Prix Richard-Arès 2011 – Recours aux sources

Monsieur le président de la Ligue d’Action nationale,
Membres du jury du prix Richard-Arès,
Chers amis,

Je voudrais vous remercier chaleureusement pour ce prix.

C’est une reconnaissance qui me touche beaucoup.

Elle me touche parce qu’elle est décernée par la Ligue d’action nationale qui, depuis si longtemps, défend la cause du peuple québécois.

Nul besoin d’être historien pour savoir ce que le Canada français d’Ancien régime et le Québec moderne doivent aux intellectuels qui ont été, au fil du dernier siècle, les chevilles ouvrières de ce grand mouvement de pensée et d’action. Grand mouvement de reconquête de nous-mêmes.

Mouvement qui a produit ses premiers fruits au cours des années 1920 par la publication du grand dossier sur Notre avenir politique et qui se poursuit aujourd’hui grâce à l’apport de jeunes intellectuels dont l’audience ne cesse de s’élargir.

Le prix que je reçois honore la mémoire de Richard Arès.

La contribution du père Arès à l’intelligence de notre destin national a été importante. On lui doit notamment une analyse serrée du recensement canadien de 1951, laquelle montrait l’ampleur de l’assimilation des Canadiens français hors Québec.

Ses données en ont convaincu plusieurs, dont René Lévesque, de faire de l’État du Québec, le grand instrument non seulement de défense mais de développement et d’épanouissement du fait français en Amérique.

Aux yeux du père Arès, la Loi canadienne sur les langues officielles avait toutes les allures d’un « remède imaginaire », pour reprendre le titre de l’ouvrage de mes collègues Guillaume Marois et Benoît Dubreuil que je félicite chaleureusement pour ce prix.

Par son rigoureux travail de la pensée, Richard Arès a été l’un de nos éveilleurs de conscience.

J’aurai aussi ce soir une pensée toute particulière pour le regretté Rosaire Morin. Alors que j’étais tout jeune, il m’ouvrit les pages de L’Action nationale. C’est grâce à lui que j’ai publié mes premiers essais sur le Québec.

Je me souviens d’un homme spontanément ouvert à la jeunesse et très généreux de sa personne. Je me souviens aussi de sa bonne humeur… Du rictus accroché à son visage sympathique.

Rosaire Morin qui, le soir comme le jour, répondait au téléphone par son légendaire « Bonsoir »… Devant nos mines étonnées, il avait toujours la même répartie : « Tant que l’indépendance n’est pas faite, c’est la nuit… » !

Puisque deux essais terminent cette année ex-æquo, je m’en voudrais de trop vous accaparer.

Je souhaite tout de même rappeler le projet de Recours aux sources.

Car pour comprendre l’intention de ce livre, il faut s’arrêter au titre.

Recours aux sources, c’est plus qu’un jeu de mot. C’est un  programme. Le programme que je me fixe pour les décennies à venir, si le Providence me prête vie.

On pourrait donner à ce titre deux sens…

Recourir aux sources, pour un historien, n’est-ce pas la chose la plus normale qui soit ?

Pour construire son récit, l’historien lit des archives, épluche des journaux, analyse des inventaires de toutes sortes, compulse des données.

Les sources sont la matière première de l’historien. Ce sont elles qui lui donnent une certaine « autorité »…

Qui lui permettent de répondre, dans la mesure du possible, à une question toute simple : mais que s’est-il donc passé ?

À mon avis, c’est lorsque l’historien tente honnêtement de répondre à cette question qu’il est le plus pertinent… Le plus écouté aussi.

S’il faut recourir aux sources, c’est donc, oui, pour mieux connaître ce qui s’est passé. Connaître notamment ces grands événements qui trônent au milieu de notre mémoire collective.

Mais recourir aux sources, c’est aussi aller à la rencontre de nous-mêmes.

C’est aller aux sources de notre identité nationale.

Aux sources de notre être collectif.

Aux sources de ce que nous sommes.

C’est à sens-là que j’ai pensé en choisissant ce titre.

Pourquoi recourir aux sources de notre histoire ?

Essentiellement pour trois raisons…

Par gratitude d’abord. Parce que nous sommes les dépositaires d’un héritage construit au fil des siècles. Un héritage fragile de culture et de civilisation. Se tourner vers le passé, c’est se rappeler que NOUS NE NOUS sommes pas fait tous seuls… Que d’autres avant nous, bien avant la Révolution tranquille, ont préparé le terrain à notre venue.

S’il faut recourir aux sources de notre histoire, c’est ensuite par prudence, par sens des limites… L’histoire nous immunise contre les discours de la « table rase » et tous ces prophètes qui croient avoir trouvé le sens ultime de la destinée humaine… J’ai pour ma part une conception tragique de l’histoire. Celle-ci est faite de grandeurs et de déclins car elle est faite par des femmes et des hommes imparfaits.

S’il faut enfin recourir aux sources de notre histoire, c’est pour garder espoir… Si l’histoire n’est pas écrite à l’avance… Si son sens nous échappe…  C’est donc que nous conservons une part de liberté… C’est donc que nous avons la possibilité d’en changer le cours…

Par nos actions, nos écrits, notre travail…

Je vous remercie.