Préparer la prochaine!

Il n’est pas facile d’analyser à chaud cette campagne électorale surprenante qui vient de se terminer, avec la nouvelle conjoncture politique fluide qui en découle. À cause de la courte victoire du Parti québécois, c’est évidemment partie remise et il faut déjà préparer la prochaine.

Surprenante à première vue, en effet, cette remontée du Parti libéral par rapport aux sondages. Après avoir pataugé jusqu’à l’élection à des taux d’insatisfaction record, le parti libéral de Jean Charest se retrouve à peine à 30 000 votes du Parti québécois, faisant élire quatre députés de moins que le Parti québécois. En fait, les chiffres nous montrent que les quelque 70 % d’insatisfaits du Parti libéral se sont tout simplement partagés entre les divers partis d’opposition, pendant que les fédéralistes « purs et durs » ont voté stratégique contre la « menace » d’un référendum qu’ils voulaient faire croire prochain.

Le retour d’un parti indépendantiste au pouvoir, même minoritaire, est tout de même une bonne nouvelle. Il amène bien sûr des contraintes, mais aussi de nouvelles possibilités d’action. Au-delà de la simple arithmétique des résultats, deux questions se posent : sommes-nous plus proches de l’indépendance maintenant qu’hier ? Comment reprendre le combat indépendantiste dans la nouvelle conjoncture postélectorale ?

La campagne : 1984 revisité

Pendant cette campagne, surtout lors des débats des chefs, on a entendu les rengaines traditionnelles de la politique provinciale où se cantonne le Québec. Jean Charest est remonté aux années Bouchard pour accuser Pauline Marois et François Legault de tous les maux de notre système de santé, lui qui a démontré son impuissance pendant ses neuf ans de pouvoir. Il a aussi ressorti de vieux accrocs à la loi électorale de certains candidats des autres partis, corrigés depuis longtemps, pour masquer l’odeur de corruption et de collusion qui entoure son parti, polluant de ce fait encore plus l’atmosphère. Encore un peu plus, et on revenait aux célèbres « culottes à Vautrin » du temps de Maurice Duplessis.

Certains débats faisaient penser à ce roman de science-fiction, 1984, où George Orwell décrit un monde où existe un ministère de la Vérité (sic) dont les slogans « la guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force » servaient à maintenir la fidélité (ou l’inertie) de la population face au pouvoir en place.

Jean Charest, curieusement appuyé par François Legault, a passé une partie de la campagne, surtout vers la fin, à agiter la peur du référendum qui allait « créer de la chicane » et des difficultés économiques énormes, évitant soigneusement de parler du contenu de ce référendum, pourtant absent de l’écran radar. « Voulez-vous un référendum ou du développement économique ? » a-t-il martelé. On ne pouvait lui demander de discuter de l’indispensable du contrôle de nos outils collectifs pour notre développement puisque les candidats indépendantistes en ont à peine parlé. Pour ne pas être en reste, François Legault, dans les derniers jours de la campagne s’est présenté comme le seul rempart contre un référendum présenté comme un boulet, comme le mal absolu. Il a soutenu que Pauline Marois « propose de faire reculer le Québec qu’elle dit tant aimer. Si on aime le Québec, on ne veut pas y semer la division ». Pour paraphraser Orwell, la liberté c’est dangereux, aimer le Québec, c’est le garder bien menotté pour dix ans dans le carcan canadien.

Devant ce délire de faux-fuyants, de contresens, comment ne pas admirer la campagne digne et déterminée des porte-paroles des partis souverainistes, Pauline Marois, Françoise David et Jean-Martin Aussant ? Bien que mobilisés, et en lutte entre eux pour le soutien des électeurs, ils ont réservé leurs attaques essentiellement aux adversaires de la souveraineté, plaçant ainsi de fait l’objectif de l’indépendance au-dessus de la mêlée partisane. C’est là une note d’espoir pour l’avenir du projet indépendantiste, car il faudra bien en arriver à départisaner l’option.

Une autre note d’espoir réside dans la résurgence et la résilience du mouvement indépendantiste que plusieurs affirmaient être en déclin. Il y a un an, personne ne misait sur les chances du Parti québécois de gagner une élection malgré l’insatisfaction à l’égard du Gouvernement libéral. Après la débâcle de 2007, Pauline Marois a su redresser l’appui au parti, malgré les départs et les démissions qu’elle a en partie suscités. Plusieurs l’ont souligné, elle mérite largement ce mandat que la population vient de lui confier. Québec solidaire a affirmé davantage son orientation souverainiste tout en doublant son appui populaire et sa députation. Option nationale a vu son effectif augmenter en peu de temps à 6000 militants particulièrement chez la jeune génération d’indépendantistes. Depuis le référendum de 1995, les appuis au Parti québécois ont été systématiquement plus faibles que le soutien à l’indépendance. Peut-être avons-nous assisté au début d’une démarche permettant de faire le plein des votes souverainistes. Sans la présence de Québec solidaire et d’Option nationale, le vote souverainiste aurait-il atteint le niveau de 40 % qui s’est manifesté en 2012 ? Mais évidemment, la division du vote aurait dû être évitée au moyen d’une alliance électorale.

Les campagnes de « bon gouvernement »

Du côté négatif, encore une fois, la campagne électorale québécoise s’est déroulée essentiellement sur le thème de la gouvernance provinciale. Si on excepte les interventions d’Option nationale, et aussi quelques saillies éphémères de Françoise David et de Pauline Marois lors du débat des chefs, la promotion de la souveraineté n’a pas fait partie du plan de campagne du Parti québécois et de Québec solidaire. On a surtout parlé de mesures provinciales, ignorant presque totalement l’existence du gouvernement canadien et du carcan fédéral qui pèse sur le Québec.

Cela n’est malheureusement pas nouveau. Sauf pour les deux premières élections de 1970 et de 1973 où il a d’ailleurs progressé rapidement pour devenir l’opposition officielle, le Parti québécois a fait porter tous les débats électoraux sur la bonne gouvernance provinciale, passant du « beau risque », à « l’affirmation nationale », aux « conditions gagnantes » et maintenant au « référendum au moment jugé opportun ». Même lors des élections de 1976 et de 1994, chacune comportant une promesse de tenir référendum sur la souveraineté dans le premier mandat, la campagne électorale a porté sur des mesures à réaliser comme province d’ici la tenue d’un référendum. Les campagnes plus récentes de 2007, de 2008 et de 2012 n’ont pas fait exception.

En 2012, on a bien réaffirmé l’objectif de se donner un pays, on a refait quelques professions de foi souverainistes, mais on n’a pas fait la promotion systématique des avantages de l’indépendance. On a affirmé l’objectif, mais sans parler ni de son contenu ni des moyens d’y arriver. Malgré tout, plusieurs militants de ces partis vont prétendre qu’on a beaucoup parlé de souveraineté pendant cette campagne. En fait, on a parlé de référendum plutôt que de souveraineté, règle générale pour répondre aux attaques des adversaires et surtout, sans faire le lien entre la souveraineté et les dossiers qui préoccupent la population.

Les périodes électorales sont pourtant les moments où la discussion politique est la plus intense, ceux où les citoyens écoutent davantage, où ils participent le plus à l’échange des idées. Pendant que les souverainistes expliquent tant bien que mal qu’ils ne sont pas en campagne référendaire, que l’on doit faire « une chose à la fois » et attendre le référendum, rien n’empêche les adversaires de dire tout le mal qu’ils pensent de la souveraineté et d’accuser les souverainistes de cacher une option qui ne serait pas défendable. En fait, on n’attaque même plus la souveraineté, on attaque l’idée même de tenir une consultation populaire pour en décider.

La fin du bipartisme

Dans les faits, le Parti québécois misait dans cette campagne sur le principe d’alternance dans un système de bipartisme plutôt que sur un projet de pays comme l’avait souhaité le congrès de 2005. Devant les taux d’insatisfaction record du gouvernement Charest et le désir de changement de la population, celle-ci allait se tourner automatiquement vers l’opposition officielle dont ce serait le tour. Le Parti québécois allait corriger toutes les erreurs du gouvernement précédent. Par la suite, une fois au pouvoir, la « gouvernance souverainiste » allait permettre de faire arriver ce moment où un troisième référendum sur la souveraineté serait gagnant. Cette stratégie s’est butée principalement à la naissance de la CAQ et à la division du vote souverainiste. Pauline Marois l’a reconnu au lendemain de l’élection : nous ne sommes plus désormais dans un contexte de bipartisme.

Du côté des partis souverainistes, l’addition des votes PQ, QS et ON aurait permis au PQ d’obtenir 21 circonscriptions de plus, en plus de l’élection du chef d’ON dans Nicolet–Bécancourt. Le résultat aurait été un gouvernement fortement majoritaire de 75 députés pour le PQ, avec trois autres députés souverainistes (2 QS et 1 ON), 35 députés pour le PLQ et 12 députés de la CAQ. On ne peut que déplorer cette division du vote progressiste et souverainiste et l’échec des efforts de 12 000 citoyens, dont le soussigné, qui réclamaient une alliance préélectorale entre ces partis. Espérons que la leçon portera ses fruits d’ici à la prochaine campagne électorale dans 18 ou 24 mois.

Par contre, de l’autre côté de la ligne souveraineté/fédéralisme, il y a eu aussi une division du vote tout aussi déterminante. Si la CAQ n’avait pas divisé le vote fédéraliste ou si seuls les députés de l’ADQ s’y étaient présentés en ordre dispersé, aurions-nous eu un autre gouvernement majoritaire de Jean Charest ? Les électeurs caquistes auraient-ils donné un appui stratégique au Parti québécois pour se défaire des libéraux ? Un sondage de la firme Léger révèle que ces électeurs ont voté contre le PQ (32 %) et contre le PLQ (21 %), alors que 66 % des électeurs libéraux ont voté pour l’unité canadienne et contre le PQ. Contrairement au vote libéral, le vote pour le parti de François Legault n’est pas un vote fédéraliste pur et dur. On y retrouve des souverainistes fatigués et un certain courant autonomiste. Cela est à retenir pour la suite des choses.

Sommes-nous plus proches de l’indépendance maintenant qu’il y a 44 ans lors de la fondation du Parti québécois ? De 40 % d’appuis à l’élection de 1976 et au référendum de 1980, à 40 % à l’élection de 2012 si on additionne les votes des partis souverainistes et indépendantistes, on ne peut pas dire que la démarche dite « de bon gouvernement », du voter-maintenant-on-en-reparlera-plus-tard, ait fait avancer l’appui de la population à la souveraineté.

Cette stratégie est encore plus utopique et inefficace maintenant que le bipartisme est mort. Chaque parti ayant sa conception des « bonnes » mesures gouvernementales, gouverner la province va se faire dans un maquis de négociations à travers lequel le lien avec notre avenir national sera presque imperceptible. Il faut donc une nouvelle approche. Même dans le contexte minoritaire actuel, d’une façon ou de l’autre, le gouvernement du Parti québécois devra s’élever à une gouvernance nationale s’il veut conserver et faire augmenter ses appuis. On n’a pas défendu l’indépendance pendant les élections précédentes, mais il faudra la remettre sur la place publique, la préparer et la défendre d’ici, pendant et après la prochaine élection, malgré les obstacles.

Les moyens et le fardeau

Au pouvoir, le Parti québécois dispose d’instruments qu’il n’avait pas dans l’opposition. C’est une évidence. Une autre évidence, c’est celle du poids du pouvoir. La démarche du gouvernement Lévesque a été d’ailleurs admirablement racontée dans l’ouvrage de Martine Tremblay, Derrière les portes closes. Celle du gouvernement Bouchard du déficit zéro est un autre exemple probant où l’appui à la souveraineté a reculé devant un ensemble de mesures impopulaires. Les nouveaux élus de 2012 seront happés par les exigences de la gouvernance de la province. Ils et elles devront naviguer à travers les attentes contradictoires d’une multitude de groupes. Quelles seront les mesures prioritaires ? Va-t-on encore se disperser dans une foule de débats controversés qui ne contribueront en rien à la conscience nationale et au progrès du désir de pays ?

Prenons l’exemple de la Charte de la laïcité. Pour la majorité des Québécois, la religion est du domaine privé et la séparation des Églises et de l’État doit être clairement établie, de même que les principes de non-discrimination et d’égalité homme-femme. La laïcité de l’État s’impose. Malheureusement, on l’a bien vu dans la campagne électorale, le diable est dans les détails, ce qui a fait resurgir ce concept de laïcité ouverte qu’on oppose à la laïcité en la décrivant comme fermée et, au Canada anglais, comme xénophobe, raciste et j’en passe. Le crucifix ou pas ? Le voile ou pas ? Le kirpan ou pas ? Dans quels services publics et pour quels acteurs ? En situation d’autorité ou exécutants à l’abri des regards dans leurs bureaux ? Ce sont ces questions, secondaires en regard de notre avenir national, mais importantes pour certains citoyens, qui feront l’objet du débat à venir si le Parti québécois va de l’avant. Et là-dessus, on l’a bien vu, les indépendantistes vont se diviser joyeusement. Doit-on régler cela maintenant et se retrouver en Cour suprême à se défendre sans un consensus québécois suffisamment large ?

Heureusement, au lendemain de l’élection, Pauline Marois a présenté d’autres priorités : régler la question des frais de scolarité, éliminer la taxe santé, compléter le réseau des garderies et les services aux personnes âgées, présenter une nouvelle loi 101 complète pour protéger le caractère français du Québec. Ces mesures largement consensuelles de gouvernance « provinciale » seraient complétées par une reprise du combat national. On remettrait de l’avant les prises de positions partagées par tous les partis à l’Assemblée nationale qui se sont butées systématiquement à des refus du pouvoir canadien.

Il y a effectivement « à boire et à manger » sur ce plan : le registre des armes à feu, les mesures répressives à l’égard des jeunes contrevenants, les coupes des transferts fédéraux en santé, le retrait du Canada de l’accord de Kyoto, le refus du gouvernement canadien de respecter la loi 101 sur le territoire du Québec, le rapatriement des pouvoirs en matière culturelle. Si cela n’est pas assez, il suffit de consulter le document de consultation des États généraux sur la souveraineté, ou encore l’ouvrage récent des IPSO, L’indépendance, maintenant !

Le référendum n’est pas possible actuellement et c’est tant mieux ! Il faut mettre fin à l’obsession référendaire. Replaçons le contenu de la souveraineté au cœur du débat public à partir des consensus québécois et des blocages du régime canadien sur tous les plans, y compris celui de l’économie. Nous avons 18 à 24 mois pour le faire et préparer une prochaine élection où la promotion de la souveraineté sera placée, cette fois, au cœur de la campagne.

Le « Vaisseau amiral » et les autres

On a souvent qualifié le Parti québécois de vaisseau amiral de la souveraineté. On s’est souvent demandé aussi vers quel cap il voguait : la gouvernance de la province ou l’émancipation de la nation. Il faut miser sur la volonté de Pauline Marois et de son parti de mettre le cap sur la souveraineté. Maintenant au gouvernement du Québec, le PQ tient largement les rênes du programme politique et le pouvoir d’initiative qui en découle, même si celui-ci est limité en contexte minoritaire.

Il lui faudra cependant, pour reprendre les termes de Françoise David, tenir compte de la flottille qui l’entoure, des autres partis et des mouvements de la société civile qui cheminent, chacun à leur façon, vers une forme ou l’autre d’émancipation nationale. Sur ce plan, la démarche citoyenne des États généraux sur la souveraineté entreprise avant l’élection est centrale et doit se poursuivre. La plupart des partis et des mouvements indépendantistes y participent. C’est un facteur de cohésion interpartisane absolument nécessaire. C’est aussi l’amorce d’une reprise du débat public sur notre émancipation nationale. C’est surtout une démarche citoyenne qui reconnait que l’indépendance du Québec n’est pas la propriété d’un parti, mais du peuple québécois qui seul peut à en décider.

Autonomie et souveraineté

Mais il faudra que ce débat, qui se déroule pour le moment essentiellement entre indépendantistes, s’étende dans un deuxième temps à tous ces souverainistes fatigués et ces nationalistes qui ont appuyé la Coalition avenir Québec ou qui sont restés chez eux parce qu’ils ne croient plus l’indépendance réalisable à court terme. Cela ne sera possible que si le mouvement indépendantiste retrouve sa cohésion et sa vigueur d’ici, pendant et à la suite de la prochaine élection.

Sur le strict plan démocratique, tous les sondages depuis 40 ans démontrent que le statu quo constitutionnel est fortement minoritaire dans la population. C’est pourtant lui qui s’impose par défaut, par inertie, par habitude. Actuellement, 60 % des Québécois, 71 % des Québécois francophones et 77 % des jeunes Québécois francophones se définissent comme « Québécois d’abord » ou « Québécois exclusivement », donc autonomistes, nationalistes ou souverainistes. Dans le sondage Bloc-IPSO de 2010, près de 3 Québécois sur 4 (73 %) sont d’accord pour un nouveau partage des pouvoirs et des ressources entre Québec et Ottawa. Dans une proportion de 82 %, ils sont d’avis que le gouvernement québécois devrait disposer de plus de pouvoirs pour protéger la langue et la culture françaises. 90 % des Québécois croient que le gouvernement du Canada devrait obliger ses ministères et agences à respecter les dispositions de la loi 101 qui fait du français la seule langue officielle sur le territoire du Québec. Dans une proportion de 62 %, les Québécois estiment que le Québec a le droit de se séparer du Canada.

Cette réalité montre aux indépendantistes la voie à suivre : cheminer avec les autonomistes et les nationalistes pour en arriver à un moment démocratique majoritaire où la population réclamera une large autonomie (le rapatriement de pouvoirs) ou son indépendance nationale. Une alliance citoyenne fondée sur une collaboration stratégique entre souverainistes et autonomistes peut seule résoudre la question nationale.

Plusieurs propositions ont été faites par le passé de la part de souverainistes, et parfois de fédéralistes autonomistes, dans le but de sortir de l’impasse actuelle quant au statut politique du Québec. Il s’agirait de tenir un référendum sur certains pouvoirs et les moyens financiers dont le Québec a besoin pour faire face à ses défis de société. Une première proposition de ce genre avait été élaborée en 1984, sous le titre « la nécessaire souveraineté », signée par 12 ministres, dont Parizeau, Laurin, Landry, Marois et le soussigné. La proposition avait pour but d’offrir un compromis au premier ministre Lévesque que l’on sentait prêt à s’engager dans le « beau risque » du fédéralisme renouvelé. Elle était centrée sur le rapatriement de tous les pouvoirs nécessaires à une véritable politique de l’emploi, ce qui aurait permis la reprise du débat sur la souveraineté. L’approche fortement autonomiste du rapport Allaire visait également la récupération d’un grand nombre de pouvoirs du fédéral en misant sur un référendum pour les obtenir. Elle devait mener à la création de l’ADQ et à sa participation au camp du Oui lors du référendum de 1995. En 2000, une proposition d’un référendum sur les pouvoirs du Québec été publiée par Jean-François Lisée. Celui-ci soulignait que dans des secteurs comme la langue, la représentation du Québec à l’international, l’immigration, l’éducation et les affaires sociales ou le prélèvement de la totalité des impôts par le Québec, on obtenait entre 57 % et 77 % d’appui au rapatriement de ces pouvoirs au Québec. Nul doute que l’appui de la population à une telle démarche serait largement majoritaire, encore aujourd’hui, ce qui ne veut pas dire qu’il faille déclencher des référendums à répétition, ni même utiliser l’outil référendaire. La plupart des indépendances récentes en Europe se sont produites après une élection. Parfois, un référendum vient sanctionner la démarche par l’adoption d’une constitution ou autrement.

Cap sur l’indépendance

Dans le livre publié par les IPSO, L’indépendance maintenant !, en collaboration avec André Binette, nous avons présenté trois plans possibles vers l’indépendance qui supposent un effort de réconciliation nationale entre autonomistes et indépendantistes pour atteindre cette majorité démocratique dont le peuple québécois a besoin pour réussir son indépendance.

Le premier reprend essentiellement la démarche référendaire utilisée en 1995 avec quelques améliorations. Il va de soi qu’il faudrait le faire précéder d’un vaste débat démocratique auquel seraient conviés tous les partis, mouvements et citoyens individuels. À court terme, cette voie n’est pas praticable, car elle nécessite une période, d’ici et pendant la prochaine élection où on remet la question nationale dans le débat public.

Dans la seconde approche, une proposition constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale devrait être formulée à la suite d’un vaste processus de consultation. Ce n’est qu’à cette condition que la proposition pourrait être dotée d’un poids politique maximal et incontournable, et que l’obligation constitutionnelle de négocier stipulée par la Cour suprême pourrait pleinement porter ses fruits. Le processus de consultation pourrait être du type de la commission Bélanger-Campeau de 1990-1991 ou des commissions sur la souveraineté de 1995. En cas de refus de négocier sur cette base ou d’échec de la négociation, le gouvernement du Québec annoncerait la tenue d’un référendum sur la souveraineté.

Dans la troisième approche, une élection portant principalement sur une solution de la question nationale devrait servir d’élément déclencheur. On y présenterait un plan de solution « rapatriement de pouvoirs ou indépendance ». Une coalition de candidats et de partis s’engagerait à le mettre en œuvre en signant un pacte constitutionnel par lequel ses membres s’engageraient (comme en 1995) à réaliser l’une ou l’autre option et à procéder à une déclaration unilatérale d’indépendance en cas de blocage de l’option autonomiste ou du refus de reconnaitre l’indépendance du Québec par le pouvoir canadien. Une fois majoritairement élus à l’Assemblée nationale, les candidats dits « du pacte constitutionnel » mettraient en marche une démarche participative auprès de la population du Québec pour débattre de ces deux options, l’une autonomiste, l’autre indépendantiste, avant d’entreprendre les discussions avec le pouvoir canadien.

Dans les trois cas, cette vaste discussion nationale est nécessaire. Elle donnerait aux Québécois un rôle actif, plutôt que passif, dans tous les scénarios envisagés. Elle rétablirait les élus du Québec, plutôt que les députés du Québec à Ottawa, comme les véritables représentants des intérêts du Québec. Elle permettrait de faire une pédagogie de la souveraineté, sur les pouvoirs et les moyens d’action nécessaires au Québec pour résoudre nos questions de société les plus vitales, ce qui rejoint l’idée du projet de pays du programme de 2005 du PQ. Elle rendrait caduc ce discours pernicieux des adversaires, selon lequel les souverainistes ne s’occupent pas des « vrais problèmes ». Elle mettrait en évidence la dynamique d’enfermement, de dépendance et de marginalisation du Québec dans le Canada tout en proposant un moyen de s’en libérer.

Ce moyen est-il efficace ? Le pire scénario pourrait nous mener à une situation où la volonté populaire clairement exprimée d’une majorité de Québécois n’aurait aucun effet à cause d’un blocage systématique ou larvé de la part d’Ottawa et de sa propagande massive dans les médias. Voilà pourquoi l’alliance entre indépendantistes et autonomistes doit reposer sur une liste des pouvoirs à rapatrier et un mandat clair conféré au gouvernement du Québec de réaliser la souveraineté, unilatéralement au besoin, donc de récupérer tous les pouvoirs, en cas de refus du Canada de respecter la volonté de la population.

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En 2012, nous en sommes toujours là pour une seule raison. Bien que les deux tiers des citoyens du Québec se définissent d’abord ou exclusivement en tant que Québécois, l’appui à l’accession du Québec à la souveraineté se situe toujours entre 40 % et 45 %. Cet appui est remarquable dans la mesure où il représente plus de la moitié des francophones, et encore plus si l’on songe que la promotion de l’indépendance n’a pas été jusqu’à maintenant la priorité du principal parti souverainiste depuis 1996. Cet appui est toutefois insuffisant. Tout l’avenir du Québec tient à quelques dizaines de milliers de votes dont la jeune génération détient la clef. En ce sens, l’extraordinaire mouvement du printemps 2012 ne peut que nous rendre optimistes. Pour réaliser les idéaux qui ont animé les partisans des réformes démocratiques, du Québec français, du développement durable, de la justice sociale et de l’accès à l’éducation, il faut que ces luttes convergent vers l’indépendance nationale qui nous donnera les moyens de les réaliser.