Pascale Ryan
Lise Bissonnette. Entretiens
Montréal, Boréal, 2023, 200 pages
Le livre d’entretiens que publie Pascale Ryan, intitulé sobrement Lise Bissonnette. Entretiens, vaut le détour, ne serait-ce que parce qu’il comble le vide laissé par l’absence d’une biographie complète consacrée à madame Bissonnette. Cela est d’autant plus vrai que ce livre est rédigé un peu comme une biographie, en suivant un ordre chronologique, et avec un style écrit davantage que parlé.
Il débute par un chapitre consacré à l’enfance abitibienne de Lise Bissonnette. Ce chapitre est l’occasion pour elle de se montrer extrêmement critique envers l’instruction qu’elle a reçu (qu’elle associe à de l’« endoctrinement catholique persistant » et « des niaiseries incommensurables »). Elle critique tout autant la Grande Noirceur, au point de reprocher à certains historiens de la relativiser à l’aide d’une approche trop strictement économique. Son témoignage et son opinion sont pertinents et bien argumentés, mais on ne peut s’empêcher de se dire que cette instruction ne devait être si pire, puisqu’elle lui a tout de même permis d’accéder plus tard à une riche vie intellectuelle. Quant à sa défense de la Révolution tranquille et de son bilan même inachevé en éducation, ceux qui ont vécu la petite noirceur des années 90, avec ses polyvalentes sans âme où la drogue circulait plus que les livres, sauront la nuancer.
N’empêche, même si elle dit que « La nostalgie devrait être interdite au Québec », on la sent nostalgique de la fin des années 60 et des années 70, qui ont été pour elle une période d’épanouissement intellectuel, notamment au journal Le Quartier Latin et au Devoir, où elle se retrouve correspondante à Ottawa en 1976 ! Elle raconte certains épisodes, comme celui où pendant la campagne référendaire elle a critiqué un discours de Lise Payette qui s’en était pris à la femme du chef du camp du NON Claude Ryan, une certaine Yvette, avec les conséquences que l’on sait… Cet épisode est révélateur du type de journalisme qu’elle pratique : un journalisme objectif.
Cela ne l’empêche évidemment pas d’être souverainiste, quoique moins pour l’identité que pour la construction de l’État. C’est d’ailleurs à elle qu’on doit le virage souverainiste du Devoir des années 90, soit à l’époque où elle en assure la direction (et en profite pour le sauver de la faillite, notamment lors d’une soirée de financement regroupant des personnalités et des politiciens de toutes les couleurs). Sa plus grande réalisation est toutefois la création de la Grande Bibliothèque, malgré les critiques quasi unanimes qui précèdent son ouverture (avec l’exception notable de la revue L’Action nationale qui l’appuie avec l’aide d’un numéro spécial, que madame Bissonnette oublie malheureusement de mentionner). Il faut dire que ces critiques se sont tues depuis que les entrées enregistrées sont passées des 1500 par jour prévues à plus de 10 000 par jour en réalité. Elle saisit donc l’opportunité de ses entretiens avec Pascale Ryan pour nous parler de ces deux institutions, mais aussi de ce qu’on pourrait appeler sa philosophie de gestion, qui consiste à revenir à la mission d’origine d’une institution pour mieux la projeter dans l’avenir.
Par contre, elle connaît moins de succès avec l’UQAM, dont elle préside le CA dans les années 2010, et les installations olympiques, au sujet desquelles elle préside un comité-conseil (il faut dire qu’elle arrive en 2012, donc longtemps après la décision de mettre des pingouins dans le vélodrome, pour reprendre l’expression de Tallibert citée par Bissonnette, qui aurait préféré que ces installations gardent leur cohérence et leur mission sportive, surtout à l’heure de la valorisation des saines habitudes de vie). Toute une partie du livre est consacrée à l’UQAM, que Lise Bissonnette considère négligée par le gouvernement et trop concurrencée par l’Université de Montréal (drôlement, elle ne parle à peu près pas de Concordia).
Enfin, un dernier chapitre porte sur son côté littéraire, qu’on pense à sa thèse sur George Sand déposée en 2015 ou à ses romans publiés entre 1991 et 2002, dont Un lieu approprié qui explore « l’expérience de la défaite d’une idée », celle de la souveraineté. Ce chapitre est le moment pour elle d’exprimer sa désapprobation de la pratique des lecteurs sensibles et plus largement de l’industrialisation de la rédaction des romans qui nous viennent du monde anglophone.
Je l’écrivais en ouverture de cette recension : ce livre d’entretiens en vaut la peine. Et c’est particulièrement vrai pour quiconque s’intéresse à celles qui ont bâti le Québec intellectuel et institutionnel.
Guillaume Rousseau
Professeur titulaire, Université de Sherbrooke