Prix Richard-Arès 2014 (ex aequo: James Jackson)

emeuteinventee250L’émeute inventée. La mort de trois Montréalais sous les balles de l’armée britannique en 1832 et son camouflage par les autorités. (James Jackson, VLB éditeur, 2014, collection Études québécoises, 322 pages, traduction de Riot that never was ,Baraka Books)

J’aimerais d’abord féliciter M. James Jackson corécipiendaire du prix Richard-Arès pour cet ouvrage historique approfondi sur notre XIXe siècle québécois. Alors qu’il enseignait les littératures française et québécoise au Trinity College de Dublin, le professeur Jackson, docteur en philosophie, eut l’idée géniale de mener une recherche sur le parcours d’un étudiant de Trinity College qui vint s’installer au Québec comme médecin au début du XIXe siècle : Daniel Tracey. Ce dernier avait fondé un journal pour défendre la cause des patriotes catholiques irlandais. En cours de recherche, il découvrit que ce médecin, Daniel Tracey était solidaire des Patriotes du Bas-Canada, et s’était engagé en politique avec l’appui des patriotes. Son journal, The Irish Vindicator, est devenu The Vindicator en endossant les réformes des partisans de Papineau.

Tracey s’était présenté aux élections de 1832 dans la circonscription de Montréal-Ouest. Le jour de sa victoire électorale, il se serait trouvé impliqué dans une émeute où trois Montréalais avaient été abattus par l’armée britannique. Ce qui semblait un fait sans importance, intéressa notre auteur qui publia, d’abord en anglais chez Baraka Books, les résultats de son enquête fouillée sous le titre The Riot that never was, ouvrage qui fut ensuite traduit par Michel Buttiens et publié chez VLB éditeur, constituant le 100e ouvrage de la collection «Études québécoises».

Ce livre fut une surprise pour le jury. Alors que le titre annonçait un sujet très pointu et mineur, sa lecture révélait au contraire une analyse précise de ce qui s’était passé ce 21 juin 1832 et une interprétation qui bouleversait l’historiographie concernant le mouvement des Patriotes. Il apportait des conclusions complètement nouvelles dans un dossier où les historiens s’étaient contentés de répéter les uns après les autres, les conclusions complètement fausses des enquêtes biaisées menées par les autorités britanniques, enquêtes du coroner et enquêtes du grand jury, qui ont duré deux ans.

Jackson a pris la peine et le temps d’étudier systématiquement ces rapports et d’analyser les témoignages des personnes qui avaient assisté à la scène de la prétendue émeute. Recoupant tous les témoignages, il a conclu que cette émeute était inventée et que les responsables avaient caché la vérité. Jackson démontre clairement tout le camouflage de la part des autorités pour faire croire qu’une simple bagarre au moment de la victoire de Daniel Tracey avait été transformée en émeute et justifiait l’intervention de l’armée et la mort de trois innocents citoyens du Bas-Canada. Pendant deux ans, les Patriotes vont réclamer justice pour connaitre la vérité sur cette fusillade. On retrouva même cette demande parmi les 92 Résolutions de Papineau de 1834 et cet incident radicalisa le mouvement patriote.

Que s’était-il passé ce 21 mai 1832 à la Place d’Armes? Le candidat Tracey avait pu gagner, après une chaude lutte, grâce à l’appui du Parti patriote et plusieurs jours de votation, car le bureau de scrutin restait ouvert tant que des électeurs s’y présentaient. Au moment de la fermeture du bureau de scrutin, le candidat irlandais battait Bagg, le loyaliste, candidat de l’establisment britannique. Daniel Tracey s’en était pris à la British American Land et aux spéculateurs en cause dans l’achat des terres des Cantons de l’Est destinées aux immigrants. Plusieurs partisans de Bagg faisaient partie de ces marchands spéculateurs.

Les autorités tant politiques que militaires ont tout fait pour tenter de faire annuler cette élection. Bagg apprenant sa défaite se retira et fit intervenir l’armée. On se souviendra que les marchands britanniques ultraconservateurs de Montréal ne supportaient plus le statu quo politique et voyaient bien qu’ils ne pouvaient gagner sur le terrain parlementaire: ils feront appel à l’armée car, sur le terrain militaire et judiciaire, ils profitaient de toutes les complicités. Les enquêtes étaient bidon.

Jackson révèle toute la préparation de ce coup et son camouflage. L’ouvrage se lit comme un vrai roman policier. Un chapitre complet décrit ce qui s’est passé entre 15 h et 15 h 15 ce 21 mai 1832. Jusqu’ici tous les historiens spécialistes anglophones se sont portés à la défense de l’intervention militaire justifiée. Du côté francophone, James Jackson est surpris de constater qu’aucun historien n’a pris la peine d’analyser les témoignages contenus dans les rapports d’enquête pourtant publics dans les Journaux de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada. Seule France Galarneau, à la fin des années 1970, met en doute la version officielle des coups de feu lorsque l’armée a fait face non pas à une émeute, mais bien à une bagarre. Une Brève histoire du mouvement patriote récemment publiée reprend sans vérification la version officielle d’une émeute où l’armée tire sur des Patriotes, alors que les trois tués étaient de simples passants non impliqués dans cette bagarre.

On peut regretter que nos historiens et historiennes se soient contentés de répéter les conclusions du gouverneur Sydenham et du grand jury vendu à sa cause. Ce fait démontre la nécessité de développer la recherche en histoire politique du Québec et de faire preuve d’esprit critique. Ce fait a eu un impact important; il contribua à la radicalisation du mouvement patriote à partir de 1834. Les citoyens et dirigeants du Parti patriote ont réclamé pendant deux ans la vérité sur la mort des trois Canadiens français abattus par l’armée britannique et le camouflage des autorités. C’est un ouvrage courageux et fascinant. Au cours du mois de novembre, l’auteur présentera son ouvrage à l’émission «Nouveaux regards sur notre histoire», émission réalisée par la Société historique de Montréal et diffusée à Radio VM. Après sa diffusion l’émission se retrouvera sur le site : www.societehistoriquedemontreal.org

Robert Comeau, historien, professeur retraité de l’UQAM et membre du jury du prix Richard-Arès.

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