Le jury du prix Richard-Arès 2004, composé de Simon Langlois, professeur au département de sociologie et titulaire de la chaire CEFAN de la Faculté des lettres de l’Université Laval; Andrée Lajoie, professeure titulaire au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l’Université de Montréal; Michel Seymour, professeur titulaire au département de philosophie à l’Université de Montréala choisi de décerner son prix à Pierre Duchesne pour le troisième tome de son ouvrage biographique, Jacques Parizeau, Le Régent, 1985-1995
Nous voici réunis aujourd’hui pour souligner la publication d’une œuvre importante. Je dis une œuvre plutôt qu’un ouvrage ou un livre car Monsieur Pierre Duchesne a livré en trois tomes non seulement le bilan d’une vie – le bilan de la vie d’un homme politique qui a été l’un des plus importants de l’histoire du Québec au XXe siècle, Monsieur Jacques Parizeau, qui est aussi l’un de ses acteurs les plus marquants, je dois le préciser – mais aussi une synthèse remarquable de l’évolution du Québec dans la seconde moitié du XXe siècle.
Ces trois tomes sont donc à la fois la biographie d’un homme et la sociographie d’une société.
Pour réussir l’écriture d’une biographie, il faut non seulement être capable de cerner la complexité d’un personnage, ses réussites, ses échecs, sa vie privée, sa vie publique, mais il faut aussi être en mesure de saisir la société dans laquelle il a œuvré, la société qui l’a marqué de son empreinte mais aussi la société qu’il a contribué à changer. Pierre Duchesne a parfaitement réussi cette entreprise ambitieuse. Il nous a donné trois livres bien écrits – dont il faut saluer la qualité du style – et une analyse rigoureuse et bien documentée sur l’homme Parizeau et sur le Québec.
Permettez-moi de dire quelques mots sur l’homme qui a été l’objet de l’attention du biographe.
Le portrait de M. Parizeau est un portrait généreux, écrit sans complaisance, rédigé avec une certaine retenue, compte tenu que beaucoup d’acteurs sont encore vivants, mais écrit aussi avec un vif esprit analytique qui donne à ce livre tout son intérêt. Ce n’est pas une hagiographie, mais ce n’est pas non plus une critique hostile, car on sent bien que le biographe a de l’admiration pour le personnage. Il a cherché à comprendre son cheminement, comment il est devenu ce qu’il a été et comment il a agit en acteur responsable de son destin par la suite, et surtout, comment il a assumé et orienté le destin de sa société.
M. Parizeau a eu un parcours exceptionnel au sein de sa génération. Il est issu d’une longue lignée de bourgeois-entrepreneurs au sens de Weber – un phénomène rare au Québec au moment où il est venu au monde – c’est-à-dire de gens qui restent en lien avec leur société, d’entrepreneurs « qui ont la responsabilité de faire travailler leurs gens » pour citer les mots de M. Parizeau lui-même. Après de brillantes études à Londres, il aurait pu faire carrière dans les affaires ou dans le monde académique, deux secteurs qui lui ouvraient grandes leurs portes, mais il a choisi d’œuvrer dans la haute fonction publique du Québec, il a préféré œuvrer à la construction d’un État fort et par la suite à la promotion de la grande idée qui a animé sa vie d’adulte : la souveraineté du Québec, la prise en charge de leurs propres affaires par les Québécois.
M. Duchesne dresse d’abord un portrait saisissant du milieu académique et du milieu économique du Québec des années 1940 à 1960. Le portrait aide à comprendre et à interpréter la Révolution tranquille qui était déjà en genèse.
La biographie rédigée par Pierre Duchesne – en particulier les tomes II et III – montre bien comment s’est construit l’État du Québec depuis le premier gouvernement de Jean Lesage jusqu’au gouvernement Parizeau. On y voit à l’œuvre Jacques Parizeau, grand commis de l’État qui met en place avec d’autres les institutions clés qui ont par la suite contribué à la mobilité sociale collective d’un peuple qui partait de loin et maîtrisait peu son destin.
M. Duchesne décrit avec précision les qualités de l’entrepreneur Parizeau mais aussi son engagement éthique et affectif dans l’avancement de sa société. J’ai été impressionné par ce que le biographe dit du « militant Parizeau », qui fonde très tôt avec René Lévesque, Camille Laurin et d’autres, ce qui allait devenir le mouvement souverainiste contemporain. Le biographe retrace avec minutie la fondation de ce mouvement et sa rapide avancée. Il montre que monsieur Parizeau a beaucoup sacrifié à l’avancement de la cause souverainiste et comment il a servi son chef avec une loyauté exemplaire, même dans les périodes difficiles, préférant démissionner lorsque le désaccord est devenu trop important. Il a déployé en politique les mêmes qualités qui ont été les siennes comme grand commis de l’État.
En plus de montrer comment s’était construit l’État québécois moderne, la biographie s’avère un document précieux pour qui s’intéresse à l’histoire du mouvement souverainiste québécois. C’est là l’une de ses forces. Le tome III est particulièrement fascinant à lire. Cette fois, il y a deux livres en un. L’un est bien sûr la biographie de M. Parizeau ; mais l’autre est en fait une histoire minutieuse, détaillée, de la préparation du Référendum de 1995 puis de la campagne elle-même. Les études à venir sur cette période ne pourront pas faire l’économie d’une consultation minutieuse de ce livre important qui fourmille de détails et de faits.
La ligne directrice qui ressort de ces trois livres se résume en quelques mots : Jacques Parizeau ou le sens de l’État. À notre époque où il est de bon ton de critiquer l’action de l’État, la lecture de ces livres – et la réflexion sur l’action d’un Jacques Parizeau qui y est rapportée – donnent à penser que le Québec a plus que jamais besoin d’un état qu’il contrôlerait dans le concert des nations et dans le contexte de la mondialisation sur laquelle M. Parizeau continue de réfléchir comme nous le savons.
Merci au biographe de nous avoir donné ce beau portrait d’un homme important, et à travers lui cette belle analyse du Québec contemporain.