L’auteur est un ncien membre du Comité national de coordination de QS, ancien Porte-parole de l’union des forces progressistes et du Rassemblement pour l’alternative politique, et ancien candidat dans Chicoutimi.
Dans Le Devoir du 10 octobre, Réjean Hébert propose de créer l’Union solidaire, de la fusion de Québec solidaire et du Parti québécois1. Le 20 octobre, le député du Bloc québécois Michel Boudrias propose de fusionner QS, le PQ et le Bloc, afin de regrouper les forces indépendantistes2. Si ces vœux sont légitimes et relèvent du désir d’unir les forces pour réaliser le pays, ils sont cependant une formidable fuite en avant en ce qu’ils négligent complètement de tenir compte des raisons de nos différences fondamentales, et la nécessité – toujours capitale – de construire des alliances sur la base d’une stratégie commune d’accession à l’indépendance. Sans compter que ces efforts de rapprochement ne peuvent faire l’économie d’une alliance avec les Premières Nations.
Évitons d’ajouter à la confusion
Depuis longtemps, une confusion occulte le processus de redéfinition du projet d’indépendance du Québec et de recomposition du mouvement indépendantiste. Ce processus est en cours depuis longtemps. La première responsabilité des indépendantistes est de prendre le temps de faire l’analyse des faits, de faire des bilans. Seule cette étape des bilans peut mener à celle d’une reconnaissance mutuelle et d’une réelle recherche d’une stratégie commune qui soit au service des intérêts supérieurs de la nation.
On a beaucoup parlé, et en particulier le chef du PQ pendant la récente campagne, de la fameuse « convergence ratée » par la supposée « signature reniée de QS ». Il y a dans ces affirmations une énorme confusion, sciemment entretenue ou non, qui a néanmoins causé un tort important au mouvement indépendantiste. C’est pourquoi il importe aujourd’hui de revenir sur certains faits.
La feuille de route des OUI court-circuitée
À l’automne 2015, les Organisations unies pour l’indépendance (OUI) avaient donné le coup d’envoi d’un processus conduisant à la rédaction d’une feuille de route, soit une stratégie commune d’accession à l’indépendance. Un an plus tard, Jean-François Lisée, élu chef du PQ le 7 octobre 2016, s’engage à ne pas tenir de référendum sur l’indépendance avant 2022. Ce retour à la stratégie du « bon gouvernement provincial » affectera non seulement son parti, mais tout le mouvement indépendantiste. Car il se trouve alors à imposer unilatéralement un nouvel échéancier à la feuille de route sur laquelle les partenaires acceptent malgré tout de continuer de discuter.
Mais on savait déjà que ce ne serait pas aux élections de 2018 que la convergence souverainiste pourrait se faire, QS et Option nationale ayant la ferme intention d’en faire un enjeu majeur. Lisée voulait néanmoins entraîner QS dans sa stratégie de convergence provincialiste.
Le 29 mai 2017, des élections partielles sont rendues nécessaires dans Gouin à la suite du départ de Françoise David. Pour montrer son « ouverture » envers QS, Lisée choisit unilatéralement de ne pas présenter de candidat en espérant un retour d’ascenseur aux élections générales prévues un an plus tard. Les sondages mettent le PQ perdant de toute façon devant Gabriel Nadeau-Dubois, qui l’emportera finalement avec 70 % des voix. Lisée s’évitera ainsi l’humiliation de la défaite tout en donnant l’impression d’être beau joueur face à QS, à qui il fait des propositions par médias interposés, mais sans jamais rencontrer sa direction.
Le Congrès de QS de mai 2017 : l’alliance provincialiste est rejetée
Dans les jours qui ont précédé l’élection de GND, le Congrès de QS (19-22 mai) s’est prononcé sur trois questions d’importance : d’abord la proposition de convergence du PQ pour l’élection de 2018, puis la feuille de route des OUI, enfin le projet de fusion avec ON. Il est quand même assez schizophrénique que les deux premières aient été débattues séparément. Mais tout compte fait, cela est attribuable au fait que le chef du PQ en a fait deux questions séparées, soit en reportant le référendum à 2022 et en proposant une alliance à QS de « bon gouvernement provincial » entre-temps.
La première question à être débattue fut celle de l’alliance possible avec le PQ. Ce parti qui voulait essentiellement battre les libéraux sans plan d’action pour réaliser l’indépendance. On semblait s’être entendu sur la feuille de route des OUI, mais sans calendrier avant 2022. Alors que c’est sur la base de cette même feuille de route qu’une entente électorale aurait pu être envisagée. Pour les congressistes, l’option favorable à une alliance lors des élections de 2018 comprenait quatre conditions qui n’étaient pas impossibles à rencontrer à l’exception de celle portant sur le processus d’accession3. Ce fut donc rejeté.
On a fait grand cas de l’agressivité ou des accusations de racisme que certaines personnes ont pu exprimer envers le PQ au cours de ce congrès. Bien que déplorables, ces comportements étaient néanmoins marginaux et n’ont pas constitué l’essentiel de l’argumentaire.
Cafouillage sur la feuille de route
Concernant la feuille de route des OUI, les représentants de QS avaient effectivement signé l’entente de principe. Celle-ci correspondait en partie avec la stratégie préconisée par QS, soit la convocation d’une Assemblée constituante, mais qui s’en distinguait au moins sur deux plans :
– La feuille de route prévoyait que le mandat à donner à cette Assemblée soit fermé, c’est-à-dire de rédiger une Constitution d’un Québec indépendant, alors que par deux fois, le Congrès de QS avait adopté un mandat ouvert, soit sans statut prédéterminé ;
– La feuille de route prévoyait que les membres de l’Assemblée constituante seraient nommés par l’Assemblée nationale, certains d’entre eux pouvant possiblement être élus, contrairement au programme de QS qui prévoit qu’ils devraient être élus au suffrage universel, à parité et qu’ils soient représentatifs de la composition de la nation québécoise.
On peut raisonnablement s’interroger sur les motifs qui ont poussé les représentants de QS à signer la feuille de route, sachant que ces deux dispositions allaient à l’encontre des résolutions du parti, c’est-à-dire des membres. On est en droit de penser qu’ils n’auraient pas dû signer, et expliquer aux partenaires qu’il y avait là un os et qu’il fallait retourner devant les membres au préalable. Ou alors qu’ils assument leur signature et se présentent devant les membres pour la faire entériner ou rejeter. Au lieu de cela, les dirigeants du parti ont commis l’erreur – qu’ils ont reconnu par la suite – de camoufler l’affaire en espérant gagner du temps. Ils ont voulu également éviter de contaminer les débats sur la proposition d’alliance électorale débattue au même congrès. C’est pourquoi ils ont demandé aux partenaires signataires de suspendre la publication de l’entente en espérant pouvoir la faire entériner plus tard. Pensait-on aux négociations à venir avec ON et à l’évolution que l’on sentait sur cette question parmi les membres à ce sujet ?
Quoi qu’il en soit, cafouillage ou pas, la question de la feuille de route n’avait absolument aucune incidence sur la campagne électorale à venir, puisqu’elle ne comportait aucun calendrier et que le PQ l’avait repoussé à 2022. Le retrait de la signature, non pas par le Politburo comme l’a dit Lisée, mais par le Comité de coordination national, n’avait rien à voir avec la proposition d’alliance électorale du PQ pour 2018.
Mandat de fusion avec ON
Le troisième sujet d’importance qui a été traité à ce congrès fut la décision d’entreprendre formellement les négociations de fusion avec Option nationale et d’accepter, dans le cadre de ce processus, de reconsidérer notre position sur le mandat « ouvert » ou « fermé » à donner à l’Assemblée constituante. Le 2 décembre 2017, QS adoptera l’entente de principe relatif à cette fusion, qui contient un mandat « fermé » à l’Assemblée constituante, à plus de 80 %. Le 10 décembre, ON avalisera l’entente de fusion à plus de 90 %.
Les raisons du rendez-vous manqué
En rétrospective, on est à même de réaliser que le rendez-vous de la convergence a été manqué pour deux raisons. La première, parce que le chef du PQ a court-circuité la feuille de route des OUI en imposant le calendrier de 2022. La deuxième, parce que ce dernier a réduit le projet de convergence à une alliance provincialiste de « bon gouvernement », extirpant celle-ci de ce qui l’aurait rendue possible, soit une stratégie d’accession à l’indépendance, et en mettant de la pression par médias interposés. Par ricochet, ce court-circuitage est aussi venu perturber le processus démocratique au sein de QS, dont le congrès n’a pas eu à se prononcer sur un véritable projet de convergence électorale comprenant un processus d’accession à l’indépendance. Certes, le cafouillage de la direction de QS à propos de la feuille de route ne fut pas sans conséquence. Il fut exploité à outrance, et ce, pour occulter le fait que cette feuille de route n’avait aucun calendrier et qu’il fallait, au demeurant, en suspendre l’application parce que certaines dispositions allaient à l’encontre de décisions prises antérieurement.
Une avancée occultée
Alors que la fusion de QS et de ON a rapproché le parti de la feuille de route des OUI, le chef du PQ a choisi plutôt de multiplier les intrigues à propos de QS et d’alimenter la confusion à propos de la « convergence ratée ». Une opération de démagogie qu’on constate improductive, incluant sur le plan électoral pendant la campagne de 2018 où on a vu réapparaître des arguments de peur dignes de ceux dont les péquistes ont été eux-mêmes victimes dans les années 1970. Peine perdue. La « machine à perdre » a donné ses résultats une fois de plus. La « clientèle » péquiste s’étant abstenue, ou encore a voté largement pour la CAQ, leur vote s’étant libéré de lui-même avec le report du référendum. Dans Le Quotidien du 5 octobre4, Jean-François Cliche démontre, chiffres à l’appui, que le PQ n’a pas eu besoin de QS pour perdre. Comme toujours. Or, nous voilà de nouveau à entendre l’appel à l’unité. Retour obligé au calendrier de 2022, pendant que des membres de part et d’autre se dévisagent sur le terrain, sans parler des procès qui se déroulent sur les réseaux sociaux.
Perspective
Nous connaissons un important processus de redéfinition du projet d’indépendance et de recomposition du mouvement indépendantiste. Un processus qui est amorcé depuis au moins 20 ans, soit depuis la fondation du Rassemblement pour une alternative politique en 1998, qui a conduit ultimement à la fondation de QS et au développement qu’on observe aujourd’hui. Les résultats de la dernière campagne en sont l’éloquente illustration.
Les blessures vécues dans les dernières semaines sont encore vives.
« Pressons-nous lentement », disait l’autre, laissons retomber la poussière et guérir les plaies. Essayons de comprendre la signification du déclin du PQ et de la croissance de QS. Faisons une analyse approfondie de nos organisations et de l’ensemble du mouvement indépendantiste.
Ne cherchons pas à éliminer nos différences. Nos partis ont leur raison d’être. Travaillons à une stratégie commune d’accession à l’indépendance et à un projet de pays, et nous verrons ensuite le degré et la forme que pourront prendre nos alliances éventuelles. La feuille de route des OUI est un excellent départ. Les OUI sont un cadre incontournable pour faire ce nécessaire exercice.
Reprenons graduellement le dialogue comme de véritables partenaires, cela veut dire ne pas imposer d’agenda aux autres. Travaillons donc ensemble dans le cadre des OUI, sans court-circuiter leurs travaux par des propositions parallèles ou par médias interposés.
Renforçons la composante citoyenne des OUI, la seule qui puisse véritablement représenter un rempart aux intérêts particuliers des partis, et qui puisse recadrer ces derniers autour des intérêts supérieurs de la nation.
Surtout, solidarisons-nous avec les Premiers Peuples, qui sont les premiers, et depuis plus longtemps que nous, à être assoiffés de souveraineté, et construisons une grande alliance des nations du Québec.
À défaut de quoi, il vaudrait mieux jeter la serviette.
1 Réjean Hébert. « Pour une union solidaire », Le Devoir, 10 octobre 2018.
2 Michel Boudrias. « Les indépendantistes et l’obligation d’agir », Le Devoir, 20 octobre 2018.
3 1) la réforme du mode de scrutin ; 2) la fin de l’austérité et le réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux ; 3) une transition écologiste et la fin du développement des hydrocarbures et 4) un projet politique inclusif pour la réalisation de la souveraineté qui condamne toute politique stigmatisant les groupes minoritaires, en particulier les groupes racisés.
4 « QS qui rit, PQ qui pleure ? » Le Quotidien, 5 octobre 2018