Parlez bleu et changez le monde

Je suis un citoyen américain anglophone qui est fier que son français se soit amélioré. Mais avec la vitesse d’un escargot qui court pour croiser le chemin d’un glacier en train de fondre. Je crois que j’arriverai au bout de mon chemin avant d’atteindre le niveau de maîtrise que je désire de la langue de Cyrano de Bergerac et de René Lévesque.

« J’ai besoin de pratiquer mon français ». Je ne sais pas combien de fois j’ai dit cela à des connaissances et à des commis francophones ou anglophones lorsqu’ils m’ont dit : « You can speak to me in English. » J’essaie d’éviter les débats inutiles et chronophages à ce sujet dans la vie quotidienne, mais je considère que la langue que les gens utilisent tous les jours est plus significative culturellement que les vêtements qu’ils choisissent de porter en public. Je pense que c’est plus qu’une déclaration de style quand on choisit de communiquer en français ou en anglais au Québec : c’est un moyen pour les gens d’exprimer publiquement dans quel genre de pays ils veulent vivre, ou quel genre de pays ils aimeraient voir se créer. J’essaie de communiquer en français le plus possible, car je veux voir se créer un nouveau genre de pays.

Peu de mes compatriotes anglophones du Québec partagent mes sentiments sur la langue française ou mon point de vue sur la politique québécoise. La mesure dans laquelle je m’écarte de la norme est devenue plus évidente en juin 2014, après avoir écrit un éditorial pour la Gazette de Montréal intitulé (en anglais) : « Parlez français, ou résignez-vous à devenir américain ». Cet article s’est avéré très controversé, surtout parce qu’il a été publié par le journal anglophone le plus lu au Québec. La page Web de la Gazette est devenue virale avec des réponses à l’article qui étaient principalement des commentaires de personnes défendant leur attachement à la langue anglaise au Québec comme s’ils défendaient l’honneur de leur reine.

J’écrivais dans l’article : « Pour moi, le mot d’ordre au Québec devrait être : Parlez Bleu. Parlez français, monsieur Quebecer, ou résignez-vous à devenir un Américain, dans le pire sens de ce que cela signifie d’être américain. Parlez Bleu, ou regardez l’argent américain faire tout le discours au Québec ». Oui, j’ai eu l’audace en tant qu’anglophone, et en tant qu’Américain, de déclarer cela.

J’ai aussi écrit : « Le Québec a ce qu’il faut pour être une nation, une qui sépare la religion, le gouvernement et l’argent, et contrairement à ses voisins, avec des valeurs associées plus aux femmes qu’aux hommes, des valeurs humaines plutôt que des valeurs matérialistes ». En une phrase, cela a exprimé, et exprime encore, pourquoi je crois que le Québec peut devenir la nation que le monde a besoin qu’il devienne.

Ce n’est pas parce que le monde a désespérément besoin d’une nation où les gens parlent français que j’aimerais voir le Québec devenir une nation, c’est parce que le monde a désespérément besoin d’un nouveau modèle de nation – une nation qui serait un modèle à imiter pour les nations actuelles de l’Amérique du Nord.

Imaginez une nation fondée et dédiée à l’idée que la religion, le gouvernement et l’argent doivent être séparés ; imaginez une nation fondée et dédiée à l’idée que tous les gens ont le droit de contrôler leur propre esprit et de croire ce qu’ils choisissent de croire au sujet de la vie et de la mort ; imaginez une nation fondée et dédiée à la croyance que les femmes devraient avoir les mêmes droits que les hommes et que chacun devrait avoir un contrôle absolu sur son propre corps et son âme, comme ils le veulent ; imaginez une nation qui considère les gens de toutes les nations comme les membres d’une seule famille humaine. Une telle nation pourrait améliorer pacifiquement le monde et aider à façonner un destin pour l’humanité qui ne se termine pas par une guerre apocalyptique.

L’anglais est la langue de choix des personnes les plus riches d’Amérique du Nord (c’est quelque chose d’indéniable, même en cet âge de contre-vérité) ; le français est la langue de choix des peuples d’Amérique du Nord qui représentent la plus grande menace pour les riches et les puissants – parce que la laïcité du Québec est une force considérable qui supprime un outil (religion organisée) que l’élite utilise pour manipuler le système à son avantage.

La guerre des langues – en particulier entre l’anglais et le français au Canada et entre l’anglais et l’espagnol aux États-Unis – détermine quel argent va parler le plus fort au profit des plus riches des riches et des plus puissants des puissants. En Amérique du Nord, ce sont les voix des anglophones qui parlent le plus fort, au point d’étouffer ou de noyer les voix des populations qui ne parlent pas anglais.

Je souhaite joindre ma voix aux voix des gens les plus audacieusement progressistes en Amérique du Nord, les francophones du Québec – en particulier pour défier les systèmes au Canada et aux États-Unis où un petit nombre possède tellement et la grande majorité possède si peu, et la démocratie est rongée par des cochons orwelliens déguisés en hommes qui portent des cravates.

Les voix qui parlent le plus fort en Amérique du Nord aujourd’hui font écho aux voix des hommes du passé, qui ont été récompensés par la richesse et le pouvoir parce qu’ils ont convaincu suffisamment de gens qu’ils servaient Dieu, pas eux-mêmes. Les soi-disant bons chrétiens ont pratiqué l’esclavage au nom de Dieu, commis un génocide contre les peuples indigènes et commis d’horribles abus violents et sexuels contre des enfants sans défense.

Les histoires très romancées des États-Unis et du Canada doivent être vues pour ce qu’elles sont. Cette fiction ne serait aussi peu nocive que du popcorn au beurre si elle se limitait aux salles qui projettent de vieux films, mais ce n’est pas le cas. L’histoire romancée des États-Unis et du Canada est l’histoire blanchie à la chaux que trop de gens en Amérique du Nord sont enclins à croire et à perpétuer, surtout (mais pas nécessairement) si ce sont des hommes blancs anglophones. Je suis un de ces hommes blancs anglophones d’Amérique du Nord qui ne veut pas vivre dans un passé imaginaire patriarcal. Je préfère vivre dans un avenir révolutionnaire tranquille.

Andrée Ferretti, icône de la Révolution tranquille et amie très chère, a cité mes mots dans les dernières pages de son livre Mon désir de révolution : « Quand je traverse la frontière pour venir à ma résidence secondaire au Québec, je me sens comme si je traversais au XXIe siècle. Les États-Unis restent toujours coincés dans le XXe siècle et il y a beaucoup d’Américains qui souhaiteraient retourner en arrière, au XIXe siècle. C’est peut-être une question de valeurs. » Pour poursuivre cette pensée, il devient de plus en plus évident pour moi que la laïcité, la démocratie et la langue française sont plus valorisées au Québec que partout ailleurs en Amérique du Nord… mais pas encore assez.

 

* Professeur à temps partiel de sciences sociales à l’Université d’État de New York dans le comté de Suffolk. Il a été en pause de la classe depuis le début de COVID.

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