtemps désiré y aller. Et pourtant, ses débuts là-bas seront très difficiles. Il faut s’adapter à un milieu dominé par les étudiants plus vieux, à leurs jeux et à leurs règles souvent rudes, à la discipline des prêtres en même temps qu’aux études collégiales. La vie au pensionnat lui est intolérable. Il n’y a aucun congé avant l’été, pas même pour le temps des fêtes : rien donc pour le consoler de la séparation d’avec le foyer familial, aussi longue qu’abrupte (p. 37).

Ce souci de clarté a un autre effet heureux : Courtois nomme les choses. Sous sa plume, un historien n’est pas seulement un « historien », une revue n’est pas seulement une « revue », un prêtre n’est pas seulement un « prêtre ». Histoire de bien cerner les idées, voire les intérêts des acteurs dans les débats qui faisaient rage à l’époque de Groulx, Courtois n’hésite pas à les désigner. Si un éditorialiste est de gauche, Courtois écrit qu’il est « de gauche » ; si un homme politique est nationaliste, Courtois écrira qu’il est un « nationaliste ». Par exemple, l’historien Thomas Chapais n’est pas qu’un historien, il appartenait à l’« école de Québec, une école de pensée à tendance loyaliste » (p. 189). Lisons ce qu’il écrit à propos d’Adrien Arcand : « Arcand associe hitlérisme, impérialisme britannique et nationalisme canadien » (p. 314). Le père George-Henri Lévesque, si présent dans les débats à cette époque, pensait pour sa part que « les organisations d’action catholique ne devraient plus s’occuper de la défense du français ou de la nation » (p. 329). Il favorisait aussi les stratégies de centralisation du gouvernement fédéral : « Le père Lévesque notamment s’est commis en acceptant de participer à la commission Massey » (p. 516) dont les travaux portaient sur la capacité d’Ottawa de subventionner les universités et les arts, allant ainsi à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la constitution. Enfin, plusieurs nationalistes se méfiaient de la revue Cité Libre parce que sa direction était formée d’« apôtres de la centralisation et du socialisme » (p. 516).

J’insiste sur le fait que Courtois ne s’est pas astreint à cet exercice dans le but de jeter le discrédit sur des individus ou des idées, mais plutôt pour éclairer le lecteur. Plus encore, Courtois lui-même montre l’exemple, en ce sens qu’il ne cache pas au lecteur sa propre conception de la société canadienne-française et québécoise. Cela dit, je ne peux que déplorer le fait qu’il est fort discret au sujet des idées de Lionel Groulx. Le portrait qu’il dresse confirme son nationalisme et sa fidélité au catholicisme. Mais quelles autres idées chérissait-il ? Sur ce plan, Courtois est moins disert. Par exemple, dans ses remarques au sujet du livre Chemins de l’avenir, il aurait pu noter que cet ouvrage est l’un des rares plaidoyers conservateurs de notre histoire.

Charles-Philipe Courtois a fait d’autres choix judicieux, dont celui de diviser sa biographie en de courts chapitres : 36 pour un ouvrage de 575 pages. Cette décision permet d’alléger un récit qui autrement aurait pu être beaucoup trop dense, surtout que l’historien s’appuie, comme il se doit, sur de très nombreuses références. Dans cette biographie, comme dans les bons romans, les personnages, les idées, les lieux et les événements foisonnent, d’où la bonne idée de proposer un index. Étonnamment, Courtois ne propose pas de bibliographie. Plus encore, j’aurais apprécié qu’il prenne quelques jours de plus pour faire un tableau chronologique des œuvres de Groulx. Ses ouvrages sont à ce point nombreux que, par moment, on s’y perd un peu. J’ajoute que j’ai été surpris par l’absence de conclusion. Après une lecture d’une vie si riche en rebondissements, on a l’étrange impression de tomber abruptement dans le vide. J’ai parlé du style de Courtois. Même s’il est historien et non critique littéraire, j’aurais aussi aimé qu’il nous propose une analyse, même succincte, du style de Groulx dont la puissance d’évocation est unique dans notre histoire littéraire. Cette analyse aurait été intéressante d’autant plus que, plus je le lis, plus il m’apparaît évident qu’avant d’être un prêtre, un historien ou un intellectuel engagé, Lionel Groulx était un écrivain. Je cite ces quelques phrases qui sont parmi les plus révélatrices de cette biographie :

Son année de classe de Versification n’a pas seulement marqué le début d’un nouveau régime de lecture : Lionel se donne aussi un programme d’écriture à partir de ce moment. Il nourrit désormais l’ambition de devenir écrivain. Il apprend par cœur L’Énéide de Virgile et Athalie de Racine, pièce qu’il retranscrit plusieurs fois ; il pastiche Veuillot et Les Caractères de La Bruyère. À travers tous ces exercices, il se dote d’une discipline intellectuelle et travaille son style (p. 47).

Homme de sa génération, « La France occupe une place cardinale dans ses affinités intellectuelles ». Ce que Groulx confirme lui-même : « Tout homme a deux pays, le sien, et puis la France » (p. 47). Toute l’importance qu’il accorde à l’écriture et au style se résume dans cette toute petite phrase.

L’un des objectifs de Courtois est de démontrer, comme il l’indique dans son avant-propos, que « Lionel Groulx a joué un rôle exceptionnel pour un penseur dans notre histoire collective » (p. 13). J’invite ceux qui en doutent à lire ceci : « Le texte Pourquoi nous sommes divisés sera publié dans une brochure éditée par la Ligue [d’action nationale] avec un tirage époustouflant de cent cinquante mille exemplaires » (p. 454). Cette brochure a été publiée en 1943, soit en pleine « Grande Noirceur ».

Comme si ces succès d’édition n’étaient pas suffisants, Courtois confirme cette notoriété. En 1925, Groulx a l’idée d’organiser un congrès sur l’histoire du Canada : « L’événement, écrit Courtois, connaît un succès retentissant, attirant environ huit mille participants, y compris du grand public, au fil des cinq journées » (p. 250). En 1964, soit trois ans avant sa mort, Groulx lance Chemins de l’avenir et « L’ouvrage va susciter la polémique – tellement qu’il connaîtra plusieurs tirages, dépassant les dix mille exemplaires vendus » (p. 552). Plus de cinquante ans après la Révolution tranquille, quel historien, quel intellectuel serait assez fou pour espérer atteindre à un tel pinacle ? Comme quoi les Canadiens français savaient reconnaître le génie quand ils en voyaient. Bref, tel un roi Midas, Groulx transformait en or tout ce qu’il touchait. On peine à s’imaginer aujourd’hui comment un simple historien pouvait être aussi influent que Groulx l’a été. En compagnie des deux Maurice, Maurice Richard et Maurice Duplessis, Lionel Groulx a été l’homme le plus populaire du Québec et, plus largement, du Canada français.

Cette biographie n’est pas un conte de fée. Malgré son influence, malgré sa renommée, Groulx a subi d’impitoyables contestations, ce phénomène s’accentuant après la Deuxième Guerre mondiale, moment pendant lequel « un climat général de contestation se propage qui éloignera Groulx, pour la première fois, de la jeunesse » (p. 497). L’une des raisons de cet éloignement, et qui n’est pas sans inquiéter Groulx, est que cette jeunesse « perd la foi quand elle approche l’âge adulte. L’adoption du nouvel American Way of Life l’éloigne sourdement des valeurs traditionnelles canadiennes-françaises » (p. 503). Comme le souligne fort bien Courtois, Groulx, oracle pour les uns, barbon pour les autres, symbolisait cet écartèlement.

Selon le biographe, ces contestations provenaient même de son propre camp. À ce sujet, les chapitres 34 et 35 de cette biographie, respectivement intitulés « Graine de révolte » et « Ruptures », sont éloquents. Au chapitre 34, Courtois écrit que « La pépinière JÉC [Jeunesse étudiante catholique] a multiplié les leaders indifférents ou hostiles au nationalisme, qui prennent maintenant de plus en plus de place, tel Claude Ryan, secrétaire national de la section française de l’Action catholique canadienne » (p. 506). Lisons ensuite la première phrase du chapitre 35 : « Aux attaques du champ gauche qui se multiplient au cours des années 1950, s’ajoutent bientôt les déchirements au sein de la famille groulxiste » (p. 515). D’intenses divisions ont en effet jailli entre Groulx et ses successeurs à l’Université de Montréal – ceux qui adhéraient à ce qu’on allait appeler « l’école de Montréal » – à propos de la conception du passé canadien-français : « Pour l’école de Montréal, écrit Courtois, la Conquête a été une catastrophe fatale, qui a détruit le Canada, français s’entend, sans qu’il puisse s’en remettre. » Groulx réfute cette thèse en arguant que « pareil pessimisme devient du défaitisme » (p. 528). Sur le fond des choses, « la survivance de la culture canadienne-française, source de fierté pour Groulx, est presque une tare pour certains parmi la jeune génération, étant donné l’état de médiocrité et de subordination des Canadiens français au Canada. » Et Courtois résume la tragédie qui frappera les nationalistes : « À cet égard, l’École de Montréal partage un certain dégoût avec les cité-libristes, malgré tout ce qui les oppose : il y a là une sensibilité commune à une génération très insatisfaite de la condition québécoise » (p. 529). De sa plume acérée, Courtois confirme que la vocation de « maître » n’était pas de tout repos…

Groulx n’a pas seulement été contesté, il a aussi été plongé dans d’innombrables disputes, telle la nomination de Mgr Charbonneau à titre d’archevêque de Montréal en 1940 puis de sa déposition dix ans plus tard. Dans cette saga, Courtois confirme son érudition et son doigté. Dans le 29e chapitre, nommé fort justement « Un cheval de Troie à l’archevêché ? », Courtois nous apprend que, pour plusieurs, dont Groulx, cette nomination confirmait « la préférence de Rome pour l’usage de l’anglais comme langue dominante au sein de l’Église catholique à travers toute l’Amérique du Nord » (p. 417). Groulx dira à ce sujet que « Rome préfère les “conciliants” aux nationalistes » (p. 418). « On craint d’assister, ajoute Courtois, à une forme de dénationalisation de cet archidiocèse névralgique » (p. 419). Cette nomination signifiait que le Saint-Siège jugeait que l’archevêché devait donner une plus grande place à l’anglais, ce qui rompait « avec l’héritage de Mgr Bourget, défenseur de la foi, mais aussi de l’identité nationale » (p. 421). À la défense de Rome, Groulx est d’avis que « cette situation reflète les lacunes de la diplomatie du clergé canadien-français » (p. 283). En 1950, alors « que les affaires internes de son diocèse sont un fouillis, et que ses rapports avec son clergé sont au plus bas » (p. 492), Mgr Charbonneau est déposé par Rome. Certains ont suggéré que ce geste aurait été le résultat d’une intervention de Maurice Duplessis, comme si un premier ministre de province, si puissant soit-il, pouvait dicter les décisions du Saint-Siège. D’un trait de plume, Groulx tranche la question : « Non, M. Duplessis n’était pas de taille à faire tomber une tête d’archevêque » (p. 491). Même si Courtois propose quelques hypothèses, il reste que les raisons précises de cette déposition sont encore méconnues et que « Seule l’ouverture des archives du pontificat de Pie XII permettra d’en savoir plus » (p. 493). Grâce au talent de Courtois, cet épisode de notre histoire religieuse est fascinant.

Il faut aussi lire la section intitulée « Le Bloc populaire canadien » à la page 441. Courtois y décrit avec moult détails les luttes internes qui ont mené à l’éclatement de ce parti politique sous l’œil désabusé de Groulx. L’absence du chef du parti, Maxime Raymond, éloigné par la maladie, « est susceptible, dans un parti à peine fondé, d’alimenter les rivalités » (p. 443). Ce qui ne manqua pas de se produire : « En outre, nous divulgue encore Courtois, l’appui de [Édouard] Lacroix, industriel prospère, est crucial pour les finances du parti. Ses rivaux dans l’organisation du Bloc de la région de Québec, [Philippe] Hamel et [René] Chaloult, soutenus par [Paul] Gouin, ne parviendront jamais à s’entendre avec lui » (p. 444). Courtois ajoute que « Groulx aimerait ne pas intervenir dans la querelle, mais, confident du groupe Chaloult et proche de Raymond, il sert malgré tout fréquemment “d’agent de liaison”. Il déplore leur indiscipline et avertit Chaloult. S’ils ne se ravisent pas, leur fronde aura des conséquences funestes » (p. 445). Si le monde intellectuel n’est pas exempt de contestations et de disputes, que dire du monde politique ?

Ironiquement, la lecture de ces contestations et de ces disputes offre au lecteur de fort beaux moments. Rendons grâce à Charles-Philippe Courtois d’avoir décidé de ne pas les dissimuler. Bien au contraire, il les expose avec brio. Il sait que l’histoire se nourrit d’abord et avant tout des conflits entre les hommes et son métier lui a permis d’y déceler un formidable potentiel narratif. On savait que Courtois était un historien émérite. On sait maintenant qu’il est un narrateur remarquable. Par moment, le lecteur se croirait précipité dans les Mémoires de Saint-Simon ou dans la Comédie humaine de Balzac ! Par sa maîtrise des intrigues de palais, des jeux de coulisses, des luttes de pouvoir, d’ambitions et d’egos qui ont jalonné la carrière de Lionel Groulx, Courtois non seulement rappelle l’importance de la narration en histoire, mais il atteste aussi de la véracité du fameux dicton : « où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ».

Par contre, ces récits des contestations et des disputes, pour captivants qu’ils soient, ne sont pas sans laisser un goût amer. Ils illustrent de manière éclatante le fait qu’un peuple qui n’est pas maître de ses choix et qui ne possède que peu d’emprise sur son destin risque de s’égarer inéluctablement dans de funestes divisions. Tout nationaliste sincère ne peut qu’être attristé par cet étalage de conflits d’où se dégage une odeur de provincialisme cataclysmique. Plus encore, cette biographie prouve que ceux qui se disaient les élèves de Groulx n’ont à l’évidence pas saisi la plus importante de ses leçons. C’est ce que Courtois souligne quand il écrit : « Les polémiques partisanes sont des distractions quand il faut garder une vue d’ensemble sur le problème national, question de fond, car la question de l’avenir de la nation est “un problème total”. Rien ne peut lui [Groulx] plaire dans cette évolution qui tourne à la zizanie entre nationalistes » (p. 525). Les exhortations d’Honoré Mercier à propos des « luttes fratricides » n’ont, encore une fois, pas été entendues.

S’il y a un sujet à propos duquel Courtois tient un propos original, je dirais même bienvenu, c’est bien sur le nationalisme en général et sur le nationalisme de Lionel Groulx en particulier. La position de Courtois est originale pour deux raisons. D’abord, l’auteur réfute énergiquement les critiques à l’égard du nationalisme de Lionel Groulx, un nationalisme qui aurait été, selon certains, revanchard, exclusif, intolérant, voire raciste. Ce faisant, Courtois condamne également le mauvais procès que l’on fait subir au nationalisme depuis des années. L’auteur a fort bien compris l’objectif de ces esprits pervers : les critiques du nationalisme de Groulx, bien qu’elles servent à discréditer l’homme et son œuvre, servent aussi à discréditer le nationalisme canadien-français et québécois. Il faut dire que ce plan machiavélique a fonctionné à merveille. Les nationalistes sont aujourd’hui tourmentés à l’idée d’assumer leurs propres idéaux. Les sentiments de Groulx à l’égard de ces individus timorés valent la peine d’être évoqués :

Hélas, nous sommes atteints à ce point du complexe d’infériorité, nous, Canadiens Français, que nous ne pouvons délibérer de nos problèmes politiques, nationaux ou économiques, qu’aussitôt l’un des nôtres, quelque chevalier de la frousse comme nous en avons tant, ne brandisse tout de suite l’épouvantail de la bonne-entente ! Il semble que nous n’ayons le droit de faire le moindre geste, de prononcer le moindre mot, de respirer l’air, sans en demander la permission au voisin (p. 420).

Les « chevaliers de la frousse », voilà une fort belle métaphore typique de la plume groulxienne ! Au sujet du nationalisme, la démonstration de Courtois est vigoureuse. Quand on y pense bien, le nationalisme de Groulx est fort simple. C’est « un nationalisme centré sur le Québec » (p. 16). Pour lui, ce nationalisme n’était pas une fin, mais un moyen d’aller plus loin. Un nationalisme d’amour de soi sans lequel l’amour des autres ne peut exister. À ce sujet, Courtois cite Groulx : « Haïr les autres ne suffira pas à nous faire secouer leur domination. Le mieux serait de cesser de nous haïr nous-mêmes » (p. 16). Groulx était nationaliste, donc, il était normal que sa conception de l’histoire découle de ce nationalisme. Lisons Courtois :

L’étude du passé d’une société permet d’expliquer sa condition actuelle. Pour Groulx, bien sûr, les Canadiens français ont une leçon particulière à en tirer : une leçon de fierté, remède à la déprime que peut inspirer l’état dans lequel se trouve la nation canadienne-française. Le mépris qu’on déverse sur elle est tel que les Canadiens français en sont souvent affectés au point de snober leur identité. Leur passé devrait leur inspirer autre chose que la honte, la certitude qu’ils ont une destinée en tant que peuple (p. 242).

Ce nationalisme et cette « leçon de fierté » avaient un but ultime. Courtois est convaincu que l’objectif de Groulx était l’indépendance du Québec, tel que Groulx l’évoque lui-même dans une lettre écrite en 1925 et citée par l’auteur : « je m’engage, si la Providence le veut, à préparer, par tous les moyens légitimes, l’avènement d’un Canada français indépendant » (p. 205).

Je me permets un commentaire. Pour plusieurs, cette conception de l’histoire fondée sur le nationalisme ne serait aujourd’hui plus de saison, car les historiens se seraient, depuis, « professionnalisés ». Tout cela n’est que pure foutaise, ou, pour prendre une autre expression typiquement groulxienne, « une emmiellure de dupes ». Que je sache, un historien marxiste ou un historien se prosternant devant les diktats du complexe multiculturalo-diversitaire n’est pas plus neutre ou indépendant d’esprit que ne l’était Groulx. Si ce dernier était en mission, les historiens actuels le sont tout autant. Par ailleurs, tout patriote qu’il était, Groulx n’a jamais hésité à critiquer les défauts de son peuple et ceux de son élite. Le nationalisme de Groulx de même que sa conception de l’histoire étaient modernes et modérés. Et ils sont aussi valables aujourd’hui qu’hier, peu importe ce qu’en pensent les « néo-bonne-ententistes » et autres « néo-chevaliers de la frousse ».

Dès les premiers paragraphes de cette biographie, on prend la mesure de l’indépendance d’esprit de Lionel Groulx. Cette disposition est d’autant plus remarquable que cet homme avait fait le vœu d’obéissance ! C’est grâce à elle qu’il a pu contester certains dogmes historiques, tel celui invoquant la « conquête providentielle ». À ce propos, Courtois écrit :

Il s’en prend directement à la légende dorée du colonialisme britannique et à la perspective jovialiste sur la Conquête anglaise. La liberté des Canadiens n’est pas un cadeau mais le fruit d’une reconquête (p. 151).

Toujours selon Courtois, Groulx propose aussi une nouvelle vision du rôle des Patriotes :

Les Patriotes sentaient le soufre pour les maîtres de collège qu’il a connus. Cette frilosité l’a toujours agacé. Les Rébellions s’inscrivent dans une histoire longue, à travers laquelle Groulx veut rappeler que les Canadiens ont dû lutter pour obtenir leurs libertés (p. 152).

Groulx ne s’est pas plus gêné pour critiquer vertement la formation des collèges dont les règlements « encouragent l’obéissance passive, contribuant à créer des esprits mous, alors qu’il faut former des chefs de file, et ce, d’autant plus que les Canadiens français sont minoritaires » (p. 99). On l’oublie trop souvent, mais cette notion d’indépendance évoque aussi celle de courage. Comme le confirme à maintes reprises Courtois, Groulx n’a pas seulement participé aux débats, mais il les a souvent initiés par ses écrits et ses prises de position. Il les a assumés, il a fait face à la musique et, tel un vaillant capitaine, il s’est tenu debout dans les tempêtes. Jamais n’a t-il reculé, jamais n’a-t-il cédé. Mais Groulx était moins un homme têtu qu’un homme de convictions.

Le lecteur qui s’apprête à lire cette biographie doit savoir que Charles-Philippe Courtois estime son sujet, respecte son œuvre et honore le peuple dont Groulx narre l’histoire. Dans le premier paragraphe de l’avant-propos, Courtois fait cette confession : « c’est sans conteste une passion pour le Québec et son devenir qui m’a motivé et permis de mener ce projet de longue haleine à terme » (p. 13). Y a-t-il une plus belle, une plus noble, une plus grande source de motivation qui soit ? À une époque où il est avantageux de s’avilir dans la haine de soi, Courtois verse un peu de baume sur nos écorchures. D’ailleurs, je soupçonne notre historien d’avoir puisé cette « passion pour le Québec et son devenir » en fréquentant l’œuvre de Lionel Groulx. Dans l’état actuel des choses, l’historien Courtois fait figure d’excentrique.

J’insiste, tellement cette question m’obsède. Courtois n’est pas un adepte de « la grande battue » telle que brillamment formulée par Philippe Muray. Il ne fait donc pas partie de la horde de ces historiens chasseurs de primes pour qui les personnages historiques sont fatalement des vilains qu’il faut traquer et capturer afin de les traduire devant le tribunal du progressisme triomphant. Il s’en faut de peu pour penser que ces Chevaliers à la Triste-Figure sont en bonne voie de détruire non seulement l’intérêt pour l’histoire, mais l’histoire elle-même. Groulx est d’ailleurs l’un de ceux qui ont goûté à leur médecine. Car, plus le personnage historique sera important, plus ces historiens rivaliseront de zèle ; un zèle qui n’a d’égal que leur inculture. En ce qui concerne Lionel Groulx, Jean Éthier-Blais parle de ces « conclaves haineux », de ces « obscures pasionarias » aux « doctorats bancals », ceux-là même qui ont abandonné le pelletage de nuages pour celui du soufre, tout en s’arrogeant le rôle de décerner les certificats de mauvaise ou de bonne pensée. Je me console en sachant que l’œuvre de ces esprits chagrins est insignifiante en comparaison avec celle du chanoine. La plupart de ceux qui ont dénigré Lionel Groulx se sont d’ailleurs volatilisés une fois leur forfait accompli, preuve qu’ils étaient plus utiles que doués. « Nous qui n’avons pas d’amis, écrit encore Éthier-Blais, nous savons au moins quels sont nos ennemis, car, en attaquant l’abbé Groulx, ils laissent tomber le masque. »

Courtois le démontre clairement, Groulx n’était ni un raciste ni un antisémite. S’il travaille sans relâche à l’avancement de son petit peuple, jamais ne l’a-t-il fait en dénigrant les autres. Le chanoine critique le rôle des Anglais dans l’histoire du Canada. Il ne le fait pas parce que ce sont des Anglais, mais parce que ce sont les conquérants et qu’ils se sont comportés comme tel. C’est ce qu’avance Courtois quand il écrit :

Dans Lendemains de conquête, il ne s’agit donc pas de blâmer les Britanniques, mais de saisir les conséquences d’une nouvelle donne. Il s’agit de porter un regard lucide sur les réalités historiques, pas de cultiver des préjugés ou des haines (p. 201).

Plus loin, Courtois règle, espérons-le une fois pour toutes, le dossier à charge qui concerne le racisme et l’antisémitisme présumés de Groulx : « Le rejet des théories racistes et donc de l’antisémitisme nazi est maintes fois répété par L’Action nationale et Groulx, depuis le début de la décennie. » Puis, Courtois fait la nuance qui s’impose en cette matière, ce que nombre de contempteurs de Groulx n’ont pas fait : « Plutôt que du racisme en vogue dans les années 1930, il faut prendre la mesure du facteur religieux » (p. 313). Pour Courtois, la pensée des hommes est tributaire de l’époque dans laquelle elle s’insère. Il reste que même un homme clairvoyant comme Groulx pouvait se tromper, et Courtois ne se gêne pas pour le souligner : « Au cours de la décennie, Groulx ne se montrera pas toujours bien renseigné sur la dureté réelle des dictatures en Europe, du moins celles de droite » (p. 313). Félicitons l’historien d’avoir eu le courage de faire ces mises au point tout en ayant la sagesse de ne pas s’enfoncer, et nous avec lui, dans ces marécages putrides. Cette biographie n’est donc pas une tentative de réhabilitation, ce dont nous devons lui être reconnaissant, car s’il avait laissé une trop grande place aux élucubrations de ces matamores, il leur aurait fait un honneur qu’ils ne méritaient pas.

Malgré ces indéniables qualités, et respectant le principe selon lequel il n’y a rien de parfait en ce bas monde, j’ai relevé quelques petites failles dans cette biographie. Je précise qu’elles sont marginales en regard des objectifs de l’auteur. En fait, le lecteur de cette note critique doit savoir que ces failles reflètent beaucoup plus mes propres obsessions que des erreurs proprement dites. Courtois défend contre vents et marées les positions de son héros. Le meilleur exemple est sa description d’une polémique, entre Lionel Groulx et Henri Bourassa au début des années 1920, qui s’est produite au sujet du « séparatisme » dans laquelle Courtois se fait le porte-parole du premier au détriment du second. La question se pose pour Courtois comme pour tous ses collègues : est-ce possible qu’un historien soit totalement neutre ? Non, c’est impossible. Et ceux qui le suggèrent s’abusent eux-mêmes ; pire encore, ils abusent leurs lecteurs. Il n’est en effet pas interdit qu’un historien défende le personnage dont il rédige la biographie. Cela dit, jamais ne voudrais-je laisser entendre que cet ouvrage en serait un de propagande. En présentant les idées et les arguments de tous les protagonistes, Courtois laisse au lecteur le soin de se faire sa propre idée, expiant ainsi son péché véniel.

Je le confesse, l’un de mes plus atroces supplices est l’injustice commise à l’égard de la mémoire de l’ancien premier ministre Maurice Duplessis, lui dont la longue et glorieuse carrière s’est déroulée parallèlement à celle de Groulx. Or, dans cette biographie, Duplessis n’est qu’un nuage cachant le soleil groulxien. Selon Courtois, Groulx se méfiait de Duplessis. Pour être franc, il ne le tenait pas en très haute estime. À l’aide de cette phrase quelque peu convenue, « Il [Groulx] n’est pas convaincu que Duplessis corresponde au profil de chef recherché pour mettre cet idéal [nationaliste] au-dessus de l’électoralisme à courte vue, des pouvoirs de l’argent et autres misères de la politique politicienne » (p. 361), son analyse pèche par conformisme.

Prenons l’exemple de l’adoption du fleurdelisé, drapeau national des Canadiens français. Ce projet agitait les rangs nationalistes depuis des décennies. Or, c’est le gouvernement de Maurice Duplessis qui a réglé la question. Ce n’est pas rien. À ce sujet, Courtois, comme tant de nationalistes aujourd’hui, ne reconnaît pas le mérite qui lui est dû. Dans un intéressant portrait qu’il dresse des péripéties entourant cette adoption, Courtois écrit que « L’indépendant Chaloult ramène en solitaire une proposition de motion en Chambre ; en décembre 1947, il annonce qu’il la déposera lors de la nouvelle session. » Mais voilà, le premier ministre le prend de vitesse, lui qui a « concocté une stratégie pour contourner toute opposition : adopter le nouveau drapeau par décret » (p. 486). Si Maurice Duplessis ne l’avait pas voulu, le fleurdelisé n’aurait pas flotté au mât du parlement, tout comme la loi 101 n’aurait jamais été adoptée sans le courage du gouvernement de René Lévesque. Par contre, dans ce cas, personne n’oserait en enlever la paternité à Lévesque pour la donner à d’obscurs individus luttant pour la protection et la promotion de la langue française.

Je ne peux résister à l’envie d’en ajouter. En 1936, Duplessis n’a-t-il pas, presque seul, réussi à défaire les libéraux qui étaient au pouvoir depuis plus de trente ans ? N’a-t-il pas adopté la loi sur l’impôt provincial, permettant ainsi au gouvernement du Québec de jouir d’une véritable autonomie financière ? N’a-t-il pas nommé Onésime Gagnon aux finances, le premier Canadien français à occuper ce poste prestigieux ? Autre exemple, Courtois écrit dans son avant-propos que « sans les efforts persévérants des nationalistes au milieu du siècle, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale et à son lendemain, on est en droit de se demander dans quelle situation se serait retrouvé le Québec en 1960 et a fortiori au-delà » (p. 17). Plus loin, l’auteur ajoute qu’à la fin des années 1940, Groulx « n’est pas rassuré par l’évolution politique. Les positions du Parti libéral de Godbout, prêt à céder sur les mesures de centralisation que continue de préconiser le gouvernement de Mackenzie King, comme durant la guerre, l’inquiètent » (p. 487). Qui a mené ce combat victorieux contre ces tentatives de centralisation ? Courtois ne le dit pas, mais moi je le dis : l’ancien premier ministre Maurice Duplessis.

Lionel Groulx et Maurice Duplessis ne pouvaient s’entendre parce que les impératifs intellectuels ne sont pas les mêmes que les impératifs politiques. On ne siège pas à l’Assemblée nationale comme on enseigne dans une classe ou comme on donne une conférence. Pour l’homme politique, c’est la victoire qui compte, tandis que pour l’intellectuel, ce sont les idées ; le politicien est pressé, l’historien a tout son temps ; le pouvoir a sur l’homme politique le même attrait que les concepts sur l’intellectuel ; pour Duplessis, seuls ses intérêts partisans comptaient, pour Groulx, seuls les intérêts nationaux. En politique, l’idéal est que ces deux notions s’unissent en un seul homme. Je suis d’avis que Maurice Duplessis, malgré ses insuffisances, a été le premier à les réunir depuis Honoré Mercier. On le constate, les deux hommes n’étaient pas faits pour s’entendre. Ils étaient tous les deux nationalistes, mais venaient de planètes différentes. Malheureusement, Courtois se réfugie derrière la perspective groulxiste traditionnelle : Maurice Duplessis n’est allé ni assez vite ni assez loin. En d’autres termes, il lui aurait fallu réaliser la Révolution tranquille avant ses successeurs. Cela dit, même si j’aurais aimé que Courtois sorte des sentiers battus, il a le droit de ne pas partager mes convictions. Pour clore cette petite digression, j’écrirai ceci : on a l’habitude de dire que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Dans le cas de Duplessis, c’est le contraire : l’histoire a été écrite par les perdants.

J’écrivais plus tôt que cette biographie n’était pas une tentative de réhabilitation de l’œuvre et des idées de Lionel Groulx. En réalité, elle l’est un peu. Charles-Philippe Courtois tente de réhabiliter le chanoine moins aux yeux des contemporains qu’aux yeux des Révolutionnaires tranquilles. En fait, il aspire à associer Groulx à la Révolution tranquille car, selon lui, il en aurait été l’un des plus influents instigateurs. Sur le fond des choses, Courtois a raison. Mais son insistance m’est suspecte. Nul doute que Groulx a été le premier à invoquer le fameux « maîtres chez nous » et qu’« il lui a fallu attendre une quarantaine d’années pour enfin voir cette idée triompher en politique québécoise » (p. 548).

Toujours selon Courtois, l’influence de Groulx « sur la nouvelle affirmation nationale qui définit le Québec moderne est en effet immense et peu d’intellectuels québécois peuvent se comparer à lui pour leur influence sur le devenir de la nation au XXe siècle » (p. 549). Je le répète : Courtois a raison. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il est aussi candide en histoire que Lionel Groulx l’était en politique. Rappelons que ce dernier était un homme d’une autre génération, un historien qui aimait les Canadiens français et leur histoire, un homme d’Église de surcroît ayant une foi inébranlable en la religion catholique. Pour ces raisons, Groulx ne pouvait faire partie de la congrégation des Révolutionnaires tranquilles. Au début des années 1960, lors d’un débat concernant le rôle de Dollard des Ormeaux, Courtois cite l’écrivain Jacques Ferron qui a écrit ceci au sujet des thèses de Groulx :

Il croyait à la race pure, sans mélange avec l’amérindienne, tirant gloire de sa lutte contre l’Amérindien. […] C’est un malheur qu’il vive si longtemps. Il a eu une énorme influence sur l’enseignement de l’histoire, ce qui a causé qu’il soit sorti tant d’imbéciles de nos collèges classiques. […] Il aurait dû mourir il y a vingt ans (p. 544).

Il est difficile de ne pas penser que Ferron se faisait le porte-parole de cette meute factieuse dont la hargne envers leurs ancêtres était aussi profonde que cruelle, déterminée qu’elle était de reléguer aux oubliettes, nommées pour l’occasion « Grande Noirceur », tout le passé canadien-français. À cette hargne s’ajoutait une monstrueuse vanité. Ces révolutionnaires refusaient d’admettre qu’ils avaient pu être inspirés par d’autres idées que les leurs, par d’autres individus qu’eux-mêmes. S’il faut reconnaître qu’ils n’ont pas fait subir à la mémoire de Groulx le traitement odieux qu’ils ont réservé à celle de Duplessis, et à celles de tous les autres malheureux dont le seul défaut avait été de naître avant eux, il reste que le chanoine ne perdait rien pour attendre. Comme la principale réussite des Révolutionnaires tranquilles consiste à avoir légué leur passion de la guillotine, leur postérité a repris le temps perdu en condamnant Groulx aux galères mémorielles. On dit souvent que les révolutions dévorent leurs enfants. En ce qui concerne Groulx, la loi a été inversée : la Révolution tranquille a dévoré son père. En dépit de ses aspirations légitimes, Courtois devra admettre que, tant que les idées issues de la Révolution tranquille s’imposeront, Lionel Groulx ne sera jamais réhabilité.

Depuis son décès en 1967, nombre d’ouvrages ont été écrits au sujet de Lionel Groulx. Lui-même nous a d’ailleurs laissé d’admirables mémoires. Il était néanmoins en attente d’une biographie digne de lui. L’historien Charles-Philippe Courtois vient de régler la question, et pour longtemps. Cette biographie est à ce point remarquable que, plus je la lisais, plus j’étais convaincu qu’elle allait devenir une référence, voire un classique, et ce, en dépit du fait que le Québec est en voie de décérébration accélérée. Ceux qui la liront sans connaître le chanoine découvriront la vie, la pensée et les actions d’un homme d’exception ; ceux qui le connaissent déjà auront le sentiment de s’en approcher un peu plus. Quant aux jeunes générations, elles contempleront non seulement un personnage unique et inspirant, mais elles verront aussi renaître sous leurs yeux une époque de leur propre histoire qu’elles connaissent peu, sinon pas du tout.

Dans ce récit mené tambour battant, Courtois est le guide, Lionel Groulx, le sujet, le Canada français, le paysage et le monde, la toile de fond. Ce savant équilibre est d’ailleurs une autre belle réussite de cette biographie. J’hésite à le signaler tant il est évident que la vie de Groulx et l’histoire canadienne-française s’entremêlent dans une irrésistible impulsion : cette histoire a agi sur Groulx comme il a agi sur elle. D’une perspective personnelle, avant la lecture de cette biographie, Lionel Groulx était pour moi un exemple. Depuis, il a pris la place qu’il aurait toujours dû avoir : celle du maître, comme dans l’expression « notre maître, Lionel Groulx ».

 

Charles-Philippe Courtois
Lionel Groulx. Le penseur le plus influent de l’histoire du Québec, Les Éditions de l’Homme, 2017, 575 pages