Péril en la demeure ; regards d’un Américain sur la langue française

Robert J. Berg
Péril en la demeure ; regards d’un Américain sur la langue française, Clichy-la-Garenne : France Univers, 2011. 165 pages

Le volume de R.J. Berg, publié à l’été 2011, n’a pas été distribué au Québec. On ne le trouve en librairie ni en bibliothèque. Ce qui est fort regrettable. L’essai apporte une perspective nouvelle à nos sempiternels débats sur la langue française, sur son avenir, sur ses prétendues qualités intrinsèques, sur les complots anglo-saxons visant sa disparition.

R.J. Berg est un Américain francophile. Très tôt, il s’est montré très intéressé par la langue française. Il a traversé l’Atlantique et a parcouru la France en moto dans un premier temps. Par la suite, il s’y attarda et y fit ses études universitaires. Il est aujourd’hui professeur d’université aux États-Unis et l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont plusieurs manuels largement diffusés (français des affaires, littérature et cinéma français).

Le corps principal du volume se divise en trois parties.

Dans la première, Berg déboulonne sans ménagement des idées reçues. D’abord, celle à laquelle Rivarol a donné naissance : « Ce qui n’est pas clair n’est pas français ». Puis celle qui voudrait que le français soit à la source d’une vision progressiste et morale de l’humanité.

La deuxième section porte le titre « Diagnostic ». L’auteur relève le fait que le président Sarkozy est intervenu auprès des diplomates afin de les inciter à parler la langue de l’État. Mais pour lui, la fièvre anglomane de ces hauts fonctionnaires est l’illustration de phénomènes plus profonds. D’abord, l’idée simpliste qu’une langue est en perpétuelle évolution et qu’on n’a pas à jeter un regard critique sur cette évolution. Ensuite, l’habitude généralisée et jugée normale de parler français avec des mots anglais. Enfin, Berg s’attarde au courant selon lequel il ne sert à rien de se battre et de jouer les donquichottes.

La dernière partie du volume est consacrée aux remèdes à envisager : faire du français une langue de plein emploi, à la fois de la littérature et de la science, de la vie privée et de la vie publique ; intervenir rapidement face aux anglicismes inutiles, c’est-à-dire avant qu’ils ne prennent racine ; forcer les grands agents propagateurs des franglicismes et des anglicismes – les médias et les agences de publicité – à utiliser le français mais aussi à en utiliser les mots. Le prof Berg rappelle même une proposition de Jean Dutourd au premier ministre Bérégovoy : taxer les enseignes en anglais et faire payer des amendes aux médias coupables de franglicismes et d’anglicismes superflus.

Le volume est complété par des extraits d’un carnet de lecture insérés au fil des pages, par vingt prolongements ou remarques d’une page en moyenne et par une dizaine de pages de notes bibliographies et médiagraphique. Il faut aussi noter un passage instructif sur le sort du français en Nouvelle-Angleterre (p. 73-75) et sur la situation difficile observée au Québec (p. 75-85).

Le volume intéressera les Québécois sensibles tant au statut du français ici qu’à sa qualité. La perspective de l’auteur est roborative et elle devrait contribuer à actualiser les discussions et les débats sur le sujet : les anglicismes appauvriraient souvent notre langue en tuant des nuances (ce serait le cas du mot « live » qui masque deux réalités : en direct et en public), le sort fait au français en Nouvelle-Angleterre et même en Louisiane (l’auteur n’en parle pas) devrait servir de leçon à nos compatriotes. Berg pense aussi (p. 54) qu’il existe un lien entre l’indépendance d’une nation et l’état de sa langue, mais il ne justifie pas son hypothèse. Pour l’heure, devant le raz-de-marée des anglicismes inutiles, il n’est pas inutile de rappeler une sentence de Claude Duneton : « La conquête d’un pays se fait aussi par les mots ». Mais le conquérant compte, ici comme en France, sur des intelligences dans la place.

Gaston Bernier