Pour bonifier la loi sur l’identité

En proposant un « bill omnibus » sur l’identité, le Parti québécois de Pauline Marois a rompu avec ce qu’on a alternativement décrit comme la « mauvaise conscience » (Jacques Beauchemin, L’histoire en trop, VLB Éditeur, 2002) ou la « dénationalisation » (Mathieu Bock-Côté, La dénationalisation tranquille, Boréal, 2007) de la pensée souverainiste depuis le dernier référendum. Pour la première fois depuis longtemps, le PQ repose la langue et la culture au cœur de son projet. Au centre de l’offensive lancée par Pauline Marois se trouvent sans contredit les propositions de créer une citoyenneté québécoise et un contrat d’intégration pour les nouveaux arrivants.

L’idée de créer une citoyenneté circule depuis un bon moment. Elle se trouve dans le programme actuel du PQ et l’ADQ en a fait une pièce centrale de sa réponse au débat sur les accommodements raisonnables. L’idée était également au cœur du rapport Larose sur l’état et l’avenir du français. La raison pour laquelle la proposition était demeurée lettre morte jusqu’à aujourd’hui est que la création d’une citoyenneté essentiellement symbolique (ne s’accompagnant d’aucun droit ou obligation spécifiques) risquait d’apparaître inutile à bien des Québécois.

Le PQ a décidé de résoudre ce problème en attachant son projet à des obligations et droits réels : pour l’obtenir, le candidat devra être d’abord citoyen canadien, puis démontrer une connaissance suffisante de la langue française et de la culture québécoise. Une fois obtenue, la citoyenneté lui donnera le droit de se présenter aux élections provinciales et municipales et de contribuer au financement des partis politiques. L’exigence de connaissance de la langue nationale a soulevé la critique, mais elle est tout conforme à ce que l’on observe à l’échelle des pays industrialisés. Partout les États exigent de leurs nouveaux citoyens qu’ils connaissent leur langue nationale, une exigence tout à fait normale si l’on considère l’importance de la langue dans l’intégration à la vie démocratique d’un pays.

La principale bizarrerie dans le projet de loi est que l’obtention de la citoyenneté n’y est pas liée au droit de vote. Ainsi, les non-citoyens du Québec ne seront pas éligibles aux élections mais pourront néanmoins voter, ce qui produit une curieuse asymétrie. La décision du PQ de ne pas lier la citoyenneté au droit de vote visait visiblement à éviter une querelle juridique prolongée avec le fédéral, puisque la Charte canadienne garantit aux citoyens canadiens le droit de vote aux élections provinciales et fédérales. Mais elle garantit également leur éligibilité à ces élections de sorte que, si l’on se fit aux réactions qui ont suivi le dépôt du projet de loi, le débat constitutionnel est ouvert de toute façon !

À première vue, le projet de loi du PQ va à l’encontre de l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit à tout citoyen le droit de vote et d’éligibilité (1) . Mais il faut rappeler que l’article 1 de cette même Charte permet des restrictions « raisonnables » aux droits et libertés dans la mesure où elles sont justifiables dans le cadre d’une « société libre et démocratique (2) . Comme la connaissance de la langue officielle est un préalable au droit de vote et à l’éligibilité dans presque toutes les sociétés libres et démocratiques, il serait étrange de dire que la restriction proposée à l’article 3 par le PQ est injustifiable du point de vue de la Charte.

Pourquoi une contrainte qui apparaît raisonnable dans des nations avec des cultures aussi fortes que l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni deviendrait-elle déraisonnable au Québec ? À moins bien sûr que la Cour suprême ne soutienne que le Québec ne forme pas une société libre et démocratique, ou encore que le Québec est une société bilingue, et non une société dont la langue officielle est le français. Il faudrait alors se demander pourquoi la Cour suprême n’a pas cru bon d’invalider les dispositions de la Charte de la langue française qui font du français la seule langue officielle du Québec.

Bien sûr, il faut garder à l’esprit que la Charte canadienne a été imposée au Québec dans le but précis de contrer ses lois linguistiques et que les juges de la Cour suprême, nommés par le premier ministre canadien lui-même, peuvent avoir une conception de ce qui est raisonnable qui s’éloigne sensiblement de l’opinion majoritaire au Québec. Ainsi, l’idée selon laquelle le français est la seule langue publique commune du Québec n’a peut-être pas fait suffisamment de chemin à Ottawa pour infléchir d’une manière déterminante l’interprétation des textes juridiques.

Il existe pourtant une manière simple d’éviter une querelle juridique prolongée avec l’État fédéral. Le Québec pourrait simplement demander une modification à la Loi canadienne sur la citoyenneté. Pour l’instant, la loi canadienne exige de tout candidat à la citoyenneté qu’il démontre une connaissance de base du français ou de l’anglais, de même que de l’histoire et des institutions canadiennes. Le Bloc québécois pourrait proposer une modification à l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté afin d’exiger des candidats à la citoyenneté canadienne résidents sur le territoire québécois qu’ils satisfassent aux exigences de la Loi québécoise sur la citoyenneté avant d’obtenir la citoyenneté canadienne. Ils pourraient alors obtenir les deux citoyennetés en même temps. Le changement législatif serait mineur et s’inscrirait de manière éloquente à la suite de la reconnaissance du Québec comme nation. Cette entente ressemblerait à celle actuellement en vigueur dans le domaine de l’immigration économique, où le Canada s’engage à n’accepter que les candidats qui ont préalablement été sélectionnés par le Québec.

Pour éviter les contestations juridiques, le Québec pourrait alors renoncer à lier sa citoyenneté aux droits de vote et d’éligibilité. Elle le serait déjà de facto pour tous les immigrants qui s’établissent au Québec. Comme l’immigration interprovinciale à destination du Québec est faible, un tel régime permettrait de réaliser les principaux objectifs du projet de loi sur l’identité sans pour autant toucher aux droits des citoyens canadiens des autres provinces. En attendant que la Chambre des communes n’accepte de modifier sa loi sur la citoyenneté, le PQ pourrait aller de l’avant avec son projet actuel. Les risques de contestations juridiques sont évidemment présents, mais les arguments du PQ sont tout à fait raisonnables et il n’est pas certain qu’il sortirait perdant d’un débat juridique qui pourrait s’étendre sur plusieurs années.

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L’autre pièce maîtresse du projet de loi sur l’identité est la création d’un contrat d’intégration d’une durée de trois ans dans lequel l’immigrant sélectionné par le Québec s’engagera à se franciser et à respecter les valeurs et la constitution québécoise. L’idée d’introduire un aspect explicitement contractuel dans la politique d’immigration et d’intégration est évidemment heureuse. Plusieurs nations, dont l’Allemagne, l’Autriche, la Flandre, la France et les Pays-Bas, ce sont d’ailleurs engagés sur cette voie. La faiblesse de la proposition péquiste se trouve cependant sur le plan de l’efficacité et du suivi. Aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect du contrat d’intégration sauf bien entendu l’impossibilité d’obtenir la citoyenneté québécoise (elle-même superflue pour exercer le droit de vote).

Dans ce contexte, on peut se demander si le contrat proposé permettra vraiment d’améliorer notre bilan en matière d’intégration, particulièrement pour ce qui est des clientèles les plus difficiles à franciser, à savoir les immigrants « anglotropes » (essentiellement ceux qui n’ont pas une bonne connaissance du français ou d’une autre langue latine à l’arrivée). La première manière de résoudre ce problème consisterait à prévoir des sanctions en cas de non-respect du contrat d’intégration. Des pays européens imposent par exemple des sanctions monétaires à ceux qui ne respectent pas leur engagement. Elles varient entre 100 et 200 euros (de 140 à 280 $) en Autriche et s’élèveront bientôt à 1000 euros (1400 $) en Allemagne. Dans d’autres pays, on a fait du respect du contrat d’intégration un préalable à l’accès aux programmes sociaux. Si le Québec adoptait cette voie, la réussite du contrat pourrait y conditionner l’éligibilité à certaines prestations sociales contrôlées par le Québec (l’aide sociale, le crédit d’impôt remboursable pour les familles, l’assurance-maladie, les prêts et bourses, les frais de scolarité québécois ou l’accès à un logement social).

La Flandre, qui n’est pas un pays souverain, a rendu la maîtrise du néerlandais nécessaire à l’obtention d’un logement social. La mesure a été contestée sur le plan constitutionnel, mais le gouvernement flamand a finalement gagné. Des sanctions semblables existent également en Allemagne et aux Pays-Bas. Au Québec, de telles sanctions pourraient être contestées par les autorités fédérales, mais le caractère volontaire du contrat d’intégration donnerait au gouvernement du Québec un argument de poids dans un combat juridique dont il pourrait sortir gagnant (sur le plan juridique peut-être et sur le plan politique sans doute). La clause dérogatoire pourrait également être utilisée pour se soustraire à l’emprise de la Charte canadienne.

La seconde méthode pour augmenter l’efficacité du contrat d’intégration serait de mieux contrôler, au moment de la sélection, la motivation et la capacité des candidats à l’immigration à se franciser. Une façon simple d’atteindre cet objectif serait d’exiger de tout candidat une connaissance minimale du français au moment de la sélection. La connaissance du français deviendrait ainsi un critère éliminatoire dans l’évaluation du dossier de candidature. Le gouvernement du Québec pourrait offrir aux candidats à l’immigration le matériel didactique permettant d’atteindre à l’intérieur d’un délai raisonnable (un an) le niveau de français exigé. Une telle mesure ne serait pas exceptionnelle sur le plan international. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas imposent déjà une connaissance minimale de leur langue nationale pour l’obtention de tout permis de séjour. En Allemagne, en Autriche et au Danemark, le respect du contrat d’intégration conditionne quant à lui le renouvellement des titres de séjour et le regroupement familial. En clair, l’immigrant qui n’acquiert pas le degré désiré de connaissance de la langue peut y être reconduit à la frontière.

Le Québec, malheureusement, n’opère pas une sélection pour toutes les catégories d’immigrants. Ainsi, le regroupement familial et l’attribution du statut de réfugié demeurent sous l’autorité du gouvernement fédéral. Cela est particulièrement problématique parce que ces clientèles comptent parmi les plus difficiles à intégrer. Le Bloc québécois pourrait déposer un projet de loi modifiant le regroupement familial pour les candidats au regroupement à destination du Québec. Le Canada pourrait exiger d’eux qu’ils signent le contrat d’intégration québécois et qu’ils possèdent – avant même leur arrivée – une connaissance minimale de la langue française, de l’histoire et des institutions québécoises. Une telle exigence linguistique est déjà en place en Allemagne et la France s’engage également sur cette voie. Il serait également possible de faire signer des contrats d’intégration aux réfugiés à destination du Québec.

Le Bloc québécois pourrait également profiter de ce projet de loi pour résoudre d’autres problèmes reliés au regroupement familial comme celui des mariages forcés, pratiqués dans certaines communautés culturelles et nuisibles à la fois aux droits individuels et à l’intégration des jeunes issus de l’immigration. Au Canada, il est possible de regrouper une épouse ou un époux étranger dès qu’il ou elle a plus de 16 ans. Or plusieurs pays ont récemment rehaussé l’âge minimal du regroupement des époux pour lutter contre les mariages forcés. Il est maintenant de 18 ans en Allemagne, de 21 aux Pays-Bas et au Royaume-Uni et de 24 ans au Danemark.

Le Bloc québécois pourrait finalement proposer de réduire l’âge maximal à partir duquel il est possible de regrouper les enfants. En ce moment, il est possible de demander le regroupement pour des enfants ayant jusqu’à 22 ans. En Allemagne, le gouvernement vient d’abaisser cet âge à 18 ans, ce qui est une manière de s’assurer que les enfants soient regroupés avant de débuter leurs études supérieures et facilite par la suite leur intégration au marché du travail et à la société en général.

En proposant une citoyenneté québécoise et un contrat d’intégration, Pauline Marois permet au débat sur l’intégration de dépasser le stade primaire où il se trouvait depuis un an. L’ADQ, qui a été le principal bénéficiaire du débat sur les accommodements raisonnables, n’a pas encore décrit d’une manière précise en quoi la citoyenneté qu’elle propose viendrait résoudre les problèmes d’intégration au Québec. Le PQ, en liant la citoyenneté à la connaissance du français et de la culture québécoise, fait un pas dans la bonne direction. Il est loin d’être certain, cependant, que cette mesure soit suffisante pour améliorer d’une manière substantielle l’intégration des immigrants à la démocratie québécoise. Il est sans doute trop tôt pour parler d’une « nouvelle loi 101 », mais les propositions nous lancent très certainement sur la bonne voie.


1     Stéphane Beaulac, François Chevrette, François Crépeau, Jean-François Gaudreault-DesBiens et Jean Leclair, Le projet de loi 195 ne passe ni le test des Chartes ni celui de la Déclaration universelle des droits de l’homme, La Presse, 30 octobre 2007.

2     Eugénie Brouillet, Henri Brun, Jacques-Yvan Morin, Patrick Taillon et Daniel Turp, « Le projet de loi sur l’identité québécoise : il est raisonnable de vouloir consolider le français », Le Devoir, 26 octobre 2007.