Penser le Québec indépendant III – La politique monétaire

1) Cadre de l’exposé

Dans le cadre de la présente enquête initiée par L’Action nationale, nous nous concentrerons sur les aspects économiques des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté en ayant comme point de repère principal tout ce qui relève du rapatriement des pouvoirs régaliens de l’État fédéral en matière de réglementation du commerce, d’établissement et de gestion de la monnaie et, enfin, d’encadrement des activités des banques, y incluant celles d’une banque centrale.

Le terme « pouvoir régalien » peut être vu par certains auteurs comme très spécifique et limitatif. Il peut aussi être vu de manière plus large en étudiant tous les tenants et aboutissants de ces mêmes pouvoirs. Dans le cadre de notre propos, nous adopterons une approche concrète du concept de pouvoir régalien qui consistera à tenir compte des pouvoirs législatifs les plus fondamentaux au plan économique réservés de manière exclusive à l’État fédéral dans le texte même de l’actuelle Constitution du Canada.

Pour les fins de l’exposé, nous exclurons également toute discussion de fond en ce qui touche à l’équilibre des finances publiques, aux pouvoirs de taxation, à la dette, aux questions de la taille de l’État en comparaison de celle de son économie exprimée en termes de produit intérieur brut (PIB), à l’effort fiscal comparatif, … Ces sujets représentent à eux seuls des enjeux de très grande importance dans le débat sur le choix du statut futur du Québec et soulèvent nombre de questions de compréhension qui justifient amplement qu’ils soient traités correctement au préalable dans un forum distinct. Notre approche sera basée sur la prémisse qu’un tel examen aura eu lieu et qu’il aura été tenu dans toutes les formes appropriées et requises avant la prise d’une décision de l’Assemblée nationale du Québec quant à la nécessité et au caractère impératif de l’accession du Québec à sa pleine et entière souveraineté et indépendance.

La lecture du présent exposé devra donc tenir compte d’un postulat central à la base de toutes les réflexions et observations présentées. Ce postulat est à l’effet que le Québec, dans le cadre de l’exercice de sa pleine souveraineté, aura préalablement choisi, dans le respect de ses obligations au plan démocratique et par une déclaration de l’Assemblée nationale, d’exercer les pouvoirs relevant de la souveraineté institutionnelle d’un État sur la scène internationale, sans présumer de la conclusion de quelque forme d’accords ou d’association économique que ce soit avec l’État prédécesseur. Nous n’aborderons de plus aucunement les questions de nature politique, constitutionnelle et/ou juridique inhérentes à la tenue de l’exercice mentionné précédemment.

Le premier corollaire de ce postulat est que la Constitution du Canada cesse d’avoir quelque application que ce soit au Québec à partir de la date de prise d’effet de cette décision, à moins d’en être autrement autorisée en tout ou en partie par l’Assemblée nationale du Québec.

Le second corollaire est que l’État du Québec, à compter de cette même date, est pleinement doté au plan constitutionnel et au plan juridique international de tous les pouvoirs constitutionnels auparavant exercés par l’État prédécesseur sur son territoire. Il est donc incontournable en pareille circonstance que le Québec doive légiférer pour établir la base juridique nouvelle applicable à chacun de ces pouvoirs.

Dans ce même cadre, le Québec pourra choisir d’exercer l’ensemble de ces pouvoirs en toute indépendance ou de conclure des traités et/ou ententes pour en déléguer une partie à une entité qui serait définie et/ou instituée à cette fin. Dans ce dernier cas, il va de soi que tels traités ou ententes nécessiteraient un accord entre l’État prédécesseur moins le Québec (ÉPMQ) et le Québec en tant que nouvel État, ce qui implique l’accord des volontés souveraines pouvant s’exprimer dans chacune des deux Parties.

Ce scénario est relativement similaire à celui qui a prévalu lors de la décision prise par le Royaume-Uni (R-U) de se retirer de l’Union européenne (UE) à la suite du référendum tenu à cette fin en 2016. Cette décision a amené les deux parties à procéder en deux étapes soit, dans un premier temps, en formant un comité chargé de procéder à la dissolution des engagements financiers antérieurs dans le respect des droits et obligations de chaque partie et, dans un deuxième temps, en formant un comité distinct chargé de négocier par traité les termes de la future relation R-U/UE qui serait effective après son acceptation par les deux parlements concernés à compter d’une date à prédéterminer. Cette date a ultimement été fixée au 1er janvier 2021.

2) Nomenclature et rapatriement des pouvoirs et législations fédérales existantes en 2024

Dans cette section, notre objectif sera de décrire succinctement, dans un premier temps, le mode d’exercice actuel des pouvoirs constitutionnels de l’État fédéral en termes des lois et règlements déjà promulgués et des fonctions des entités administratives ayant été chargées de l’exécution des mandats y afférents. Dans un second temps, nous proposons des modalités pour leur intégration dans l’ordre institutionnel québécois en prenant comme hypothèse de référence que les mêmes pouvoirs, lois et règlements continuent d’être appliqués mais cette fois-ci par des institutions québécoises de nature correspondante. Nous appliquerons donc par essence le principe de la continuité des institutions.

Les pouvoirs régaliens réservés à la compétence législative du gouvernement fédéral par la Constitution canadienne sont détaillés à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Certaines compétences sont assignées exclusivement aux législatures des provinces et sont présentées à l’article 92. La compétence fédérale en matière de commerce est libellée à l’article 91.2 et en est une d’ordre général. Pour les fins de notre présentation, nous diviserons cette compétence sous les formes de « commerce intérieur » et de « commerce extérieur ».

2.1 Commerce intérieur
2.1.1 La Loi sur la concurrence

La Loi sur la concurrence est une loi fédérale contenant des dispositions criminelles et civiles visant à prévenir les pratiques anticoncurrentielles sur le marché. La Loi a pour but de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but :

  • de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne ;
  • d’améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada ;
  • d’assurer aux petites et moyennes entreprises une chance honnête de participer à l’économie canadienne;
  • d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.

    Deux entités sont chargées de l’application de la Loi :

  • Le Bureau sur la concurrence : Dirigé par le commissaire de la concurrence, le Bureau est responsable d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrence ;
  • Le Tribunal sur la concurrence : Le Tribunal de la concurrence est un tribunal administratif spécialisé alliant les domaines de l’économie et des affaires à celui du droit. Le Tribunal est un organisme strictement décisionnel, indépendant de tout ministère.

Dans sa présentation, le Tribunal indique que les affaires dont il est saisi traitent de questions de fusionnements d’entreprises, d’abus de position dominante, d’accords entre concurrents, de refus de se conformer, du maintien des prix, d’autres pratiques restrictives du commerce, des accords de spécialisation, de prix à la livraison … ainsi que des questions pouvant être reliées à des refus d’approvisionnement de fournisseurs étrangers.

Les causes dont le Tribunal est saisi sont habituellement d’intérêt national, de grande envergure et hautement complexes et peuvent être associées à des enjeux financiers importants et se répercuter directement sur la capacité concurrentielle de l’entreprise privée et de l’industrie.

Modalités d’intégration :

Il est présumé sur la base du postulat premier que la loi sur la concurrence et les entités chargées de son application seront intégrées dans le corpus des lois du Québec avec les adaptations requises.

2.1.2 Loi canadienne sur les Sociétés par actions

Cette loi a pour objet de définir le droit applicable aux sociétés par actions constituées en vue d’exercer leur activité dans tout le Canada, de promouvoir l’uniformisation du droit des sociétés par actions au Canada et de faciliter le passage sous son autorité de certaines personnes morales de régime fédéral constituées en vertu de diverses lois fédérales.

Au Québec, il existe déjà une loi comportant un objectif similaire intitulée « Loi sur les sociétés par actions » mais, selon la Constitution, de telles lois doivent être réservées, à des objets provinciaux.

Ces deux lois ont une fonction importante en ce qu’elles établissent le cadre général applicable et les exigences à rencontrer par les entreprises désirant s’incorporer pour avoir droit de faire affaires sur le territoire concerné : statuts de l’entreprise, rapport annuel, rapport d’impôts, inscription auprès des entités chargées de l’application des diverses lois en vigueur en matière de droits du travail, de normes de santé et de sécurité des travailleurs, de contribution aux régimes de sécurité sociale, de respect des exigences environnementales…

Modalités d’intégration :

Il est présumé que les deux lois seront fusionnées en une seule loi d’application sur l’ensemble du territoire du Québec.

Il existe plusieurs autres lois fédérales pertinentes découlant de l’application des pouvoirs constitutionnels existants et ayant trait au bon fonctionnement de l’économie interne ; ces autres lois ne seront pas abordées distinctement dans le présent exposé pour fins de concision. Notons à titre d’exemple :

  • La Loi sur les brevets et la propriété intellectuelle ;
  • La Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que ces lois seront intégrées au corpus des lois du Québec avec les adaptations d’usage.

    2.2 Commerce extérieur
    2.2.1 La loi sur les douanes

    La Loi sur les douanes a été édictée pour répondre à un triple objectif :

  • veiller à la perception des droits de douanes ;
  • contrôler la circulation des gens et des marchandises ;
  • protéger l’industrie canadienne contre les préjudices pouvant être causés par l’importation effective ou prévue de marchandises sous-évaluées ou subventionnées et par d’autres formes de concurrence déloyale (dumping).
  • L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) assure la prestation de services frontaliers intégrés qui appuient les priorités en matière de sécurité nationale et qui facilitent la libre circulation des personnes et des marchandises, y compris les aliments, les végétaux, les animaux et les produits connexes, à la frontière. L’ASFC est un établissement public figurant à l’annexe II de la Loi sur la gestion des finances publiques et elle rend compte au Parlement par l’entremise du ministre de la Sécurité publique. L’Agence est financée à même les autorisations parlementaires du gouvernement du Canada.

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que la Loi sur les douanes et l’ASFC seront intégrées au corpus des lois du Québec avec les adaptations d’usage.

    Comme le postulat est à l’effet que le Québec devienne un État souverain et indépendant, il est présumé qu’il n’y a pas d’union douanière à priori. Cela n’exclut pas qu’il puisse y avoir des discussions et propositions ayant pour objectif de créer par traité une telle union douanière avec ou sans modifications de ce qui prévaut en vertu des lois existantes. Ce sujet sera traité à la section 3.

    2.2.2 Les accords de commerce et de libre-échange internationaux

    L’accord de commerce de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est un accord de libre-échange international global ayant pour objectif de réduire les droits de douanes applicables aux échanges de biens et de services entre les États et les diverses formes d’entraves à ces mêmes échanges. Cet accord remplace celui qui était auparavant intitulé General Agreement on Trade and Tariffs (GATT).

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que le Québec postulera pour être partie reconnue de cet accord dans le cadre du processus global de succession d’États et de succession aux traités de l’État prédécesseur. Ce sujet sera repris plus en détail à la section 3.

    2.2.3 Les accords de libre-échange de blocs régionaux

    Le Canada est partie de plusieurs traités de libre-échange à caractère régional. Notons :

  • L’Accord de libre-échange Canada, États-Unis et Mexique (ACÉUM) ;
  • L’Accord économique et commercial global entre le Canada et Union européenne (AÉCG);
  • L’accord de Partenariat transpacifique global et progressiste entre le Canada et 10 autres pays de l’Indo-Pacifique (PTPGP).

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que le Québec postulera pour être partie reconnue de ces accords dans le cadre du processus de succession d’États et de succession aux traités de l’État prédécesseur.

  • 2.2.4 Les accords de commerce bilatéraux

    Des accords de commerce ont été signés par le Canada avec certains pays spécifiques dont celui signé avec le R-U, après son retrait de l’UE.

    D’autres accords bilatéraux ont été signés avec de nombreux autres pays.

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que le Québec postulera pour être partie reconnue par les signataires de ces accords dans le cadre du processus de succession d’États et de succession aux traités de l’État prédécesseur. Le Québec pourrait choisir de ne postuler que pour un nombre limité de ces derniers.

    2.2.5 Accord de commerce intérieur canadien (Canada et provinces)

    L’Accord de libre-échange canadien (ALÉC) est un accord commercial intergouvernemental qui a été signé par les ministres canadiens représentant le gouvernement fédéral et les 13 provinces et territoires dans sa version initiale en 1994. Cet accord vise à réduire et à éliminer, dans la mesure du possible, les obstacles à la libre circulation des personnes, des biens, des services et des investissements au Canada et à établir un marché intérieur ouvert, efficace et stable.

    Dans le cadre de l’ALÉC, les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral se sont engagés à respecter un ensemble de règles qui doivent contribuer à créer une union économique moderne et concurrentielle pour tous les Canadiens.

    Modalités d’intégration :

    Étant donné qu’il est présumé que la Constitution du Canada cesse d’avoir quelque effet à compter de la date établie, il est présumé que le Québec ne postulera pas pour être partie reconnue de cet accord dans le cadre du processus de succession d’États et de succession aux traités de l’État prédécesseur.

    Cela n’exclut pas qu’il puisse être envisagé de renégocier en partie cet Accord et ses finalités propres avec les adaptations nécessaires dans le cadre d’un nouveau traité à être convenu entre États souverains.

    2.3 Mécanisme d’examen des investissements effectués par des non-résidents

    Le Parlement fédéral s’est doté d’une loi intitulée « Loi concernant l’investissement au Canada ».

    Étant donné les avantages que retire le Canada d’une augmentation du capital et de l’essor de la technologie et compte tenu de l’importance de préserver la sécurité nationale, il est mentionné que la loi vise à instituer un mécanisme d’examen des investissements importants effectués au Canada par des non-Canadiens de manière à encourager les investissements au Canada et à contribuer à la croissance de l’économie et à la création d’emplois, de même qu’un mécanisme d’examen des investissements effectués au Canada par des non-Canadiens et susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale.

    À cet égard, notons la nomination en vertu de cette loi d’un Directeur des investissements chargé de son application.

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que le Québec se dotera d’une législation similaire en apportant les adaptations nécessaires.

    2.4 Responsabilités en matière de monnaie et banque

    La compétence fédérale en matière de monnaie et de banque est présentée aux articles 91.14 et suivants de la Constitution canadienne. Pour les fins de notre exposé, nous diviserons les lois aujourd’hui y afférentes en deux parties, soit, d’une part, la Banque du Canada et la monnaie et, d’autre part, les banques à charte fédérale.

    La Banque du Canada, créée en 1934, est la banque centrale du pays. Son rôle principal, tel qu’il est défini dans la Loi sur la Banque du Canada, consiste à « favoriser la prospérité économique et financière du Canada ».

    La Banque définit les grandes sphères de responsabilité qui sont les siennes. Ce sont :

  • « Politique monétaire : La Banque influe sur la quantité de monnaie en circulation dans l’économie et utilise son cadre de conduite de la politique monétaire pour maintenir l’inflation à un niveau bas et stable.
  • Système financier : La Banque s’emploie à promouvoir la stabilité, la solidité et l’efficience des systèmes financiers au Canada et à l’échelle internationale. Elle effectue aussi des opérations sur les marchés financiers.
  • Monnaie : La Banque conçoit, émet et distribue les billets de banque canadiens.
  • Gestion financière : La Banque du Canada est l’agent financier du gouvernement canadien et, à ce titre, elle gère la dette publique et les réserves de change nationales.
  • Supervision des paiements de détail : La Banque supervise les fournisseurs de services de paiement en vertu de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail. »

    La Banque du Canada est une société d’État jouissant d’un statut particulier : Le gouverneur et la première sous-gouverneure sont nommés par le Conseil d’administration (avec l’approbation du Cabinet), et non par le gouvernement fédéral ; le sous-ministre des Finances siège au Conseil d’administration, mais il n’a pas droit de vote.

  • L’indépendance de l’institution monétaire maintient la séparation du pouvoir de dépenser de celui de créer la monnaie.

    D’autres lois se rapportent au mandat administré par la Banque :

  • Loi concernant la monnaie et le Compte du Fonds des changes ;
  • Loi instituant le dollar canadien comme unité monétaire ayant cours légal au Canada.
  • La Banque du Canada est membre de la Banque des règlements internationaux (BRI). La BRI est une organisation financière internationale créée en 1930 dont les actionnaires sont des banques centrales. Située à Bâle en Suisse, elle se définit comme étant la banque des banques centrales. Sa principale mission est la coopération entre banques centrales et elle joue un rôle déterminant dans la gestion des réserves de devises de ces institutions.

    La Banque du Canada est dotée d’un budget de 806 millions $ en 2023 dont 419 millions $ à titre de frais de personnel.

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que le Québec se dotera d’une législation similaire ayant pour effet de créer et de définir les attributions d’une banque centrale propre au Québec en apportant les adaptations d’usage.

    Adhésion au Fonds monétaire international

    Dans sa présentation, le Fonds monétaire international (FMI) indique qu’il est une organisation regroupant 190 pays qui œuvre pour encourager la coopération monétaire mondiale, faciliter le commerce international, contribuer à des niveaux élevés d’emploi et de revenu réel, promouvoir la stabilité des changes et aider les pays membres à remédier aux déséquilibres de la balance des paiements. Le FMI cherche à assurer la stabilité du système monétaire international, en d’autres termes, le système international de paiements et de change qui permet aux pays et à leurs citoyens de procéder à des échanges entre eux.

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que le Québec soumettra une demande auprès du FMI dans le cadre de la procédure de succession d’États.

    2.5 Les banques à charte fédérale

    Le secteur des banques à charte au Canada est largement dominé par les six plus grandes banques canadiennes, lesquelles incluent la Banque nationale. La Banque Laurentienne est aussi une banque à charte fédérale mais de taille beaucoup plus modeste que les six premières. La presque totalité des banques canadiennes ont pignon sur rue à Toronto pour leurs activités de siège social et d’opérations courantes.

    Le Parlement du Canada a adopté une loi encadrant ce secteur intitulée « Loi sur les banques et les opérations bancaires ». Selon la constitution actuelle, toutes les banques doivent obligatoirement être incorporées en vertu des lois fédérales et ce, d’un océan à l’autre. Les entités reconnues comme banque par l’autorité fédérale peuvent ensuite exercer leurs activités sous la forme de succursales partout au Canada.

    Les coopératives de crédit peuvent, pour leur part, être incorporées en vertu des lois provinciales.

    L’accord de commerce de l’OMC et les accords de libre-échange régionaux comportent des dispositions spécifiques s’appliquant aux services financiers. Des exceptions sont toutefois prévues dans des annexes pour refléter les politiques d’encadrement et/ou les droits des entités existantes avant la signature de ces accords, y incluant ceux des entités fédérées. Le Canada s’en prévaut.

    Les banques étrangères acceptant des dépôts de détail sont tenues de s’enregistrer comme filiales ayant un statut juridique au Canada et non simplement comme succursale de leur société mère. Une fois ce statut obtenu, elles peuvent créer des succursales de cette entité partout ailleurs au Canada.

    Une déclaration de souveraineté impliquera que le Québec établisse les règles d’enregistrement des banques, existantes et/ou nouvelles, souhaitant faire affaire sur son territoire.

    Modalités d’intégration :

    Il est présumé que le Québec se dotera d’une législation ayant pour effet de créer et de définir les prérequis et les attributions d’une banque souhaitant faire affaire sur le territoire du Québec selon les dispositions d’une charte propre au Québec en apportant les adaptations requises.

    2.6 Les autres lois

    Diverses autres lois fédérales de nature plus sectorielle relèvent de la juridiction exclusive octroyée par la Constitution ou par des décisions spécifiques de la Cour suprême du Canada. À titre d’exemples, mentionnons le secteur des télécommunications, les pipelines, la Voie maritime du Saint-Laurent, les aéroports et les transports aériens interprovinciaux et internationaux, les réseaux de transports ferroviaires interprovinciaux…

    Ces dossiers comportent des enjeux d’importance mais excèdent le sujet faisant l’objet de notre propos principal.

    3. Pistes de réflexion concernant les options de mise en œuvre de la souveraineté

    Le monde d’aujourd’hui est très différent de celui qui prévalait en 1992, date de la tenue des Commissions parlementaires sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec et depuis 1995, date du plus récent référendum.

    A) État des lieux en 1995

    En matière de traités de libre-échange, l’accord multilatéral en vigueur du GATT se limitait pour l’essentiel aux échanges de biens et de marchandises. En Amérique du Nord, l’accord de libre-échange Canada–États-Unis (É-U) désigné sous l’acronyme ALÉ était en vigueur depuis 1988 et une nouvelle mouture incluant le Mexique a été conclue fin 1994 sous l’acronyme ALÉNA. Enfin, une première mouture de l’accord de commerce intérieur au Canada a été établie également en 1994.

    L’UE, pour sa part, a adopté le Traité de Maastricht en 1992, lequel élargissait les compétences de la Communauté européenne existante et fondait une nouvelle union économique devant mener à la création d’une monnaie commune, l’euro. Cette union économique prévoyait la mise en place d’un marché unique et l’instauration de la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux dans l’ensemble des pays signataires.

    B) Saut d’histoire en 2024

    Depuis 1995, bien des choses ont changé. En matière de traités de libre-échange, le Traité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé initialement en fin d’année 1994, a remplacé le GATT. Progressivement la réglementation des échanges de services a été intégrée dans l’accord, y incluant les services financiers et de télécommunications.

    L’ALÉNA a été récemment remplacé par l’ACÉUM. Le Canada a signé un accord de même nature avec l’UE, l’AÉCG, ainsi qu’un autre avec les pays de l’Asie du sud-est, le PTPGP. Le Canada a récemment conclu un Accord de continuité commerciale sur une base bilatérale avec le R-U (ACC).

    En Europe, l’euro a finalement été implanté à partir de 1999 en monnaie scripturale et en monnaie papier en 2002. L’introduction de l’euro a été couronnée d’un franc succès même si sa pérennité a parfois été menacée, notamment par la crise financière internationale de 2008 reliée à la crise des prêts de faible qualité dans le secteur de l’immobilier résidentiel aux États-Unis et par la crise des dettes souveraines de certains pays européens qui s’en est suivie.

    C) Une démarche de mise en œuvre de la souveraineté

    Comme mentionné à la section précédente, en vertu du postulat selon lequel, par déclaration de son Assemblée nationale, le Québec aurait préalablement choisi de réaliser la souveraineté et de former un pays distinct au plan international, nous proposerons ci-après des pistes de réflexion concernant les gestes concrets que le Québec pourrait poser à cette fin et leur finalité propre.

    Tel qu’annoncé dans les récentes parutions de L’Action nationale, l’objet principal de notre propos concernera les enjeux de politique monétaire, de monnaie et des institutions pertinentes en matière bancaire. Cependant, il nous sera apparu utile et nécessaire de présenter au préalable un survol, bien que plus sommaire, en matière de politique commerciale pour bien situer les divers enjeux et liens y reliés dans le nouveau contexte qui serait alors en vigueur.

    3.1 Le marché intérieur

    L’adoption d’une loi sur la concurrence, la création d’un Bureau sur la concurrence et celle d’un Tribunal sur la concurrence permettront au Québec de favoriser le bon fonctionnement du marché et la libre fixation des prix et de prévenir et sanctionner au besoin les pratiques anticoncurrentielles sur le marché.

    La fusion de lois ayant trait à l’enregistrement des sociétés et personnes morales revêt aussi une importance stratégique pour le Québec. Actuellement, toutes les entreprises désirant faire affaires dans plus d’une province sont tenues par la Constitution de 1867 de s’enregistrer au fédéral et peuvent ensuite ouvrir des succursales dans toutes les provinces.

    À moins d’une entente d’union économique formelle et convenue par les deux parties qui permettrait la reconnaissance des sociétés antérieurement enregistrées en vertu des législations fédérales ou de répondre à des clauses de reconnaissance prévues dans les accords de libre-échange auxquels le Québec aurait librement souscrit, toutes les sociétés existantes, auparavant enregistrées en vertu des lois fédérales, devraient s’enregistrer en vertu des lois québécoises pour y faire affaires. Une telle disposition permettra de modifier la trame de fond et de transformer l’économie du Québec d’une économie de succursales, qui est une caractéristique trop méconnue du système économique en place, en une économie basée sur des entités enregistrées et directement impliquées dans le milieu québécois qu’elles voudront desservir. Des centres de décision et des sièges sociaux régionaux devront ainsi être mis en place par les sociétés étrangères lesquelles incluraient, de facto, les sociétés de l’ÉPMQ.

    Par les mesures qui précèdent, le nouvel État du Québec ne fera que reproduire le schéma de ce qui existait dans l’État prédécesseur, sans imposer ni plus ni moins de contraintes par essence à ce qui existe déjà sauf l’obligation de se conformer aux lois du nouvel État du Québec.

    Pour la mise en œuvre de ces dispositions, il est à prévoir la nécessité d’une période de transition débutant le jour de la mise en vigueur de la souveraineté du Québec afin de permettre aux sociétés concernées de présenter leurs demandes de conformité au plan légal et à l’État d’accorder les autorisations requises.

    3.2 Le commerce extérieur

    La loi sur les douanes

    L’inclusion d’une loi sur les douanes et l’imposition éventuelle de droits de douanes et/ou de mesures de restrictions au commerce pourra en surprendre plusieurs tant la foi en la vertu cardinale supposée nécessairement positive de l’abolition des tarifs est bien ancrée. Toutefois, une telle législation est le propre de tout État souverain. Une loi sur les douanes aura pour objectif de contrôler la circulation des marchandises et des personnes et à protéger le marché intérieur précédemment décrit et établi, notre marché intérieur, des préjudices pouvant être causés par l’importation effective ou prévue de marchandises sous-évaluées ou subventionnées et par d’autres formes de concurrence déloyale.

    Comme exemple récent, il n’y a qu’à mentionner la surtaxe de 100 % sur l’importation de véhicules électriques (VÉ) en provenance de la Chine imposée par le Canada. Les É-U avaient précédemment adopté une telle mesure. Cependant, l’UE a adopté, pour sa part, une surtaxe de l’ordre de 36 %. Si le Québec en adoptait une, quelle serait-elle ? Quelle est l’assise exacte de ces deux surtaxes qui concernent le même pays. Un Québec souverain aura son mot à dire, s’il se dote d’une loi sur les douanes, qui lui soit propre plutôt que de laisser les autorités fédérales décider de tout.

    D’autres exemples peuvent être mentionnés, telle la loi envisagée par l’UE de taxer les importations en fonction de l’intensité carbone des produits importés aux fins d’égaliser les impacts financiers de la lutte aux changements climatiques qu’elle s’impose à elle-même. Ce mécanisme, dont l’application est prévue en 2026, est connu sous l’acronyme de MACF pour Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières1.

    Un autre exemple pourrait référer à l’imposition de droits douaniers aux importations en provenance d’États qui ne respecteraient pas les normes internationales en matière d’imposition minimale des profits des entreprises.

    Option en matière d’union douanière

    L’adoption d’une loi sur les douanes par le Québec impliquera l’érection de postes frontaliers et de douanes entre le Québec et les provinces qui lui sont limitrophes et la surveillance des produits échangés. Les postes frontaliers existants à la frontière des États-Unis demeureront en place mais sous la finalité de la nouvelle loi.

    Une option pourrait être de conclure une union douanière en matière de biens2 avec l’ÉPMQ. Les tarifs douaniers et les mesures non tarifaires y reliées devraient alors être les mêmes dans les deux juridictions. Selon une telle option, il y aurait toujours érection de postes frontaliers avec les provinces limitrophes mais, principalement, pour la surveillance des mouvements de personnes physiques. Le contrôle de mouvements de personnes peut s’avérer aujourd’hui être beaucoup plus simple qu’auparavant avec les moyens de passeports électroniques et autres maintenant disponibles. En contrepartie, il y aurait nécessité pour les responsables de l’ÉPMQ et du Québec de trouver des terrains d’entente pour tous les tarifs douaniers et mesures non tarifaires applicables aux biens et aux marchandises et de défendre une position commune dans les négociations des traités internationaux de libre-échange avec d’autres parties.

    Enfin, à cet égard, il est à noter que dans le cadre du retrait du R-U de l’UE, le Parlement britannique a choisi de préserver sa souveraineté entière et a exclu toute forme d’union douanière avec cette dernière. Les deux parties ont alors choisi de ne conclure qu’un accord de libre-échange.

    Les accords de libre-échange

    Dans la constitution canadienne de 1867, le texte de référence en ce qui concerne les échanges en matière de commerce tenait en une seule ligne. Aujourd’hui, l’ACEUM » comporte 2 046 pages et l’AECG presque autant.

    L’OMC

    L’OMC est l’organisation internationale de référence pour toutes questions traitant du commerce international et des règles applicables en matière de tarifs généraux applicables aux biens et marchandises. La participation du Québec à cet accord sera des plus importante puisqu’elle permettra à ce dernier d’y recourir en cas de cessation d’un ou de plusieurs des accords régionaux ou bilatéraux existants desquels le Canada est membre et auxquels le Québec pourra chercher à s’inscrire par la règle générale de succession d’État aux traités de l’État prédécesseur.

    La portée de l’OMC a été considérablement élargie par rapport à la version antérieure du GATT, notamment par l’ajout de dispositions concernant les échanges portant sur les services, dont les services financiers et les services de télécommunications, la protection de la propriété intellectuelle…

    Les accords régionaux de l’ACÉUM, de l’AÉCG, du PTPGP…

    Les accords régionaux ont été développés afin de pousser plus avant les règles encadrant les échanges de biens et de services entre États dotés de cadres institutionnels plus homogènes et d’intérêts plus importants reliés notamment à la proximité des marchés et à l’intégration beaucoup plus poussée de leurs économies et de leurs structures industrielles respectives.

    Le Québec a de longue date adhéré à l’esprit de tels accords de libre-échange et en a été un promoteur actif. Il est donc permis de présumer que le Québec cherchera à être reconnu à ces traités en tant qu’État successeur.

    L’engagement du Québec dans le cadre de ces accords devrait être de convenir par traité des principes de référence à retenir, de les appliquer lui-même sur son territoire mais aussi d’en exiger en contrepartie le respect par tous les autres signataires.

    Avant de poser sa candidature le Québec devra faire l’inventaire des divers droits acquis qu’il voudra protéger puisque de telles protections de droits ont toujours été permises lors de la signature des premiers accords de ce type, étant toutefois entendu que ces exceptions seraient graduellement réduites pour donner effet à l’objectif premier de promouvoir la réduction des droits de douanes et des autres barrières non tarifaires. Il pourra s’agir, en particulier, de restrictions concernant les clauses applicables aux services financiers, aux services de télécommunication (infrastructures), aux services de transport et de distribution de l’énergie et autres. De telles clauses ont été exigées par le passé par le Canada, y incluant des dispositions afférentes aux provinces, et sont toujours en vigueur à ce jour. Le Québec devrait donc en dresser l’inventaire en tant que nouvel État signataire.

    En conclusion, le fait pour le Québec de soumettre sa candidature et d’être reconnu comme signataire lui permettra d’être présent dans les forums où des décisions de grande importance se prennent : une question donc qui relève pleinement de la souveraineté d’un État.

    3.3 Mécanisme d’examen des investissements effectués par des non-résidents

    Comme mentionné à la section 2, le Québec pourra se doter d’une loi et d’une organisation apte à faire l’examen des investissements de grande taille projetés effectués par des non-résidents. La taille des projets devant faire l’objet d’un examen pourra toutefois être adaptée en fonction des objectifs qui lui seront propres.

    Compte tenu de l’importance de préserver la sécurité nationale et le maintien de secteurs stratégiques dans une économie de marché, une telle loi revêt une importance capitale. À titre d’exemples, mentionnons que des projets d’investissements en France et au Japon d’une firme québécoise bien connue dans le secteur de l’alimentation ont pu être bloqués ou pourraient l’être pour des considérations de cette nature. Cette loi a par ailleurs été appliquée au Canada notamment pour protéger l’industrie de la potasse d’une acquisition par une firme étrangère.

    Le Canada et les États-Unis se servent aujourd’hui de ce critère de sécurité nationale notamment en ce qui concerne les investissements en matière de composants électroniques sensibles ou d’appareils de surveillance.

    Il s’agit d’un outil d’intervention additionnel fort important dont pourra se prévaloir le Québec une fois devenu souverain.

    3.4 L’enjeu de la création d’une banque centrale

    Un des grands enjeux ayant fait l’objet d’un examen lors des Commissions parlementaires sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec en 1992 concernait les questions relatives à la possibilité de la création d’une banque centrale et d’une monnaie québécoises.

    Les avantages de la monnaie canadienne sont bien identifiés : il s’agit d’une monnaie existante dont la crédibilité est bien établie sur les marchés financiers. Cette monnaie bénéficie de l’assise économique élargie du marché canadien.

    Pourtant, des désavantages pour le Québec de la monnaie canadienne ont été répertoriés au fil du temps :

  • Les politiques monétaires uniformes à l’échelle canadienne ne sont pas nécessairement optimales pour le Québec : ce dernier connaît des cycles économiques qui lui sont propres et donc des taux d’intérêt uniformes à l’échelle canadienne peuvent ne pas être adaptés aux circonstances ;
  • La monnaie canadienne a aussi été qualifiée de « pétro-monnaie » car la valeur très volatile des prix de l’énergie sur les marchés et leur impact sur la balance commerciale canadienne peuvent induire des fluctuations importantes de la valeur de la monnaie canadienne, cette dernière étant une monnaie à cours flottant sur les marchés. Il est par ailleurs très difficile d’anticiper quelle pourrait être l’évolution des prix du pétrole dans les prochaines années, notamment en raison des impacts pouvant découler des diverses mesures prises dans le cadre de la lutte aux changements climatiques.
  • Les divers rôles des banques centrales

    Le contrôle de l’inflation

    Les banques centrales utilisent le levier traditionnel de la gestion des taux d’intérêt pour maintenir l’inflation à l’intérieur de cibles jugées compatibles avec une croissance économique saine. Cette cible pour le Canada est établie avec des taux annuels d’inflation se situant dans une fourchette variant entre 1,0 % et 3,0 %. En temps normal, les taux d’intérêt des banques centrales peuvent ainsi se situer aux alentours de 2,5 % à 3,5 %.

    En situation de crise, comme ce fut le cas notamment lors de la crise financière de 2008 et lors de la pandémie de 2020, les taux d’intérêt ont été abaissés substantiellement pour supporter l’activité économique. Cet outil de gestion des taux d’intérêt est également utilisé dans la lutte contre les poussées inflationnistes. C’est notamment le cas depuis le début de l’année 2022 alors que le taux d’intérêt directeur de la Banque du Canada est passé de 0,25 % à 5,0 % en l’espace de seulement 5 trimestres.

    Cependant, les taux d’intérêt ne sont pas neutres au plan de leur impact par le fait qu’ils s’appliquent de manière directe aux différents secteurs de l’économie et aux agents économiques ayant ou devant avoir recours à davantage d’endettement comme pratique normale dans leurs activités respectives. Comme les régions ou individus riches ou plus fortunés sont généralement davantage en position de surplus d’épargne et/ou de capitaux, ils ne supportent pas ou très peu le coût direct des hausses des taux d’intérêt.

    Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas difficile de présumer que le Québec en raison de son PIB per capita plus faible que dans les autres provinces doive vraisemblablement supporter une part disproportionnée des effets des politiques uniformes de taux d’intérêt d’un océan à l’autre.

    Assurer la stabilité du système financier

    Une des fonctions principales des banques centrales consiste à promouvoir la stabilité, la solidité et l’efficience du secteur financier. Pour ce faire, des approches raffinées ont été développées, telle la mise en place de règles prudentielles et de tests de performance qui permettent de mesurer la capacité des institutions bancaires de faire face à des chocs économiques d’importance et imprévus. À ce rôle, s’ajoute en conséquence un rôle de surveillance du respect de ces règles.

    Assurer le rôle de prêteur de dernier recours

    Enfin, les banques centrales peuvent être appelées à intervenir lorsque des crises financières d’envergure surviennent, par exemple à l’échelle internationale, ou lorsque des institutions bancaires de grande taille sont en difficulté et que leur mise en faillite menacerait la santé de l’ensemble de l’économie dans lesquelles elles opèrent.

    Les nouveaux rôles des banques centrales

    Le rôle traditionnel des banques centrales a évolué de manière importante au fil des dernières décennies. La crise financière de 2008 vient immédiatement à l’esprit. Alors que le système financier américain était au bord de la paralysie en raison des conditions extrêmes de perte de confiance sur les marchés, la Réserve fédérale des É-U s’est employée conjointement avec le département du Trésor du gouvernement des É-U à injecter des liquidités presque sans limite dans le marché en contrepartie de l’acquisition d’actifs financiers de première qualité détenus par les banques commerciales dans leurs bilans respectifs.

    Une stratégie similaire a été utilisée par la Banque centrale européenne lorsqu’il s’est agi de stabiliser la valeur de l’Euro lors de la crise des dettes souveraines de ses pays membres dans les années 2010-2015.

    Cette approche a aussi été utilisée lors de la pandémie due à la COVID au cours des années 2020-2022, y incluant cette fois par la Banque du Canada.

    Cette stratégie, appelée « assouplissement quantitatif », est disponible aux banques centrales mais ne l’est pas nécessairement aux entités subalternes en situation d’union monétaire. Dans l’UE, il existe d’ailleurs une interdiction formelle d’utiliser la monnaie et la banque centrale pour financer des déficits budgétaires excessifs d’États-membres. Cette réalité est là pour demeurer car aucun pays ne veut être affecté négativement directement ou indirectement par les « mauvaises décisions » prises par d’autres pays.

    Modalité d’intégration : la création d’une banque centrale du Québec

    Sur la base de l’ensemble des observations qui précèdent et du postulat retenu, nous soumettons, à titre de modalité d’intégration de référence que, dans le cadre de l’accession du Québec à la pleine souveraineté, la création d’une institution de type « banque centrale du Québec » s’avèrerait justifiée pour assurer la conduite adéquate de la politique monétaire, la surveillance du respect des directives émises en termes de règles prudentielles applicables aux institutions bancaires et la capacité de sauvegarder, au besoin, la stabilité financière d’ensemble au Québec en cas de crise financière majeure.

    Une telle banque centrale serait dotée au départ des mêmes outils et ressources que l’actuelle Banque du Canada et d’un même statut d’indépendance face au gouvernement. Toutefois, le Québec pourrait s’inspirer des pratiques européennes et élargir la représentativité des membres du conseil de direction. D’ailleurs, dans l’UE, la Banque centrale européenne (BCE) est assistée du travail des diverses banques centrales de chaque pays qui existaient avant la création de l’euro. Ainsi, la Banque de France3 est toujours active et assume des responsabilités de surveillance des banques françaises. Aux É-U, douze (12) banques de réserve fédérale régionales exercent diverses fonctions très importantes reliées à l’application de la politique monétaire d’ensemble établie par la Réserve fédérale américaine.

    3.5 L’enjeu relié à l’encadrement futur des banques à charte au Québec

    La situation en 1995

    Plusieurs études d’experts ont été produites dans le cadre des auditions des Commissions parlementaires sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec tenues en 1992 sur les impacts potentiels de la souveraineté sur le secteur bancaire et le secteur financier en général. L’orientation générale était de ne rien bousculer en ces domaines, d’assurer le maintien d’une union économique permettant d’assurer la continuité du secteur bancaire en l’état, de maintenir l’utilisation de la monnaie canadienne avec ou sans entente formelle. Cette approche était envisagée également en 1995 à l’approche du référendum4.

    Plusieurs considèrent que la création de monnaie relève exclusivement des banques centrales. Cela n’est vrai qu’en partie. Le vecteur principal de la création de monnaie relève davantage de l’activité des banques et autres institutions de dépôts par les prêts qu’elles accordent selon des multiples pouvant atteindre dix (10) fois la valeur des dépôts reçus ou des mises de fonds de leurs actionnaires. Les marchés financiers, incluant les bourses de valeurs mobilières, représentent une autre source importante de création de valeur, par les multiples cours/bénéfices accordés pour établir la valeur de marché des actions détenues par les investisseurs. Il s’agit donc de secteurs de très grande importance pour assurer la viabilité et le bon fonctionnement d’une économie.

    L’enregistrement des banques est une compétence exclusive de l’État fédéral en vertu de la Constitution existante. Une fois autorisée à opérer en tant que « banque », une banque à charte fédérale peut opérer partout sur le territoire canadien par le biais de succursales. Elle décide seule de l’utilisation et de l’affectation des sommes perçues à titre de dépôts ou de mises de fonds de ses actionnaires à diverses fins de prêts et/ou d’investissements dans les entreprises et secteurs qu’elle juge opportuns au plan financier. Autrement dit, une banque est une institution purement d’ordre privé et exerce ses activités comme telle, sous réserve des contraintes pouvant être imposées par la Loi notamment pour les banques de dépôts, les règles prudentielles en vigueur selon le type et la nature des activités de prêts et d’investissements réalisés.

    Fait notable à signaler, l’UE a exigé, dans le cadre des négociations reliées au retrait du R-U de l’UE, la création de véritables institutions bancaires de dépôt, c’est-à-dire des filiales enregistrées en son territoire et relevant de sa seule autorité au plan juridique, et non pas la simple reconnaissance de succursales de banques étrangères comme l’aurait souhaité le R-U. Le tout découle, entre autres, de la nécessité pour la BCE de s’assurer que les entités opérant sur son territoire suivent et respectent les règles prudentielles et de surveillance qu’elle édicte.

    De plus, l’UE exige que les filiales mises en place soient autonomes. De telles filiales doivent être dotées d’une capitalisation adéquate, d’équipes de haute direction chevronnées et aguerries avec pleine autorité de décision, de conseils d’administration de la filiale distincts de ceux de la société mère et de stratégies de gestion autonome des filiales élaborées dans une perspective d’atteindre un niveau de rentabilité normal dans ce marché. L’atteinte de ces objectifs peut être graduelle et étalée dans le temps car elle nécessite des ajustements importants au fonctionnement et aux structures organisationnelles et corporatives des entités concernées.

    Le statut des banques à charte constituera donc à n’en point douter un enjeu d’importance en matière d’accession à la souveraineté pour le Québec.

    Comme mentionné à la section 2, les accords de libre-échange comportent des exceptions spécifiques en matière de services financiers, dont l’obligation pour les institutions financières de dépôts étrangères de se constituer en filiales pour opérer en ce domaine au Canada.

    Au Québec, en cas de déclaration de souveraineté ou d’indépendance, les banques à charte fédérale deviendraient, de facto, des banques au statut non reconnu ou des banques étrangères au sens de la loi à moins de la signature au préalable d’un traité officiel d’union économique et bancaire avec le Canada ou d’un traité ou d’une législation spécifique à cet égard.

    À notre avis, une politique d’ensemble pour le Québec devra nécessairement être élaborée à cet effet dès le début de la réflexion sur la mise en œuvre de la souveraineté en tenant compte du contexte propre au Québec. Cette réflexion devra également être élargie à l’ensemble du secteur financier.

    Modalités d’intégration retenues pour le secteur bancaire

    Dans le contexte du présent exposé, lequel repose sur le rapatriement de nouveaux pouvoirs et la mise en place d’institutions qui relèvent pleinement de l’autorité du seul nouvel État, sur l’importance du secteur bancaire dans l’économie et sur la base des cadres institutionnels retenus à ce jour par le Canada et l’UE en cette matière, il nous apparait que, dans le cadre de l’accession du Québec à la pleine souveraineté, les modalités d’intégration de référence devraient inclure :

  • L’adoption d’une loi-cadre sur l’enregistrement et l’octroi d’un statut de banque pouvant accepter des dépôts au Québec ;
  • L’exigence pour les banques étrangères acceptant des dépôts de se constituer sous la forme de filiales établies au Québec.
    3.6 L’enjeu de la détermination de la monnaie ayant cours légal au Québec

    La création d’une banque centrale est aussi reliée au choix à effectuer concernant la détermination de la monnaie du nouvel État souverain5.

    Les options les plus couramment envisagées pour le choix de la monnaie ayant cours légal dans un Québec souverain sont :

    A) L’utilisation du dollar canadien dans le cadre d’une union monétaire formelle ou informelle avec le Canada ;

    B) La création d’une monnaie québécoise dont le cours serait librement établi par les transactions sur les marchés financiers aussi appelée « monnaie flottante » ;

    C) La création d’une monnaie québécoise dont le cours serait fixe en relation avec une monnaie d’ancrage, par exemple le dollar canadien ou l’euro ;

    D) La création d’une monnaie québécoise dont le cours serait fixe en relation avec un panier de devises à cours flottant.

    L’option retenue devra, dans toute la mesure possible, permettre à la banque centrale du Québec d’exercer efficacement la politique monétaire de son choix en matière notamment de gestion des taux d’intérêt, d’assurer en tout temps la stabilité du système financier dans son ensemble par l’imposition de règles prudentielles appropriées et d’assurer en tout temps le maintien d’une capacité réelle d’exercer son rôle de prêteur de dernier recours, en cas de besoin. La capacité de maintenir la stabilité dans le temps de la valeur d’une monnaie par rapport aux autres monnaies constituera également un atout de haute importance en ce qu’elle témoignera globalement d’une gestion rigoureuse et responsable et qu’elle contribuera à créer la confiance dans les marchés et son acceptation par les utilisateurs.

    L’option A) nécessiterait la négociation d’une union monétaire avec le Canada. Cette avenue demeure possible et mérite d’être examinée à fond mais sa réalisation relève de décisions qui ne seraient pas entièrement du ressort ou du contrôle de l’État québécois.

    Une telle union monétaire pourrait prendre deux formes :

  • La signature d’une entente formelle avec l’autorité monétaire canadienne à l’effet de pouvoir utiliser la monnaie canadienne pendant une durée déterminée en respectant toutefois les décisions de cette dernière en matière, notamment, de taux directeur applicable ;
  • La création d’une autorité monétaire d’un partenariat Québec-ÉPMQ. Dans une telle avenue, il faudrait que les deux parties puissent convenir d’un traité ayant pour effet de fonder un partenariat étendu et stable dans le temps. Il serait alors nécessaire d’établir par entente entre les parties les statuts et les mandats premiers de cette institution ainsi que les moyens d’intervention qui lui seraient réservés dans le cadre de la conduite régulière et indépendante de la politique monétaire commune en fonction des circonstances.

    Dans le cadre de cette approche, la conduite de la politique monétaire commune comporterait cependant des enjeux nouveaux reliés, d’une part, à la nécessité de desservir deux entités souveraines et, d’autre part, au besoin de tenir compte de la nouvelle configuration du secteur des banques esquissée à la section précédente.

    L’option d’une union monétaire informelle avec le Canada nous apparaît moins envisageable en ce qu’elle comporte trop d’inconnues aux plans opérationnel et juridique pour servir d’assise de base du système monétaire au Québec.

    L’option B) permet de rencontrer tous les critères mentionnés mais comporte des enjeux en ce qui a trait à la nécessité d’établir et de maintenir la confiance des marchés envers la valeur de la nouvelle monnaie et à la capacité pour les autorités québécoises de gérer, le cas échéant, les aléas qui pourraient découler d’opérations spéculatives d’envergure sur ces mêmes marchés.

    L’option C) permet de rencontrer raisonnablement plusieurs des critères mentionnés. Le choix de la monnaie canadienne comme monnaie d’ancrage et la fixation d’une parité entre les deux monnaies lors du lancement permettraient de faciliter son introduction et l’accueil favorable des utilisateurs et des marchés. Il s’agirait d’une certaine forme de continuité puisque le Québec est déjà dans les faits en situation de taux de change fixe avec le Canada. Cette option pourrait être envisagée et être implantée par le Québec comme monnaie de démarrage à son entière discrétion en vertu des pouvoirs qui seraient les siens en tant qu’État souverain. À terme, elle ne permet cependant pas de rencontrer le critère de pleine autonomie de la politique monétaire en ce que son cours serait toujours lié à celui de la monnaie canadienne.

    Le choix de l’euro comme monnaie d’ancrage est une variante de l’option C). Cette option comporterait des avantages du fait que la politique monétaire européenne est adaptée aux besoins et réalités de plusieurs juridictions différentes et que la structure économique diversifiée du Québec lui est relativement semblable globalement. Cette option permettrait plus d’autonomie en termes de conduite de la politique monétaire. Établie à parité avec le dollar canadien lors du lancement, le cours de la monnaie québécoise évoluerait par la suite en fonction de l’évolution de l’euro. Par ailleurs, l’euro pourrait cependant être une monnaie sous pression si des difficultés financières d’importance de pays membres de grande taille devaient survenir. L’euro a connu dans le passé des variations importantes de son cours face au dollar des É-U.

    L’option D) consisterait à fixer la valeur de la monnaie québécoise en fonction d’un panier fixe de devises flottantes sur les marchés. Un tel panier pourrait inclure, minimalement, la monnaie canadienne, l’euro et le dollar américain. Cette option de type hybride apparaît comme une option pouvant être explorée et qui permettrait à terme une plus grande autonomie monétaire et possiblement de réduire la volatilité totale de la monnaie québécoise par rapport aux principales monnaies en circulation.

    Option d’une monnaie ayant cours légal au Québec

    Il ne nous appartient pas dans le cadre du présent propos de recommander une option ou l’autre de manière définitive. Il va de soi que toutes les options devraient faire l’objet d’un examen approfondi avec l’aide d’un groupe de spécialistes et d’experts et ce, avant, pour le Québec, d’arrêter son choix définitif, compte tenu de l’importance des enjeux et des défis qui y sont inhérents.

    3.7 Assurer la stabilité du nouveau système financier et la viabilité d’une future monnaie québécoise

    L’approche générale présentée dans le présent Essai pour la création d’une banque centrale du Québec et d’une monnaie québécoise repose sur la prémisse que le nouvel État saura se doter de politiques et d’orientations qui lui permettront d’assurer le maintien de finances publiques de haute qualité, la stabilité du secteur financier et la mise en place de conditions propices à la préservation et à l’accroissement de la richesse collective.

    L’approche présentée repose en fait sur des principes qui s’apparentent à ceux généralement utilisés pour établir la note des États souverains. Nous pouvons présenter en deux grandes catégories les exigences générales pour réussir la mise en œuvre de la souveraineté et possiblement l’introduction d’une nouvelle monnaie québécoise :

    La base de départ soit :

  • Le maintien d’une économie saine et résiliente lors du passage à la souveraineté ;
  • La signature d’une entente sur le partage des actifs et des dettes de l’État prédécesseur6 ;
  • La signature d’un traité global pour finaliser la prise en charge par le Québec de l’ensemble des pouvoirs d’un État souverain auparavant exercés par l’État prédécesseur ;
  • Une dette/PIB résultante jugée viable ;

    Les bases d’une acceptabilité à court, moyen et long termes :

  • La mise en place de conditions économiques de nature à soutenir la vigueur future de l’économie ;
  • Une gestion responsable des finances publiques pouvant être exprimée par le maintien d’un niveau de déficit budgétaire en situation de plein emploi de nature à prévenir toute détérioration structurelle et tendancielle du niveau d’endettement et le respect des cibles à moyen terme préétablies ;
  • La recherche d’un maintien de l’inflation à l’intérieur de cibles prédéfinies ;
  • Une orientation claire à l’effet de ne pas recourir à des dévaluations de la monnaie à des fins opportunistes.

    Le maintien d’une économie résiliente nous apparaît être réalisable dans la mesure où les divers accords de libre-échange, une fois reconnus et reconduits avec le Québec comme partie signataire, permettent d’envisager le maintien de l’accès aux divers marchés existants pour les entreprises québécoises sans entraves douanières d’importance.

    Le niveau de l’indicateur « dette/PIB » doit être apprécié en fonction du contexte dans lequel le Québec évolue et des efforts et réalisations que le Québec a déjà effectués. Le Québec est une juridiction qui n’a jamais fait défaut sur sa dette. Le Québec s’est doté, de longue date et notamment depuis 1996, d’approches rigoureuses en matière de gestion de ses finances publiques, lesquelles ont permis de réduire son niveau d’endettement par rapport à son PIB de manière substantielle. Les firmes de notation internationales accordent des cotes de crédit se situant entre AA- et AAA aux titres d’emprunts obligataires du Québec7, des notes qui témoignent de la qualité de son crédit sur les marchés.

    Il sera évidemment nécessaire d’apporter tous les ajustements d’usage en fonction des nouveaux arrangements institutionnels qui seraient retenus pour établir ce à quoi pourraient correspondre les profils économique, budgétaire et financier du nouvel État souverain.


  • 1 Voir : https://trade.ec.europa.eu/access-to-markets/fr/news/mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-macf

    2 Pour une excellente présentation des modalités d’implantation de partenariats de ce type, voir André Binette, Référendum de 1995, Les Éditions du Renouveau québécois, 2021, pages 177 à 181 et 209 à 212.

    3 https ://www.banque-france.fr/fr/banque-de-france/role-et-missions-utilite-publique

    4 Voir André Binette, op. cit., p. 204 à 206.

    5 À cet égard, il est opportun de souligner la contribution importante à ce débat de Nicolas Marceau, professeur titulaire au Département de sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal : Nicolas Marceau, Une fois le Québec souverain, VLB éditeur, 2022, Annexe : La monnaie d’un Québec souverain, page 64 et suivantes.

    6 La Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’État adoptée le 8 avril 1983 par l’Organisation des Nations-Unies est l’une des références faisant autorité en ce domaine.

    7 Budget 2024-2025, Plan budgétaire, Mars 2024, Gouvernement du Québec, p. H.37.

    * L’auteur est spécialiste en finances publiques et en régulation économique des entreprises d’utilité publique. M. Carrier a œuvré à titre de Chef de l’analyse économique, Secrétariat des Commissions parlementaires sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, en 1992.

    1) Cadre de l’exposé Dans le cadre de la présente enquête initiée par L’Action nationale, nous nous concentrerons sur les aspects économiques des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté en ayant comme point de repère principal tout ce qui relève du rapatriement des pouvoirs régaliens de l’État fédéral en matière de réglementation […]

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