Prix Richard-Arès 2010 – Allocution du jury

Chers amis,

chevrier republique w22Comme vous le savez, le prix Richard-Arès est attribué chaque année depuis 1991 par la Ligue d’action nationale à l’auteur d’un essai publié au Québec qui témoigne d’un engagement à éclairer nos concitoyens sur les grandes questions d’intérêt national. Ce prix est offert en hommage à Richard Arès, qui par ses nombreux écrits sur la question nationale du Québec, a contribué à enrichir la réflexion de nos compatriotes. L’objectif de ce prix est de saluer l’auteur d’un essai qui contribue à promouvoir la culture nationale en encourageant l’expression d’une pensée critique.

L’ouvrage que le jury a retenu cette année et qu’il m’a chargé de présenter est celui  de Jean-François Nadeau, qui a pour titre Adrien Arcand, führer canadien. Il a été publié chez Lux éditeur en 2010 et une deuxième édition revue et corrigée vient tout juste de paraitre en janvier 2011.

Ce gros ouvrage de 400 pages est une biographie étoffée, détaillée, bien documentée et de lecture agréable d’un personnage rébarbatif, antisémite jusqu’à la fin de sa vie, et attaché à des ignominies que l’on n’aime guerre évoquer, comme le souligne l’auteur. Par conséquent, il ne faut pas s’étonner que dans l’historiographie canadienne et québécoise, on ne parle que très peu d’Adrien Arcand et des  personnages associés à la cause du fascisme canadien. Il n’y a jamais eu d’étude fouillée de ce personnage, même si quelques ouvrages, souvent traduits de l’anglais, ont consacré un chapitre ou une section à ce personnage et à son idéologie durant l’entre-deux-guerres. Et Jean-François Nadeau a raison de souligner que l’on a négligé systématiquement, entre autres choses, d’évaluer la persistance des idées d’Arcand, en particulier son négationnisme, dans l’après-guerre jusqu’à sa mort en 1967. Mais ce sont aussi ses activités et son impact sur la société québécoise et canadienne ainsi que ses rapports aux autres dirigeants fascistes dans le monde et ses activités pour promouvoir l’État fasciste et corporatiste qui sont ici analysés. Voilà une première raison de souligner la pertinence de cette œuvre nécessaire à la compréhension de l’histoire du Québec, qui a dû connaitre aussi ces aspects gênants. Car sur ce sujet délicat sur lequel notre conscience historique ne voulait pas s’attarder, autrement que sous la forme de pamphlets sans rigueur et sans méthode, Nadeau a produit une œuvre à la fois solide et nuancée, qui a su mettre en contexte les acteurs et les événements en rapport avec ce personnage.

Une deuxième raison de souligner ce succès de librairie, c’est que depuis quelques années, on a déploré le peu d’études approfondissant les dimensions politiques produites par des historiens québécois, et particulièrement le trop petit nombre de biographies intéressantes, solidement étayées, produites par nos universitaires. Et celles-ci sont souvent écrites dans un style ennuyeux, et dans une langue terne. Nadeau, qui est à la fois historien et politologue, sait au contraire raconter et expliquer l’histoire d’un homme et son milieu, en faisant des liens avec ce qui se passe en même temps dans le monde, comme ces mouvements fascistes de divers pays principalement ceux de l’Empire britannique ou des États-Unis avec lesquels Arcand noue des rapports, ou cette rencontre avec l’écrivain Céline de passage à Montréal en 1938, ou cette visite avec le général Balbo, bref avec  d’autres acteurs du siècle tragique. Alors que le genre biographique semble abandonné par nos historiens professionnels en milieu francophone, on assiste ici à une franche réussite. L’auteur maitrise bien cette façon d’aborder un personnage dans son milieu et à travers son époque. Et il en est à sa troisième biographie, après celle de Bourgault en 2007 et celle de Rumilly, l’homme de Duplessis, en 2009. Chaque fois, l’auteur n’aborde pas des sujets insignifiants, mais sait choisir des thématiques susceptibles de capter l’intérêt de son lectorat. Il peut même donner le goût à certains jeunes de s’intéresser à notre histoire nationale, avec toutes ses contradictions et ses dérives.

Alors que plusieurs déplorent l’abandon de l’enseignement de l’histoire, que certains prétendent même qu’elle n’est plus nécessaire à l’heure où ne compte que l’actualité, il est plus que jamais nécessaire de prendre conscience qu’un peuple privé de son histoire, et captif du présent, ne se donne pas les moyens de dessiner son avenir.

À la question «fallait-il accorder autant d’importance à cet homme pathologiquement haineux?», Nadeau justifie son projet en précisant qu’il n’a jamais voulu grossir l’importance du personnage, mais que l’oubli systématique de ce sujet peut s’avérer tout aussi néfaste «car à force de minimiser la place du fascisme canadien dans l’histoire canadienne, on a fini par se faire croire bêtement qu’il devait être tenu pour insignifiant». Car cette tranche de notre histoire parfois évoquée n’est pas connue. Quand un historien universitaire important du Québec contemporain présente le «Parti national social-chrétien» (PNSC) d’Arcand, ce passionné de l’Empire britannique, fervent fédéraliste, comme ayant eu des velléités séparatistes québécoises, il faut quelqu’un pour rectifier et bien montrer que si Arcand a repris bien des éléments du discours des nationalistes québécois pendant la crise, jamais Arcand ou son parti ne se rapprochera de l’idéal séparatiste. Pour Arcand, au contraire, un Québec indépendant serait à la merci des Juifs. Il sera toujours convaincu des avantages d’être soumis à l’Empire britannique et, pour lui, la cause du malheur des Canadiens français est strictement liée à l’existence des Juifs. Nous avons un nationaliste canadien d’extrême droite, fier de son appartenance à l’Empire britannique, qui développe un racisme et un antisémitisme quasi religieux. À compter de 1930, quelques mois après le lancement du journal Goglu, tous les autres journaux d’Arcand et de son fidèle associé Joseph Ménard reprennent des extraits de la littérature antisémite internationale la plus virulente. Nadeau réussit fort bien à nous expliquer le rapport complexe  à l’Église de ce catholique ultraconservateur. Si des membres du modeste clergé ont suivi Arcand, les hautes instances de l’Église catholique du pays ont toujours pris leurs distances face à ce personnage gênant qui communiait au paganisme hitlérien. Encore ici, les recherches de Nadeau permettent de corriger certains propos tenus par certains historiens sur ce bon catholique.

Nadeau s’intéresse à la contribution active des journaux d’Arcand en faveur du chef conservateur du Canada Richard Bedford Bennett qui lui apporte un soutien financier à la fin des années vingt et au début des années trente. Il analyse avec nuance la mouvance nationaliste canadienne-française et ses préoccupations, plus particulièrement le rapport de certains membres nationalistes radicaux des Jeune-Canada qui sont alors antisémites comme Arcand, même si ses manières populistes déplaisent à ces jeunes groulxiens qui trouvent qu’Arcand va trop loin. Les disciples de Groulx ne partagent pas l’antisémitisme d’Arcand, même si plusieurs personnalités québécoises sont tentées par le fascisme avant la guerre. Fait rassurant, on y apprend que Arcand et les siens n’ont jamais réussi à s’infiltrer à la SSJB. L’analyse des contenus des nombreux journaux d’Arcand et de Ménard est bien approfondie, leur influence souvent surévaluée par Arcand et ses premiers analystes est ici ramenée à des chiffres plus réalistes, et leur échec bien expliqué que ce soient les échecs du Goglu, du Miroir, du Patriote ou du Fasciste canadien.

 La venue à Montréal du général Italo  Balbo, confident de Mussolini et partisan très populaire de son régime, lui permet d’aborder le rapport des élites québécoises, particulièrement des mouvements nationalistes canadiens-français et italo-québécois partisans de Mussolini avant la guerre. On ne reprendra pas ici tous les épisodes de la vie d’Arcand, son congédiement de La Presse en 1929, sa fascination puis son rejet du maire Camillien Houde, la création de ses journaux fascistes dont L’Illustration nouvelle financée par Eugène Bertiaume, son activisme politique qui l’amènera à vouloir fédérer tous les fascistes du Canada dans son «Parti de l’Unité nationale du Canada», le PUNC. L’auteur s’attarde à son internement pendant la guerre au camp de Petawawa, en vertu de la Loi des mesures de guerre et où il converse régulièrement avec son allié Gérard Lanctôt. Fait surprenant, cet emprisonnement du fasciste Arcand non repenti sera contesté en février 1948 par le jeune étudiant Pierre Elliott Trudeau. Après la guerre, Arcand appuiera l’Union nationale où il a des amis comme Rémi Paul, futur ministre de la Justice sous Jean-Jacques Bertrand. Duplessis lui-même, selon Nadeau, ne semble pas détester Arcand, lorsqu’il en est question en privé. Et dans son village de Lanoraie où il s’installe après son internement pendant la guerre, tout le monde semble bien le considérer comme un monsieur fort poli. Nadeau consacre tout un chapitre à son négationnisme militant et aux amis qui continuent de le fréquenter. Il a plusieurs amis tant dans le clergé que dans le monde des affaires. Je vous laisse le soin de les découvrir. En 1965, en pleine révolution tranquille, deux ans avant sa mort, on apprend que son associé et ami Gérard Lanctot organise avec les jeunes fascistes du mouvement une grande fête à l’honneur du chef au centre Paul-Sauvé. Il y a 800 invités pour rendre hommage à ce personnage étonnant. On peut constater qu’Arcand n’a pas été le seul à avoir été tenté par l’aventure du fascisme au Canada et au Québec, mais malgré tous ses efforts, Arcand ne jouira jamais d’un pouvoir suffisant pour attirer une part importante de l’électorat. Pour Nadeau, il aura été toute sa vie instrumentalisé par un milieu politique plus conservateur que vraiment révolutionnaire: les bleus de Bennett, puis le baron de La Presse Eugêne Berthiaume, l’Union nationale puis les créditistes. On l’a utilisé plus que craint.

En conclusion, à travers l’histoire d’Arcand et de ces partisans d’Hitler au pays, Jean-François Nadeau réussit à nous dessiner une tranche de l’histoire du Canada et du Québec que plusieurs préfèrent encore oublier. Il faut souligner sa persévérance pour avoir fouillé toutes ces archives et journaux et pour avoir consacré tout ce temps à lire ces nombreuses correspondances, mais aussi pour avoir eu le courage d’écrire une histoire accordant toute l’importance au politique, en ces temps où les historiens universitaires ne semblent pas empressés à la développer, comme le démontrera la prochaine étude de la Fondation Lionel-Groulx.

 Avec les autres membres du jury, j’ai donc le plaisir d’accorder ce prix à un intellectuel qui a consacré déjà beaucoup de temps de sa vie, devrais-je dire de sa jeunesse, à l’écriture et à la promotion de l’histoire du Québec, en acceptant d’affronter certains courants ou sensibilités qui préféreraient peut-être un historien moins dérangeant. Nous voulons ainsi reconnaitre la qualité et la pertinence de cet ouvrage, qui, on le souhaite, s’inscrit dans une œuvre encore loin d’être terminée, particulièrement nécessaire en ces temps de conservatisme.                                

Robert Comeau
Membre de la Ligue d’action nationale
Professeur associé, département d’histoire, UQAM

Lu au local de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal,
Maison Ludger-Duvernay, le 14 juin 2011