Plutôt que de donner un milliard à McGill…

Plutôt que de donner plus d’un milliard de dollars à McGill, un Groupe de travail recommande au gouvernement :

a) de ne pas céder la propriété du domaine public ;

b) de faire un bail emphytéotique ;

c) et de faire payer McGill.

S’agissant de l’avenir de l’Hôpital Royal Victoria, pourquoi le gouvernement du Québec donnerait-il à l’Université McGill plus d’un milliard de dollars en immeubles et en subventions plutôt que de suivre les recommandations du Groupe de travail mandaté précisément pour examiner cette question ? Dans un excellent rapport, ce Groupe de travail recommandait au gouvernement, déjà en 2014, de ne pas céder la propriété du domaine public, de procéder par bail emphytéotique et de faire payer McGill. Pourquoi le gouvernement Legault choisit-il d’ignorer les excellents travaux déjà faits à ce sujet par ce Groupe de travail et de s’en tenir plutôt à une promesse extravagante faite par les libéraux à la toute fin de leur mandat voulant que le Québec donne inconsidérément plus d’un milliard de dollars de son domaine public à une institution privée, l’Université McGill ?

Pourquoi le gouvernement actuel ne consulte-t-il pas le deuxième rapport du Groupe d’experts sur l’avenir des bâtiments hospitaliers excédentaires de Montréal, un héritage patrimonial porteur d’avenir1 ? Ce rapport comporte 90 pages riches en informations et en solutions intéressantes avec en plus 24 recommandations pour le gouvernement. Pourquoi serait-il complètement ignoré par le gouvernement actuel ? Pourquoi ne pas profiter de cet excellent ouvrage déjà fait à nos frais ?

Ce qu’il faut retenir c’est que, selon certains, avant que le gouvernement Legault s’enligne pour donner plus d’un milliard de dollars à McGill, cette université envisageait déjà d’offrir d’acheter le Royal Victoria pour 700 millions de dollars – certains disent même 850 millions de dollars. Ce que dit le rapport du Groupe de travail c’est que « la transformation pour les besoins de l’établissement universitaire représenterait des coûts de plus de 850 millions de dollars » (en 2014). À ce sujet, le Groupe de travail dit précisément ce que devrait être la contribution de McGill : « qu’elle [l’Université] confirme un montage financier où l’Université McGill contribuerait à hauteur d’un tiers des coûts du projet ; et qu’elle accepte de verser une contribution monétaire significative et ne provenant pas du gouvernement du Québec pour l’acquisition du site. » (Par acquisition, le Groupe entend une emphytéose, comme il l’indique avec insistance par la suite.) (Nos soulignés.)

Ce rapport définit clairement la situation et les enjeux, les problèmes et les solutions possibles et présente des recommandations compréhensibles et réalisables. Ne serait-il pas victime de sa trop grande qualité ?

En voici quelques aperçus :

En ce qui concerne l’avenir de l’ensemble immobilier du Royal Victoria, le Groupe d’experts énonce trois possibilités pour le gouvernement :

1. planifier, subdiviser et transférer lui-même le site à plusieurs usagers à identifier par une démarche de prospection ;

2. céder à l’Université McGill l’ensemble de la propriété y inclus l’Institut Allen Memorial, selon un processus et des modalités qui restent à négocier ;

3. voir à la mise sur pied d’un projet interinstitutionnel avec l’Université McGill, également selon un processus et des modalités à négocier.

Le Groupe d’experts estime que la première possibilité serait « problématique » et qu’elle ne devrait être considérée qu’en dernier ressort.

En revanche, l’occupation institutionnelle, proposée en options 2 et 3, comporte plusieurs avantages.

Premièrement, elle permet aux titres de propriété de demeurer dans le domaine public, évitant la privatisation du sol si fortement déconseillée par de nombreux interlocuteurs rencontrés par le Groupe. (Nos soulignés.) Deuxièmement, une telle occupation garde le site intégral et sans lotissement, en grande partie accessible à la population, et rend des aménagements à l’appui de cette orientation. Troisièmement, le Groupe soumet aussi que la prise en charge de la propriété par une ou des institutions serait salutaire pour le gouvernement du Québec et pour la Ville quant à la protection du patrimoine et la préservation et la mise en valeur du mont Royal.

Le Groupe souligne qu’au moment de ses travaux, seule l’Université McGill avait déjà soumis une proposition ; il ne commente donc que cette proposition. (On ne dit pas s’il y a eu un appel d’offres ou de propositions ; il ne semble pas que ce soit le cas. Par la suite, il y a eu au moins une autre proposition : celle de l’Université internationale de la Francophonie.) « En ce qui concerne l’Hôpital Royal Victoria, le Groupe estime que la proposition de McGill est une solution intéressante, mais pas sans risque pour le gouvernement » auquel il recommande d’approfondir la proposition de l’Université McGill, tout en procédant avec prudence. » (Nos soulignés.)

Mécanismes appropriés : Plan directeur, cadre financier et poste de délégué spécial

Pour réaliser ce projet, le Groupe de travail recommande l’établissement d’un plan directeur et d’un cadre financier ainsi que la création d’un poste de délégué spécial.

Établissement d’un plan directeur

Le Groupe recommande au gouvernement d’élaborer « un plan directeur complet d’utilisation de l’ensemble immobilier en mettant en œuvre à cette fin un processus public et transparent de concertation et de co-création ». (Nos soulignés)

Établissement d’un cadre financier

Contrairement à ce que fait le gouvernement Legault, le Groupe de travail ne propose pas d’inonder l’Université McGill de plus d’un milliard de dollars en biens immobiliers et en subventions. Bien au contraire. Il recommande d’établir un cadre financier « défini par le gouvernement avant l’élaboration des plans directeurs [qui] limitera les risques de dérapages quant aux revenus à percevoir et au contrôle des coûts des divers projets. […] Dans le cas de l’Hôpital Royal Victoria, (le cadre financier) spécifierait les conditions financières de la transaction avec l’Université McGill, incluant le montant significatif que cette dernière devrait verser pour l’acquisition des droits d’occupation. » (Nos soulignés.)

Création d’un poste de délégué spécial

Le Groupe de travail recommande la création d’un poste de délégué spécial détenant les compétences requises pour la réalisation d’un tel mandat. Le Groupe reconnaît que normalement cette responsabilité serait dévolue à la Société québécoise des infrastructures, mais ajoute qu’à son avis, cette dernière n’est pas en mesure de réaliser ce mandat précis (ce qui n’a pas empêché le gouvernement de faire le contraire jusqu’à présent).

Le Groupe ajoute aussi : « Il est éminemment souhaitable de trouver des fonds d’autres sources que du gouvernement du Québec. »

Acceptabilité sociale

Le Groupe insiste sur le fait que « le développement de la vision doit reposer sur une démarche inclusive et transparente pour assurer au projet des appuis élargis. » Il souligne que les plans directeurs devront être produits selon les balises fixées par le cadre financier et par les orientations de réutilisation acceptables pour le gouvernement. Résultant en outre de processus de co-création et de concertation, ils devraient témoigner de l’acceptabilité sociale des projets qui en résultent. » (Nos soulignés)

Pas de cession du domaine public, mais une emphytéose

Le Groupe recommande aussi au gouvernement de favoriser la cession des immeubles aux divers usagers éventuels par acte emphytéotique. Une telle approche permettra de maintenir le régime de propriété dans le domaine public et d’imposer les contrôles nécessaires sur l’utilisation des ensembles immobiliers, et ce, pour les générations à venir. Par cette position, le Groupe appuie les multiples représentations qui lui ont été faites de privilégier une tenure collective […] de l’Hôpital Royal Victoria. » (Nos soulignés.)

L’emphytéose

« Le Groupe recommande au gouvernement du Québec que la cession de l’ensemble immobilier de l’Hôpital Royal Victoria à l’Université McGill se réalise dans le cadre d’un acte d’emphytéose d’une durée de 99 ans et liant l’établissement et le gouvernement. »

Le Groupe explique sa recommandation ainsi :

Deux raisons justifient cette proposition. D’une part, l’emphytéose maintient la tenure de propriété du sol dans le domaine public. D’autre part, le recours à un acte d’emphytéose permet au bailleur éventuel, qui doit être le gouvernement du Québec selon le Groupe, de s’assurer que l’utilisation de l’ensemble immobilier de l’hôpital Royal Victoria prenne en compte les intérêts de la société québécoise, dont le gouvernement est fiduciaire.

Le Groupe signale par ailleurs l’intérêt de l’acte d’emphytéose dans ce genre de situation. D’abord, il permet de conserver la propriété publique du sol et d’en contrôler plus facilement le futur tout en donnant à l’emphytéote tous les droits d’un propriétaire en ce qui concerne ses immeubles, sous réserve évidemment des dispositions convenues par les deux parties dans l’acte d’emphytéose.

Tout au long de son rapport, le Groupe revient sur la nécessité de préserver la propriété publique du sol et sur l’intérêt de l’emphytéose pour arriver à cette fin dans ce cas. Preuve de l’importance qu’il accorde à cette question, le Groupe prend même la peine d’ajouter dans sa bibliographie une référence à un ouvrage consacré aux emphytéoses.

La contribution financière de McGill

Le Groupe recommande au gouvernement du Québec que la cession à l’Université McGill de l’ensemble immobilier de l’Hôpital Royal Victoria soit assujettie aux conditions suivantes :

(1) élaboration d’un plan directeur complet d’utilisation de l’ensemble immobilier en mettant en œuvre à cette fin un processus public et transparent de concertation et de co-création ;

(2) contribution monétaire significative de l’Université à l’acquisition de l’ensemble immobilier, selon des modalités à confirmer par les parties […] ;

(3) contribution financière de l’Université équivalant au moins à un tiers des coûts de réalisation du projet.(Nos soulignés)

Le Groupe explique ces recommandations de la façon suivante :

En ce qui concerne l’acceptation ultime d’une proposition détaillée et complétée de la part de l’Université McGill, le Groupe est d’avis que le gouvernement du Québec doit imposer certaines conditions encadrant sa planification et l’utilisation éventuelle qu’elle ferait du site, en vue d’assurer l’acceptabilité sociale d’une attribution à cet établissement universitaire. Ces conditions comprendraient, entre autres, l’exigence que l’Université élabore un plan directeur pour la requalification du site et expliquant les utilisations nouvelles des bâtiments ; qu’elle entreprenne un processus public, transparent et concerté pour la planification définitive du site, à la satisfaction du gouvernement et des principales parties prenantes ; qu’elle accepte de verser une contribution monétaire significative et ne provenant pas du gouvernement du Québec pour l’acquisition du site. » (Nos soulignés.)

Conditions d’attribution de l’ensemble immobilier de l’Hôpital Royal Victoria à l’Université McGill

En ce qui concerne l’acceptation ultime d’une proposition détaillée et complétée de la part de l’Université McGill, le Groupe est d’avis que le gouvernement du Québec doit imposer certaines conditions encadrant sa planification et l’utilisation éventuelle qu’elle ferait du site en vue d’assurer l’acceptabilité sociale d’une attribution à cet établissement universitaire.

Ces conditions comprendraient, entre autres, l’exigence que l’Université élabore un plan directeur pour la requalification du site et expliquant les utilisations nouvelles des bâtiments ; qu’elle entreprenne un processus public, transparent et concerté pour la planification définitive du site, à la satisfaction du gouvernement et des principales parties prenantes ; qu’elle confirme un montage financier où l’Université McGill contribuerait à hauteur d’un tiers des coûts du projet ; et qu’elle accepte de verser une contribution monétaire significative et ne provenant pas du gouvernement du Québec pour l’acquisition du site.

Conclusion

Le Groupe ajoute avant de conclure :

Tout projet de nouvelle utilisation de l’ensemble immobilier de l’Hôpital Royal Victoria requerra une suffisante acceptabilité sociale pour le mettre à l’abri de contestations juridiques et politiques facilitées par l’abondance de la réglementation applicable à des projets de réutilisation de l’ensemble immobilier, par la complexité procédurale qui en découle et par les multiples instances impliquées. (Nos soulignés)

Et finalement :

En conclusion, pour le Groupe, la réaffectation d’un ensemble immobilier aussi considérable par sa taille que significatif par sa richesse historique, architecturale, patrimoniale, urbanistique, identitaire et symbolique que celui de l’Hôpital Royal Victoria requiert un processus décisionnel très soigné : la possibilité de réaffecter un ensemble d’une telle envergure ne se présente pas souvent dans la vie d’une grande ville et une démarche très réfléchie est indispensable, car les décisions de réaffectation auront une importance structurante de très longue durée. »

On ne saurait mieux dire.


1 https://www.affmunqc.net/fileadmin/publications/SRM/rapport_avenir_batiments_hospitaliers_mtl.pdf

 

 

Avocat auprès de l’ONU.