Montréal, Maison Ludger-Duvernay, 10 juin 2013
Monsieur le président de la Ligue d’Action nationale,
Membres du jury du prix Richard-Arès,
Chers patriotes et amis,
Il me fait plaisir d’être avec vous ce soir pour souligner, non point tant la reconnaissance d’un livre, que la renaissance d’une idée, une idée évidente chez plusieurs peuples, mais si longtemps reléguée dans l’ombre au Québec : l’idée de république. Je sais que pour les membres du jury, il n’a pas dû être aisé de faire un choix parmi tous les ouvrages publiés dans l’année 2012, dont plusieurs auraient pu se mériter la distinction que la Ligue d’Action nationale a décidé de me remettre aujourd’hui. Je suis d’autant plus flatté de recevoir l’honneur que vous me faites qu’il est un hommage à la mémoire du père Richard Arès qui fut, en quelque sorte, l’un de nos grands publicistes, dont les écrits ont marqué au Québec l’étude de l’État, de la constitution et du régime politique canadien. Tous des sujets sur lesquels je n’ai cessé de réfléchir depuis bien avant que je devienne professeur en science politique à l’UQAM. Je me rappelle fort bien avoir épluché le dossier sur le pacte fédératif de 1867 que le père Arès a édité en 1967; peut-être que cette lecture qui me semblait alors anodine a-t-elle décidé inopinément des orientations de mes recherches. Je tiens aussi à évoquer la mémoire de Rosaire Morin, que j’ai connu dans les dernières années de sa vie, tandis qu’il dirigeait L’Action nationale. Je lui sais gré d’avoir publié l’un de mes premiers écrits sur l’idée républicaine, le texte De la Monarchie en Amérique, publié en mai 1998.
Cette idée de république qui fut si longtemps négligée, sinon suspecte, semble depuis quelques années sortir de l’ombre. D’autres que moi ont préparé ce regain d’intérêt je dois le dire, je pense à Stéphane Kelly et à Louis-Georges Harvey, dont les travaux précurseurs m’ont fait voir sous un jour radicalement différent le sens des luttes politiques qui ont marqué le XIXe siècle, de la rébellion des Patriotes à la création du Dominion canadien en 1867. N’était la lecture, qui fut pour moi déterminante, de La Petite loterie, peut-être n’aurais-je pas écrit l’ouvrage qui nous réunit ce soir. Outre l’originalité des thèses de cet ouvrage, c’est sa méthode qui influença mon travail : il me fit prendre conscience qu’il était possible de combiner à la fois l’histoire, la sociologie, l’analyse et la philosophie politiques pour saisir comment un régime politique prend racine et assoit sa domination. Il me fit voir aussi comment les idées politiques, bien qu’elles paraissent à certains des nuées sans prise sur le cours de choses, façonnent l’exercice du pouvoir à des dimensions parfois inattendues.
C’est un peu de ce mélange, additionné aussi de droit et de littérature, que vous trouvez dans La République québécoise, qui recourt, pour prendre le langage des arts plastiques, à des techniques mixtes, afin d’élucider le sens d’une tradition politique méconnue et d’esquisser ce que pourrait être une République québécoise qui prend sa liberté politique au sérieux. Pour ce faire, j’ai dû justement me pencher sur une matière qui soulève, je m’en étonne encore, trop peu l’intérêt de la communauté universitaire, c’est-à-dire notre histoire politique.
Le contexte de la recherche est tel aujourd’hui, que lorsque l’on dit s’intéresser à cette histoire, on paraît un chasseur de curiosités, au risque même d’être soupçonné de tourner le dos aux grandes questions universelles. Or, dois-je le rappeler, le Québec n’est pas hors du monde, il est partie prenante de l’aventure occidentale. Son histoire est au carrefour de celles des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, de l’Irlande, et cette histoire est aussi unique, sans se réduire à la sommation de celles-là. Il me semble, sans vouloir généraliser, que plusieurs de nos universitaires entretiennent à l’égard du Québec un rapport de type colonial : ils le voient comme une terre vide, sans histoire et sans culture digne d’être connues au préalable, où il sied de transplanter de beaux systèmes venus d’ailleurs. Ce que j’ai appelé dans mon ouvrage l’ultramontanisme intellectuel – la lumière ne peut provenir que par-delà les monts.
C’est un peu pour sortir de cette double éclipse, celle du Québec et celle de l’idée républicaine, que j’ai écrit cet ouvrage. Je serais bien navré d’être considéré comme le porte-parole attitré de cette idée. L’anthologie des textes républicains que j’ai éditée chez Septentrion avec mes collègues Stéphane Kelly, Louis-Georges Harvey et Samuel Trudeau, montre bien la richesse de cette tradition portée aussi bien par des noms illustres, Papineau, Dessaulles, Laurier et Laurendeau, que des figures méconnues ou oubliées, De Calvet, Dumesnil, Beaugrand, Langlois et Circé-Côté. De plus, si l’idée de république a porté des fruits dans le passé, ses promesses sont encore plus grandes pour l’avenir. Le Québec, que je sache, n’a toujours pas réalisé ce qui de Papineau à Daniel Johnson, fut leur grande ambition : qu’il devienne un jour une République démocratique, dont la liberté procède d’une constitution à laquelle le peuple québécois a consenti. C’est là un projet toujours en plan, dont j’espère avoir seulement dévoilé les possibilités pour ceux et celles qui voudront, avec la persévérance, la vigilance et l’indépendance d’esprit si chères au citoyen républicain, le porter à terme.
Je vous remercie.
Marc Chevrier