Paul St-Pierre Plamondon. Rebâtir le camp du OUI

Paul St-Pierre Plamondon
Rebâtir le camp du OUI
Montréal, VLB, 2020, 209 pages

« On ne naît pas indépendantiste, on le devient. » Cette maxime correspond bien au parcours du nouveau chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon. Ayant peu de notoriété au début de la campagne à la chefferie et n’ayant jamais été élu à quelque poste que ce soit, il a eu la bonne idée de publier un livre pour se faire connaître et exposer ses idées pour assurer l’avenir du PQ. En politique québécoise, rare sont les aspirants aux hautes fonctions qui se donnent la peine de systématiser leur pensée sous forme de livre. Cette transparence est un signe de respect pour les militants qui disposent ainsi d’informations de première main pour faire leur choix. C’est aussi une lourde responsabilité pour le candidat qui devra être à la hauteur de ses engagements. Cela rend les reniements plus périlleux, car les écrits restent.

Plamondon est un jeune politicien professionnel. Il n’a rien fait de remarquable avant de se lancer en politique et il n’existe pour ainsi dire que par ses prises de position. Il vient d’une famille fédéraliste et comme avocat il a travaillé dans un milieu ultra fédéraliste. Ses antécédents le destinaient à faire carrière sur la scène fédérale comme sa collègue Mélanie Joly avec qui il a fondé un mouvement appelé Génération d’idées. Il a rencontré son chemin de Damas et est devenu indépendantiste parce qu’il a pris conscience, explique-t-il, dans le cadre de son travail d’avocat, de l’immoralisme des partis fédéralistes et de leurs coups fourrés.

C’est à force de m’impliquer et d’observer la scène politique durant ma trentaine que je me suis rendu compte que la corruption que je dénonçais provenait en fait directement des agissements du camp du NON en 1995, à travers ses succursales, le PLQ et le PLC. Les deux partis cherchaient essentiellement à affaiblir le Québec pour le contrôler (p. 16).

PSPP énonce une thèse intéressante en reliant organiquement la corruption des élites politiques québécoises au colonialisme et au fédéralisme canadien qui en découle : « Le colonialisme laisse des traces dans la culture politique d’une nation, même après l’époque coloniale, et augmente le risque de corruption du pouvoir politique, la corruption des élites politiques étant au cœur de la stabilité d’un régime colonial. » (p. 41) Encore une fois, PSPP innove, car rares ont été les chefs du PQ à fonder la logique indépendantiste sur la théorie du colonialisme. Lui, il ose situer l’analyse du Québec dans un cadre colonial et à en faire un argument justifiant la libération nationale. C’est une condition première d’un indépendantisme assumé. Pour sortir le Québec de la culture du mensonge, de la tromperie et de la corruption et développer une culture de la vérité, il faut faire l’indépendance. Ce projet national est à ses yeux fondé sur les principes de justice et de vérité, deux concepts fondamentaux de l’humanité. Il croit au retour en force de l’idée d’indépendance dans la conscience québécoise.

Partant de cette prémisse, l’auteur analyse ensuite les multiples contradictions du fédéralisme qui nuisent aux intérêts du Québec parce que structurellement le fédéralisme est une cause d’instabilité pour le Québec. Il reprend le catéchisme habituel des récriminations des nationalistes. Il passe aussi en revue les inconvénients de ne pas être un pays indépendant en période de crise sanitaire. Comme son discours s’adresse aux militants du PQ dont il cherche le soutien, il célèbre les idoles du parti comme René Lévesque, Jacques Pariseau et Lucien Bouchard qui incidemment l’a appuyé dans la course à la direction, et il se montre œcuménique en abordant les thèmes à la mode comme la transition écologique, la lutte aux paradis fiscaux, l’indépendance alimentaire, l’économie circulaire et les droits des nations autochtones. Il se félicite aussi des réformes que le PQ a apportées à ses règles de fonctionnement dont il avait été le précurseur comme conseiller spécial de J.F. Lisée qui, par ailleurs, l’avait remercié de ses services. Tout en se défendant de pratiquer l’âgisme, son ambition est de rajeunir les effectifs et les cadres du parti. Souplesse et cohérence sont ses mots d’ordre.

Fort de l’expérience de la crise sanitaire, il pense qu’il faut prendre ses distances à l’égard de la mondialisation et revenir à la défense de l’intérêt national. La revalorisation des États-nations est la leçon qu’il faut retenir de la pandémie. Il en profite pour attaquer le concept d’État postnational cher à Justin Trudeau qui a abandonné la protection de l’intérêt national. Il rejette aussi le communautarisme comme fondement de la société parce qu’il est la négation du principe d’égalité de tous devant la loi et tend à instaurer un régime de particularismes destructeur de l’identité nationale. « L’État postnational implique un affaiblissement de la démocratie. » (p. 111) Cette logique est particulièrement néfaste pour la démocratie québécoise qui est déjà amputée de nombreux champs de compétence et qui se voit en plus concurrencer par la remise des pouvoirs de décider à des organisations non élues comme les organisations internationales et les multiples communautés. Le multiculturalisme encourage la racialisation des rapports sociaux et légitime l’être-à-coté plutôt que l’être ensemble. Il se propose d’engager « une lutte frontale contre l’hégémonie du modèle multiculturaliste canadien » (p. 151). Il pense aussi que le nationalisme est bénéfique pour les sociétés à la condition qu’il se marie à la justice sociale, comme aux premiers temps du PQ.

Toutes ces déclarations d’intentions et ces propositions sont au diapason de l’air du temps et ont plu à une majorité des membres du PQ qui ont voté pour ce nouveau chef. Mais il reste tout de même une zone d’ombre dans ce discours intelligent et bien argumenté. Comme nous venons de le voir, PSPP ne sort pas de la doxa péquiste dont il a actualisé le discours. Mais autant sur le plan social que constitutionnel, il reste dans les clous. Il ne propose pas de nouvelles approches pour réaliser l’indépendance. Certes, le mot n’est plus tabou ce qui est déjà un progrès, mais la démarche proposée est conforme à la conception provincialiste de la gouverne qui a été jusqu’à présent fertile en tergiversations et en incohérences. On n’est pas sorti de la logique du bon gouvernement et de l’étapisme. Il y a fort à parier que le programme électoral de la prochaine élection se limitera à présenter des propositions réservées aux compétences actuelles du Québec et qu’il ne contiendra pas de geste de rupture avec le Canada qui indiquerait ce que seraient les politiques d’un Québec indépendant. Avec PSPP, le PQ est revenu en fait à sa position traditionnelle : s’engager à tenir un référendum dans le premier mandat. Il promet évidemment de faire la promotion de l’indépendance en indiquant qu’un vote pour le PQ sera un vote pour l’indépendance, mais ses intentions en la matière sont encore floues. Cela se limitera vraisemblablement à dire qu’il y aura un référendum. Il n’y a rien de bien original et d’audacieux à proposer de renouveler les études sur les impacts de la souveraineté surtout lorsqu’on envisage de faire ce travail à l’interne par la création d’un groupe d’études du PQ. Malgré ces réserves, il y a une lueur d’espoir, car PSPP promet de ranger aux oubliettes les discours qui entretiennent la peur de perdre le référendum qui a paralysé le mouvement indépendantiste depuis Lucien Bouchard. Il se réclame de l’esprit d’aventure, de la ligne du risque. Faire de l’indépendance la locomotive de la relance du Parti québécois, comme il le propose, est une idée salutaire. Mais il ne faut pas oublier le passé.

Historiquement, il est de tradition au PQ de parler de l’indépendance quand les militants sont démobilisés et qu’il faut regarnir les coffres du parti, mais lorsque l’élection arrive, on trouve bien des astuces pour glisser sous le tapis la question nationale. Si le nouveau chef est soucieux de la cohérence, il devrait au moins s’engager à préparer un plan d’action indépendantiste expliquant aux citoyens ce que le Québec indépendant fera des nouveaux champs de compétence qu’il devra exercer comme pays. À la prochaine élection, il devrait proposer un programme de pays et non pas un programme de gestion provinciale. Mais on n’est pas au bout de nos illusions, car, après tout, pour tenir un référendum, il faut gagner l’élection et, pour y arriver, on nous expliquera encore une fois qu’il faut mettre de l’eau dans son vin pour rassembler le maximum d’électeurs nationalistes.

Quant au titre du livre, Rebâtir le camp du OUI, ce thème est peu développé et plutôt nébuleux puisqu’il repose sur la formation d’un gouvernement d’union nationale réunissant des élus du PQ, de QS et de la CAQ. Il faut bien rêver un peu… Quoiqu’il en soit, le nouveau chef du Parti québécois n’aura pas les coudées franches pour mettre en œuvre son beau programme. Il devra obtenir la coopération des instances de son parti qui sont profondément imprégnées de l’esprit de procrastination et qui risquent de le ramener dans les ornières de l’électoralisme.

Denis Monière
Politologue